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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La voix de ceux qui crient

de Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky

récension rédigée parAnna Bayard-RichezDocteure en Psychologie Clinique Interculturelle (Université d'Amiens).

Synopsis

Psychologie

Cet ouvrage est une fenêtre ouverte sur les consultations de psycho-traumatologie transculturelle offertes à l’hôpital d’Avicenne. L’auteure, psychologue, reçoit depuis plus de 10 ans des demandeurs d’asile, qui peinent à trouver leur voix au travers des méandres administratifs, des difficultés de la survie quotidienne et de l’impact encore vibrant des traumatismes qui les ont poussés jusqu’ici. Elle utilise ces histoires singulières pour interroger sa pratique thérapeutique, mais aussi pour aborder la question du lien social et de la place de l’étranger dans la société française.

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1. Introduction

Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky commence par replacer la parole des hommes et des femmes qu’elle rencontre dans une dimension politique et universelle, qui transcende la simple question psychologique, en traçant les contours de trois profils majeurs : les victimes civiles, les combattants (parfois bourreaux) et enfin les victimes de persécutions familiales et religieuses au sein d’une communauté réduite.

Pour elle, le premier invariant de ces consultations est la peur. La peur lancinante de la survie au quotidien, l’effroi du traumatisme et les reviviscences dans les cauchemars, l’angoisse terrifiante de devenir fou, qui pousse le sujet à franchir la porte de la consultation quand il a épuisé toutes les autres voies thérapeutiques possibles.

Le second invariant est l’épuisement. Celui des nuits sans sommeil, hantées par le passé. Celui aussi d’une lutte constante pour sa survie.Enfin, la difficulté à trouver un toit pour survivre reste commune à tous. L’auteur constate qu’au-delà de l’absence de logement, ses patients ne s’inscrivent plus dans aucune communauté et que « leur solitude abyssale les désolidarise du monde ».

2. L’ethnopsychiatrie à l’hôpital d’Avicenne

Dès 1982, l’hôpital d’Avicenne offre une consultation ethnopsychiatrique qui vise à la prise en charge psychologique de populations de cultures non occidentales, profondément marquées par le colonialisme.

Pour la première fois, on envisageait des systèmes culturels d’interprétation de la maladie différents, on faisait l’hypothèse de l’importance de la langue maternelle dans la thérapie, et cette approche a donné naissance à la clinique de l’exil telle qu’on la connaît aujourd’hui, qui s’attache aux changements identitaires provoqués par l’exil.

Aujourd’hui, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky propose un cadre souple et gratuit, le plus fréquemment en présence d’un interprète. Elle tente de préserver un espace de parole sécure, et protégé des ruptures intrinsèques à la vie de ses patients (changement de statut, déménagement, etc.), pour leur permettre de redonner un sens à leur histoire, et ainsi de relancer le cours de leur vie.

3. L’errance

La trajectoire migratoire ne s’arrête pas aux frontières du pays d’accueil ; l’absence de structure d’accueil stable pour les réfugiés les pousse à des déambulations sans fin, entre les lieux d’hébergement, entre les administrations ; ils restent pendant de nombreuses années tributaires de l’arbitraire étatique, du bon vouloir des membres de leur communauté et de la disponibilité fluctuante des ONG. Cette errance prolonge le non-sens et la désorientation.

Alors que la survie est un peu moins menacée, le trauma antérieur s’enkyste, provoquant une forme d’errance psychique avec des sentiments de confusion, d’irréalité.

Le monde de la mort est bien souvent lié intrinsèquement au monde de la vie. Ainsi, la survie elle-même semble être une incohérence et le sujet oscille entre culpabilité et incompréhension. Sa propre existence ne semble plus avoir de sens, et il erre dans les différentes facettes de la culpabilité du survivant (incompréhension de sa survie face à la mort des autres, sentiment de mort qui colle à la peau, sensation d’être soi-même partiellement mort, etc.).

L’isolement se fait alors de plus en plus violent, car même au sein de la communauté le trauma fait peur et reste un tabou. Le sujet se retrouve donc seul avec son errance psychique, vagabondant d’un groupe à un autre.

