Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Michel Lacroix
La réalisation de soi est le fruit d’une recherche personnelle menant à un épanouissement. Cet ouvrage n’a pas pour but d’indiquer une voie spécifique d’épanouissement, mais il propose plutôt une réflexion philosophique amenant le lecteur à découvrir son propre chemin de réalisation.
La réalisation de soi consiste à puiser des ressources à l’intérieur de soi pour les faire fructifier. Cette richesse intérieure se compose de nos capacités, de nos facultés, de nos talents, de nos dons et de nos possibilités. L’ensemble de ces ressources constitue donc « notre potentiel ». Se réaliser revient à développer complètement ce potentiel. De nombreuses voies de réalisation existent, et il appartient à chaque personne de trouver la sienne.
En voici quelques-unes : la philosophie des Lumières, postulant que la réalisation de soi passe par la raison ; le mouvement romantique mené par Chateaubriand ou Musset faisant le choix d’une vie passionnée ; ou encore la voie des artistes surréalistes cherchant à libérer les forces de l’inconscient. Cet ouvrage ne constitue donc pas un guide traçant une voie prédéfinie, mais il offre plutôt une réflexion complète sur la réalisation de soi, fondée sur les philosophies, la psychologie et la littérature. Comment définir la réalisation de soi afin de trouver sa propre voie d’épanouissement personnel ?
La réalisation de soi se distingue de la transcendance religieuse. Les religions délivrent des préceptes imposés aux individus. Ainsi, le chrétien doit chercher à rétablir la perfection originelle établie sur le modèle de Dieu. Au contraire, la forme verbale « se réaliser » est réflexive : le pronom « se » indique en effet que l’objet de cette réalisation est soi-même, et que cette démarche est le fruit d’une création personnelle non soumise à des lois extérieures.
De la même façon, la réalisation de soi se distingue de la transcendance métaphysique des philosophes. Le philosophe métaphysicien croit en la réalité des Idées pures, comme le raconte le mythe de la Caverne de Platon : l’homme est au début plongé dans une caverne sombre, puis il parvient à contempler les Idées, ou l’essence du bien, de la vertu, du beau et de l’Homme. Or, la réalisation de soi ne saurait nécessiter une transcendance divine ou métaphysique : elle est autonome.
La vie se définit par une alternance entre le repos et l’action : entre la vita contemplativa et la vita activa. Jusqu’au XVIIIe siècle, la vita contemplativa était considérée comme supérieure à la vita activa. Dans l’Antiquité, les sages étaient des contemplatifs, et selon Aristote, « le travail manuel empêche l’individu de parvenir à la perfection. » Au Moyen Âge, les moines et les mystiques étaient situés sur un rang hiérarchique supérieur à celui des chevaliers, des paysans et des bourgeois. Il en va de même au siècle des Lumières, durant lequel une existence paisible et sans passion était valorisée.
Au XIXe siècle, cette hiérarchie s’est inversée, notamment par l’apparition de nouveaux acteurs sociaux incarnant la réussite, tels que les inventeurs, les explorateurs, les artistes ou les journalistes. Les mentalités connaissent ainsi un changement de paradigme, puisque l’action joue alors un rôle essentiel dans la réalisation de soi, dans la mesure où elle en matérialise l’aboutissement. L’agir constitue en effet un signe visible d’accomplissement de soi : fonder une famille, créer une entreprise ou militer dans une association en sont autant d’exemples. Se réaliser, c’est utiliser notre potentiel en se mettant en action : c’est passer du virtuel à l’actuel.
Une condition essentielle à la réalisation de soi est d’en ressentir le désir. Le psychologue américain Abraham Maslow a mené des recherches sur les individus épanouis, dont l’existence est riche et créative. Il différencie d’une part les besoins psychologiques élémentaires de l’être humain, et d’autre part les « besoins de développement » situés à un niveau supérieur. Parmi les besoins élémentaires figurent la tendresse, l’écoute, l’estime, la reconnaissance, le sentiment d’appartenance et la sécurité psychologique. Selon la théorie d’Abraham Maslow, il est d’abord essentiel de satisfaire cette première catégorie de besoins avant de pouvoir accéder à la seconde. Leur absence de satisfaction provoque en effet une névrose, dont la psychothérapie est restauratrice.
Quant aux « besoins de développement », ils s’apparentent à un processus de développement personnel, dans la mesure où ils nous amènent à développer notre potentiel et à accomplir notre destinée. Néanmoins, même chez un individu névrosé, le besoin de réalisation personnelle est inné, car il fait partie intégrante de l’être humain. L’intensité de ce besoin varie par contre selon les individus.
Une fois engagés sur le chemin de la réalisation de soi, plusieurs écueils peuvent se présenter à nous. Le premier est le « donjuanisme ». Lorsque nous prenons conscience de notre potentiel, de très nombreuses possibilités de réalisation peuvent s’offrir à nous : l’argent, le pouvoir, l’art, la célébrité, la forme physique constituent autant de possibles.
Le personnage de Dom Juan, héros de Molière, est non seulement un séducteur invétéré, mais il symbolise également le désir de jouir de tout, représentant ainsi l’ubris (orgueil démesuré) de la réalisation de soi. Seuls quelques génies tels que Léonard de Vinci seraient capables de briller dans tous les domaines. Le modèle de Dom Juan risque en vérité de nous conduire au manque de productivité et à la médiocrité. En basculant d’un projet à un autre, nous n’approfondissons rien. C’est pourquoi il est essentiel de savoir effectuer des choix afin de nous libérer du donjuanisme.
