Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Luc Perino
Avec ses histoires de patients zéro, Luc Perino propose un ouvrage qui fait écho à l’actualité récente. De la pandémie de SRAS en 2002 à la cuisinière irlandaise qui transmettait la typhoïde sans jamais tomber malade, l’auteur nous fait voyager à travers les siècles, à la découverte de patients méconnus ou plus célèbres qui ont contribué à des avancées médicales spectaculaires.
L’histoire a consacré nombre de médecins qui ont fait des découvertes cruciales pour traiter certaines maladies. Mais sans les patients, jamais ces avancées médicales n’auraient vu le jour.
C’est pourquoi Luc Perino choisit de revisiter l’histoire de la médecine en changeant résolument de perspective. Il retrace les grandes évolutions scientifiques en replaçant le malade au cœur du processus de découverte. Pour remettre à l’honneur ceux qui ont apporté la gloire à de nombreux médecins, il se focalise sur les patients zéro dont les pathologies ont confronté les scientifiques à des énigmes anatomiques, infectieuses ou psychiques.
Quels facteurs ont conditionné l’évolution de la médecine au fil des siècles ? Dans quels domaines la contribution des malades a-t-elle été déterminante ? Quels sont les travers de la médecine et les scandales dont elle a été à l’origine ?
Luc Perino offre une compilation de cas médicaux hauts en couleur, qu’il raconte tantôt avec humour, tantôt avec une ironie acerbe.
L’acte de soigner est une nécessité biologique et naturelle : grâce à leurs soins, les parents de la plupart des êtres vivants permettent aux nouveau-nés de survivre et pérenniser l’espèce.
Au fil du temps, le soin s’est professionnalisé, même s’il n’était pas d’une grande efficacité. Il était représenté par des pseudo-soigneurs, comme les arracheurs de dents ou les barbiers qui endossaient autrefois le rôle de médecin. La médecine a connu un réel tournant avec l’apparition de nouvelles techniques et la découverte du potentiel de certaines substances.
Si les propriétés anesthésiantes de l’éther, du chloroforme ou du protoxyde d’azote ont permis de développer les interventions chirurgicales, le pouvoir de la morphine a offert la possibilité de calmer les souffrances des malades. Grâce aux vaccins, la mortalité liée aux épidémies a pu être réduite, tandis que le décodage des groupes sanguins a ouvert l’ère des dons de sang et des transfusions sanguines sans risque. Toutes ces avancées ont permis d’accéder à une médecine capable de pénétrer dans le corps pour guérir des pathologies internes, au lieu de s’en tenir à des soins externes.
La façon d’aborder les maladies et de les caractériser a de tout temps été influencée par le contexte culturel et social, ainsi que par l’époque. Dès ses débuts, la médecine est intimement liée à la philosophie qui a élaboré des concepts, comme la théorie des humeurs ou le yin et le yang chinois, pour tenter d’éclairer les mystères des maladies. Définie par des médecins et des psychanalystes qui étaient exclusivement des hommes, l’hystérie a longtemps été considérée comme un mal à connotation sexuelle purement féminin : on l’a attribuée tantôt au déplacement de l’utérus à l’intérieur du corps, tantôt à une possession du diable.
De même, les tabous liés à la sexualité ont empêché durant des siècles de déterminer le sexe d’une personne autrement que dans une perspective binaire homme/femme. Avec l’évolution des mœurs, il a été possible d’établir que l’identité sexuelle d’un individu peut être plus complexe et ne dépend pas seulement de ses attributs physiques, mais aussi de facteurs génétiques, hormonaux, psychiques, etc.
Si l’on retient le nom des médecins qui ont fait progresser la médecine, on oublie que ces avancées n’auraient pu avoir lieu sans les patients. Qu’ils aient consenti à devenir des objets d’étude ou qu’ils le soient devenus malgré eux, ils ont permis aux scientifiques d’obtenir des données concrètes par une observation en temps réel ou des recherches anatomiques post-mortem. La méthode anatomoclinique a notamment été déterminante.
