Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Mark Manson
Derrière son titre un brin provocateur, L’Art subtil de s’en foutre propose une réflexion sérieuse sur l’art de profiter de la vie et d’en tirer le meilleur en toutes circonstances. Dans un style qui instaure d’emblée une complicité avec le lecteur, le blogueur-star Mark Manson nous invite à nous reconnecter avec nous-mêmes et à renouer avec les valeurs qui nous tiennent à cœur.
Classé 6e parmi les best-sellers du New York Times, L’Art subtil de s’en foutre est un livre qui bouscule les idées reçues en matière de développement personnel. Il prend à contre-pied les théories positivistes qui ont envahi les sociétés occidentales et qui nous ont fait perdre de vue le vrai sens de la vie. L’objectif de Mark Manson ? Nous libérer des diktats sociaux et nous apprendre à faire les bons choix.
Pour nous permettre de mieux appréhender l’existence, il nous livre un petit guide qui aborde nombre de sujets sociétaux, illustrés par des exemples concrets. La liberté consiste-t-elle réellement à se moquer de tout ? Quelles valeurs doivent prédominer dans notre existence ? Comment prendre le recul nécessaire pour répondre à ses aspirations profondes ? Dans une connivence amicale avec le lecteur, Mark Manson nous offre une philosophie de vie issue de ses propres expériences.
Les sociétés occidentales développent certaines croyances qui vont à l’encontre de « l’art subtil de s’en foutre » de Mark Manson. Elles incitent notamment les gens à s’adonner à une quête incessante du bonheur. Les médias, tout comme Internet, véhiculent cette idéologie nous invitant à positiver en toutes circonstances et à reléguer les émotions négatives au placard. Le moyen d’arriver à ce nirvana constant ?
Gagner et acheter plus pour améliorer en permanence notre train de vie ou la satisfaction de nos plaisirs. Les publicités nous conditionnent dans ce sens, en nous signifiant que le bonheur ou le bien-être résident dans l’obtention de tel ou tel bien de consommation. L’obtention d’une chose nous conduit inévitablement au désir d’une autre, si bien qu’on est prisonniers d’un cercle vicieux. Ce phénomène porte le nom d’adaptation hédonique dans le domaine de la psychologie.
Cette idéologie du bonheur obsessionnel n’est pas sans conséquence. Alors que nous vivons dans des sociétés où l’abondance est reine, nous sommes confrontés au paradoxe du choix, c’est-à-dire à l’insatisfaction générée par la nécessité de choisir parmi un grand nombre de possibles. Plus les options sont nombreuses, plus nous sommes écartelés par les choix qui s’offrent à nous, et susceptibles d’avoir des regrets. Les sociétés contemporaines martèlent que le bonheur est accessible à tous et qu’un destin exceptionnel attend chacun d’entre nous. Conséquence : les gens portent un regard critique sur leur vie et ne voient que ce qu’ils ne possèdent pas ou n’ont pas réussi à réaliser.
La surmédiatisation de réussites spectaculaires, de destins hors norme ou de succès retentissants ne fait ainsi qu’accentuer le décalage entre soi et les autres. Résultat : nous assistons à une « épidémie psychologique » et à une crise existentielle majeure, alimentées par le sentiment de médiocrité éprouvé par de nombreuses personnes et leur incapacité à accepter les échecs.
D’où la recrudescence d’états de stress chronique, de dépressions ou de névroses. Et ce ne sont pas les « gourous » du développement personnel qui peuvent venir en aide à ces personnes victimes d’une société qui vise à « masturber l’ego » de chacun. Au contraire, leurs méthodes n’apportent qu’un mieux-être illusoire et éphémère et relayent l’idéologie positive ambiante en contournant les vrais problèmes.