Le second écueil sur la voie de la réalisation personnelle est l’hyperactivité. Certes, la vita activa constitue un élément clé de cette réalisation. Cependant, si l’action est excessive, elle devient une obsession, voire une addiction, nous coupant du moment présent en nous projetant constamment dans l’avenir. Il est donc important de savoir mener une vie équilibrée entre vita contemplativa et vita activa. Il se trouve justement que le style de vie des individus contemporains se rapproche de cet équilibre.
En effet, la tendance actuelle veut que les individus se réalisent d’une part dans le travail, dans la pratique sportive, ou dans l’engagement associatif, et d’autre part, dans des pratiques valorisant la vita contemplativa, telles que la relaxation, le yoga ou la méditation. Michel Lacroix nous invite précisément à cultiver ce style de vie équilibré.
Le troisième et dernier écueil à la réalisation personnelle est le désir de grandeur, ou la croyance selon laquelle nous devons impérativement réaliser des actions spectaculaires pour nous épanouir. Or, ce désir de supériorité peut conduire à la mésestime de soi, si nous ne parvenons pas à atteindre la perfection. Ainsi dans le roman Le Rouge et le Noir de Stendhal, le héros Julien Sorel souhaite égaler Napoléon, mais il finit par gâcher son existence. Michel Lacroix souhaite donc ramener la philosophie de la réalisation personnelle à notre quotidien. C’est en réalisant les tâches simples de la vie quotidienne, comme nos responsabilités familiales, domestiques, professionnelles et citoyennes, que nous pouvons nous accomplir.
Même si la réalisation de soi est une démarche personnelle et individuelle, nos relations aux autres jouent également un rôle fondamental.
En effet, les autres nous apportent des « nutriments » majeurs, et en premier lieu l’amour. Le sentiment amoureux est une expérience apportant une forme d’accomplissement : notre vie devient plus intense lorsque nous tombons amoureux. Tel est notamment le cas du personnage de Fabrice rencontrant Clélia dans le roman de Stendhal La Chartreuse de Parme, dont voici les paroles : « Combien je suis différent du Fabrice léger et inconsistant que j’étais avant de connaître Clélia. » L’amour fraternel constitue par ailleurs une autre forme d’amour capable de nous transformer. Le personnage de Jean Valjean dans le roman Les Misérables de Victor Hugo est d’abord un bagnard aigri et haineux. En rencontrant l’évêque de Digne, il connaît un changement intérieur extraordinaire et s’efforce de devenir un homme bon.
Les autres nous transmettent aussi leur confiance, essentielle pour notre propre confiance en soi et la libération de notre potentiel. En psychologie, cette expérience se nomme « Pygmalion ». Michel Lacroix prend pour exemple une expérience menée par des chercheurs en psychologie dans une école ayant prouvé que plus un enseignant a confiance dans le potentiel d’un élève, plus ce dernier progresse. La réussite d’un élève dépend donc grandement de la confiance donnée par son professeur.
Il en va de même dans d’autres expériences humaines, comme la confiance d’un coach envers un sportif, celle d’un médecin envers ses patients, ou encore celle d’un leader politique envers un peuple. La bienveillance joue aussi un rôle important dans la réalisation de soi. Celle-ci possède une particularité dans la mesure où témoigner de son soutien à une autre personne s’avère aussi gratifiant que d’en recevoir. Les autres contribuent ainsi à notre réalisation par ce qu’ils nous apportent, et réciproquement.
Michel Lacroix s’interroge enfin sur le rôle du groupe dans la réalisation de soi. L’appartenance à un groupe semble en effet nécessaire à la réalisation personnelle. La pratique d’un loisir illustre bien cette théorie. En effet, les activités de loisir jouent actuellement un rôle important dans le sentiment d’accomplissement d’un individu, et celles-ci se déroulent majoritairement en groupe : musique, peinture, navigation, golf ou théâtre en sont quelques exemples. La réalisation personnelle nécessite alors la présence du collectif, et se voit même amplifiée par le groupe.
L’utopie de l’abbaye de Thélème, représentée dans le roman de Rabelais Gargantua, illustre cet accomplissement au sein de la société. Thélème est en effet un lieu dédié à l’épanouissement de soi, puisque ses habitants se consacrent aux Arts, aux Lettres et à l’Industrie. Leur sens de la sociabilité est particulièrement développé, et cette société représente un idéal de civilisation raffinée. La réalisation de soi va donc bien au-delà du plan individuel, dans la mesure où notre transformation a des conséquences sur la vie collective. La création d’une entreprise peut non seulement nous apporter un sentiment de réalisation personnelle, mais aussi une plue-value pour la société.
Par cet ouvrage, Michel Lacroix définit le sens de la réalisation de soi, en prenant appui sur de nombreuses références culturelles, psychologiques et philosophiques.
N’ayant pas pour prétention de nous montrer une voie unique de réalisation, l’auteur nous propose plutôt une réflexion approfondie autour de cette notion. Il montre enfin que la réalisation d’un individu dépasse le plan personnel pour apporter également quelque chose à la société. Ainsi, la réalisation de soi apparaît comme un instrument de changement social.
Cet ouvrage est fondateur dans le domaine de l’analyse philosophique de la réalisation d’un individu. Il trouve son prolongement dans les nombreux ouvrages de développement personnel, proposant différentes voies d’accès à l’épanouissement de soi.
Ce livre, par son inscription dans les traditions philosophiques, apporte donc un champ de réflexion enrichissant autour de la connaissance de soi adaptée au monde contemporain.
Ouvrage recensé– Michel Lacroix, Se réaliser : Petite philosophie de l’épanouissement personnel, Paris, Robert Laffont, « Poche Marabout Psy », 2009.
Du même auteur– Philosophie de la réalisation personnelle, Paris, Robert Laffont, 2013.
Autre piste– Abraham Maslow, Devenir le meilleur de soi-même : Besoins fondamentaux, motivation et personnalité, Paris, Eyrolles, 2013.