4. Le trauma intentionnel

Le « patient trauma » qui se présente en consultation psycho-traumatique à l’hôpital d’Avicenne est un sujet avec une trajectoire migratoire, et ayant subi un traumatisme intentionnel, c’est-à-dire perpétré par des tiers. Ce trauma se distingue du trauma non intentionnel (tremblement de terre, cyclone…) en ce qu’il vient ébranler le lien social entre les hommes, et prend bien souvent une dimension politique importante, dépassant l’histoire individuelle pour s’inscrire dans une histoire collective.

Le traumatisme vient désorganiser les règles usuelles de la société, les règles générationnelles, les règles sexuelles par exemple, et rompt ainsi le cadre de sens sur lequel s’appuyait le sujet. Celui-ci n’est alors plus soutenu ni par sa culture, ni par son groupe social pour donner sens aux expériences qu’il traverse et il se retrouve esseulé. Le lien n’est plus possible entre le sujet et le collectif ; la culture ne soutient plus l’individu qui ne peut plus se fier aux règles sociales et symboliques qu’il partage habituellement avec les autres. Il ne peut alors plus articuler de manière harmonieuse son rapport au monde et aux autres.

Le trauma intentionnel donne aussi une nouvelle réalité au mal, que le patient a éprouvé de l’extérieur par le bourreau, mais aussi comme une inhumanité appartenant de manière paradoxale à chaque humain. Cette constatation met le patient face à l’angoisse d’une destruction de l’humain par l’humain, difficilement supportable.

5. Les manifestations psychologiques du trauma

Contrairement à ce que l’on peut croire dans l’imaginaire collectif, la torture a rarement pour but de faire parler. Elle devient vite un but en soi, qui ne sert à rien d’autre que déshumaniser et faire souffrir.

Elle est une expérience subjective impensable, qui ne peut recevoir de sens. Pour l’auteure, elle impose un viol permanent de la psyché et fait sortir la victime du groupe des humains ; celle-ci perd son identité de sujet, on parle alors de désubjectivation. L’évènement est internalisé et s’inscrit au plus profond de l’individu, réapparaissant sous forme de cauchemars ou de reviviscences.

Les traces traumatiques s’inscrivent dans les corps et les sens, elles reviennent pour certains sous formes d’odeurs insupportables, de cris, pour d’autres de douleurs violentes ou au contraire lancinantes. La confusion, la stupeur restent prégnantes et se réactivent de manière excessive et répétitive chez un patient terrifié, qui ne comprend pas ce qui lui arrive, car le trauma dépasse ses cadres d’entendement. Alors la parole se coupe, il ne peut plus parler car il ne peut pas donner sens à ce qui lui est arrivé.

Ce mutisme témoigne d’un vide, d’un trou de sens, comme si les mots n’étaient pas suffisants pour dire l’horreur. C’est en retrouvant la parole que cette violence invasive va pouvoir s’effacer. Mais avant de la retrouver, parce que cette parole est impossible, ces patients montrent bien souvent au thérapeute des photos, des traces sur leur corps, pour impliquer celui-ci dans sa réalité.

Ces traces traumatiques s’inscrivent dans le psychisme de l’individu et elles viennent bousculer la temporalité et la géographie du patient par des sensations envahissantes fortes qui, alors qu’elles appartiennent au passé et à des lieux différents, viennent s’inscrire dans le présent.

6. Les mensonges et incohérences

Les réfugiés sont sans cesse accusés de mensonges, d’incohérences dans leurs récits et doivent répondre continuellement dans une logique de preuve qui ne laisse de place qu’au factuel.

Or la mémoire traumatique sélective rend le discours confus ; elle peut également entraîner des mécanismes de défense tels que le clivage ou même le déni (culpabilité intense d’avoir abandonné une partie de ses enfants, refus d’admettre que ses compagnons d’armes sont sans doute morts à cause de soi) ; elle peut brouiller les différentes dates, ou encore le déroulé des évènements, sans aucune mauvaise intention du sujet, qui tente encore lui-même de redonner sens à son vécu.

