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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le savant et le politique

de Max Weber

récension rédigée parMontassir SakhiDoctorant en sciences politiques (université Paris VIII).

Synopsis

Société

Au sortir de la Première Guerre mondiale (1919), le sociologue Max Weber s’interroge sur les traits qui doivent distinguer les savants d’un côté et les hommes politiques de l’autre. Pour lui, la passion qui anime le scientifique n’est pas la même que celle qu’exige le métier du politique. Elle doit chercher une objectivité afin d’aiguiller l’homme politique et le mettre devant les responsabilités de ses choix. Le politique, par ailleurs, ne peut prétendre au pouvoir et à la gestion de la chose publique s’il n’est pas habité par deux éthiques : celle de la conviction et celle de la responsabilité devant ses propres actes.

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1. Introduction

L’ouvrage se compose de deux parties distinctes. La première porte sur la vocation de l’homme de science (le savant), tandis que la deuxième étudie la vocation de l’homme politique (le politique).

Pour Weber, il s’agit de distinguer les tâches historiques de chacune de ces deux fonctions dans une société gouvernée par la nouvelle forme gouvernementale qu’est l’État et qui voit le jour à la fin du 18e siècle. À la sortie de la Première Guerre mondiale, Weber insiste sur une éthique qui se voit bafouée par les événements politiques de son temps, tant en Allemagne que dans le reste de l’Occident.

On ne peut pas être à la fois savant et politique parce que la science vise une vérité émancipée de l’intérêt purement politique, tandis que la politique ne tolère pas une telle forme de vérité. Ainsi, deux questions sont posées : comment la science pourrait-elle influencer la politique, et comment cette dernière pourrait retrouver une éthique alors même qu’elle convoque la violence ? Tel est le questionnement auquel se confronte Weber tout au long de ce texte.

2. Le métier et la vocation de l’homme de science

Dans cette première conférence Weber observe la tendance générale prise par la science dans le monde occidental du début du XXe siècle. La science observée par le sociologue emprunte déjà un schéma « capitaliste ».

En effet, elle s’organise comme une entreprise, ce qui aboutit à « couper » les scientifiques des moyens de production, exactement comme dans le cas des ouvriers. Le savant évolue lui aussi dans des universités et des entreprises scientifiques ayant une organisation spécifique du travail commandé par des objectifs déterminés. L’autonomie du savant est ainsi réduite.

Dans ces conditions structurant l’activité scientifique, Weber plaide pour des traits particuliers, sans lesquels le savant ne peut prétendre occuper cette position. Deux caractéristiques lui apparaissent fondamentales : la nécessité l’inspiration et l’imagination. Mais Weber rappelle que cette distinction n’est pas propre à l’Homme de science, puisque plusieurs métiers (tel celui du commerçant ou du grand industriel) demandent également de l’imagination. Cependant, en matière de science, l’inspiration est fondamentalement liée à la « passion » pour « une cause » scientifique, c’est-à-dire pour l’ouvrage ou l’œuvre scientifique réalisée.

Une autre caractéristique consiste à être convaincu que l’œuvre scientifique en s’achevant, ne fait en réalité qu’ouvrir de nouvelles « questions » et perspectives : elle doit donc être dépassée. Bref, une œuvre scientifique est destinée à vieillir. Weber insiste : « Dans les sciences, non seulement notre destin, mais encore notre but à nous tous [les savants] est de nous voir un jour dépassés » (p. 88).

3. Science et politique

Dans ce texte, Weber défend clairement la nécessité de séparer la science de l’opinion politique. Il affirme ainsi que « la politique n’a pas sa place dans la salle de cours d’une université ».

Selon lui, elle n’a sa place ni du côté des étudiants ni du côté des enseignants. Et quand un scientifique traite de la démocratie, des partis ou de l’État et de la politique, il est appelé à traiter ces problèmes de manière scientifique, ce qui exige « probité intellectuelle ».