Une société qui fait du bonheur la valeur inconditionnelle ne peut que rendre la peur de l’échec encore plus prégnante. L’école et l’éducation parentale surprotectrice nous confortent dans ce sens dès notre jeunesse, en nous évitant les expériences négatives ou en érigeant la réussite en valeur suprême. Ces démarches éducatives et pédagogiques ont des répercussions sur les capacités de résilience face à des faits aussi insignifiants qu’une mauvaise note à un devoir. Une fois adultes, les individus ont donc tendance à se préserver, quitte à rester dans l’immobilisme et à se priver d’opportunités intéressantes.
Chacun préfère faire des choix qui ne modifient pas trop le quotidien, afin de conserver un cadre familier et sécurisant. C’est ainsi que l’artiste qui rêve d’exposer ses tableaux et de se faire un nom entreprend les démarches nécessaires et renonce au dernier moment par crainte du jugement négatif des autres sur son œuvre. Pour l’auteur, cette façon d’appréhender la vie est contre-productive et nous empêche de vivre pleinement.
Conséquence directe et quasi paradoxale : l’émergence d’un égocentrisme profond qui touche la plupart des gens. Fuyant la responsabilité de leurs actes, ils s’enferment dans des comportements d’évitement du réel qui leur permettent de mieux vivre leurs échecs. Mark Manson considère qu’en refusant d’admettre leurs erreurs ou insuffisances, ils manifestent une estime d’eux-mêmes excessive. Cette attitude les conduit au déni, ainsi qu’au développement de travers où l’égoïsme et la superficialité tiennent une grande part, tels que l’orgueil, le matérialisme ou l’irrespect de son prochain. Elle les amène surtout à se dédouaner de leurs difficultés et à se placer en victimes, en considérant « les obstacles comme autant d’injustices, les dérangements comme des affronts personnels, les désaccords comme des trahisons » (p. 13). Les réseaux sociaux sont à cet égard particulièrement révélateurs de cette tendance à la victimisation.
À coup de posts, les internautes expriment leurs déconvenues et leur sentiment d’avoir été floués pour recueillir des messages de soutien au lieu d’assumer leurs responsabilités. Le partage d’« injustices » et la « victimattitude » sont d’ailleurs des phénomènes à la mode : ils permettent aux uns de se complaire dans leur rôle de victimes et, aux autres, de jouer les donneurs de leçons. C’est ce que le chroniqueur Ryan Holiday appelle le « porno d’indignation ».
Pour Mark Manson, l’acceptation des épreuves que nous envoie la vie est une donnée fondamentale. Au lieu d’en avoir peur ou de les contourner, il faut les affronter, car elles font partie intégrante de l’existence. Ce sont exactement les principes qu’enseigne la philosophie bouddhiste : il est absurde de se révolter contre la mort ou les souffrances qui jalonnent inévitablement la vie de chacun. Mieux vaut au contraire avoir la sagesse d’accepter les difficultés qui se présentent à nous, plutôt que de perdre notre temps en vaines batailles. Les obstacles et la douleur ont d’ailleurs une fonction vitale.
Ce sont les aiguillons qui nous poussent à nous battre pour survivre et nous améliorer. À cet égard, nos états émotionnels jouent le rôle crucial de guides. Les émotions positives entérinent nos choix et nous orientent vers ce qui est bénéfique. À l’inverse, les émotions négatives signalent un danger potentiel pour notre organisme ou notre esprit. Par exemple, la douleur physique ou psychologique constitue un seuil d’alerte nous indiquant que nous avons dépassé nos capacités ou nos limites.
Paradoxalement, la souffrance a des vertus incontestables. Si l’on préfère évidemment s’en préserver, force est de constater que ceux qui sont confrontés à de grandes tragédies en sortent grandis. En attestent les études menées par le psychologue, Kazimierz Dabrowski, sur les survivants polonais de la Seconde Guerre mondiale. Elles révèlent des individus dont l’expérience traumatique a déclenché une métamorphose profonde. Plus forts moralement, ils ont aussi acquis une sagesse qui les a rendus meilleurs et plus aptes au bonheur. Car plus les épreuves sont douloureuses et difficiles, plus nous développons nos capacités de résilience face au malheur.