Le contexte politique souvent désordonné n’aide pas à établir des chronologies précises, et peut donner l’impression de mensonges, ou de mauvaises connaissances du pays d’origine, alors même que la situation est extrêmement complexe et en cela ne répond pas aux exigences bureaucratiques de clarté.

Parfois, les réactions émotionnelles ne sont également pas celles attendues par les juges qui ne comprennent pas comment le trauma peut bloquer l’afflux émotionnel et donner une impression de froideur et de détachement, au lieu des effusions attendues.

Face à des chemins de vie extrêmement tortueux et à la surdité bureaucratique, la tentation est grande pour le réfugié de rendre compte d’une histoire de vie qui n’est pas tout à fait la sienne mais qui est susceptible de lui assurer les papiers. Ainsi, ils proposent parfois des aménagements pour rendre leur histoire plus crédible, ou pour s’éviter de dire l’indicible, mais ces histoires ne résisteront pas à l’épreuve de la vérité factuelle. Pour l’auteure, « le mensonge est alors un aménagement subjectif qui permet de survivre à la culpabilité ».

À l’inverse, dans ses consultations, la psychologue ne s’embarrasse pas de la logique de la preuve, et souhaite simplement offrir à ses patients un espace où ils puissent se dire, déposer leur parole et leur souffrance et travailler leur réalité psychique, bien plus que d’essayer de reconstruire un récit véridique.

7. Un choix d’abandon

Le demandeur d’asile ne quitte pas sa terre natale par choix pour se construire un avenir meilleur. Il n’a pas d’autre choix que d’abandonner son pays pour sa survie et c’est un refuge qu’il vient trouver ici, face à la terreur. C’est un choix toujours forcé et bien souvent la destination apparaît comme secondaire.

Ce trajet peut être relativement direct et sécurisant, mais dans la majorité des cas il s’écrit au travers de ruptures, de deuils et d’échecs, et peut prendre une dimension hautement traumatique en lui-même, en abandonnant ses proches ou ses enfants par exemple, en assistant impuissant à leur mort sur la route, ou en abandonnant tous ses biens.

Mais partir, c’est aussi renoncer à son identité, parfois accepter de la falsifier pour se sauver ; c’est également devenir un autre ailleurs, ce qui laisse le sujet dans une intense solitude psychique et une grande culpabilité. Il n’est d’ailleurs pas rare que la trajectoire migratoire vienne bousculer encore plus les repères et amplifier ce sentiment de rupture, confrontant les individus à trois types d’épreuves : celle de la violence et de la mort, celle de la fuite et celle du bouleversement culturel.

Le sujet subit sa trajectoire qui ne s’arrête pas aux portes du pays d’accueil mais se poursuit tout au long de son installation. Il se retrouve bien souvent sidéré par celle-ci ; il ne se sent plus acteur et se renferme dans une passivité dépressive qui l’empêche d’être un agent de changement pour sa vie d’ici, tant matérielle que psychique. Pour réamorcer le travail psychologique, la psychologue tente de remplacer la sensation de subir sa vie par le succès d’avoir réussi à la sauver en arrivant jusqu’ici.

8. Réinscrire le sujet dans le monde des vivants

Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky cherche dans ses consultations à s’établir comme tiers, afin de ramener la victime dans le monde des vivants, en créant un lien de confiance, de communication, mais également de valorisation. Elle tente aussi de réintégrer dans l’histoire du patient les tiers de son passé, de son enfance, de sa famille, des lieux qui l’ont construit, pour que symboliquement celui-ci ne soit plus seul avec son trauma. Elle crée ainsi un espace intersubjectif, où le sujet peut redevenir lui-même, élaborer son histoire et recréer un lieu sécuritaire pour lui, presque maternant.

Elle réinvite également ceux qui ont été réduits au silence à reprendre la parole. Cette parole est en effet devenue dangereuse (il faut se cacher, disparaître, se taire) mais elle a aussi perdu sa fonction première de lien social à cause de la violence. Le grain de voix lui-même est altéré et c’est le ton qu’on ranime avant même le contenu des mots. Le choix de la langue, la présence d’un interprète, permettent au sujet de lentement réinscrire son expérience traumatique dans le langage et de la transmettre à autrui.