Cette dernière signifie l’« obligation de reconnaitre l’établissement des faits, la détermination des réalités mathématiques et logiques ou la constatation des structures intrinsèques des valeurs culturelles » (p. 102). Ainsi, pour Weber « le prophète et le démagogue n’ont pas leur place dans une chair universitaire. Il est dit au prophète aussi bien qu’au démagogue : “Va dans la rue et parle en public” ce qui veut dire là où l’on peut te critiquer » (p.103).

Cette séparation défendue par Weber est ce qui garantit la vocation de la science à apporter « une œuvre de clarté ». C’est-à-dire que la non-partialité de la science –ou ce qu’il appelle ailleurs une « neutralité axiologique » – est ce qui permet aux scientifiques de jouer un rôle d’indicateur prévenant le politique des conséquences des choix engagés.

À la condition de posséder la clarté qui s’éloigne de l’engagement politique et prophétique, le savant peut conseiller et montrer la voie à suivre, prévenir des conséquences.

Autrement dit, le savant peut conseiller le politique, mais il doit surtout le placer devant ses responsabilités et devant l’éthique, et ce, avant qu’il ne prenne ses décisions. Il pourrait également servir à obliger l’individu des sociétés modernes à « se rendre compte du sens ultime de ses propres actes ».

4. Le métier et la vocation d’homme politique

Weber a pour but de cerner l’action politique dans sa globalité. Il commence par la définition du mot « politique ». Le terme « politique » désigne tout type d’activité directive autonome. C’est-à-dire toute action de direction qui est dotée d’une institution ou d’un centre de commande. Cette définition ouvre sur un panel d’activités variées. C’est pour cette raison que nous utilisons le mot « politique » dans des contextes diversifiés (par exemple : politique d’une entreprise, politique d’un père de famille, politique d’une ville, etc.). Face à ce premier écueil, Weber délimite son objet d’étude à un groupement politique spécifique qui est l’État contemporain.

Il retient un trait caractéristique pour définir cet objet. L’État se spécifie par la violence, et plus précisément par la revendication, avec succès et pour son propre compte, du monopole de la violence physique légitime. De fait, Weber montre qu’avec la naissance de l’État moderne, seuls les structures étatiques sont autorisées à faire l’usage de la violence. L’Etat est présenté comme un rapport de domination.

Mais ce rapport rompt avec la conception marxiste de la domination où l’Etat apparait comme un appareil à visée économique, tenu par un groupe contre un autre groupe. L’Etat dans la conception wébérienne existe, à condition que se forme une obéissance, et par conséquent que naisse un intérêt pour les dominés de se soumettre.

C’est à ce moment du texte que le sociologue allemand introduit sa fameuse typologie de la domination qui désigne trois raisons internes aux individus et qui les inclinent à se soumettre. La première domination est dite « traditionnelle », la deuxième « charismatique » et une troisième « légale ».

La domination traditionnelle ou bien « l’autorité de l’éternel-hier » c’est la domination des coutumes enracinées dans l’homme. Elle fait référence à la sainteté des traditions, des habitudes et des religions qui exercent une autorité sur les individus.

La domination charismatique se réfère à un pouvoir personnel incarné par la grâce de personnes dotées de puissances extraordinaires (héroïsme d’un chef de guerre ; exemplarité et commandements d’un prophète ; le souverainisme d’un prince ; la démagogie ou les qualités discursives d’un chef de parti politique par exemple).

Enfin, la domination légale s’impose à partir de la croyance en la « légalité » d’une autorité ou bien en « la validité d’un statut légal et d’une compétence positive fondée sur des règles établies rationnellement » (p. 127). Cette dernière forme de domination voit le jour de manière évidente dans le cadre des nouveaux États-Nations où des administrateurs « impersonnels » sont dotés de légitimité d’agir au service de l’État.

5. Les professionnels de la politique

Parmi les figures du chef charismatique (le prophète et le magicien, le chef de guerre élu et le chef de bande), Weber affirme que l’Occident a connu le triomphe d’une figure propre à lui, à savoir celle du « libre démagogue » qui se présente aujourd’hui sous la forme renouvelée du « chef d’un parti parlementaire ».

