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Pourquoi Byzance ?

de Michel Kaplan

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Histoire

De 330 à 1453, sur les rives du Bosphore, entre la mer noire et la mer Égée, se tient la Ville par excellence, le successeur de Rome : Constantinople. Capitale d’un empire qui va se rétrécissant au fil des siècles, hormis quelques épisodes éclatants, première ville du premier État de la chrétienté médiévale, la cité de Constantin fascine. C’est à ce phénomène que répond l’ouvrage de Michel Kaplan, qui entreprend ici d’expliquer les fondements du mythe de Byzance.

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1. Introduction

Michel Kaplan entreprend ici une histoire chronologique et politique de cet Empire qui se nommait romain, que l’on appela grec, de Constantinople ou en encore byzantin. Histoire dont le fil rouge est la formidable construction idéologique qui présida aux destinées de cet État.

Après avoir fait l’historique de la fascination byzantine, de l’humanisme renaissant à l’érudition moderne en passant par le grand siècle, qui voyait là un modèle, les philosophes des lumières, qui ne voyaient là que décadence, et la littérature fin de siècle, à qui cette décadence même paraissait une source d’inspiration, Michel Kaplan embarque son lecteur pour un très long voyage à travers le temps, à bord de la ville reine, Constantinople. Première étape : la fondation, l’Empire encore romain, déjà chrétien, dont Francs et Goths se reconnaissaient vassaux. Deuxième étape : la reconquête justinienne et l’effondrement du VIIe siècle.

Puis le miracle du redressement sous la dynastie macédonienne, les Croisades, qui faillirent apporter le salut, mais n’apportèrent que la ruine. Enfin la lente agonie, qui fut, sur le plan intellectuel, une renaissance non moins admirable que celle des Latins.

2. Constantin et Justinien

Constantin, premier empereur chrétien, avait besoin d’une capitale qui ne soit pas l’antique Rome, attachée au souvenir du paganisme. Idéalement située, sur les rives poissonneuses du Bosphore, au point de jonction des routes commerciales terrestres et maritimes les plus importantes d’alors, la ville n’avait pas à craindre de gênes pour son approvisionnement. En outre, elle était imprenable, protégée qu’elle était par la mer, pourvu qu’on se dote d’une muraille à l’ouest et d’une chaîne pour interdire l’accès au port. Ce qu’on fit. Enfin, elle se trouvait à distance égale des principaux fronts, celui du Danube et celui de l’Euphrate.

Pour Michel Kaplan, l’histoire de l’Empire byzantin commence avec la fondation de Constantinople, en 330. L’Empire avait besoin d’une idéologie qui concorde avec sa réalité : un pouvoir absolu dominant tout le monde civilisé. L’empire avait tenté assez tôt, avec le culte impérial, une telle synthèse. Mais il avait achoppé sur l’intransigeance chrétienne. Qu’à cela ne tienne : l’empereur voit fait un songe, à la veille de la bataille du pont Milvius (le 28 octobre 312) qui lui ouvrira Rome et la soumission du Sénat. Si je gagne, promet Constantin au Seigneur en un mouvement typiquement païen, je me soumettrai à Ta puissance.

Pour Michel Kaplan, cette conversion n’était pas un acte de foi personnelle : dans la nouvelle capitale, Constantin ne fit construire que deux églises, mais remplit les rues de statues et de temples à Artémis, à Apollon, au Soleil… À l’Empereur -Un il fallait un Dieu-Un, mais à la condition expresse que les chrétiens se soumettent sans réserve à l’autorité impériale. D’où, d’ailleurs, les fluctuations historiographiques du rapport à cet Empire.

Plus l’esprit du temps aspire à l’autocratie, plus il aura tendance à magnifier Byzance, plus au contraire il aspirera à la liberté, plus il magnifiera la République romaine pour mieux discréditer la construction constantinienne. Louis XIV raffolait des cadeaux byzantins que lui envoyait le sultan ; Montesquieu ne goûtait guère l’arbitraire des derniers Césars.

3. Invasions

Puis, survinrent les invasions. Non pas une, deux ou quatre, mais une sorte de flot continu, irrépressible, d’invasions, comme autant de vagues déchaînées sur un fier promontoire. Les Goths, tout d’abord, que les Byzantins surent éloigner, à grand renfort d’argent, vers l’Occident qui s’effondra aussitôt.