Ces crises existentielles, dont le degré peut être variable en fonction des situations, participent donc à notre évolution individuelle. Elles nous élèvent spirituellement en nous mettant sur la voie des valeurs fondamentales de l’existence.
L’art de « s’en foutre » implique de faire preuve de lucidité et d’objectivité vis-à-vis de soi-même. Se considérer avec clairvoyance est en effet la clé pour prendre de la distance et accéder au lâcher-prise. Cela permet d’identifier les émotions refoulées, d’analyser les causes de ses échecs et de comprendre ses erreurs pour en tirer des enseignements.
Cette autocritique est indispensable pour accéder à des vérités sur soi-même. Elle permet de dépasser la représentation première que l’on a de soi et qui peut être faussée par l’éducation ou le poids des normes sociales. Pour cela, il faut accepter de soulever les différentes couches de la conscience de soi et de se remettre en question. C’est le meilleur moyen de se libérer de ses certitudes, qui mènent le plus souvent à des jugements arbitraires et figés sur le monde.
Cultiver le doute est pour Mark Manson une aptitude primordiale pour deux raisons. D’une part parce que notre cerveau est faillible et sujet à des erreurs d’interprétation ou des lacunes mémorielles. D’autre part, parce que les certitudes nous empêchent de progresser et de voir les événements ou les personnes sous un autre angle.
Cette analyse de soi doit amener à assumer la pleine responsabilité de ses échecs. Car nous sommes « responsables de tout ce qui nous arrive dans la vie, quelles qu’en soient les circonstances » (p. 87). Face à un événement, nous avons ainsi la responsabilité d’agir en conséquence et de gérer la situation de différentes façons. L’impact ultérieur que cela peut avoir sur notre existence est aussi influencé par notre manière de considérer les faits. C’est effectivement nous qui choisissons « la largeur de focale, la manière de réagir aux choses et la valeur » (p. 91) que nous leur attribuons en fonction de nos critères personnels d’évaluation.
Pour pouvoir évoluer, il nous incombe donc de modifier notre grille de valeurs au fil de notre parcours. C’est ce qu’a effectué le musicien Pete Best, évincé du groupe des Beatles dès ses débuts. Au lieu de se morfondre sur la célébrité à côté de laquelle il était passé, il a repris le dessus après une période de dépression en s’orientant vers de nouvelles valeurs qui lui ont permis de s’épanouir, telles que son mariage avec son épouse ou la naissance de ses enfants.
L’art de « s’en foutre » selon Mark Manson ne consiste pas à se moquer de tout, au détriment de la morale, du respect de soi et des autres. Il s’agit au contraire de saisir les opportunités qui se présentent à soi sans se mettre des barrières ni se paralyser à la perspective du qu’en-dira-t-on. Cette philosophie invite à sauter le pas, en étant parfaitement conscient des épreuves qui nous attendent.
L’art de « s’en foutre » de Mark Manson induit donc deux facteurs essentiels : assumer le fait de s’écarter de la norme sociale et de prendre une voie différente des autres ; ne pas se laisser déstabiliser par les difficultés à venir. L’auteur note d’ailleurs que c’est souvent lorsqu’on se met moins la pression et qu’on aborde les choses avec plus de légèreté qu’on atteint mieux ses objectifs. Cette idée est inspirée de « la loi de l’effort inverse » décrite par le philosophe, Alan Watts, dans les années 1960 et selon laquelle plus on s’obstine à obtenir quelque chose, moins on réussit à l’obtenir.
La théorie de Mark Manson consiste également à sélectionner nos priorités et à délaisser ce qui nous paraît de moindre importance au regard de nos aspirations. « Cultiver cette capacité nous conduit à une sorte d’illumination pratique » (p. 20), c’est-à-dire que se révèle à nous ce pour quoi nous sommes prêts à faire des sacrifices ou à souffrir. Cette sélection s’effectue de façon de plus en plus efficace au fil des années, en fonction de la maturité et de l’expérience acquises qui nous permettent de mieux nous connaître. Elle nous contraint à renoncer à certaines possibilités pour nous focaliser sur ce qui compte vraiment. S’en foutre, c’est donc opter pour des valeurs et s’impliquer dans des combats qui nous correspondent et sont essentiels à nos yeux. L’exemple de la Pakistanaise, Malala Yousafzai, incarne parfaitement cette philosophie de vie.
