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La France de Richelieu

de Michel Carmona

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

Armand Jean du Plessis fut le principal ministre de Louis XIII, contrôlant l’essentiel du pouvoir et exerçant son influence sur la politique, la diplomatie, les questions culturelles ou religieuses de son temps, jusqu’à sa mort en 1642. Concentrant les pouvoirs, il a renforcé l’autorité du roi et initié l’absolutisme dont Louis XIV fut le plus grand représentant. Sous son influence, la France s’est considérablement transformée : en favorisant l’essor de la bourgeoisie, le cardinal a par exemple poussé au développement du commerce et de l’artisanat, et posé les bases d’une économie moderne. Cette société nouvelle, Michel Carmona en dresse dans son ouvrage un panorama aussi large que possible. Couvrant des thèmes aussi vastes que la vie quotidienne, la guerre, l’organisation de l’État ou la place du royaume en Europe, il souligne chaque fois le rôle du cardinal de Richelieu dans ce qui fut accompli et lui octroie une place de choix.

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1. Introduction

La quatrième de couverture de l’ouvrage le précise : nos ancêtres du premier XVIIe siècle étaient infiniment proches de nous. En dépit des questions qui agitent la société française au temps de Richelieu, par exemple savoir s’il fallait excommunier ou non les buveurs de chocolat, les hommes du temps inventèrent des concepts qui nous sont profondément familiers. C’est ainsi à cette époque que, selon Michel Carmona, le patriotisme se développa, tout comme le sens de l’État, mais aussi la pression fiscale ou la manière de vivre en ville, bouleversée par l’enrichissement des citadins. C’est cette France que Michel Carmona présente, prise en étau entre les règnes de Henri IV et de Louis XIV. On y découvre un peuple français qui manifeste souvent son insoumission et son esprit de révolte, mais qui ne remet jamais en cause la légitimité du souverain.

On y constate un pouvoir omniprésent, mais qui sent son assise se réduire avec la montée de l’opinion publique et l’essor de l’imprimé qui envahit le royaume. On y voit enfin un ministre malaimé, cible de bien des mécontentements parce que veillant sur tout : le cardinal de Richelieu. Celui-ci ne manquait pas de poigne et dirigea d’une main de fer le royaume de France au nom de Louis XIII, posant les bases de l’absolutisme et de l’hégémonie de la France en Europe.

2. Le peuple français et certaines de ses pratiques

Michel Carmona décrit une société d’ordre qu’il qualifie de rigide et très peu égalitaire. Il dresse le portrait de deux catégories d’individus. D’abord les paysans, dont les sources historiques témoignent d’une profonde misère durant le règne de Louis XIII. La guerre de Trente Ans (1618-1648) en était la principale responsable, en raison des impôts nouveaux qu’elle induisait.

À partir de 1625-1630, les famines et les disettes rurales se firent de plus en plus fréquentes, provoquant la désertion des campagnes : en Champagne, 10 % des villages furent abandonnés définitivement à la fin du règne de Louis XIII (1610-1643). Les ruraux du temps étaient volontiers considérés comme des bêtes et certains n’hésitaient pas à utiliser le terme de « sauvage » pour les qualifier. Mais cette méfiance était réciproque, car, pour les paysans, tout habitant des villes était a priori suspect : comment s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un agent du fisc ? Pour tromper le percepteur sur leurs ressources, les paysans s’habillaient de guenilles et cachaient le peu de biens qu’ils possédaient.

L’historien décrit également la bourgeoisie, dont l’époque de Richelieu fut sans conteste l’âge d’or. Le terme désignait alors les habitants des villes ou du bourg, qui tiraient leurs revenus de l’artisanat, du négoce ou du service du roi. Le mode de vie de ces citadins connut une évolution rapide, si bien que cette France urbaine du début du XVIIe siècle, par bien des traits, semble proche de notre époque. Par exemple, les demeures devinrent de plus en plus spacieuses et une nouvelle manière de vivre se dessinait : les pièces du logis de spécialisaient et chacun pouvait disposer de chambres à coucher distinctes des salons de réception et de la salle à manger.

