Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Marie-France Hirigoyen
Dans cet ouvrage, Marie-France Hirigoyen propose à travers divers exemples une analyse des ressorts de la violence dans le couple. Ainsi, la psychiatre propose d’en détecter les signes avant-coureurs pour réagir au plus tôt et prévenir des drames.
Depuis quelques années, il est courant d’entendre parler de violence physique, mais également de violence psychologique. Pourtant, Marie-France Hirigoyen constate que, malgré le féminisme et l’égalité qui tend à se développer entre les hommes et les femmes, la violence ne disparaît pas.
On la condamne, mais elle persiste de façon plus ou moins visible, de façon plus ou moins subtile. Avant de commencer, l’auteure précise bien que les violences peuvent également avoir lieu dans l’autre sens, mais la réalité des chiffres est implacable : la majorité des violences sont commises par des hommes.
Dans un premier temps, Marie-France Hirigoyen s’efforce de décrire les différentes violences psychologiques et physiques. Elle s’attache ensuite à décrire les profils des femmes maltraitées ainsi que celui des individus violents. Pour finir, elle donne quelques clefs pour sortir de l’emprise.
Si la violence psychologique est la moins visible, elle est étroitement liée à la violence physique. Et surtout, elle provoque d’énormes dégâts. « On parle de violence psychologique lorsqu’une personne adopte une série d’attitudes et de propos qui visent à dénigrer et à nier la façon d’être d’une autre personne » (p. 29).
L’auteure explique que lors d’une dispute, tout le monde peut déraper et tenir des propos blessants, mais la personne ayant eu de telles paroles va ensuite s’excuser. Mais la configuration est bien différente dans le cas de la violence psychologique : en effet, point d’excuses et, surtout, ancré dans la relation, émerge une violence dans le rapport à l’autre, devenu simple objet. Bien entendu, il est difficile de savoir où se trouve la frontière.
Il s’agit de repérer ces attaques verbales qui deviennent de plus en plus régulières : des blagues, des sarcasmes, le dénigrement, des injures à caractère sexuel, la hausse du ton…
Marie-France Hirigoyen explique que cette « violence psychologique s’articule autour de plusieurs axes de comportements ou d’attitudes qui constituent des microviolences difficiles à repérer » (p. 32) : le contrôle, l’isolement, la jalousie pathologique, le harcèlement, le dénigrement, les humiliations, les actes d’intimidation, l’indifférence aux demandes affectives, les menaces. « La violence psychologique constitue un processus visant à établir ou maintenant une domination sur le ou la partenaire. C’est une violence qui suit un certain scénario ; elle se répète et se renforce avec le temps » (p. 46). Ces violences visent à garder le pouvoir sur l’autre et à le dominer. Ces violences invisibles sont destructrices pour qui les subit.
« La plupart du temps, la violence physique n’intervient que si la femme résiste à la violence psychologique » (p. 48). Si ces agressions sont occasionnelles, les victimes ont tendance à trouver des excuses à leur agresseur ou à penser que ce n’était pas intentionnel.
Il y a bien entendu les agressions physiques (bousculades, des gifles, des pincements, des coups de pied, des coups de poing, des strangulations, des brûlures, armes blanches, armes à feu…). C’est une façon, encore une fois, d’avoir une emprise sur l’autre, de l’annuler, de le nier. Et lorsqu’il n’y a que le geste, sans le coup porté, les effets sont tout aussi néfastes. La violence sexuelle est celle dont les femmes ont le plus du mal à parler et qui, comme toute violence, est une façon de dominer l’autre.
C’est par l’humiliation et/ou la domination que la violence sexuelle se présente : « la violence sexuelle comprend un spectre très large allant du harcèlement sexuel à l’exploitation sexuelle, en passant par le viol conjugal » (p. 53). Selon une étude de 2005, 68 % des femmes victimes de violence physique comme des coups ont également été victimes de viol par leur conjoint. Les femmes se forcent également pour avoir la paix. Notons aussi que « les injures des hommes à l’égard des femmes sont très stéréotypées, le plus souvent de nature sexuelle » (p. 31), sans oublier que la pornographie véhicule des fantasmes de domination. Dans les violences physiques ultimes, Marie-France Hirigoyen évoque le harcèlement par intrusion et le meurtre du conjoint.
