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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Théorie comme fiction

de Maud Mannoni

récension rédigée parKetty RossettoPsychothérapeuthe et doctorante (Paul Valéry - Montpellier 3).

Synopsis

Psychologie

Cet ouvrage interroge la pratique analytique lorsqu’elle se trouve confrontée au savoir psychiatrique, à l’institution et à la psychose. Maud Mannoni illustre les enjeux de la théorie analytique, en insistant notamment sur l’un des aspects de la conception freudienne, concevant la théorie comme une « fiction ». Afin de distinguer l’approche psychanalytique de l’approche psychiatrique, elle s’appuie tout particulièrement sur des concepts propres à la clinique de Donald Winnicott.

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1. Introduction

Il est possible de repérer dans l’œuvre de Freud deux tendances opposées : d’une part, l’exigence d’une reconnaissance scientifique de la psychanalyse ; de l’autre, une conception de la théorie psychanalytique comme « fiction », comme un instrument à travers lequel élaborer des interprétations variables, incertaines, sur la vie psychique du patient.

L’auteure interroge et approfondit cette double démarche, en s’appuyant notamment sur son expérience clinique et sur des concepts de Winnicott. Selon Maud Mannoni, ce dernier, plus que d’autres cliniciens, a mis en évidence la dimension dialectique de la relation entre analyste et analysant, à savoir l’échange qui se produit entre deux personnes, deux subjectivités singulières.

Cet aspect implique une conception du diagnostic différente de celle qui se pratique en psychiatrie. En psychanalyse, le diagnostic émerge de la relation analyste-analysant, au sens où le savoir sur le symptôme est subjectif et susceptible d’évoluer au fil du temps, tandis qu’en psychiatrie, le diagnostic exige d’atteindre une objectivation de l’état du patient, objectivation qui, parfois, le « fige » dans son propre symptôme. À partir de la notion freudienne d’« espace pour la fantaisie », Winnicott met en œuvre les notions de poésie et de jeu dans sa pratique analytique, ces deux notions étant particulièrement pertinentes dans le cas de la souffrance psychotique.

M. Mannoni ne manque pas de souligner la proximité entre le délire et la théorie, entre le délire et la « construction analytique » proposée par l’analyste. En ce sens, l’interprétation est un autre aspect sur lequel Freud insiste beaucoup. L’interprétation ne va pas sans porter avec soi un degré d’incertitude, ce dernier étant un élément central de l’éthique psychanalytique. À partir de cette dimension, il est possible de repenser certaines souffrances psychiques, en les « dégageant » du champ psychiatrique, parfois plus soucieux de classer le patient dans tel type de maladie que de comprendre ce qui se joue, pour un sujet, à un moment donné de son existence.

2. Enjeux de la théorie analytique

« La théorie analytique cesse de relever de l’analyse dès qu’elle entend n’offrir qu’un corps de règles stables. La fonction d’une théorie analytique, c’est de permettre la transposition de ce qui, chez le sujet, résiste au travail analytique et fait obstacle à son évolution » (p.42).

Maud Mannoni illustre un aspect souvent menacé dans la pratique, même par certains psychanalystes. Une théorie constituée de « règles stables » court le risque de se transformer en une théorie « totalisante », où l’« objet scientifique » devient l’intérêt central du psy. Ce qui, dans certains cas, ne permet pas de saisir le « potentiel de rupture » et d’évolution d’un sujet.

La théorie freudienne elle-même n’a pas échappé à la tendance, en France comme ailleurs, à se voir figée et transmise comme un modèle. Cette façon de concevoir la théorie aurait impliqué une stagnation de la psychanalyse. L’auteure revient à ce propos sur la « deuxième topique » de Freud (postulant l’existence d’instances psychiques telles que le Moi, le Ça et le Surmoi) : une telle théorie aurait pu laisser croire à l’existence de recours thérapeutiques propres à guérir définitivement certaines souffrances psychiques.

C’est précisément cet aspect, – l’illusion qu’une théorie puisse fonctionner de manière systématique – qui pose problème, car il ne faut jamais oublier que la pratique analytique est née de l’exigence de rompre avec des certitudes propres au champ médical et psychiatrique.La théorie aurait avant tout à prendre en considération ce que le patient dit de lui-même car, comme le rappelle Winnicott, c’est l’analysant qui constitue le « véritable enseignant » ; les concepts devraient être alors pris comme des « constructions temporaires ». En ce sens, l’analyste se veut dans une démarche d’ouverture à ce qui est de l’ordre de l’imprévu.

La théorie peut toutefois devenir une sorte de défense, en gardant l’analyste à l’abri de situations déstabilisantes. L’ouverture à l’imprévu est par ailleurs une des conditions essentielles pour que quelque chose de l’inconscient puisse émerger.