Parmi les pratiques de cette société française décrites par Michel Carmona, il y a le repas et la manière de se nourrir. Chez les paysans, l’alimentation était faite de bouillon de légumes, de pain de seigle que l’on cuisait toutes les trois semaines environ, et de viande pour les grandes occasions, principalement du porc ou de la volaille, les bovins étant trop précieux pour finir sur une table. En ville, l’usage de la vaisselle se développa (assiettes, verre individuel), la consommation de produits carnés était plus fréquente, notamment les oiseaux. Les légumes étaient rares, car assimilés à l’alimentation paysanne, et les fromages très appréciés. Enfin, les Français du XVIIe siècle aimaient boire, principalement du cidre ou du vin coupé à l’eau. Quant aux femmes, elles ne consommaient jamais de vin, sauf quand elles avaient passé la quarantaine ou s’il leur fallait prendre des forces au milieu d’un accouchement.

3. Le pouvoir

Le pouvoir était exercé par Louis XIII, et Michel Carmona explique à quel point ce monarque était habité par la fonction qu’il représentait et toute l’implication qu’il avait à se conformer à l’image idéale qu’il s’était faite de son devoir. Il savait se faire obéir : la littérature a souvent dépeint le roi comme faible, terrorisé par Richelieu, ministre sanguinaire : rien n’est plus faux. En matière de sévérité, tout démontre que le roi n’avait aucune leçon à recevoir du cardinal.

D’ailleurs, à travers la justice, Louis XIII se plaisait à punir et son ministre s’effrayait de la cruauté qu’il devinait chez le roi. L’une des cibles les plus régulières de la justice du roi était la noblesse, alors qu’il était justement le premier gentilhomme du royaume ! Pourtant, il était convaincu de la nécessité de plier le second ordre à la raison d’État. L’un des principaux combats que le souverain mena tout au long de son règne fut ainsi la lutte contre les duels, dont les participants pouvaient être condamnés à la décapitation. Michel Carmona fournit à ce titre l’exemple de Bouteville et Des Chapelles, exécutés le 22 juin 1627 pour avoir osé braver le roi et se battre en plein jour dans les rues de Paris.

La gestion de l’État s’effectuait au sein d’un certain nombre de Conseils (Conseil des Finances, Conseil d’État ou Conseil Privé), qui existaient déjà au cours du règne de Henri IV ou de ses prédécesseurs. Louis XIII ne siégeait qu’exceptionnellement dans ces différentes instances, mais assistait à la plus importante, le Conseil d’En-Haut, entouré d’un nombre réduit de collaborateurs, afin de prendre les décisions les plus importantes. Le cardinal était son intermédiaire pour toutes les autres réunions. Quant aux dépenses de l’État, elles n’ont cessé de croître tout au long du règne, au point d’être multipliées par 6 par rapport à ce qui se faisait, en moyenne, sous Henri IV. Cela a mécaniquement entraîné une augmentation des impôts et la création de nouvelles taxes, notamment sur le produit des fermes. C’est ainsi que Michel Carmona justifie l’atmosphère de révolte endémique qui pesait sur les dernières années du gouvernement de Richelieu et le climat de haine qui entourait sa personne.

4. L’hégémonie française en Europe

Quand Richelieu, s’engageant dans la guerre de Trente Ans en 1618, fit de la lutte contre les Habsbourg la doctrine officielle du gouvernement français, il s’agissait d’abord de rompre avec l’encerclement dont le royaume était victime. La maison autrichienne était en effet présente à la majorité des frontières terrestres de la France.

C’était là une manière de lutter pour l’obtention d’une souveraineté qui ne se réduirait plus, de fait, au royaume de France. Si, dans un premier temps, les prétentions de Louis XIII et de son ministre ont fait sourire les cours européennes, ces idées se répandirent rapidement à travers toute l’Europe chrétienne et reçurent un écho favorable, notamment en Italie, en Allemagne ou en Europe centrale où la domination habsbourgeoise dérangeait. Le gouvernement de Richelieu ne tarda pas à comprendre l’avantage d’une telle situation : son combat, désormais, consistait à représenter un contrepoids à l’Espagne, à offrir à l’Europe une seconde puissance d’envergure, celle des Bourbons.

Lorsque le cardinal de Richelieu disparut, le 4 décembre 1642, la guerre de Trente Ans n’était pas terminée, mais la France n’allait pas tarder à s’imposer, à travers le traité de Westphalie de 1648, qui prescrivait la notion d’équilibre européen comme base de la relation entre les États. L’ironie de l’histoire veut que cet équilibre européen soit rompu par la France, à son profit, durant le règne de Louis XIV. L’héritage de Richelieu était fait des outils nécessaires pour l’établissement de la prépondérance du royaume en Europe.