En général, les homicides se produisent lorsque le couple est en phase de séparation. À ce moment, la personne quittée harcèle son conjoint par des coups de fil incessants, en la suivant dans la rue, en l’attendant devant chez elle ou au travail, etc. Le harceleur alterne entre les déclarations d’amour et menaces. En France, en date de l’ouvrage, trois femmes décèdent tous les quinze jours. Soit l’assassin tue volontairement, ne supportant plus l’altérité de l’autre, soit il se peut aussi que le meurtre soit involontaire, un dérapage tragique, , ce que l’on nomme « coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».
Il n’y a pas un profil type de femmes violentées. Cependant, toutes les femmes n’ont pas la même résistance face à ce genre de profils qui savent exploiter toutes les failles. Chez ces femmes, il peut y avoir une vulnérabilité sociale.
Même s’il y a eu d’énormes bouleversements dans les rapports hommes-femmes durant ces dernières décennies, des stéréotypes perdurent. On élève les garçons pour qu’ils soient forts et courageux, et les filles pour qu’elles soient douces et gentilles. Les rôles sexués sont profondément ancrés : les femmes doivent faire de leur foyer un environnement harmonieux, elles doivent prendre soin de leur mari. La libération sexuelle a apporté son supplément d’injonction : elles doivent être en plus des épouses sexy et performantes.
Il faut souligner que l’on « on éduque les filles d’un côté à attendre le prince charmant et d’un autre côté on les met en garde contre tous les autres hommes. Devenues femmes, elles n’ont pas appris à faire confiance à leur ressenti et à filtrer les vrais dangers » (p. 93). Si les femmes sont sous emprise, c’est qu’elles craignent de laisser une partie de leur vie et de devoir recommencer, c’est qu’elles pensent que la soumission et l’abnégation sont la solution pour garder un homme, c’est qu’elles croient que si l’homme a dérapé c’est parce qu’elles n’ont pas été capables d’être à la hauteur. S’ajoute à tout cela la honte.
Il y existe aussi une vulnérabilité psychologique qui peut être liée à l’enfance (violence, insécurité affective, modèle parental…) et qui peut faire que les femmes qui n’ont pas confiance en elles vont être en demande de valorisation et de maternage. Les hommes violents vont repérer ce type de femmes et en profiter pour se plaindre de leur enfance, de leur ex-compagne et de leur travail.
Les femmes sont sous emprise, car la violence n’est pas soudaine, tout s’est installé au fur et à mesure. Elles prennent la domination et la jalousie comme des preuves d’amour. Avec le temps, elles perdent confiance en elles et s’isolent, elles n’ont pas obligatoirement conscience de ce qu’il se trame réellement : « on pourrait dire que la violence n’existe pas tant qu’elle n’est pas nommée, et beaucoup de femmes violentées ne savent pas qu’elles le sont » (p. 107).
Pour ce qui est des violences psychologiques, il faut aussi appuyer sur le fait que la variation entre les moments de gentillesse et de violence crée un équilibre supportable pour elles. Elles ont alors l’impression qu’elles exagèrent peut-être et finissent par douter de ce qu’elles ressentent face à la situation. Il y a un véritable procédé chez les hommes violents : on entre dans le psychisme de l’autre, on gagne sa confiance, puis on le reprogramme pour qu’il agisse comme on le souhaite.
L’auteure parle du conditionnement des victimes : un véritable lavage de cerveau se met en place ! Des études ont prouvé le phénomène de l’impuissance apprise : « lorsqu’elles sont piégées dans une situation sans issue, et, surtout, subissent des agressions de façon imprévisible, les femmes deviennent passives, elles ont l’impression que tous leurs efforts sont vains » (p. 119), ceci est d’ailleurs renforcé par le fait que les hommes violents passent d’un cycle à l’autre sans prévenir, donc il n’y a aucune manière d’anticiper. Et puis, il est aussi question de survie : chacun sait qu’affronter un homme violent revient à se mettre en danger.
