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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Sociologie économique

de Mark Granovetter

récension rédigée parPierre Le BrunAgrégé de Sciences Economiques et Sociales.

Synopsis

Société

Sociologie économique rassemble six articles parmi les plus connus du sociologue américain Mark Granovetter, publiés entre 1973 et 2002. Étudiant les réseaux de relations entre les individus, il bat en brèche les théories économiques classiques du marché du travail et des institutions sociales. Granovetter montre ainsi que les choix des individus découlent en grande partie de la structure des réseaux dans lesquels ils sont encastrés. Les décisions économiques ne se réduiraient donc pas à une recherche égoïste de l’intérêt personnel, mais font intervenir des logiques de coopération, de confiance, d’obéissance ou d’autorité.

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1. Introduction

Cet ouvrage constitue un recueil de six articles publiés par Mark Granovetter entre 1973 et 2002.

Prenant pour point de départ une critique forte des hypothèses de travail et des principaux résultats de ses collègues économistes, Granovetter observe que les comportements individuels ne peuvent se représenter comme une simple recherche de leur intérêt égoïste. Les agents économiques, souligne-t-il sont « encastrés » dans des structures sociales – c’est-à-dire que leurs décisions et la réussite de leurs actions dépendent toujours des relations qu’ils entretiennent avec d’autres agents.

Ainsi, en politique, les individus se mobilisent toujours plus facilement lorsque leurs proches leur montrent l’exemple. De même, les individus trouvent des emplois plus facilement et de meilleure qualité lorsqu’ils en entendent parler par des personnes qu’ils connaissent personnellement.

Au terme de ses travaux, Granovetter trace ainsi les contours d’un nouveau programme de recherche centré sur l’analyse des réseaux de relations entre les individus.

2. Une perspective originale

Les articles de Granovetter s’ouvrent tous par une critique des méthodes de recherche de l’économie néoclassique. Celle-ci, pour Granovetter, aurait comme limite la plus fondamentale de reposer sur une conception « sous-socialisée » de l’individu (p. 78).

Les agents économiques, dans les approches traditionnelles, sont envisagés comme des individus rationnels, préoccupés de leur seul intérêt économique, et agissant sans jamais nouer avec les autres agents de relation autre que contractuelle. Les individus sont ainsi représentés sur le modèle d’atomes indépendants les uns des autres. Les théories économiques néoclassiques, observe Granovetter, vont même jusqu’à considérer les relations sociales entre les acteurs comme des entraves au bon fonctionnement des marchés. Pour lui, ces hypothèses de travail ne sont pas seulement une simplification grossière de la réalité, elles sont également la source de conclusions erronées.

En effet, même en admettant que les individus soient rationnels, il n’est pas possible de comprendre leurs actions si on suppose qu’ils ne poursuivent que des intérêts économiques. Il note ainsi : « la poursuite d’objectifs économiques s’accompagne en général de celle d’autres objectifs de nature non économique, comme la sociabilité, la reconnaissance, le statut social et le pouvoir » (p. 258).

Granovetter renvoie cette approche dos à dos avec une conception « sur-socialisée » (p.78) des comportements humains, conception qui serait l’apanage de la sociologie économique traditionnelle (et en particulier de la sociologie de Talcott Parsons, de laquelle Granovetter cherche à se détacher). Ces travaux feraient de l’environnement culturel de l’individu et de sa socialisation l’unique moteur des actions individuelles.

Résumé de façon lapidaire : « Une fois que l’on connaît la classe sociale de l’individu (…) on peut déduire tout son comportement » (p. 82). Cette seconde conception reviendrait également à une forme d’atomisation des individus en supposant que les relations sociales que nouent les individus entre eux sont sans effet sur leurs velléités à se plier aux normes dominantes. Ces deux conceptions, « sur- et sous-socialisées » (Dennis Wrong), ont donc en commun de négliger l’importance des relations sociales que les individus tissent entre eux.

