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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Histoire de la sexualité

de Michel Foucault

récension rédigée parBaptiste GillierDocteur en Etudes politiques (EHESS).

Synopsis

Histoire

Point de départ d’une recherche philosophico-historique sur la sexualité, La Volonté de savoir se présente comme un premier survol des discours sur le sexe dans nos sociétés modernes depuis le XVIIe siècle. À rebours de la pensée de Mai 68, qui inscrit l’histoire de la sexualité dans un processus de répression, Foucault observe que les discours sur le sexe se sont multipliés jusqu’à faire de ce dernier la clé universelle d’un savoir du sujet. En immergeant ces discours dans le champ des relations de pouvoir, le philosophe propose une généalogie de ce dispositif de sexualité.

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1. Introduction

Publié en 1976, La Volonté de savoir se présente comme le préambule d’une monumentale Histoire de la sexualité qui, à en croire la quatrième de couverture de l’édition originale, devait initialement s’étendre sur six volumes. Toutefois, dans le cadre de son séminaire au Collège de France, Michel Foucault s’aperçoit bien vite que son entreprise dépasse le cadre d’une archéologie de la sexualité et s’inscrit dans une généalogie de l’Homme et du désir. En 1984, quelques semaines seulement avant la disparition du philosophe, Gallimard publie simultanément deux nouveaux volets de son Histoire de la sexualité (L’Usage des plaisirs et Le Souci de soi), qui attestent de l’inflexion du projet initial.

Préambule donc, mais pas seulement La Volonté de savoir est une œuvre relativement autonome dans laquelle Michel Foucault pose les premiers jalons et décrit les enjeux d’une histoire des discours sur le sexe ou, plus précisément, d’une archéologie de la sexualité en tant que mécanisme de domination – ou « dispositif » – qui s’implante en Occident à partir du XVIIIe siècle, à travers un nouveau régime de pouvoir-savoir-plaisir.

Dans la droite ligne des « maîtres du soupçon » que sont Nietzsche, Freud et Marx, l’auteur entend dévoiler cette « logique du sexe » à laquelle, à la faveur d’un prodigieux tour de passe-passe, nous nous soumettons avec ferveur et enthousiasme. Par quel mystérieux mécanisme le sexe est-t-il devenu dans nos sociétés modernes la clé universelle d’un savoir du sujet ?

Telle est la question vers laquelle tend le projet critique de Foucault qui, au travers de cette fresque de la sexualité, entend retracer l’histoire d’une « obstination » et d’un « acharnement » : l’histoire d’une « volonté de vérité », d’« une pétition de savoir qui depuis des siècles maintenant fait miroiter le sexe » (pp. 104-105).

2. Par-delà l’« hypothèse répressive »

Face à l’« hypothèse répressive » soutenue par la critique contemporaine qui analyse les rapports du pouvoir à la sexualité exclusivement en termes de répression, Michel Foucault émet – à la fois sur le plan historique, théorique et politique – une série de doutes : la répression du sexe est-elle bien une évidence historique ? La mécanique du pouvoir relève-t-elle pour l’essentiel de la répression ? Et enfin, la critique désormais hégémonique de l’« hypothèse répressive » s’inscrit-elle réellement en marge ou – à l’inverse – au cœur du dispositif de sexualité ?

Pour le philosophe, il s’agit donc d’« interroger le cas d’une société qui depuis plus d’un siècle se fustige bruyamment de son hypocrisie, parle avec prolixité de son propre silence, s’acharne à détailler ce qu’elle ne dit pas, dénonce les pouvoirs qu’elle exerce et promet de se libérer des lois qui l’ont fait fonctionner » (p. 16).

Ainsi, la critique de l’« hypothèse répressive » opère à la fois comme le déclencheur et le leitmotiv de cette histoire de la sexualité. À contre-courant du discours critique de ses contemporains, Michel Foucault estime que l’avènement de la société bourgeoise coïncide, non pas avec une raréfaction, mais avec une multiplication des discours sur le sexe, par le biais de l’implantation d’un dispositif de sexualité.

