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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le coup d’État climatique

de Mark Alizart

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Société

Le constat est universel : le climat se réchauffe sur la planète terre, par la faute des hommes et de leurs industries ; l’anthropocène se caractérise par une vague inouïe d’extinction des espèces. Les gouvernements eux-mêmes le savent et le proclament. Or, ils ne font rien ; certains même développent les industries polluantes, émettrices de gaz à effet de serre. Règne de l’absurde ? Pas du tout, répond Mark Alizart : cette politique apparemment suicidaire serait délibérément voulue par les gouvernements populistes en vue d’imposer un « carbofascisme » aux populations effrayées par le chaos.

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1. Introduction

Le coup d’État climatique est un livre de combat et un livre à thèse. Tout est dans le titre : le réchauffement climatique ne serait pas une fatalité catastrophique et apocalyptique ni un mensonge propagé pour l’enrichissement de quelques milliardaires comploteurs et sadiques. Non, il est, pour Mark Alizart, un fait, d’essence politique, qu’il faut donc interpréter et traiter politiquement. La preuve, c’est qu’il est provoqué par les élites gouvernantes. En effet, loin de lutter contre le réchauffement, elles font tout pour l’accélérer, dans le double but machiavélique de s’enrichir et de justifier un contrôle social confinant au totalitarisme. À l’heure où s’effondre un capitalisme miné par une crise de surproduction sans équivalent depuis les années trente, la « grande bourgeoisie », en effet, comme en ces sombres années du XXe siècle, est amenée à la politique du pire : « Le capitalisme est entré dans une crise de surproduction similaire à celle des années 1929-1933 après des décennies d’une croissance exponentielle et très inégalitaire largement basée sur l’accumulation de la dette. La grande bourgeoisie doit à nouveau liquider ses stocks. C’est là que la crise écologique tombe à point nommé. Mais comme cela la met en porte-à-faux avec la classe moyenne, derechef elle doit opérer un double tournant populiste et autoritaire pour la prendre derechef en étau » (p.29). Elle pense la catastrophe comme une occasion de conserver son pouvoir et ses profits. Le calcul est le suivant. Les populations occidentales, effrayées, en butte à d’incontrôlables migrations, à des sécheresses fatales, à des ouragans dévastateurs, se précipiteront, désemparées, dans les bras de ceux qui leur promettent l’ordre, la sécurité et la perpétuation de leur mode de vie consumériste à base d’hydrocarbures. Et, dans nombre de pays, c’est déjà le cas : Trump, Poutine ou Orban sont bien là pour le démontrer : le « carbofascisme » est en route.

Face à cette menace pour lui mortelle, Mark Alizart montre la voie : celle d’un trotskisme rénové assumant une large alliance politique entre écologistes, socialistes et communistes. Ce Front, renouvelé de l’avant-guerre, pourrait mettre en œuvre une lutte technologique contre le réchauffement, faisant le pari que, si l’homme a pu avoir le génie de détraquer le climat, il peut se trouver celui de le rétablir.

2. Sauver les profits

Depuis 1979 et le rapport Charney, les élites mondiales savent parfaitement où nous allons. Elles n’ignorent rien du réchauffement climatique. Or, elles vivent, semble-t-il, sur la même planète que les masses populaires ; elles souffriront donc de la chaleur, des tempêtes, des épidémies, comme tout un chacun. Alors, pense-t-on, il n’y a aucune raison de croire qu’elles ne mettront pas tout en œuvre pour arrêter le phénomène, pour inverser la tendance. Si elles ne le font pas, ce serait par la faute de résistances systémiques qu’il incomberait à la population de faire tomber ; ce pour quoi on manifeste et proteste, persuadé qu’il suffit, au fond, de soutenir les gouvernements.

Penser cela, avertit Mark Alizart, c’est être dupe, à la manière dont le furent les communistes allemands lors de la montée du nazisme, quand ils ne comprirent pas que ce dernier était le moyen inventé par la bourgeoisie pour perpétuer sa domination.

Aujourd’hui, de même qu’alors, le capitalisme est en crise. Il s’agit d’une crise de surproduction, qui pourrait bien s’avérer fatale. Il faut un moyen de s’en sortir. De fait, l’activité industrielle déréglée du capitalisme engendre une surconsommation de pétrole, qui débouche sur l’effet de serre. Alors, suppute Mark Alizart, d’aucuns se seraient dit qu’il faut utiliser cette catastrophe, et même, pourquoi pas, l’accélérer. Contrairement aux idées reçues, la crise écologique en cours pourrait être l’occasion de bénéfices colossaux.

D’ores et déjà, elle permet de contraindre les agriculteurs à n’acheter que de ces semences génétiquement modifiées qui résistent aux sécheresses, de chasser les classes pauvres des centres-villes détruits par les ouragans afin de pouvoir se livrer à la spéculation immobilière, comme à la Nouvelle-Orléans après le passage de Katrina.

Ainsi que dans toute guerre (et nous sommes ici dans une guerre contre le climat), les marchands de canon se frottent les mains.