La religion, qui sert bien souvent de mise en sens d’une destinée, est un atout thérapeutique précieux pour la thérapeute. La croyance légitime les épreuves comme des desseins divins auxquels l’homme n’a pas accès, et permet aux patients de trouver une réponse à la question du « pourquoi moi ? ». La religion devient une défense qui écarte l’angoisse de la survie et protège également de la tentation du suicide.

Pour certains patients, toutefois, le doute reste persistant, surtout s’ils ont subi des persécutions de la part de leur groupe religieux, ou que celui-ci a été défaillant. Le cadre thérapeutique est alors un espace sécure pour questionner leurs croyances.

9. Conclusion

C’est le trauma, soit l’effraction du psychisme par un évènement figurable, qui intéresse Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, bien plus que l’évènement en lui-même, qui n’a qu’un intérêt limité pour la thérapie.

Ce trauma isole le sujet hors du temps et de l’espace, le replongeant sans avertissement dans le souvenir de l’évènement comme si celui-ci se reproduisait encore et encore, et l’empêchant de continuer à tisser l’histoire de sa vie. Le traumatisme est en effet la marque indélébile de l’effondrement du sens pour le patient. Face au trauma, la parole se coupe et c’est au travers de la thérapie qu’il tentera de réinscrire cette expérience dans le fil de sa vie.

Le cadre qu’offre la thérapie se doit d’être rassurant et constant. La disponibilité est fondamentale, mais aussi, quand le lien est tissé, l’humour et la dérision, qui donnent une petite bouffée d’air dans la lourdeur du trauma.

10. Zone critique

Beaucoup de ces patients, mais aussi de leurs médecins ou encore de leurs proches, se posent la question de la folie. L’intensité des symptômes psychotraumatiques (hallucination, cauchemars, automutilation, dissociations) peuvent prêter à penser à des organisations psychiques psychotiques graves, alors qu’ils ne sont que les conséquences du trauma psychique et d’un débordement des défenses habituelles du patient.

Dans cet ouvrage, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky nous plonge au cœur d’une clinique méconnue ; elle normalise ces symptômes insensés, porte la voix de ceux qui bien souvent ne sont plus capable de s’inscrire dans la parole et tisse un univers de sens autour d’eux, indispensable pour les réinscrire dans le lien social et la communauté humaine.

Pour ce faire, elle fait le choix de la parole, mais c’est un chemin qui reste pour certains fastidieux et douloureux, pour d’autres tout bonnement inaccessible. Peut-être certains abandonnent-ils face à ce défi majeur de trouver les mots et le sens.

Certaines techniques passant par le corps et offrant une place plus secondaire à la parole seraient susceptibles d’amorcer un processus thérapeutique plus facilement, voire de faciliter l’accès à la parole, en désensibilisant certains souvenirs traumatiques prégnants.

Si ces techniques, notamment l’EMDR, ne semblent pas être pratiquées par l’auteur, il serait probablement très enrichissant d’instaurer un dialogue avec des collègues usant de ces méthodes, à la fois pour interroger leur efficacité dans le cadre de traumas politiques extrêmement complexes, mais aussi afin d’envisager comment ces médiations pourraient être mises au service d’une psychothérapie plus globale, telle que proposée par Marie Caroline Saglio-Yatzimirsky.

11. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, La voix de ceux qui crient. Rencontre avec des demandeurs d’asile, Paris, Albin Michel, 2018.

De la même auteure– Intouchable Bombay. Le bidonville des travailleurs du cuir, Paris, CNRS, 2002.

Autres pistes– Christian Lachal, Lisa Ouss-Ryngaert et Marie Rose Moro, Comprendre et soigner le trauma en situation humanitaire, Paris, Dunod, 2003.– Françoise Sironi, Bourreaux et victimes. Psychologie de la torture, Paris, Odile Jacob, 1999.– Françoise Sironi, Psychopathologie des violences collectives. Essai de psychologie géopolitique clinique, Paris, Odile Jacob, 2007.

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