Aux yeux de l’auteur, le mouvement de libération sexuelle que connaît l’Occident depuis la fin des années 1960 s’inscrit donc, non pas en marge, mais au cœur de ce dispositif qui, sous couvert d’une promesse d’affranchissement, prolonge et réactualise son emprise sur l’Homme et ses désirs.

3. La société perverse

Au cœur de la problématique posée par la notion nouvelle de « population », le sexe devient au XVIIIe siècle « affaire de police » – au sens d’administration : « De l’impératif singulier qui impose à chacun de faire de sa sexualité un discours permanent, jusqu’aux mécanismes multiples qui, dans l’ordre de l’économie, de la pédagogie, de la médecine, de la justice, incitent, extraient, aménagent, institutionnalisent le discours sur le sexe, c’est une immense prolixité que notre civilisation a requise et organisée » (p. 45).

Cette injonction de mise en discours du sexe – qui tranche avec l’idée d’une restriction – s’accompagne de l’apparition de toute une série de sexualités périphériques. A notamment l’incorporation des perversions et la spécification nouvelle des individus, le XIXe siècle voit ainsi émerger quantité de nouveaux personnages tels que l’exhibitionniste ou le fétichiste, mais aussi l’homosexuel – qui, à la différence du sodomite, ne se définit plus à partir de sa seule pratique sexuelle. « La société est perverse », écrit Foucault, non pas en réaction contre un soi-disant puritanisme, « elle est perverse réellement et directement » (p. 65).

Pour preuve, la prolifération des sexualités suit les lignes de pénétration du pouvoir ; c’est-à-dire que, de manière paradoxale, ces sexualités se disséminent au travers de dispositifs mis en place initialement pour leur propre domination. Et si l’intensité des plaisirs va de pair avec l’obstination des pouvoirs, il faut abandonner définitivement la thèse selon laquelle nos sociétés modernes ont inauguré sur le sexe un âge de répression accru.

4. Le sexe comme enjeu de pouvoir

Dans les années 1970, malgré le mouvement de libération sexuelle, la sexualité est un domaine encore inexploré par les sciences humaines, pour lesquelles le sexe est un objet peu légitime – voire tabou. Comme dans ses travaux sur la folie ou l’univers carcéral, le philosophe convoque ainsi un objet périphérique pour le placer au centre de la scène critique contemporaine.

Mais l’intérêt de Michel Foucault pour la sexualité s’inscrit dans une réflexion plus large sur la naissance à la fin du XVIIIe siècle de la bio-politique (la vie comme objet politique, se matérialisant par des bio-pouvoirs en charge d’administrer la vie plutôt que de gérer la menace de mort). Pour ce nouveau pouvoir, le sexe est une cible centrale car, à travers lui, il accède à la fois à la vie du corps (énergie politique) et à la vie de l’espèce (vigueur biologique).Le sexe représente donc aux yeux de Foucault la clé d’une réflexion sur le pouvoir.

À travers cette histoire de la sexualité, il se propose donc en dernière instance de montrer comment « les dispositifs de pouvoir s’articulent directement sur le corps » (p. 200). En cela, il s’éloigne de l’« histoire des mentalités » de l’École des Annales de Marc Bloch et Lucien Febvre pour proposer une « histoire des corps ». Il s’agit pour Foucault de s’affranchir d’une représentation juridique et négative du pouvoir, à l’œuvre dans les analyses contemporaines sur les rapports du pouvoir au sexe. Et le philosophe d’observer cette mécanique de pouvoir tout autant dans l’« hypothèse répressive » que dans la théorie psychanalytique selon laquelle la loi est constitutive du désir.

En termes de méthode, l’approche de Michel Foucault repose sur une claire distinction entre une conception classique du Pouvoir, et le pouvoir en tant que « champ de rapports de force ». Et précisément, le sexe est un « point de passage dense » pour les relations de pouvoir : « Plutôt que de rapporter à la forme unique du grand Pouvoir, toutes les violences infinitésimales qui s’exercent sur le sexe, tous les regards troubles qu’on porte sur lui et tous les caches dont on en oblitère la connaissance possible, il s’agit d’immerger la production foisonnante des discours sur le sexe dans le champ des relations de pouvoir multiples et mobiles » (p. 128)

En résumé, le défi que se lance le philosophe est double : il s’agit de « penser le sexe sans la loi et le pouvoir sans le roi » (p. 120).

