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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Définir les réfugiés

de Michel Agier

récension rédigée parFélix FlauxDiplômé en philosophie et en géographie (Lyon 3).

Synopsis

Philosophie

La Convention de Genève de 1951, en définissant la catégorie juridique de réfugié, a enclenché la mise en œuvre du droit humain fondamental qu'est le droit d'asile. Cependant, l'application de ce droit prend la forme de l'exercice d'un pouvoir sur la vie des individus, s'imposant à eux parfois avec violence à travers un ensemble de mesures alimentées par une culture du soupçon. Parmi elles, la politique de la preuve et du tri favorise avant tout une politique du non-accueil.

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1. Introduction

L'ouvrage collectif Définir les réfugiés est dirigé par Michel Agier, l'anthropologue français spécialiste de la question des déplacements forcés et ouvertement engagé pour l'ouverture des frontières ; et Anne-Virginie Madeira, juriste et docteure en droit dont les travaux portent notamment sur le statut d'étranger en France. Paru, en 2017, il compte également des articles de Karen Akoka – sociologue et maîtresse de conférence en science politique, de Sylvie Aprile et Delphine Diaz – toutes deux docteures en histoire contemporaine et spécialistes des politiques de l'asile en France au XIX e siècle – , ou encore de l'ethnologue Carolina Kobelinsky, auteure de l'ouvrage Une ethnographie de l'attente. L'accueil des demandeurs d'asile.

Ce recueil de textes s'avère essentiel pour comprendre les débats actuels autour de la « crise migratoire » et du droit d'asile en Europe. Il apporte des éclairages inédits sur les processus de catégorisation du réfugié, l'évolution historique de ce statut et les enjeux qu'il recoupe ainsi que sur la mise en œuvre du droit d'asile. Qui peut bénéficier du droit d'asile, qui ne le peut pas ? Comment s'opère le « tri » entre les différents demandeurs d'asile ? Quels instruments sont mis en place afin de décider de la véracité du récit du demandeur ? Le traitement de ces problématiques par les divers auteurs remet en cause la nature fondamentale du droit d'asile, s'apparentant à un réel instrument de contrôle des mobilités, arme des politiques migratoires.

2. La catégorie juridique de réfugié selon la convention de Genève

Le 28 juillet 1951, la Convention de Genève est adoptée par les différents États signataires. Ce texte définit la catégorie de réfugié et établit le statut qui lui est lié. Il constitue la principale base juridique du droit international relatif à la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile. Il détermine les modalités d'après lesquelles un État (signataire) peut accorder le statut de réfugié (et le droit d'asile associé) aux personnes qui en font la demande. Comme le relève Michel Agier dans son introduction, cette convention propose une définition du réfugié « à la fois très précise dans ses termes et très large dans ses effets » (p. 9).

L'article 1 de la Convention définit le réfugié comme « une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle, et qui du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques craint avec raison d’être persécutée et ne peut se réclamer de la protection de ce pays ou en raison de ladite crainte ne peut y retourner ». Il est ici question de la mise en place du droit à l’asile, droit déjà inscrit depuis 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Dans cet article 1, nous pouvons constater qu'un individu amené à quitter son pays pour des raisons économiques ne peut bénéficier du droit d'asile. C'est là qu'une nouvelle distinction naît entre les réfugiés et les migrants économiques, qui ne bénéficient d'aucun régime juridique spécifique.

3. L'ancrage politique du statut du réfugié

L'historienne Karen Akoka nous démontre, dans son article « Distinguer les réfugiés des migrants au XXe siècle : enjeux et usages des politiques de classification », que le statut de réfugié, loin de se fonder sur des valeurs morales ou de justice universelles, s'inscrit dans un contexte idéologique fort. En 1951, lors de la Convention de Genève, le critère retenu pour définir le statut de réfugié est celui de la persécution. Ce critère, bien qu’il semble aller de soi, est en réalité loin d’être neutre.