Cette technique consiste à suivre un patient, puis à autopsier son cadavre pour identifier les causes organiques des symptômes qu’il présentait. Dans les années 1900, l’observation du cerveau d’Auguste Deter a ainsi permis au docteur Alzheimer de faire émerger certaines caractéristiques neurodégénératives de la maladie qui portera son nom. De même, les lésions du lobe frontal gauche de Louis Victor Leborgne, dit Tan-Tan, ont expliqué son incapacité à parler et ont révélé l’importance de cette aire cérébrale dans les fonctions du langage.
Dans son livre, Luc Perino étend la notion de patient zéro aux premiers patients ayant permis de nouvelles découvertes dans tous les domaines médicaux. Pourtant, cette dénomination est normalement réservée aux maladies infectieuses. Elle permet de désigner l’individu depuis lequel s’est diffusé un virus et qui est donc à l’origine de la contamination d’une population donnée. Ce patient zéro, aussi appelé cas index, est essentiel pour comprendre et maîtriser le cheminement d’une maladie contagieuse.
À l’inverse d’autrefois, les moyens disponibles actuellement permettent de remonter jusqu’à cette personne grâce à des analyses scientifiques pointues. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce patient ne déclare pas forcément la maladie. Il peut être un porteur sain : son organisme abrite bien le virus, mais dispose de caractéristiques propres qui lui permettent de le contrer et de ne pas manifester de symptômes.
Le premier cas connu de patient zéro porteur sain est Mary Mallon, une cuisinière irlandaise immigrée aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Elle a été à l’origine de centaines de cas de typhoïde. Elle a été condamnée à perpétuité pour avoir enfreint les règles de précaution qui lui avaient été imposées pour juguler la contagion.
De la peste au choléra en passant par le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), les virus ont la particularité de muter et de profiter des déplacements humains en bateau ou en avion pour se répandre dans différents pays. Leur virulence et leurs capacités d’adaptation en font des ennemis redoutables pour la santé publique. Ils profitent aussi de la contamination entre espèces pour se diffuser plus largement. Le sida est probablement apparu dans les années 1920 chez un chasseur africain, qui aurait contracté la maladie en se faisant mordre par un animal ou en le dépeçant. Le SRAS serait passé de la chauve-souris à une civette avant de contaminer les hommes.
La lutte contre les épidémies d’origine virale doit beaucoup au développement des vaccins. On attribue généralement les prémisses de la vaccination à Louis Pasteur, qui a expérimenté son traitement contre la rage sur le petit Joseph, un enfant mordu par un chien en 1885. Pourtant, il existait, dès le VIe siècle, en Chine des procédés similaires qui ne s’effectuaient pas sous forme d’injections, mais d’inhalations.
L’existence de porteurs sains s’est aussi révélée salvatrice pour permettre de décrypter nombreux cas de virus. Ces patients ont permis de découvrir des bactéries ou des germes protecteurs qui ont servi à la fabrication de médicaments. Durant la Première Guerre mondiale, le docteur Nissle isole ainsi une bactérie, l’EcN1917, présente dans l’organisme d’un soldat allemand qui résiste aux épidémies de dysenterie et de typhoïde. Cette souche sera ultérieurement utilisée dans l’élaboration de traitements contre les infections intestinales.
Dans le cas du VIH, des personnes séropositives développent des symptômes plus tardivement : on les appelle les « résistants » ou « les survivants à long terme ». Il existe par ailleurs des porteurs sains, dénommés les « contrôleurs d’élite ». La résistance de ces personnes à la maladie est due à la présence d’un gène spécifique dans leur organisme. Celui-ci présente la capacité de bloquer la contamination des cellules par le virus. Si certaines greffes de moelle osseuse de porteurs sains du VIH ont eu lieu pour guérir les malades non porteur de ce gène, elles ne se sont pas révélées concluantes à ce jour.
Les mystères du corps humain commencent dès la gestation du bébé dans le ventre de sa mère. En 1953, Mme McKey offre aux scientifiques l’opportunité inestimable de mieux connaître les interactions mère-enfant à partir d’un simple don de sang. Alors qu’elle n’a jamais été transfusée, on découvre avec surprise que deux groupes sanguins distincts circulent dans ses veines et que son corps abrite donc des cellules d’origine différente.