3. La pertinence d’une approche sociologique

Granovetter s’attache en premier lieu à montrer que, contrairement à ce que suppose l’analyse économique, les individus ne recherchent pas leur intérêt personnel dans chacune de leurs actions. Les comportements des individus dans les organisations économiques en fournissent une bonne illustration. L’approche dominante en économie, souvent associée aux travaux d’Oliver Williamson, suppose que les individus sont opportunistes, c’est-à-dire prêts à trahir leur parole si c’est dans leur intérêt.

Or, observe Granovetter, une part importante des actions des individus est dictée par des logiques de coopération ou d’obéissance. Dans ces situations, les agents peuvent agir non pas conformément à ce que dicterait leur intérêt, mais « conformément à ce qu’ils comprennent que les autres veulent qu’ils fassent » (p. 232). La Nouvelle sociologie économique défendue par Granovetter se donne ainsi pour but de « mieux comprendre l’économie en mettant en lumière le mélange de motivations économiques et sociales poursuivies par les individus » (p. 227). Une des préoccupations du sociologue est alors de comprendre sur quels éléments exactement reposent ces motivations individuelles.

Pour Granovetter, les préférences des individus sont avant tout largement modelées par les relations qu’ils entretiennent avec d’autres agents. Il développe particulièrement le cas des comportements collectifs des groupes. Granovetter les analyse au moyen d’un « modèle de seuil » (p. 115) dans lequel chaque individu est caractérisé par un « seuil d’action collective » (p. 116). La décision d’un individu de participer à une mobilisation dépend alors directement du nombre de personnes qui y sont déjà engagées : tant que ce seuil n’est pas atteint, l’individu ne participe pas ; lorsqu’il est atteint, l’agent s’engage. Les agents prennent leur décision en observant non pas l’ensemble de la société (ils ne disposent pas d’assez bonnes informations pour évaluer l’ampleur nationale d’un mouvement), mais leur réseau personnel : si les connaissances d’un individu sont suffisamment nombreuses à se mobiliser, lui-même suivra le mouvement.

Il est possible, note Granovetter, d’enrichir ce modèle en supposant que les décisions de certains proches en qui l’individu a particulièrement confiance comptent davantage que celles des autres. Ainsi, les motivations à agir des agents seraient largement fonction de la structure de leur réseau social.

4. L’encastrement des actions économiques dans les structures sociales

Pour Granovetter, la notion fondamentale de la Nouvelle sociologie économique, inspiré des travaux de Karl Polanyi, est celle d’encastrement. Selon lui, les individus doivent être considérés non pas comme des atomes isolés, mais plutôt comme « encastrés » dans des réseaux de relations qui les lient avec les autres agents. Les comportements des individus ne sont en cela ni dictés par une simple recherche de l’intérêt personnel ni purement déterminés par le contexte social dans lequel ils sont immergés. Les actions économiques seraient dépendantes des relations (plus ou moins fortes, plus ou moins nombreuses, plus ou moins bienveillantes) que les individus lient entre eux.

Pour Granovetter, l’explication des phénomènes économiques doit donc passer par une étude des structures des réseaux sociaux. Il revient à la sociologie d’expliquer la façon dont les influences interpersonnelles s’exercent pour donner naissance aux comportements économiques observés. Le point fort de la notion d’encastrement résiderait dans la façon dont elle parvient à expliquer les phénomènes économiques globaux à partir d’observations microsociales – articulation que ne parviendrait pas à établir la théorie économique standard.

Pour élaborer sa théorie de l’encastrement, Granovetter s’est largement inspiré de l’étude du marché du travail. Il montre que la facilité à obtenir un emploi approprié à son profil est beaucoup plus étroitement liée aux relations sociales des individus qu’à leurs compétences professionnelles. S’appuyant sur une enquête réalisée auprès de 300 cadres au début des années 1970, il observe que plus de la moitié des personnes interrogées ont trouvé leur emploi via un contact personnel. Les agents ayant été recrutés en passant par les voies classiques de recrutement, c’est-à-dire par des annonces, sont minoritaires et disposent d’emplois de moins bonnes qualités que les autres (moins bien payés, moins appropriés à leurs compétences).