3. Garder le pouvoir

Les puissants, pourtant dûment informés, ont l’air de bien se moquer du climat. Trump est sorti de l’Accord de Paris. Poutine se réjouit de la fonte des glaces, et ne fait rien pour éteindre les incendies qui ravagent des forêts dont chacun sait, pourtant, qu’elles sont le poumon de la planète. Quant à Xi Jinping, il multiplie les centrales thermiques à charbon. Mais que cherchent-ils donc ?

Le réchauffement n’est pas un processus égalitaire dont les conséquences se feront sentir d’une façon uniforme sur toute la planète. La Russie, les États-Unis sont des pays du nord. Le réchauffement libérera des glaces les immensités de l’Alaska et de la Sibérie. C’est évidemment sous les tropiques et l’équateur que la situation deviendra véritablement impossible. Mais que se passera-t-il ?

L’intelligentsia libérale de Saint-Pétersbourg ou de New-York périra noyée, tant mieux. Les pauvres bengalis et autres Comoriens, pour ne pas mourir submergés ou brûlés, tenteront, désespérés, de rejoindre les régions tempérées de l’hémisphère nord. Tandis que leurs pays, définitivement ruinés, ne pourront plus du tout se défaire de l’emprise néocoloniale, leur arrivée massive en Occident n’aura d’autre effet que d’accroître, dans des proportions fantastiques, la xénophobie de populations européennes par ailleurs paupérisées par les désordres de la mondialisation. Ces « petits blancs », alors, formeront l’essentiel des cohortes du « carbofascisme ».

Tel est l’ennemi, pour Mark Alizart, l’ennemi essentiel, viscéral : l’alliance de la haute bourgeoisie avec les classes populaires qu’elle a elle-même ruinées. Le nom officiel, et fallacieux, de ce mouvement, c’est le populisme, comme si le peuple était une notion que l’on pût réduire à ces classes malheureuses pour lesquelles la voiture n’est plus un luxe mais une nécessité. Partout il monte. Partout il fait son possible pour accélérer un réchauffement qu’il chérit mais dont il nie la réalité, car c’est au prix de ce mensonge formidable qu’il lui faut payer la justification de sa politique criminelle.

4. Lutter dans l’espérance et culpabiliser l’autre

Face à cette marée, donc, alliance de l’intelligentsia urbaine (les « bobos ») et des misérables, ces errants que le réchauffement jette par millions sur les routes et les mers (les « migrants »). Mais ce n’est pas tout que de nouer des alliances. Il faut encore l’espérance. Ce point est essentiel, car, sans lui, aucune révolution n’est concevable. Or, ce point, la gauche l’oublie et surtout les écologistes. Foncièrement pessimistes et malthusiens, ils sont hantés par la grand-peur de la technique, responsable à leurs yeux de tous les maux infligés à la vie sur terre. Mais elle est nécessaire. Sans elle, les masses resteront inertes, fascinées par le discours terrifiant des populistes.

L’espérance ne pourra naître que si l’on envisage autre chose que la culpabilisation de l’espèce humaine, le renoncement à la science et à la technique, la triste décroissance. Il faut, pense Mark Alizart, renouer franchement avec la technique et la science, comme les marxistes d’autrefois. Une utilisation mauvaise, capitaliste, de ces puissances a causé le réchauffement climatique et peut entraîner une extinction massive de la vie. Et bien, utilisées autrement, dirigées selon un autre esprit, elles pourront sauver la terre du destin horrifique que lui promettent les « collapsologues ». On peut reboiser, à l’évidence, on peut utiliser l’ingénierie génétique pour produire des plantes et des organismes fonctionnant comme des « pièges à CO2 ». Il existe même une technique appelée géo-ingénierie, dont l’objet, précisément, est d’agir à grande échelle sur l’atmosphère terrestre afin de la refroidir.

À ces hautes visées, Mark Alizart ajoute une tactique, inspirée de la lutte d’Act-Up contre le SIDA. Il s’agissait, pour cette association, d’obliger les pouvoirs publics à lutter réellement contre l’épidémie, à cesser de promouvoir les « bonnes pratiques » sexuelles, nouveau puritanisme culpabilisateur qui n’est pas sans rappeler le tri des déchets ou celui des péchés. Act-Up gagna le combat culturel, mais comment ? En imposant dans le débat public une sorte de dilemme moral. Choisissant de désigner les victimes de l’épidémie, savoir les homosexuels, l’association rebattait les cartes. Chacun devait se positionner : ou bien aider la minorité, par solidarité, par humanité, ou bien assumer d’être un « salaud ». Personne ne pouvant publiquement se proclamer tel, l’opinion bascula. Les homosexuels, victimes principales du SIDA, n’étaient plus des pestiférés, mais des malheureux.