Parmi les atouts dont disposait le gouvernement de Richelieu pour mener à bien ses desseins, il y avait notamment la diplomatie, pour laquelle le cardinal choisissait lui-même les ambassadeurs, mais également l’armée, faite de nobles qui devaient à leur suzerain, le roi, un service militaire. La marine a elle aussi servi le ministre, qui obligea par exemple, dans plusieurs déclarations royales (1627 et 1628) la marine marchande à s’armer, devenant de cette manière une marine de combat. Certains succès de la flotte française contre l’Espagne (en 1637 notamment) en firent une concurrente sérieusement prise au sérieux par l’Angleterre.

Enfin, signalons l’espionnage, qui fut une autre grande réussite de Richelieu, qui mobilisait des centaines hommes d’Église pour lui fournir tout type de renseignements. Les femmes étaient également mises à contribution pour découvrir des secrets : Lady Montagu, l’une des dames les plus en vue de la cour de Londres, servait Richelieu ; elle inspira deux siècles plus tard à Alexandre Dumas le personnage de Milady des Trois mousquetaires.

5. La question de l’opinion

La France de Louis XIII et Richelieu est celle où l’opinion publique commença à se faire sentir, laissant les hommes du temps apparaître dans les questions politiques. Parmi les occasions dont disposait le peuple pour signaler son opinion, il y avait le passage d’un illustre personnage dans les rues d’une ville ; le cardinal se faisait d’ailleurs souvent huer dans Paris.

D’autres moments permettaient aux individus de s’exprimer à travers le commentaire de diverses mesures, comme le culte du dimanche ou la tenue de foires. Parfois, ces discussions provoquaient des soulèvements populaires, comme ce fut le cas en juin 1636 à Blanzac, en Charente, dont la foire donna le signal de la redoutable révolte des Croquants. Enfin, il faut signaler que les Français votaient souvent : il y avait bien entendu les États-Généraux, mais aussi les élections des représentants dans les villes et les paroisses. Michel Carmona explique que si les Français s’exprimaient aussi librement, c’est parce qu’ils avaient le sentiment profondément enraciné en eux du droit à l’opinion individuelle. Il rattache cela à l’héritage médiéval, qui reconnaissait à tout homme libre la faculté de s’adresser directement au souverain et qui persistait dans des rites fondamentaux de la société française du XVIIe siècle : remontrances du Parlement ou cahiers de doléances lors de la convocation des États-Généraux, pour ne citer que ces deux exemples.

L’opinion était véhiculée par de nombreux pamphlets, feuilles volantes et journaux (comme la fameuse Gazette de Théophraste Renaudot) qui se sont multipliés durant la guerre de Trente Ans. Tout était commenté, et les principaux foyers d’impression étaient situés à Francfort, Cologne ou Strasbourg. Face à la multiplication des imprimés, le gouvernent du roi tenta d’agir.

Dès 1563, il s’était doté de moyens de contrôle sur l’impression des livres : tout nouvel ouvrage devait être soumis au chancelier de France, qui accordait à l’auteur ou à l’éditeur la permission de l’imprimer, ainsi qu’un privilège royal, en d’autres termes son droit de propriété exclusif sur le texte. En pratique, cette autorisation était presque toujours accordée, et il n’y avait pas de véritable censure. En 1624, il fut interdit de publier quoi que ce soit concernant les affaires de l’État, mais cette mesure ne parvint pas à enrayer le phénomène.

6. Richelieu en son temps

S’intéressant dans les derniers chapitres de son ouvrage à la personne de Richelieu, Michel Carmona décrit notamment une journée du cardinal. Il explique que le ministre se levait tous les jours à 2 heures du matin ; sa nuit avait débuté aux alentours de 23 heures, la veille. S’improvisait alors une séance de travail avec ses secrétaires particuliers qui le tenaient informé des nouvelles du royaume.

Jusqu’à 6 heures, Richelieu dictait des notes tout en avalant tisanes et bouillons. Ceci fait, Richelieu se recouchait pour une heure ou deux. Levé une seconde fois, le cardinal entendait la messe tandis qu’on lui faisait la barbe, finement taillée en pointe sous le menton.

Et pendant tout ce temps, il ne cessait de dicter. La seule variante à cette organisation immuable concernait le dimanche, où Richelieu communiait. Puis il recevait les courtisans, et était toujours accompagné de nombreux gardes : il craignait le complot et le nombre d’hommes affectés à sa sécurité n’a cessé de croître tout au long du règne de Louis XIII, passant de 30 en 1626 à 150 dans les dernières années de la vie du ministre. Les réunions du Conseil auxquelles il assistait se déroulaient généralement en fin de matinée, pour une durée d’une heure et demie en moyenne. Quand elles s’achevaient, il était temps de passer à table.