Citons également le syndrome de Stockholm qui consiste à développer de l’empathie (voire de l’amour) pour son agresseur, et aussi les mécanismes d’adaptation à la violence : à force d’être violentée, ou quand la violence est extrême, la victime est comme anesthésiée, paralysée. N’oublions pas non plus l’inversion de la culpabilité : les femmes culpabilisent en se disant que c’est de leur faute et leur mari en fait autant.
Deux violences existent : la violence cyclique et la violence perverse. La violence cyclique se manifeste, comme son nom l’indique, sous forme de cycles, ce qui est le fait de personnes impulsives et borderline. Le cycle se déroule en quatre phases et cela de façon répétée : une phase de tension (le conjoint a des soucis, il est tendu, ne supporte rien) ; une phase d’agression (perte de contrôle) ; une phase d’excuses ; une phase de réconciliation (ou phase de lune de miel, pendant laquelle l’homme est gentil, attentif, amoureux…).
L’auteure précise que les hommes sont ici sincères, car ils savent qu’ils sont allés trop loin et ont peur de perdre leur femme : « pendant cette phase, les femmes reprennent espoir, car elles retrouvent l’homme charmant qui a su les séduire lors de leur première rencontre. Elles pensent qu’elles vont réparer cet homme blessé et qu’avec de l’amour il va changer » (p. 74).
Évoquons à présent la violence perverse qui « se caractérise par une hostilité constante et insidieuse », ce qui provoque de la peur et de l’angoisse chez la victime et de l’autodestruction.
Même s’il existe des femmes violentes et des hommes battus, 98 % des cas de violence sont le fait d’hommes. Il existe plusieurs hypothèses à cette violence masculine : un fondement neurologique (taux de testostérone) ; une raison sociobiologique (stratégie de domination sur les femmes dans les gènes pour garantir l’exclusivité de la sexualité et de la reproduction) sans oublier l’explication des féministes qui pensent que la société pousse les hommes à occuper un rôle dominant. Mais Marie-France Hirigoyen explique que toutes ces raisons ne sont pas suffisantes puisque la majorité des hommes ne sont pas violents.
Par contre, l’un des plus grands facteurs est la violence subie pendant l’enfance par ces hommes, mais, attention, tous les hommes violents n’ont pas subi de traumatismes pendant l’enfance. Les neurosciences ont prouvé que le cerveau n’est pas construit dès la naissance et que les expériences traumatiques altèrent son équilibre. Le milieu social a aussi son impact sur le développement de l’enfant : « Lorsqu’un homme a été élevé par un père violent, son organisation intrapsychique a été changée, jusqu’à ce que le recours à la violence fasse partie de son mode de fonctionnement » (p. 147).
Il faut pointer du doigt la fragilité des hommes : leur déresponsabilisation (trouver des excuses extérieures à leur comportement), les failles narcissiques et la faible estime de soi ; la peur de l’abandon et la dépendance ; le besoin d’une relation fusionnelle.
Il n’y a pas un seul profil d’homme violent. D’ailleurs, l’auteure parle de profil et non de pathologie, car la majorité des hommes sont des personnes normales et sont donc responsables de ce qu’ils font. Il y a les personnalités narcissiques dont les personnalités antisociales ou psychopathes (incapables de se conformer aux normales de la société), les borderline (réactions émotionnelles intenses et instables, impulsivité…), les pervers narcissiques (qui manipulent de façon instrumentale et permanente). Il existe également les personnalités rigides qui comportent les personnalités obsessionnelles (perfectionnistes, elles sont dominatrices, exigeantes et égoïstes. Elles ne laissent rien passer à l’autre et critiquent tout) et les personnalités paranoïaques (dont le risque de passage à l’acte est très élevé)
La pression financière est l’un des freins à la fuite. Qu’il s’agisse d’avoir peur de ne pas s’en sortir, ou même au contraire d’avoir peur de laisser le conjoint dans une situation difficile, c’est un fait supplémentaire qui pousse les victimes à rester. Certains hommes refusent à leurs femmes un accès à leur compte. Ils ont un contrôle total. Certains aussi poussent leurs femmes à cesser leurs activités professionnelles en mettant en avant les enfants, la tenue de la maison… Malgré tout, selon l’auteure, le vrai souci est la dépendance psychologique des victimes.