Granovetter remarque que les personnes mobilisées par les individus ne sont que rarement des amis proches et plus souvent des contacts occasionnels. En effet, observe-t-il, les personnes avec qui on est fortement lié disposent en général des mêmes connaissances que nous-mêmes, ce qui limite leur utilité lors de la recherche d’informations rares. C’est donc, selon Granovetter, le nombre de « liens faibles » (donc de contacts occasionnels) dont dispose un individu qui rend le mieux compte de ses capacités à trouver aisément un bon emploi.

5. Le poids des relations interpersonnelles dans la genèse des institutions économiques

Pour Granovetter, l’étude des réseaux interindividuels permet donc de rendre compte de la construction des grandes « institutions économiques » - c’est-à-dire de la façon dont la vie économique est organisée et structurée par un ensemble d’habitudes, de normes, de conventions. Le sociologue montre ainsi que les règles de fonctionnement de l’économie ne sont pas des lois naturelles comme le pensaient les économistes classiques tels que Adam Smith, ni des modes d’organisations optimaux comme le considèrent les économistes mainstream à l’instar d’Oliver Williamson.

Pour Granovetter, les institutions économiques sont des « constructions sociales ». Réfutant tout déterminisme, il considère que chaque institution « s’explique par certains évènements historiques, contingents, encastrés dans la structure des réseaux sociaux » (p. 222). Il considère ainsi que la forme des institutions constitue une cristallisation des formes de relations qui unissaient leurs fondateurs. Par exemple, l’appartenance d’un certain type d’industrie au secteur privé plutôt qu’au secteur public s’expliquera davantage par le réseau de relations dont disposaient les premiers dirigeants de cette industrie que par la nature des biens produits.

Granovetter illustre ce point en développant notamment l’exemple de l’industrie électrique américaine des années 1880-1930. Il s’agit, depuis sa naissance, d’une industrie nationale privée. Elles auraient tout aussi bien pu prendre la forme d’une industrie publique, ou d’un éclatement de petites entreprises locales. En s’appuyant sur une étude réalisée par le sociologue Patrick McGuire, il montre que la structure finale de l’industrie électrique tient très largement au réseau social dont disposait une poignée de personnes. Samuel Insull, par exemple, est parvenu à réunir l’ensemble de l’industrie électrique américaine dans une seule structure du fait que « son réseau mettait en contact différentes sphères institutionnelles, qui, en général, demeuraient indépendantes » (p. 218), à savoir des soutiens financiers, des appuis politiques et des chercheurs.

Granovetter observe que : « si, au contraire, il avait été lié à un réseau étroit d’associés, il n’aurait vraisemblablement pas connu la réussite qui a été la sienne » (Id.). Par la suite, ces structures se maintiennent dans le temps en conservant globalement leur forme initiale : « les institutions acquièrent un mode de fonctionnement qui limite les formes que peuvent prendre, par la suite, les évolutions institutionnelles » (p. 219).

6. La Nouvelle sociologie économique : un programme de recherche appelé à supplanter l’économie mainstream ?

L’ensemble de ses travaux permet à Granovetter de conclure que la sociologie économique est susceptible de fournir des explications des faits économiques plus convaincantes que celles de la science économique elle-même. Non content d’en attaquer les fondements méthodologiques, Granovetter montre que les résultats des travaux économiques sont insatisfaisants.

Dans le cas du travail, l’explication traditionnelle du niveau des salaires comme résultat de la libre rencontre de l’offre et de la demande sur le marché du travail est totalement erronée. Pourtant, Granovetter ne rejette pas en bloc les sciences économiques. Il en reconnaît volontiers la pertinence pour rendre compte des comportements égoïstes des individus, comportements qui constituent une part restreinte, mais réelle des actions économiques. Sa principale critique vise en réalité les ambitions, selon lui démesurées, des économistes à rendre compte de la totalité des comportements économiques. Il appelle donc les économistes à se saisir des outils de la Nouvelle sociologie économique afin de construire des modèles plus satisfaisants d’explication des phénomènes sociaux.