Puis les Francs, qui se considérèrent toujours comme les serviteurs de l’Empire, tant le prestige de la seconde Rome était immense. Puis les Vandales, qui dévastèrent l’Afrique du Nord, mais furent ramenés à la raison au VIe siècle par l’Empereur Justinien ; puis les Perses, qui ravagèrent au VIIe siècle l’Arménie, la Mésopotamie, la Syrie et l’Égypte ; puis les Arabes, qui profitèrent de ce qu’Héraclius avait mis les Perses en pièces pour s’emparer de cet Empire comme des régions dévastées de l’Empire byzantin, puis les Bulgares, les Serbes, les Petchenègues, les Coumans, les Russes, les Normands d’Italie, les marchands italiens, les Croisés et les Turcs.

Plusieurs fois, on crut l’Empire mort, mais il ne l’était pas. Ses richesses étaient telles qu’il était toujours loisible à l’Etat, pour éloigner l’envahisseur de la capitale, de payer un tribut et d’accorder quelques terres. Cela coûtait moins que de lever une armée. Idéologiquement, c’était aussi une imprenable forteresse : la légitimité même. Le pouvoir de l’Empereur était l’image de la majesté du Christ en gloire. Ayant rang d’évêque, il était seul habilité à convoquer des conciles.

Image vivante de Dieu sur terre, Loi incarnée, il ne pouvait tomber… Les Francs lui reconnaissaient la primauté. Le pape de même, et tous les peuples barbares qui tour à tour se convertissaient. L’islam seul le défiait réellement, mais il butait. Il avait pris tout l’Orient et toute l’Afrique. Mais le Ville était imprenable. Dans un hadith (apocryphe) du Prophète, il est dit que la prise de Constantinople annoncera le Royaume !

4. Miracle macédonien et effondrement

Après avoir essuyé deux sièges de la part des Arabes (677 et 718), perdu l’Égypte qui lui assurait son approvisionnement en blé, puis l’Italie, voici que survenaient les Bulgares, dans les Balkans. Si l’on s’était attiré tant de malheurs, c’est sans doute que l’on avait péché. On prend conscience que le peuple, dans sa piété désordonnée, s’adonne au culte des images.

Au regard de la bible, il y a sacrilège. Rétablir le vrai culte du Dieu invisible et unique, voilà qui satisfera Dieu, soutien de l’autorité impériale. On a beaucoup, à propos de cette crise de l’iconoclasme, parlé d’influence islamique. Pour Michel Kaplan, c’est une illusion rétrospective. L’islam était considéré comme une hérésie, non comme un modèle. Quoi qu’il en soit, l’empereur convoqua un concile, qu’il présida et auquel il imposa la condamnation des images. On les détruisit partout, provoquant l’indignation du pape et la colère d’une partie du peuple, comme de nombreux moines. Mais la crise permit, c’est la thèse de Michel Kaplan, à l’empire de se réaffirmer. L’empereur fut déclaré seul responsable devant Dieu de nouveau peuple élu. Il faisait et défaisait l’orthodoxie. Pour preuve : c’est uniquement aux opinions successives des empereurs que l’on doit les changements de la doctrine. Quand le culte des images fut rétabli, et rendu obligatoire, ce le fut encore par la volonté impériale.

Le temps de la stabilisation et du renouveau débutait. On comprit qu’il fallait opposer à l’enthousiasme des musulmans autre chose qu’un ramassis de troupes mercenaires. On créa un système de paysans-soldats, l’armée des « thèmes », ces circonscriptions militaires des marches de l’Empire, où des terres étaient confiées à des paysans libres en échange d’un service militaire rigoureux, organisé autour d’un dense réseau de forteresses. La garde des frontières était ainsi assurée par des gens qui y avaient un intérêt personnel.

Revenus de l’iconoclasme, qui posait plus de problèmes qu’il n’en résolvait, on définit l’orthodoxie, religion désormais close, achevée, « point final de toutes les hérésies ». Le pouvoir échut, début IXe siècle, à un représentant de ces paysans-soldats, gardiens de l’Empire, Léon V l’Arménien. Ce fut la dynastie dite macédonienne, qui rétablit l’Empire jusqu’au Danube et jusqu’à l’Euphrate, détruisant la puissance bulgare, refoulant les musulmans et absorbant l’Arménie.

Par ailleurs, l’État n’avait rien perdu de sa superbe : le souverain disposait d’une administration régulière, d’un cadastre, d’un Code de lois cohérent, de relais dans tout le pays ; il levait l’impôt sous forme monétaire et, fait singulier dans la chrétienté médiévale, l’alphabétisation atteignait jusqu’aux villages les plus reculés, tandis que de brillantes universités maintenaient vivant le savoir antique. Rien, là, qui ressemblerait à de la féodalité.