3. Psychanalyse, institution et transmission

Si la psychanalyse est née d’une critique du savoir psychiatrique, Freud n’en avait pas moins le souhait d’une reconnaissance scientifique. Comment dès lors rester fidèle à une « éthique de l’imprévu et de l’interprétation » lorsqu’il est question d’institutionnaliser la psychanalyse ?

Maud Mannoni rappelle que le type d’institution rêvé par Freud était irréalisable. En effet, en concevant la théorie comme un « outil » à renouveler constamment, il s’est avéré particulièrement difficile de l’adapter à un fonctionnement institutionnel, exigeant un cadre et des « normes stables ». La psychanalyse, cependant, a été adoptée dans diverses institutions, certainement au prix de quelques renoncements. Le discours analytique se caractérise par l’acceptation d’une contradiction inhérente à tout discours, constitutive du sujet (car les exigences du Moi divergent bien souvent de celles du Ça) ; mais, dès qu’il est assimilé à un discours d’ordre universitaire ou médical, il tend à devenir dogmatique, voire totalisant.

Reprenant un extrait d’une lettre de Freud adressée à Fliess, Maud Mannoni s’associe à Freud pour mettre en évidence le danger qu’il y a à voir l’analyse devenir un instrument, parmi d’autres, de la médecine. Ainsi, la psychanalyse devrait peut-être rester une pratique marginale, afin de préserver sa posture critique et pouvoir alors « confondre » le savoir dominant.

Le problème que pose l’institutionnalisation de la psychanalyse se trouve lié à celui de sa transmission. Freud a bien créé une Association internationale de psychanalyse. L’institution d’un réseau d’écoles a impliqué la mise en place d’un enseignement « orthodoxe ». En ce sens, Maud Mannoni rappelle que l’analyste n’est pas un spécialiste, car il ne s’agit pas pour lui de transmettre un « savoir impersonnel ». La transmission en psychanalyse est inévitablement liée au transfert : ce n’est pas seulement le savoir en tant que tel qui se transmet, mais un lien qui se crée entre celui qui transmet une pensée, une théorie, des idées et celui qui les reçoit.

Est-il donc possible d’enseigner la façon d’opérer en tant qu’analyste ? L’auteure, et bien d’autres analystes, pensent que non. C’est un autre point qui remet en question le cadre institutionnel, tout comme l’acquisition d’un diplôme qui se porterait garant de l’acquisition d’un savoir. Entre la théorie et la pratique demeure un écart irréductible.

4. Winnicott et l’« aire de jeu »

L’auteure propose un parallèle entre la notion d’« objet transitionnel » chez Winnicott et ce qui se crée entre l’analyste et l’analysant. L’« objet transitionnel » est ce qui permet à l’enfant de combler le vide laissé par l’absence de la mère, ou de la première personne secourable. Cet objet, précise Winnicott, est d’abord imaginé, créé par l’enfant. Il s’agit d’une étape fondamentale, favorisant l’accès à la symbolisation, à savoir la faculté de développer des représentations psychiques. C’est par ailleurs une étape qui permet à l’enfant de sortir du sentiment d’omnipotence. L’objet dont parle Winnicott, afin d’être imaginé, a besoin de cet « intervalle » entre l’enfant et la mère, entre absence et présence (être là et ne pas être là), qu’il nomme aussi « aire de jeu ».

S’inspirant de la notion freudienne d’« espace pour la fantaisie », Winnicott se focalise sur la relation entre l’enfant et la mère. Mais cette « aire de jeu », nous dit Mannoni, est ce que l’on retrouve aussi entre l’analyste et l’analysant : « Ce qui importe à l’analyste, c’est non ce qui se passe “dans” la tête de son patient, mais ce qui survient “entre” lui et le patient. C’est l’aménagement d’un espace (pour la fantaisie) qui autorise le passage de la parole d’un lieu à l’autre » (p.16). Pour Winnicott, c’est l’aire de jeu (aire intermédiaire d’expérience) qui constitue notre réalité psychique et c’est grâce à l’élaboration de ce « lieu imaginaire » que le sujet peut s’interroger sur ce qu’il est. En ce sens, les apports de Winnicott permettent de souligner davantage ce qui est opérant dans une analyse, à savoir l’interaction entre deux sujets, et non une « technique » objective.

Si l’on revient à l’analyse comme pratique de « non-spécialiste », la démarche de Winnicott est, plus que d’autres, celle qui permet de mettre en avant la position d’humilité de l’analyste, car il nous rappelle que c’est le patient qui a quelque chose à nous « enseigner ». Il a pu d’ailleurs adapter sa pratique analytique au sein de l’institution elle-même, car selon Maud Mannoni il a su rester analyste à l’hôpital, ce qui a eu pour effet une rupture avec une « tradition psychiatrique hospitalo-universitaire » (p.76).