En effet, avant l’adoption de la Convention, deux conceptions du statut de réfugié s'opposent. La première est portée par le bloc occidental, pendant la guerre froide. Elle promeut la persécution comme critère premier de définition du réfugié. Une telle conception permet ainsi de dénoncer les violences politiques commises par les gouvernements autoritaires contre les citoyens et ainsi de protéger leurs libertés politiques. Elle défend un ordre libéral et démocratique et dénonce la tyrannie. Mais, bien que protégeant les libertés politiques et individuelles des citoyens, elle néglige les injustices socio-économiques.

La seconde est portée par le bloc socialiste. Elle pose les inégalités socio-économiques comme un problème majeur et central, et en fait par là même le critère de définition du réfugié. Cette conception s'inscrit dans la lignée d'une idéologie communiste attachée aux droits socio-économiques, mais peu soucieuse des libertés politiques et individuelles. Elle défend donc les droits économiques et sociaux des citoyens et dénonce les violences économiques et sociales.

L'historienne Karen Akoka en conclut que la définition du réfugié comme persécuté telle que retenue dans la Convention de Genève « confirme la hiérarchie propre au bloc occidental qui place les droits civiques au-dessus des droits socio-économiques ; les droits individuels au-dessus des droits collectifs, et les violences politiques au-dessus des violences économiques » (p. 55). Ceux que l'on nomme aujourd’hui « migrants économiques », réfugiés de la pauvreté, sont depuis lors restés des causes orphelines de la Convention. Selon notre auteure, si la conception dominante des États socialistes l'avait emporté, le dissident politique aurait porté le masque du migrant indésirable, tandis que celui fuyant la pauvreté aurait pu prétendre au statut de réfugié.

4. L'évolution des politiques d'accueil

La Convention de Genève n'a cependant pas mis fin à la diversité des interprétations du statut de réfugié et aux politiques de droit d'asile. Karen Akoka relève en effet qu'en France, les politiques d'accueil ont évolué (et évoluent encore) au gré des besoins économiques du pays et des intérêts politiques.

Ainsi, entre 1979 et 1986, plus de 150 000 « boat people » – chiffre inégalé jusqu'alors – obtiennent le statut de réfugiés ; période pendant laquelle de nombreux secteurs, tels que l'industrie de l'automobile, ont besoin de main-d’œuvre. Dans cet accueil, un choix des nationalités s'opère. Le droit d'asile est principalement octroyé aux « ex-Indochinois », permettant ainsi de décrédibiliser les nouveaux régimes communistes. Au-delà de cet intérêt politique, ces derniers sont perçus comme des « travailleurs dociles et non syndiqués […], une main-d’œuvre idéale pour remplacer les ouvriers subsahariens et surtout maghrébins, considérés eux comme trop politisés à l'heure où se multiplient les grèves, dans le secteur automobile notamment » (p. 58), selon les termes de l'historienne.

À partir des années 1980, les règles se durcissent : les exigences de preuves (auprès des demandeurs d'asile) se multiplient, mais demeurent tout de même différenciées selon les nationalités. Dans un contexte de crise économique et d'évolution des nationalités des demandeurs d'asile – aujourd’hui principalement issus des pays décolonisés –, « reconnaître le statut de réfugié apparaît de moins en moins utile, voire diplomatiquement délicat et économiquement néfaste » (p. 62), note l'auteure. Cela se traduit par un taux de rejet des demandes d'asile passant de 20% au milieu des années 1980 à 80% au début des années 1990. En France, c'est à partir du XIXe siècle qu'une politique de contrôle accentué des réfugiés se met en place, légiférant leur moindre mouvement, comme le relèvent les historiennes Sylvie Aprile et Delphine Diaz dans leur article « Les réfugiés et l'asile dans l'Europe du XIXe siècle ». En 1832, en France, une loi relative aux réfugiés est adoptée. Cette loi, selon les termes de nos deux auteures, « autorise le gouvernement à “réunir, dans une ou plusieurs villes […], les étrangers réfugiés qui résident en France”, mais aussi à les obliger à quitter le territoire national s'ils refusent de se rendre dans les villes ainsi indiquées »(p. 39).