Appliquée à la question climatique, la stratégie consisterait en ceci : désigner les véritables victimes de la catastrophe, savoir les habitants des pays chauds et, généralement, les pauvres. On romprait ainsi avec le confort moral, avec l’égoïsme typique des populismes, égoïsme toujours muet, souvent inconscient, qui consiste à se dire : « De toutes façons, je suis le citoyen d’un pays riche, au climat tempéré, ce qui se passe très loin, chez les Noirs, après tout, ce n’est pas mon problème. Mon affaire, c’est de sauvegarder mon emploi, mon système social, mon petit confort, et je vais donc voter pour les populistes. »

5. Conclusion

Mark Alizart ne propose rien moins que le salut de l’humanité par la révolution marxiste et écologiste. À la fin des temps promise par la faillite du capitalisme, souhaitée par les nouveaux marchands de canons de la guerre au climat, instrumentalisée par les populistes et redoutée par les écologistes technophobes, il oppose un saut, qui rappelle par bien des côtés les idées d’un Teilhard de Chardin. L’homme a un destin. Ce destin est techno-scientifique et prométhéen.

Le dire, affirme Mark Alizart, « ce n’est pas faire preuve d’hubris » (p.81), c’est la simple prise en compte de cette réalité, que l’homme, désormais, tient dans sa main la vie elle-même. Il est, réellement, ce qu’il a voulu devenir depuis Descartes, et peut-être même depuis la bible : maître et dominateur de la Nature. Il doit, maintenant, assumer cette position, ne pas lâchement détourner le regard.

Mark Alizart veut, avec Georges Bataille, aller jusqu’au bout du chemin tracé par Marx. Selon lui, la pensée du fondateur de la IIe Internationale, ce serait essentiellement la substitution des lois de la thermodynamique à celles de la mécanique newtonienne dans la compréhension des systèmes économiques. Il aurait conçu le communisme comme un système dynamique, là où les économistes classiques cherchaient l’équilibre. Il prenait donc en compte la rétroaction, ou « action en retour » provoquée par tout agir humain. Autrement dit, ce système marxiste serait fondamentalement adapté à l’écologie, si celle-ci est définie comme la prise en compte des conséquences, dans le système de la biosphère, de l’activité humaine.

Là serait la vérité du marxisme, l’explication de son caractère indémodable. Là serait encore notre avenir : au lieu de chercher à retrouver, en vain, un équilibre perdu, ce socialisme vert nous permettrait de conserver l’espérance dans le progrès et la foi dans l’humanité.

6. Zone critique

Considérant la société comme un système thermodynamique, il est patent que Mark Alizart ne la conçoit pas autrement que comme une énorme machine. En effet, la thermodynamique est, d’abord, l’étude de la façon dont on peut transformer la chaleur en mouvement, ce qui est le principe même de la machine à vapeur. Comme Marx prisonnier du machinisme, il donne donc, comme issue à la crise écologique, indéniablement causée par la technique, un saut vers plus de technique. C’est ce que l’on peut considérer comme une fuite en avant, qui ne résoudra le problème qu’en apparence, n’ayant fait que le déplacer, et peut-être l’aggraver.

En outre, on peut regretter que Mark Alizart ne discute pas les arguments de ses adversaires, qu’il préfère éloigner du revers de la main. D’aucuns sont certains que le réchauffement n’est qu’un fantasme. Sans doute s’illusionnent-ils, peut-être sont-ils les victimes de charlatans et de menteurs singulièrement cyniques. Néanmoins, quand une objection est soulevée, il n’est pas inutile de l’analyser, surtout quand on lance soi-même, sans preuve, une thèse éminemment complotiste : celle d’un réchauffement sciemment provoqué, et nié, par les hommes de droite de tous les pays.

Enfin, on peut s’interroger sur le réalisme des propositions faites par l’auteur. La solution qu’il propose suppose en effet que de nouveaux bolcheviks, tendance écologiste, prennent le pouvoir, car on ne voit pas, vu le cynisme et le machiavélisme qu’il leur prête, comment les gouvernements capitalistes, populistes ou fascistes seraient sensibles à de pacifiques manifestations. Mais il ne donne aucune indication sur la manière dont cette prise de pouvoir pourrait se faire, sauf une alliance de toutes les forces de gauche.

Or, une telle politique risque fort de n’aboutir qu’à un étouffement de la révolution. Resterait alors la voie léniniste de la violence révolutionnaire. Là aussi, la discussion s’impose.

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Mark Alizart, Le coup d’Etat climatique, Paris, PUF, coll. « perspectives critiques », 2020.

Du même auteur– Informatique céleste, Paris, PUF, coll. « perspectives critiques », 2017.

Autres pistes– Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme, Paris, Encyclopédie des nuisances, 2002.– Georges Bataille, La Part maudite, Paris, éditions de Minuit, 1949. – Baudouin de Baudinat, La Vie sur Terre, Paris, Encyclopédie des nuisances, 1996.– Pierre-Henri Castel, Le mal qui vient, Paris, Cerf, 2018.– Grégoire Chamayou, La société ingouvernable, Paris, La Fabrique, 2018.– Jacques Ellul, Le Système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977.– Robert Kurz, Vies et mort du capitalisme. Chronique de la crise, Paris, Nouvelles édition Ligne, 2011.

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