Loin d’être une anomalie, ce phénomène est le résultat de la diffusion des cellules fœtales par l’embryon dans l’organisme de sa mère. Ce processus, appelé microchimérisme fœto-maternel, a pour vocation de garantir les besoins futurs du bébé. Il concourt notamment à accroître la production des hormones de l’allaitement et de l’attachement. Du côté de la mère, cette intrusion de nouvelles cellules est à double tranchant : elle peut certes favoriser la régénération de tissus cellulaires comme l’épiderme, mais elle peut également être à l’origine de cancers, du sein ou de l’utérus par exemple.
La neurologie est un autre domaine qui réserve bien des surprises aux scientifiques, le cerveau étant un des organes les plus complexes du corps humain. En l’absence d’IRM ou de scanner, les dysfonctionnements neuronaux ont pendant longtemps laissé les médecins démunis, au point que l’hystérie, la folie, l’épilepsie ou la sénilité trouvaient une seule et même issue : l’institut psychiatrique. À l’inverse des psychanalystes, les neurologues se sont attachés à trouver les causes organiques des troubles psychiques et comportementaux de leurs patients.
C’est souvent à la faveur d’accidents ou d’actes chirurgicaux inédits que certains mystères du cerveau se sont révélés à eux. En 1848, à la suite d’une explosion, l’ouvrier Phineas Gage voit son lobe frontal endommagé par une barre de fer qui lui traverse le crâne. Une fois guéri, l’homme devient mauvais et asocial, alors qu’il était autrefois aimable et respectable. Son accident dévoile donc aux scientifiques l’étonnante fonction de cette zone cérébrale qui influe sur le tempérament.
Quant à Henry Molaison, il devient la preuve vivante du rôle de l’hippocampe dans le processus de mémoire. Après l’ablation de cette partie du cerveau pour soigner son épilepsie, il se révèle incapable de mémoriser de nouvelles connaissances. Les fonctions de sa mémoire épisodique, liée aux expériences vécues, sont détruites, alors que sa mémoire procédurale, concernant les apprentissages moteurs comme faire du vélo, demeure opérationnelle.
Les avancées médicales sont souvent à double tranchant. Les antibiotiques constituent une invention révolutionnaire qui guérit certes de nombreuses maladies, mais qui accroît la capacité de résistance des bactéries. Certains médicaments auxquels on a donné une diffusion mondiale, sans études cliniques probantes, ont suscité des scandales sanitaires de grande ampleur.
Mis sur le marché en 1957, le Contergan® se présentait comme un somnifère dénué d’effet secondaire, même chez les femmes enceintes. Il a pourtant été à l’origine de graves malformations des nourrissons, dont a été atteint le petit Gregor. Les convictions scientifiques des médecins constituent également un danger pour les patients qui sont à leur merci. La réassignation sexuelle forcée dont a été victime le jeune Bruce Reimer en est le triste exemple. À la suite d’une amputation du pénis due à une erreur de diagnostic, le petit garçon a été élevé comme une fille sur les conseils d’un psychologue et a subi différentes interventions pour féminiser son corps. Autant de manipulations qui ont conduit Bruce Reimer au suicide.
Les ambitions carriéristes de certains scientifiques dominent parfois le secteur médical. Les exemples d’expérimentations sur des patients pour faire évoluer la science sont nombreux. On peut se demander si l’empathie est vraiment toujours le moteur de ces initiatives.
On peut à juste titre en douter concernant les 400 Noirs américains atteints de syphilis qui ont servi de cobayes de 1932 à 1972 en Alabama. L’objectif étant d’étudier les dégâts générés par la maladie sans traitement, l’arrivée de la pénicilline en 1943 tombait mal car elle avait une efficacité radicale sur cette pathologie. On prit soin de cacher cette découverte aux malades pour poursuivre l’observation clinique dans les mêmes conditions, les privant d’une guérison certaine. Le domaine de la psychiatrie ou de la psychanalyse n’a pas été épargné par ces dérives. Jean-Martin Charcot et Sigmund Freud n’ont pas hésité à faire de certaines patientes, atteintes d’hystérie, des cas d’école qu’ils exhibaient dans des réunions publiques et manipulaient par l’hypnose comme des pantins.