Cette loi, jugée liberticide, a dans un premier temps été suspendue à la suite des révoltes, puis réactivée et agrémentée à la fin de l'année 1848 : le nouvel arsenal juridique dont s'est doté l’État stipule qu'aucun motif ne sera nécessaire à l'expulsion des étrangers. En 1835, la Belgique adopte elle aussi de telles mesures permettant d'exercer un contrôle – parfois violent – sur les réfugiés. Le durcissement des politiques d'accueil n'est donc pas propre aux trente dernières années : un tel processus est apparu en Europe dès le XIXe siècle.

5. Du droit d'asile à une politique de la preuve

À partir de l'analyse des discours politiques français, la juriste Anne-Virginie Madeira questionne le mythe de l'asile comme « droit fondamental ». Elle démontre que le droit d'asile, plutôt que d'être un droit humain fondamental assurant la protection de tout individu persécuté, est davantage un droit régalien de l’État permettant avant tout de maîtriser l'immigration.

Cela s'avère évident si l’on se penche sur la directive européenne de 2004, dite de « qualification », invitant les États à évaluer les demandes d'asile, afin notamment de déterminer, selon l'article 4, si les demandeurs d'asile n'ont pas adopté un comportement ayant entraîné un risque de persécution dans le but d'accéder au statut de réfugié. Une politique de suspicion à l'égard du demandeur d'asile – reflétant une politique du non-accueil – s'installe alors de manière manifeste. Cette politique de la suspicion se transforme en politique de la preuve. Mais comment distinguer ce comportement « d'un comportement identique, mais cette fois non motivé par l'octroi d'un tel statut » (p. 87), s'interroge avec justesse Anne-Virginie Madeira ?

Chercher à savoir si le demandeur a créé – de son propre fait – les circonstances engendrant le risque de persécution soulève de même de réelles problématiques : le demandeur d'asile doit-il donc s'abstenir d'adopter des comportements pouvant engendrer des persécutions à son égard ? Affirmer une telle proposition reviendrait à encourager chaque individu à renoncer aux actions politiques contestataires, ce qui paraît entrer en radicale contradiction avec l'essence même du droit d'asile et du statut de réfugié qui lui est lié. Ainsi, dans les facteurs de persécution, seule l'identité de l'individu devrait être prise en compte, et non son comportement (militant), ce dernier pouvant être motivé par le seul octroi du droit d'asile.

6. L'intrusion du politique dans la sphère intime

Mais l'identité même de l'individu demandeur d'asile est soumise à la politique de la preuve, elle-même motivée par la logique systématique du soupçon. C'est ce que nous démontre Carolina Kobelinsky, dans son article « Juger l'homosexualité, attribuer l'asile », dont l'ouvrage nous propose un extrait.

Cette anthropologue nous livre une part de ses résultats d'enquête – conduite entre 2009 et 2011 – ayant pour objet les pratiques de jugement des demandes d'asile fondées sur l'orientation sexuelle des demandeurs, au sein de la Cour nationale française du droit d'asile. Selon les termes de notre auteure, « [la] particularité des demandes d'asile fondées sur l'orientation sexuelle tient à ce que le regard des juges porte moins sur la réalité des persécutions ou des craintes de persécutions que sur la véracité de l'homosexualité des requérants » (p. 95).

Afin de déterminer si le demandeur est réellement homosexuel, les juges vont interroger ce dernier afin qu'il prouve la nature de sa sexualité. Certains juges posent des questions concrètes sur l'activité sexuelle de l'individu concerné, d'autres testent ses « connaissances en matière d'homosexualité » en questionnant par exemple l'individu sur les marques de lubrifiant utilisées... autant de questions dont les réponses doivent se conformer aux stéréotypes que se font les juges des « pratiques homosexuelles ». Cependant, comme le relève notre auteure, il est impossible d'établir des preuves d'homosexualité certaines. Ainsi, les juges estiment « qu'ils ne peuvent se fier qu'à leurs impressions au moment de l'audience afin de déterminer la sexualité des requérants. Sexualité qui, acceptent-ils, ne peut être attestée par aucun document. Comme s'exclame un magistrat, « on ne peut pas leur demander de nous amener une vidéo de leurs ébats intimes ! » (p. 98).