Confrontée à l’extrémisme des talibans, elle a choisi de vivre selon ses principes et ses idéaux, malgré le danger de mort encouru. Elle a continué de se rendre à l’école alors que les filles n’avaient plus le droit d’accéder à l’instruction. Victime en 2012 d’un attentat dont elle réussit à réchapper, elle continue toujours aujourd’hui à défendre ses droits et convictions.
Et si l’art de « s’en foutre » n’était qu’un habile moyen pour se préoccuper de l’essentiel et se détourner du superficiel ? Telle est certainement la leçon que l’on peut tirer de ce livre.
L’art de « s’en foutre » version Mark Manson, c’est ni plus ni moins une philosophie de vie qui rime avec liberté d’esprit et engagement sincère. Une excellente manière de reprendre les rênes de son existence et d’en tirer le meilleur parti durant son bref passage sur Terre.
Le développement personnel est issu de théories qui font leur apparition dans les années 1960 dans le domaine de la psychologie. Celles-ci insistent sur la mise en évidence du potentiel enfoui en chacun de nous, plutôt que sur l’exploration purement psychanalytique alors largement pratiquée.
Ces théories redonnent en quelque sorte le pouvoir au patient qui doit prendre conscience de ses capacités pour les faire émerger : il n’est plus simplement soumis à des expériences passées traumatiques dont il doit démêler les fils. Connaissant un réel essor depuis les années 1990, le développement personnel prône la pensée positive pour accéder au bien-être dans sa vie professionnelle ou privée.
Mark Manson s’inscrit à contre-courant de cette tendance. Pour lui, c’est un leurre de vouloir substituer l’optimisme et la positivité à la confrontation aux vrais problèmes. Dans le sillage de sociologues comme Edgar Cabanas, Élise Réquilé ou Eva Illouz, il fustige les pratiques de certains professionnels du développement personnel. Il n’hésite pas à les assimiler à des « gourous », pour ne pas dire à des charlatans, qui font du bonheur un bien de consommation comme un autre. Leurs méthodes visent un effet immédiat et à court terme qui n’apporte pas de résolution à la source même des problèmes. Par ailleurs, l’estime de soi ne peut constituer un critère valable d’évaluation de son épanouissement personnel puisqu’elle est entièrement subjective et peut être faussée par nos propres déviances morales.
Pour Mark Manson, l’évolution personnelle ne peut résider que dans l’acceptation des expériences douloureuses de la vie. Celles-ci doivent être utilisées comme des outils pour avancer et s’accomplir pleinement.
Ouvrage recensé– L’Art subtil de s’en foutre – Un guide à contre-courant pour être soi-même, Paris, Éditions Eyrolles, 2019.
Autres pistes– Edgar Cabanas et Eva Illouz, Happycratie, Paris, Éditions Premier Parallèle, 2018.– Moussa Nabati, Le Bonheur d’être soi, Paris, Éditions Fayard, 2006.– Norman Vincent Peale, La Pensée positive, Paris, Éditions J’ai lu, 2016.– Charles Pépin, Les Vertus de l’échec, Paris, Éditions Pocket, 2018.– Élise Réquilé, « Entre souci de soi et réenchantement subjectif – Sens et portée du développement personnel », Mouvements, n° 54, 2008, p. 65-77.– Martin Seligman, La Force de l’optimisme – Apprendre à faire confiance à la vie, Paris, Éditions Pocket, coll. « Évolution », 2012.– Alan Watts, Éloge de l’insécurité, Paris, Éditions Payot, 2003.