5. Pratique analytique et psychose

Lorsqu’on a affaire au champ des psychoses, la pratique analytique est-elle encore possible ?La position de retrait, voire d’« effacement » de l’analyste vis-à-vis du patient a-t-elle encore une pertinence ? Ou bien faudrait-il plutôt adopter la posture d’un psychiatre ou d’un éducateur ?

Lacan a apporté des éléments fondamentaux dans ce champ ; suivant le chemin freudien, il a contribué à déstigmatiser la folie. Maud Mannoni le critique cependant pour avoir participé à la « psychiatrisation de l’analyse » (p.157) : « Se compromettre avec la psychiatrie consiste à entrer dans un système de pensée où l’on s’autorise à occuper une position d’autorité par rapport à l’autre, afin d’en jauger ce qui est normal ou non » (p.157). La perspective psychiatrique prédominante conçoit la souffrance psychotique comme une affection incurable, affirme l’auteure.

Afin de montrer un contre-exemple, elle se réfère à Winnicott, qui décrit ce qui se joue dans la psychose, de manière générale, comme une « peur de l’effondrement ». Par cette crainte, le sujet psychotique se trouve comme paralysé, sidéré, à un moment donné de son existence. Cependant, à la différence d’autres analystes-psychiatres, Winnicott ne pense pas qu’il s’agisse d’un état permanent, mais envisage au contraire une « sortie » de cette sorte de sidération. En ce sens, il souligne l’importance d’un environnement apte à accueillir la crise, sans être dans une démarche « interventionniste ».

La ligne de démarcation entre santé et maladie s’est estompée grâce à des cliniciens comme ceux de l’école anglaise (Karl Abraham, Melanie Klein, Donald Winnicott…). D’autres analystes, à la suite de Winnicott, ont accordé plus d’importance au lien entre le sujet et son environnement. Dans cette perspective, le diagnostic est davantage conçu comme un facteur supplémentaire d’aliénation du patient, là où il serait préférable de rester à son écoute, dans une position d’ouverture et d’humilité vis-à-vis de sa folie – et de celle qui demeure chez tout un chacun. Dans un souci d’adapter sa pratique au travail avec la psychose, Winnicott a mobilisé des notions telles que le jeu et la poésie, en encourageant « ses élèves à faire confiance au jeu avec la folie » (p.18).

6. Conclusion

Maud Mannoni reprend avec audace un aspect de la démarche freudienne, cette idée que la théorie recèle un degré d’incertitude, de tromperie, voire de délire. Cela permet de souligner davantage ce qui relève de l’éthique psychanalytique, à savoir une position d’humilité et de « non-maîtrise » vis-à-vis du patient.

Au lieu de considérer un certain « malaise » comme intrinsèque à la vie humaine, on préfère aujourd’hui y apporter un traitement, sans plus trop s’interroger sur ce qui sous-tend le malaise en question. Le concept de « santé » tend à devenir, selon l’auteure, un « bien consommable », dans un classement effréné du moindre symptôme.

7. Zone critique

Maud Mannoni soutient des idées difficiles à entendre à l’heure actuelle, où l’on constate comme perspective prédominante le positivisme, courant dans lequel le progrès promis par la science et la technique tend à vouloir écarter nombre de doutes.

Il est certainement important de prendre en considération la dimension de « fabrication du symptôme », de « fabrication de la psychose ». Il s’agit d’un aspect pointé a fortiori par l’anti-psychiatrie. Cependant, si d’une part ce mouvement a voulu – à juste titre – déstigmatiser la folie, il est parvenu de l’autre à en exalter des aspects, comme la « liberté du fou », en négligeant peut-être la part de souffrance.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La Théorie comme fiction. Freud, Groddeck, Winnicott, Lacan, Paris, Seuil, 1979.

Du même auteur– Le Psychiatre, son « fou » et la psychanalyse, Paris, Seuil, coll. « Le champ freudien », 1970.– Ce qui manque à la vérité pour être dite, Paris, Denoël, 1988.– Elles ne savent pas ce qu’elles disent, Paris, Denoël, coll. « L’espce analytique », 1997.

Autres pistes– Cornelius Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, Paris, Seuil, 1978.– Pierre Fédida, Le Concept et la Violence [1977], Saint-Martin-de-Blagny, MJW Fédition, 2013.– Sandor Ferenczi, La Psychanalyse, I, II, III, Paris, Payot, 1974.– Georg Groddeck, La Maladie, l’art et le symbole, Paris, Gallimard, 1976.– Donald Wood Winnicott, De la Pédiatrie à la Psychanalyse [1969], Paris, Payot, 2018.– Alfredo Zenoni, L’Autre Pratique analytique. Psychanalyse et institution thérapeutique [2009], Toulouse, Érès, 2019.

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