Les effets de la violence sur la santé sont là et laissent des marques indélébiles : perte de confiance, vulnérabilité, rejet de l’intimité, angoisse, dépression, suicide. Mais il existe des moyens de s’en sortir. Bien entendu, l’aide psychothérapeutique est la solution pour travailler et avancer. En effet, une personne qui est ou a été victime de violence ne peut pas s’en sortir seule, il lui faut une aide extérieure professionnelle qui lui permettra d’avoir du recul.
Il est important que les victimes verbalisent ce qu’elles vivent, qu’elles comprennent leur expérience pour ensuite avoir le recul pour la critiquer : « La meilleure façon de se protéger, c’est de comprendre » (p. 218). La psychothérapie peut être longue, ponctuée de pauses, car il faut vraiment du temps à la victime pour changer son regard sur les faits. Il y a des avancées, certes, mais aussi des retours en arrière. Le professionnel doit s’armer de patience.
Il y a des étapes à respecter pour ce travail : repérer la violence (faire admettre qu’il s’agit d’une violence, repérer les procédés, la façon dont elle a été piégée) ; nommer cette violence ; déculpabiliser la victime (il faut que les « femmes comprennent que ce n’est pas leur comportement qui a provoqué la violence chez leur compagnon, mais sa souffrance à lui ») ; renforcer le narcissisme ; apprendre à poser des limites (comprendre qu’une relation est destructrice pour elles…) ; récupérer une capacité critique ; analyser l’histoire individuelle ; lutter contre la dépendance. Pour finir, le pardon est aussi une bonne chose pour guérir. Si le conjoint se rend compte de ses comportements et exprime de sincères regrets, c’est une bonne chose, mais cela n’arrive pas toujours, surtout dans le cas des agressions perverses.
Quant aux hommes violents, il existe également des thérapies pour qu’ils se soignent. Malheureusement beaucoup d’hommes ne le font que sous la contrainte (de leur femme qui menace de partir ou de la justice). Pour eux, il y a les méthodes comportementales (pour apprendre à contrôler leur agressivité) et les sociothérapies (pour apprendre à construire un couple égalitaire et pour changer leurs visions du couple).
Avec beaucoup de clarté, Marie-France Hirigoyen décrit ce que sont les violences psychologiques et physiques. Elle s’arrête longuement sur les différentes personnalités des hommes violents avec une description de leurs comportements et des témoignages.
L’auteure permet également de comprendre le cheminement des femmes qui sont sous l’emprise de leur conjoint, et éclaire sur les différentes démarches thérapeutiques à suivre pour sortir de l’emprise.
C’est un ouvrage d’une très grande qualité. Marie-France Hirigoyen permet d’y voir plus clair dans ce qu’est la violence et surtout d’arrêter avec ces idées reçues que les femmes ne partent pas parce qu’elles le veulent bien.
C’est un livre à mettre entre toutes les mains, notamment des femmes s’il peut permettre d’éviter de tomber dans ce piège ! Il est intéressant de compléter cette lecture par l’ouvrage de Pauline Delage, Violences conjugales. Du combat féministe à la cause publique. (Presses de Sciences Po, 2017)
Ouvrage recensé– Marie-France Hirigoyen, Femmes sous emprise, Paris, Oh ! Éditions, 2005.
De la même auteure — Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, Pocket, 2011.— Le Harcèlement moral au travail, Que sais-je ?, 2017.— Les Narcisse, Pocket, 2020.
Autre piste— Pauline Delage, Violences conjugales. Du combat féministe à la cause publique, Paris, Presses de Sciences Po, 2017.