Dans le « programme théorique pour la sociologie économique » (p. 223) qu’il esquisse, Granovetter fait de l’analyse des relations sociales le fondement de toute discipline visant la compréhension de l’économie. L’étude des réseaux sociaux (donc de la structure des relations sociales), de laquelle il tire sa théorie de l’encastrement, ne constituerait qu’une branche de cette nouvelle science. Celle-ci s’étendrait également à l’étude « des concepts fondamentaux comme la solidarité, le pouvoir, les normes et l’identité » (p. 255) qui, selon Granovetter, ne peuvent être compris « autrement qu’en des termes relationnels » (Id.). L’identité, pour se limiter à cet exemple, n’est pas à analyser comme une caractéristique intrinsèque à un individu, mais plutôt à considérer comme une propriété reconnue par la société à l’individu : je ne peux dire que je suis Français que parce que tout le monde est d’accord sur le fait qu’être né en France est suffisant pour pouvoir se déclarer Français.

Il reviendrait donc aux sociologues, quel que soit leur objet de recherche, de se focaliser sur les structures, les formes et l’intensité des relations unissant les individus entre eux. Il conviendrait notamment de traduire les apports des sociologues classiques (tels que Marx, Durkheim ou Weber) dans les catégories théoriques de ce nouveau programme de recherche.

7. Conclusion

Dans cet ensemble d’articles, Granovetter cherche ainsi à imposer un nouveau programme de recherche : la Nouvelle sociologie économique. Celle-ci, à travers une attention particulière prêtée à l’étude des relations sociales interindividuelles, aurait pour but de rendre compte des actions économiques des individus d’une façon plus subtile et plus satisfaisante que la science économique mainstream.

Au cœur de ce nouveau paradigme, Granovetter place la notion d’encastrement des actions économiques individuelles dans le réseau des relations sociales. S’opposant explicitement à l’économie néoclassique, il souligne également l’importance, en sociologie, de ne pas se limiter à l’étude des caractéristiques individuelles (telles que le sexe, l’origine sociale, le revenu, le niveau de diplôme, etc.) dans la compréhension des phénomènes sociaux.

8. Zone critique

En tant que fondateur de la Nouvelle sociologie économique, Granovetter constitue un auteur majeur en sociologie des réseaux. Il a en particulier beaucoup influencé les travaux de Michel Callon, sociologue français proche de Bruno Latour, fondateur de la théorie dite de l’ « acteur-réseau ».

Approfondissant la notion d’encastrement de Granovetter, Callon considère que les comportements économiques des acteurs sont encastrés non pas seulement dans des réseaux de relation avec d’autres individus, mais dans des environnements encore plus vastes mêlant des éléments humains (d’autres individus) et non humains (par exemple des dispositifs de calcul tels que les ordinateurs).

Cependant, Granovetter a souvent été critiqué pour sa lecture des travaux de Karl Polanyi. Dans son article de 1985, il lui prête l’idée selon laquelle, dans les sociétés modernes, la sphère économique serait autonome de la sphère sociale. Or, pour Polanyi, l’économie fait intrinsèquement partie du social et ne peut en être arrachée que partiellement.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Sociologie économique, Paris, Seuil, coll. « Économie humaine », 2008.

Du même auteur

– Le marché autrement. Les réseaux dans l'économie, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.

Autres pistes

– Michel Callon, Laws of the market, Oxford, Blackwell, « Sociological Review Monographs », 1998.– Ronan Le Velly, « Le problème du désencastrement », Revue du MAUSS, 2007.– Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, « Repères », 2016.– Karl Polanyi, La Grande Transformation [1944], Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1983.– Dennis Wrong, « The Over socialized Conception of Man in Modern Sociology », American Sociology Review, 1961.

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