Louis XIII et son ministre ne déjeunaient jamais ensemble, ou plutôt ne « dînaient » jamais ensemble, pour reprendre l’usage du temps qui faisait du dîner le repas de mi-journée : le roi de France ne saurait accueillir un de ses sujets à sa table, l’étiquette était inflexible. Les audiences reprenaient après ce repas jusqu’au souper, servi vers 20 heures.

D’une manière générale, Richelieu appréciait peu les soirées de gala, mais aimait la musique et le théâtre, deux passions qu’il regrettait de ne pouvoir assouvir aussi souvent qu’il l’aurait aimé, en raison de son impressionnante charge de travail.

L’historien explique également que Richelieu menait grand train. Ainsi, pour l’année 1636, le cardinal a dépensé plus de 500 000 livres, ce que Michel Carmona évalue à près de 16 millions d’euros d’aujourd’hui. Sa fortune était immense, mais les hommes du XVIIe siècle étaient indulgents avec l’enrichissement rapide des gouvernants et ne lui en tinrent pas rigueur. Cela lui a entre autres choses permis d’assouvir ses ambitions de bâtisseur, notamment du château de Richelieu, dont les travaux débutèrent en 1626, ainsi que de la ville du même nom, dont les premières maisons furent louées dès 1634. De nos jours, ce château n’existe plus, mais la ville, elle, a subsisté.

7. Conclusion

La France de la première moitié du XVIIe siècle est indissolublement liée au cardinal de Richelieu. C’est ainsi que Michel Carmona pense et présente son travail : il associe l’État à l’homme et décrit un royaume où le cardinal et ses décisions se retrouvaient partout. Il en fait un homme très dévoué à sa fonction, entouré d’une foule de réseaux faits de secrétaires, d’espions, de courtisans ou de mousquetaires.

En guise de conclusion, l’historien revient sur l’image véhiculée par le cardinal dans l’historiographie et les deux courants qui se sont souvent affrontés à propos de la personne du ministre : une école qui a bien trop exalté le cardinal, faisant de lui un homme de génie au destin d’exception, celui qui a placé la France au centre du monde ; et une autre qui a trop souligné les erreurs et les errements de celui qui aurait englouti trop d’argent dans des travaux inutiles ou aggravé la pauvreté des paysans. Michel Carmona refuse de faire un choix manichéen et souhaite, au contraire, mêler ces deux visions pour faire accepter la complexité de Richelieu, mais aussi de la France.

8. Zone critique

Cet ouvrage tient ses promesses : il livre en effet un portrait dense de la France de la première moitié du XVIIe siècle, celle durant laquelle le cardinal de Richelieu a gouverné le royaume d’une main de fer. Il dresse un portrait du royaume dans son ensemble, à la fois la société qui le compose, mais aussi son territoire puis revient sur la personne centrale de son ouvrage, le cardinal de Richelieu, qu’il place au cœur de sa réflexion.

L’analyse est donc originale : il ne s’agit ni d’une énième biographie du ministre, ni d’une description de la France du temps, mais des deux à la fois. Tout laisse entrevoir un cardinal omniprésent, aux commandes de tous les aspects de la France d’alors. Cela peut toutefois donner au lecteur le sentiment d’une époque cloisonnée, et d’un règne de Louis XIII chronologiquement borné par les années de pouvoir de Richelieu.

Le livre n’en demeure pas moins passionnant et particulièrement agréable à découvrir, foisonnant d’exemples et enrichi de nombreux outils de lectures, comme un tableau d’équivalence monétaire ou une chronologie détaillée. Un vrai bon moment de lecture.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La France de Richelieu, Paris, Fayard, 2018 [1984].

Du même auteur– Richelieu : l’ambition et le pouvoir, Paris, Fayard, 1983.

Autres pistes– Françoise Hildesheimer, Richelieu, Paris, Flammarion, 2011.– Christian Jouhaud, Richelieu et l’écriture du pouvoir : autour de la journée des dupes, Paris, Gallimard, 2015.– Arnaud Teyssier, Richelieu. L’aigle et la colombe, Paris, Perrin, 2014.– Étienne Thuau, Raison d’État et pensée politique à l’époque de Richelieu, Paris, Albin Michel, 2000.

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