Jusqu'en 2014, avant interdiction par la Cour de Justice de l'Union européenne, certains tests jugés contraires à la dignité humaine ont été pratiqués, tels que la présentation d'enregistrements vidéo d'actes intimes visant à tester la réaction physique du demandeur d'asile prétendument homosexuel.

7. Conclusion

Loin d'être un droit humain, le droit d'asile s'assimile à une politique de la preuve visant à déterminer le vrai et le faux dans le récit du demandeur d'asile. Selon les termes de Michel Agier, le tri est ainsi « un instrument essentiel de la mise en œuvre du droit d’asile, mais ce faisant, il en change le sens. Tout se passe comme s’il s’agissait de faire la part entre ceux qui méritent et ceux qui ne méritent pas cette reconnaissance de l’asile et les titres et bénéfices qui vont avec. Pourtant, au final, nous ne sommes jamais sûrs d’avoir affaire à une vérité absolue concernant ce qui a été vécu et qui serait conforme au texte de la Convention de Genève » (p. 16).

Ce tri s'établit à partir des catégories juridiques migratoires, et cette catégorisation – processus de construction de la réalité juridique – est loin d'être une opération neutre, comme nous avons pu le voir. L’autorité publique, par les catégories, saisit une réalité migratoire qu’elle remodèle à des fins déterminées. Le caractère sommaire de ces catégories, remarque la juriste Ségolène Barbou des Places dans son article « Les étrangers “saisis” par le droit : enjeux de l’édification des catégories juridiques de migrants », impose aux individus concernés de choisir entre plusieurs éléments de leur vie.

Ainsi, faut-il se projeter comme futur travailleur, ou se définir comme fuyant la persécution afin d'accéder au droit d'asile ? Une telle volonté simplificatrice de saisir le réel reflète l'appréhension, de la part des politiques, d'un vide juridique : afin d'exercer un contrôle total sur la réalité migratoire, le droit doit pouvoir saisir cette dernière dans son entièreté, ne laisser aucun espace ni aucune personne hors du champ catégorielle.

8. Zone critique

Une nouvelle catégorie (non juridique) de réfugiés à part entière s'impose peu à peu comme étant l'enjeu majeur de notre époque : celle de réfugiés environnementaux. Cette catégorie désigne tout individu contraint de quitter son lieu de vie – temporairement ou définitivement – à la suite d’une rupture environnementale ayant mis en péril son existence ou ayant considérablement affecté ses conditions de vie.

Le nombre de réfugiés environnementaux est en constante augmentation, et s'élèvera, selon les prévisions de l'ONU, à 250 millions d'ici 2050. À ce jour, il n'existe aucun traité international pouvant servir de fondement juridique à la protection de ces réfugiés. La Convention de Genève ne mentionne en effet aucunement les victimes de catastrophes environnementales (que celles-ci soient d'origine naturelle – si tant est qu'il y en est – ou anthropique).

Pourtant, les actions revendiquant la reconnaissance juridique et internationale des « réfugiés environnementaux » se multiplient, notamment face à la montée des eaux qui menace de disparition l'État des Tuvalu, archipel polynésien. Mais l'obtention d'un consensus international autour de la définition juridique de cette catégorie revêt maints enjeux politiques – comme tout processus de catégorisation –, tels que le lieu de destination de ces personnes ou encore la question de la responsabilité politique des États dans le changement climatique.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Avec Anne-Virgine Madeira et al., Définir les réfugiés, Paris, PUF / Vie des idées, 2017.

Du même auteur– L’étranger qui vient, repenser l’hospitalité, Paris, Seuil, 2018.– Anthropologie de la ville, Paris, Presses universitaires de France, 2015.

Autres pistes– Gisti, Plein Droit. Dossier : Réfugiés clandestins, n°90, 2011.– Caroline Lantero, Le droit des réfugiés entre droits de l’homme et gestion de l’immigration, Bruxelles, Bruylant, 2010.– Alexis Spire, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Paris, Raisons d’agir, 2008.– Jérôme Valluy, Rejet des exilés. Le grand retournement du droit de l’asile, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2009.

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