5. Le sexe comme enjeu de savoir

À la différence de certaines sociétés orientales qui ont développé une Ars erotica, les sociétés modernes occidentales constituent au XIXe siècle ce que l’auteur nomme une Scientia sexualis (une « science de la sexualité »). Deux procédures bien distinctes visant un même objectif : produire la vérité sur le sexe. Mais alors que dans la première, c’est au travers du plaisir que l’on accède à la connaissance ; dans la seconde à l’inverse, c’est au travers de la connaissance que l’on accède à la vérité sur le sexe et ses plaisirs.

Cette « science de la sexualité » se fonde tout entière sur l’aveu – entendu comme discours de vérité sur soi-même. Nous sommes ainsi devenus, aux dires de l’auteur, une société singulièrement « avouante ». Et cette injonction à avouer a permis la constitution d’une grande archive des plaisirs du sexe, principalement au travers de disciplines comme la médecine, la psychiatrie et la pédagogie. Mais « comment un discours de raison pourrait-il parler de ça ? » (p. 34), s’interroge l’auteur. « Comment est-on parvenu à constituer cette immense et traditionnelle extorsion d’aveu sexuel dans des formes scientifiques ? » (p. 87)

Cette Scientia sexualis relève d’un dispositif complexe qui vise à produire sur le sexe des discours vrais en branchant « la vieille injonction de l’aveu sur les méthodes de l’écoute clinique » (p. 91). Et c’est à travers ce dispositif qu’est apparue la sexualité comme vérité du sexe et de ses plaisirs. L’histoire de la sexualité, c’est donc l’histoire de l’économie des discours sur le sexe, considérés dans leur matérialité.

Cette cristallisation de la notion de sexualité au XIXe siècle vient mettre à mal l’idée selon laquelle la société bourgeoise aurait méconnu et réprimé le sexe : « Au contraire, elle a mis en œuvre tout un appareil pour produire sur lui des discours vrais » (p. 92). À mesure que le sexe devient l’objet du « grand soupçon », la « question du sexe » se formule comme un jeu – ou une analyse – auquel chacun se prête avec le plus grand « plaisir » : « Nous lui demandons de dire la vérité […] et de nous dire notre vérité. » Et c’est précisément à travers ce jeu que s’est constitué un « savoir du sujet ».

6. La production de la sexualité

Dès lors, l’auteur invite le lecteur à inverser la perspective d’analyse de l’« hypothèse répressive » selon laquelle la sexualité résulte d’un mécanisme négatif d’exclusion et de rejet. Désormais, il s’agit de définir les stratégies de pouvoir immanentes à cette « volonté de savoir », d’en faire son « économie politique ».

À cette fin, Michel Foucault distingue quatre grands ensembles stratégiques qui développent au sujet du sexe, à partir du XVIIIe siècle, des dispositifs spécifiques de savoir et de pouvoir : l’« hystérisation du corps de la femme », la « pédagogisation du sexe de l’enfant », la « socialisation des conduites procréatrices » et la « psychiatrisation du plaisir pervers » (pp. 137-138). Chacune de ces stratégies engendre une figure nouvelle, objet privilégié de savoir : respectivement la « femme hystérique », l’« enfant masturbateur », le « couple malthusien » et l’« adulte pervers » (p. 139). Mais comment penser le rôle de ces stratégies et l’apparition de ces nouvelles figures, si ce n’est sur le mode du contrôle et de la répression ? En réalité, signale Michel Foucault, il s’agit là de la production même de la sexualité, qui n’est autre qu’un dispositif historique.