C’est à la vocation de cette figure que la deuxième conférence (la vocation du politique) est consacrée. La naissance d’une nouvelle catégorie « d’hommes politiques professionnels » trouve ses racines historiques selon Weber dans les premiers serviteurs des princes. Ceux-ci ne visaient pas à devenir des chefs charismatiques, mais plutôt des auxiliaires occasionnels et des gestionnaires au service de la volonté princière. Ils étaient, à ce stade de l’évolution de la politique en Occident, des sortes « conseillers privés » du prince. Pour les princes, ils s’agissaient de « couper » ces groupes privés des « moyens militaires, des moyens financiers et toutes les sortes de biens susceptibles d’être utilisés politiquement ».

Et face à l’accélération de la lutte des monopoles de la violence, les princes ont fini par recruter définitivement ces collaborateurs et conseillers occasionnels qui devinrent ainsi des professionnels exclusivement dévoués à la politique. Autrement dit, des hommes vivant « pour la politique et de la politique ».

Si Weber a retracé l’histoire de la naissance de l’homme politique, c’est pour pointer que « ni l’ouvrier, ni non plus l’entrepreneur moderne, et surtout le grand entrepreneur, ne sont disponibles en ce sens » pour occuper des fonctions et des charges politiques » (p. 139).

Ainsi, le dilemme des sociétés modernes est le suivant : « ou bien l’on exerce honorifiquement l’activité politique, et dans ce cas elle ne peut être menée que par des personnes qui sont, comme on dit, « indépendantes », c’est-à-dire par des personnes qui jouissent d’une fortune personnelle, avant tout par des rentiers. Ou bien l’on ouvre les avenues du pouvoir à des personnes sans fortune et, dans ce cas, l’activité politique exige rémunération » (140).

Weber propose une typologie composée de cinq catégories représentatives des professionnels de la politique.

La catégorie propre à l’Occident et qui s’inscrit dans une phase historique de la genèse des États-Nations, est celle des « juristes formés dans les universités ». Le sociologue reconnait l’influence posthume du droit romain dans la formation de cette tendance qui se manifesta dans la naissance de l’État moderne. La mise en place de ce nouveau modèle se fonde en grande partie sur une rationalité bureaucratique où les juristes joue un rôle prépondérant.

Selon Weber, « sans ce rationalisme juridique on ne pourrait comprendre ni la naissance de l’absolutisme royal ni la grande Révolution » (p. 155). L’auteur prend pour preuve historique la composition des parlements depuis le XVIIème siècle. Ceux de la Convention et de la Révolution : ils ne comptaient pas de prolétaires et très peu d’entrepreneurs bourgeois alors que les juristes y siégeaient massivement.

6. Qualités de l'homme politique

Weber expose également sa conception de la vocation de l’homme politique

Il distingue trois qualités des hommes politiques qui font l’histoire : « la passion ; le sentiment de responsabilité et le coup d’œil ». La passion signifie ici « dévouement passionné à une « cause » ». Mais ce dévouement (c’est ce qu’il reproche aux révolutionnaires russes et allemands) tourne à vide s’il n’est pas relayé par un esprit de responsabilité, c’est-à-dire par une logique rationnelle. Enfin, le coup d’œil fait référence à la faculté de détachement et au fait que l’homme politique doit « laisser les faits agir sur lui dans le recueillement et le calme intérieur de l’âme et par conséquent savoir maintenir à distance les hommes et les choses ».

Weber est conscient de cette contradiction qui devrait constituer l’éthos de l’homme politique, définir sa nature : la passion ardente envers une cause d’un côté, et de l’autre le détachement et la froideur. En effet, il n’y a pas de solution miraculeuse à cette question si ce n’est la nécessité pour l’homme politique de faire converger ces deux valeurs.