Dans les Balkans, les Bulgares ont été soumis, au Christ quand ce n’est pas à l’Empereur. Les Russes, baptisés eux aussi, ne songeaient plus à prendre Constantinople. Mais, mus par une fatale tendance à vouloir réintégrer toutes les provinces perdues, les Macédoniens, imprudents, ont fait main basse sur l’Arménie. Plus aucune force ne s’interposait donc plus entre eux et les Turcs. Les Seldjoukides, après avoir écrasé les Arabes, s’étaient avancés en Asie Mineure. L’Empereur décida de les frapper. Son armée était de loin supérieure. Mais voilà, il y eut trahison et l’Empereur fut fait prisonnier lors de la bataille de Mantzikert en 1071. Le cœur de l’Empire, cette riche Anatolie d’où il tirait alors l’essentiel de sa subsistance, était désormais occupée par les Turcs. Ils ne repartiront plus.

5. Croisades

Le danger est tel, qu’en Occident, on en a une claire conscience. Malgré les importants frottements entre les Églises qu’avait provoqués la crise de l’iconoclasme, les liens ne sont pas rompus. Le pape est toujours reconnu à Byzance. Les images y sont certes adorées d’une façon peu catholique, mais Rome ne s’en formalise pas encore. Plus important, le « schisme » de 1054, selon Michel Kaplan, « n’a en fait jamais existé : tout au plus deux évêques […] se sont mutuellement excommuniés » (p. 213).

Il faut sauver Byzance : voilà la raison de la Croisade. Au concile de Clermont de 1095, « la prédication du pape insiste autant sur le secours à apporter aux chrétiens d’Orient, personnifiés par leur Empire, que sur les Lieux Saints » et, surtout : « il demande aux chrétiens qui iront combattre en Orient de prêter serment de fidélité à l’empereur Alexis » (p. 265).

Or, ledit Empereur n’apporta pas aux Croisés, qu’il considérait sans doute comme des mercenaires, l’aide attendue pour reprendre Antioche. Ces derniers reprirent la ville et y établirent une domination latine, sans reconnaître l’autorité de l’Empereur des Romains : inacceptable.

6. Occidentalisation

Après la dynastie macédonienne, qui avait rétabli l’Empire dans une certaine gloire, voici donc celle des Comnène, glorieuse aussi, mais toute différente. Non seulement elle doit faire face à des Croisés qui ne se contentent pas de n’être que de simples auxiliaires, mais elle doit résoudre une grave crise financière provoquée par la perte de la riche Anatolie. En dix ans, à la fin du XIe siècle, la monnaie byzantine perd 60% de sa valeur. Privée de ressources fiscales, elle assoit son pouvoir sur une base qui n’est plus purement étatique. Son pouvoir repose désormais sur des allégeances et des réseaux familiaux. On met à l’encan les charges de l’État. L’impôt est levé par des agents privés.

Cela dit, pour Michel Kaplan, la partie était loin d’être jouée. « Le formidable redressement qu’opère [Alexis Comnène] montre que la crise économique et monétaire, accentuée par le désastre de Mantzikert, n’était ni si profonde, ni si irréversible que cela. L’Empire des Comnène profite en partie de la puissante expansion économique du XIIe siècle, même s’il en offre une part importante aux marchands italiens : les documents d’archives montrent des campagnes prospères et les finances de l’Empire sont relativement saines » (p. 306). Les Comnènes sont des philosophes, versés dans les matières religieuses et dans Platon, et aussi des hommes de leur temps, qui n’hésitent pas, cela est une nouveauté, à épouser des princesses latines.

Sous Manuel Ier, Roi des savants, admiré des Latins, brûleur d’hérétiques (les Bogomiles, ancêtres des Cathares), l’Empire brille de ses derniers feux, qui sont éclatants : Manuel reprend Antioche, bat les Turcs, donne son fils en épousailles à Marie-Agnès de France, la sœur de Philippe-Auguste. Bref, il conçoit Byzance comme partie intégrante et éminente chrétienté qui ne connaît aucun schisme. Mais l’influence latine, grandissante, ne fait pas que des heureux.