C’est par le biais de la famille que le dispositif de sexualité vient se greffer au XVIIIe siècle sur le dispositif d’alliance – qui visait à « reproduire le jeu des relations et [à] maintenir la loi que les régit » (p. 140). Ainsi valorisée, la cellule familiale devient contre toute attente le « foyer le plus actif de la sexualité » (p. 143). Dans un premier temps, c’est au sein de la famille bourgeoise que s’implante le dispositif de sexualité, avant de se diffuser dans le corps social tout entier : la sexualité est donc « originairement, historiquement bourgeoise » (p. 168).

Mais de la même manière que la bourgeoisie opposa à la fin du XVIIIe siècle son « sexe » au « sang » de la noblesse, un siècle plus tard elle se différencie du peuple par le biais de la psychanalyse – qui va se donner pour tâche de lever « les effets de refoulement qu’elle peut induire » (p. 171). Ainsi, alors que s’organise dans les milieux populaires la « chasse systématique aux pratiques incestueuses », la psychanalyse offre – à ceux qui sont en position d’avoir recours à elle – la possibilité d’« articuler en discours leur désir incestueux » (Id).

7. Conclusion

En faisant de la psychanalyse l’un des derniers avatars de cette « volonté de savoir » qui constitue le cœur même du dispositif de sexualité, Michel Foucault se démarque de son projet initial d’une archéologie de la sexualité et s’oriente vers une généalogie de l’Homme et ses désirs. Car à travers ce dispositif de sexualité, l’Occident parvient non seulement à annexer le sexe à un champ de rationalité, mais plus encore « à nous faire passer presque tout entier – nous, notre corps, notre âme, notre individualité, notre histoire – sous le signe d’une logique de la concupiscence et du désir » (p. 103).

Dénonçant ce qui s’apparente à un « pansexualisme », Michel Foucault nous invite donc à nous affranchir de l’« instance du sexe » plutôt que de succomber aux sirènes de la libération sexuelle : « Ne pas croire que lorsqu’on dit oui au sexe, on dit non au pouvoir ; on suit au contraire le fil du dispositif général de sexualité (p. 208) ».

8. Zone critique

En 2018 a paru le quatrième et dernier volet de l’Histoire de la sexualité intitulé Les Aveux de la chair, une enquête jusqu’alors inédite sur les doctrines des Pères de l’Église à laquelle Michel Foucault s’est attelé après l’écriture de La Volonté de savoir. La découverte, au cœur de cette littérature patristique, de l’héritage des disciplines de soi développées par les philosophes grecs et latins non seulement bouleverse l’agenda éditorial de l’Histoire de la sexualité, mais représente un tournant majeur – que d’aucuns nommeront « généalogique » – dans l’œuvre du philosophe.

En 1977, un an après la publication de ce premier volet de l’Histoire de la sexualité, Jean Baudrillard faisait paraître Oublier Foucault, un cours essai critique dans lequel il interrogeait notamment l’instance du pouvoir dans l’ensemble de l’œuvre du philosophe – et particulièrement dans La Volonté de savoir. D’aucuns considèrent cet ouvrage polémique comme la réponse de la pensée de Mai 68 aux critiques formulées à son encontre.

Aujourd’hui, alors que la notion de genre occupe une place centrale dans le débat public – notamment à l’université avec le développement des gender studies –, l’essai de Michel Foucault présente une surprenante actualité et sonne comme un avertissement à l’encontre des nouveaux tenants de l’« hypothèse répressive » : la promesse d’un affranchissement de l’ordre sexué au travers de la libération du genre ne serait-elle pas l’ultime manœuvre du dispositif de sexualité pour réaffirmer l’« instance du sexe » ?

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1976 (réédition « Tel », 1994).

Du même auteur– Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1966 (réédition « Tel », 1990).– L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1971.– Histoire de la sexualité III. Le souci de soi, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1984 (réédition « Tel », 1997).

Autres pistes– Gilles Deleuze, Foucault, Paris, Minuit, 1986 (réédition poche, 2004).– Didier Éribon, Michel Foucault, Paris, Flammarion, 1989 (réédition poche, 2011).– Judith Revel, Le Vocabulaire de Foucault, Paris, Ellipses, 2002.

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