Pour Weber, le résultat de l’activité politique est rarement en adéquation avec la volonté première du politicien. Car ce résultat suit souvent un cheminement inverse. Pourtant, ce paradoxe n’empêche pas l’homme politique d’être animé par une cause.

À la différence de Marx pour qui une politique révolutionnaire devrait déboucher sur une société sans classe et sans Etat, Weber ne privilégie pas de cause particulière ou de but en soi. Cette cause « dépend des convictions personnelles de chacun ». Ce qui compte pour l’action de l’homme politique, c’est « une croyance ou une foi » sans lesquelles la vanité et « l’inanité » règnent.

7. Les éthiques de l'action politique

Dans l’analyse wébérienne, le principe de la politique comme cause à défendre débouche nécessairement sur deux types d’éthique qui structurent l’action politique : l’éthique de la conviction ou bien l’éthique de la responsabilité.

La première éthique peut être résumée par l’énoncé chrétien : « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l’action, il s’en remet à Dieu » (p. 206).

Quant à l’éthique de responsabilité, Weber la résume ainsi: « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes » (p. 206).

Puisque les gestionnaires des États modernes sont plus que jamais confrontés à la question de la violence (l’État détient le monopole de la violence légitime), l’homme politique, c’est celui qui est capable d’allier les deux éthiques et reconnaitre lors des crises son échec. C’est celui qui, en étant convaincu et passionné, arrive à pratiquer l’éthique de responsabilité et déclarer : « Je m’arrête là ! ». Pour Weber, ces deux éthiques sont complémentaires. Elles « constituent ensemble l’homme authentique, c’est-à-dire un homme qui peut prétendre à la vocation politique ».

8. Conclusion

Rares sont les œuvres en sciences humaines et sociales ayant connu une postérité comparable à celle de cet ouvrage. C’est dans ces deux conférences que M. Weber affine sa définition de l’Etat comme monopole de la violence physique légitime et des types de la domination légitime exercée par la forme de pouvoir de plus en plus universalisable qu’est l’Etat.

Ces définitions sont largement étudiées dans les départements des sciences sociales et politiques dans les universités encore aujourd’hui. Elles sont reprises et retravaillées par des auteurs de provenances disciplinaires variées.

C’est dans cet ouvrage qu’il défend également la thèse de la neutralité axiologique contre une vision d’une science engagée, posant ainsi une base de réflexion qui s’étend au-delà des cours de méthodes en sciences sociales vers l’espace politique.

9. Zone critique

Les thèses défendues ont ouvert la voie à une multitude de controverses et de débats. Sur la question de l’Etat et sa définition, il faudrait signaler par exemple la reprise de ce travail par Norbert Elias, Pierre Bourdieu et les cultural studies qui rajoutent au monopole de « la violence physique » le monopole de la « violence symbolique » ou encore « l’hégémonie culturelle » comme deux dimensions centrales dans la domination étatique moderne.

Sur le point critique, bien entendu la vision d’une sociologie pratiquant la neutralité axiologique est largement débattue notamment par les travaux scientifiques influencés par le marxisme (c’est à Marx que revient l’énoncé « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de diverses manières ; ce qui importe, c'est de le transformer »). Nous connaissons la suite avec la théorie de l’intellectuel avant-gardiste de Gramsci ou encore l’intellectuel engagé de Sartre.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Le Savant et le Politique, Paris, 10/18, 2002 [1917-1919].

Du même auteur– L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1904-1905], Paris, Plon, coll. « Recherches en sciences humaines », 1964 [1904-1905].– Économie et société [1921], Paris, Presses Pocket, coll. « Agora », 1995 [1921].

Autres pistes– Pierre Bourdieu, Sur l’Etat. Cours au collège de France (1989-1992), Paris, Seuil, 2012.– Norbert Elias, Les Allemands. Luttes de pouvoir et développement de l'habitus aux XIXe et XXe siècles, Paris, Seuil, 2017.– Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, Editions Syllepse, 2014 [1845].

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