7. Renaissance

En 1180, quand meurt Michel Ier Comnène, son fils Alexis n’a que onze ans. La régence échoie à une princesse latine : Marie d’Antioche. Cette fois, c’en est trop, depuis quelques décennies, les cités italiennes se sont vu octroyer d’exorbitants privilèges : leurs marchands opèrent sans payer de taxe. Le ressentiment populaire débouche sur une immense Saint-Barthélemy (1182), suivie de la fuite en Italie d’un Empereur déposé qui promettra des fortunes colossales à ceux qui le rétabliront sur le trône… On est en 1201.

Or, le pape Innocent III vient de prêcher la IVe croisade, dont il est convenu que Venise la transportera par mer. Cela coûte cher. Or, les Croisés n’ont pas assez d’argent. D’où l’idée de se rendre à Constantinople pour rétablir le prétendant évincé. Ce que l’on fait, mais le trésor s’avère vide et les Croisés signent avec le doge de Venise le « Partage de la Romanie ». Le pape fulmine, mais c’est trop tard : le 13 avril 1204, la ville est mise à sac. Quand elle est reprise, en 1261, par les Grecs, elle est ruinée. L’artère principale est encore toute noire de la suie des incendies. Les bibliothèques en friche, l’industrie du luxe anéantie.

8. Conclusion

S’ensuivent deux siècles d’agonie. Se battant tout à la fois contre les cités italiennes, contre les hérésies latines, contre les Slaves du sud, et contre les Turcs, les Empereurs n’avaient qu’un seul espoir : une nouvelle croisade. Mais cela supposait d’accepter les dogmes latins, ce à quoi l’Église grecque ne pouvait que se refuser, figée qu’elle était depuis la résorption de la crise iconoclaste et la définition de l’orthodoxie.

Là-dessus, une guerre civile se déclare entre aristocratie et bourgeoisie. Puis, c’est la peste (1347). Puis, les Serbes fondent un empire alternatif, contre lequel on en vient à s’allier aux Turcs, qui prennent bientôt pied en Europe, déferlant sur les Balkans… L’Empire est aux abois. On vend la vaisselle d’or. La croisade emmenée par le roi Sigismond de Hongrie est défaite, l’armée serbe anéantie au Champ des Merles (1392). Symbole : la coupole de Sainte-Sophie menace de s’effondrer, suite à un tremblement de terre. Le monde s’écroule : on le fuit pour les monastères, où fleurit le mysticisme, tandis que les savants, dans les bibliothèques, redécouvrent l’antiquité.

Fortifiée par mille ans de travaux, la Ville semblait imprenable. Mais l’armée turque venue en mars 1453 l’assiéger était forte de cent mille hommes, dont les redoutables janissaires, ainsi que d’une formidable artillerie. En face, seulement cinq mille combattants grecs, et deux mille soldats latins. Le dernier empereur mourut, les armes à la main. S’ensuivirent trois jours de pillage. Sainte-Sophie devint mosquée. Byzance devait se survivre dans l’orthodoxie, dans la Renaissance, dans l’universalisme de l’Empire ottoman et dans celui de Moscou, la troisième Rome.

9. Zone critique

Centré sur l’histoire politique, l’ouvrage de Michel Kaplan ne s’attarde pas sur l’aspect artistique et religieux d’un byzantinisme qu’il assimile à une sorte de fixisme malsain. Négligeant de faire la généalogie de cette mentalité typique du platonisme médiéval, l’ouvrage ne permettra donc pas au lecteur d’entrer dans une compréhension intime de cette civilisation platonicienne dont les derniers feux fascinèrent tant les premiers humanistes.

Par ailleurs, Michel Kaplan fait parfois l’économie de la discussion historiographique. Il nie sans discussion, par exemple, la thèse de Louis Bréhier selon qui la chute de Byzance s’explique par deux choses : premièrement, la perte de l’Anatolie, qui rend impossible la défense de la Ville ; deuxièmement, l’acharnement déraisonnable à conserver une capitale qui n’était plus du tout à la mesure de l’Empire finissant.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Pourquoi Byzance ? Un empire de onze siècles, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2016.

Du même auteur– Pouvoirs, Église et sainteté. Essais sur la société byzantine, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Les classiques de la Sorbonne », 2011.

Autres pistes – Bréhier Louis, Le Monde byzantin, Albin Michel, coll. « L’évolution de l'humanité », 1969, 3 vol.– Nigel G. Wilson, De Byzance à l’Italie. L’enseignement du grec à la Renaissance, Les Belles Lettres, 2015.– Paul Lemerle, Le Premier Humanisme byzantin, PUF, 1971.

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