Aujourd’hui, l’aspect commercial de la médecine a tendance à devenir prédominant. Ce sont des sommes astronomiques qui sont en jeu et font la fortune des groupes pharmaceutiques. Utilisées pour combattre le cholestérol, les statines ont rapporté des milliards de dollars aux grands laboratoires. Le caractère mutant des virus grippaux a favorisé la vaccination annuelle, beaucoup plus rentable que les vaccinations traditionnelles par rappel.
Depuis quelques années, la dimension mercantile de la médecine s’est accentuée avec le développement de la prévention et du dépistage. Les médecins vont au-devant des maladies que les patients n’ont pas encore. Cette tendance a fait émerger un florilège de spécialistes du soin plus ou moins sérieux, ainsi que des théories comme le transhumanisme qui fait miroiter l’immortalité et la monnaye sans vergogne.
C’est aux patients que l’on doit l’amélioration des diagnostics et des traitements dans des domaines aussi variés que la psychiatrie, la génétique, l’infectiologie ou la neurologie. En confrontant les médecins à des pathologies ou des anomalies inédites, ils les ont forcés à repousser les limites de leurs connaissances avec plus ou moins de succès selon les cas. Si le livre de Luc Perino célèbre des évolutions clés telles que la vaccination antirabique, il est aussi un réquisitoire cinglant contre certaines pratiques médicales abusives ou appliquées sans discernement.
De Bruce Reimer, martyr des errements de la psychologie, au petit Gregor, victime de l’industrie pharmaceutique avide de profit, l’auteur met en lumière les aspects plus sombres de la médecine dont la déontologie ne fut pas toujours la priorité. Une belle façon de rendre hommage à ces patients zéro qui n’auraient jamais dû le devenir.
Luc Perino est un partisan de la médecine évolutionniste. Cette théorie s’inscrit dans la lignée des principes de Darwin, pour qui chaque espèce est en perpétuelle évolution et soumise à la sélection naturelle. Cela signifie que les individus les plus adaptés à leur environnement se reproduisent plus que les autres afin d’assurer la pérennité de l’espèce.
Par définition, l’évolutionnisme s’oppose au créationnisme qui soutient l’idée que l’homme et le monde ont été conçus par une entité divine supérieure. Les créationnistes, comme le biologiste américain Michael Behe, s’appuient sur le principe de stabilité des espèces.
La médecine évolutionniste considère que les maladies sont le résultat de l’incapacité de l’organisme humain à faire face aux mutations de notre environnement et de nos modes de vie. Les changements environnementaux générés par l’homme le rendent plus vulnérable et augmentent sa prédisposition à certaines pathologies. Ainsi, les produits chimiques ou la suralimentation augmentent les maladies chroniques et l’obésité.
La multiplication de ces vulnérabilités s’explique par le fait que l’espèce humaine n’évolue pas dans un environnement correspondant aux besoins spécifiques de son organisme ou bien tente de contrôler certains processus corporels. Les progrès de l’hygiène ont par exemple affaibli les défenses naturelles et contribué à l’explosion des pathologies allergiques. La médecine évolutionniste remet en question les réponses thérapeutiques traditionnelles destinées à réguler des mécanismes ayant pour rôle de libérer l’organisme d’un danger potentiel, comme les vomissements ou la fièvre.
Ouvrage recensé– Patients zéro – Histoires inversées de la médecine, Paris, La Découverte, 2020.
Du même auteur – Pour une médecine évolutionniste : une nouvelle vision de la santé, Paris, Le Seuil, 2017.
Autres pistes– Mikkel Borch-Jacobsen, Big Pharma : une industrie toute-puissante qui joue avec notre santé, Paris, Les Arènes, 2013.– Nicole Delépine, La Face cachée des médicaments, Paris, Michalon, 2011.– Christopher Lane, Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions, Paris, Flammarion, 2009.– Anne-Marie Moulin, L’Aventure de la vaccination, Paris, Fayard, 1996.– Stanis Perez, Histoire des médecins, Paris, Perrin, 2018.