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Histoire de chambres

de Michelle Perrot

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

Bien des chemins mènent à la chambre : le sommeil, l’amour, la méditation, Dieu, le sexe, la lecture, la réclusion – voulue ou subie. De l’accouchement à l’agonie, elle est le théâtre de l’existence, là où les corps s’abandonnent. Depuis des siècles, la culture occidentale a cherché et trouvé dans la chambre le lieu de son repos, qu’il s’agisse de la kamara grecque, de la cellule du cloître médiéval, de la salle du donjon seigneurial ou de la couchette des wagons de première classe. De l’Antiquité à nos jours, Michelle Perrot esquisse une histoire de la chambre et explore quelques-unes de ses formes : la chambre de Louis XIV, la chambre d’hôtel, la chambre conjugale, celle de la jeune fille, du malade ou du mourant, celle de l’écrivain, la cellule du religieux ou celle de la prison. Mêlant les questions liées à sa matérialité aux expériences qui y sont vécues, elle offre à la lecture une étude riche, à mi-chemin de l’histoire et de l’anthropologie.

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1. Introduction

L’ouvrage n’est pas une « histoire de la chambre », mais une « histoire de chambres ». La nuance est de taille, car elle témoigne d’un cheminement voire d’un parcours à suivre, où l’historienne s’arrête çà et là, sans prétendre à une analyse exhaustive du sujet. Pour autant, de la Renaissance aux années 1960, avec de brèves incursions dans l’Antiquité et le Moyen Âge, Michelle Perrot scrute avec minutie ces pièces de l’habitat domestique. Elle utilise ses études précédemment menées pour nourrir ses propos, au sujet des femmes, de la prison, de la vie privée, ou des ouvriers, dont elle est une spécialiste. De plus, une grande majorité de ses exemples sont tirés de l’histoire du XIXe siècle.

Dans la droite ligne des travaux de Marc Bloch ou de Lucien Febvre, l’historienne enracine son exploration du passé dans l’observation du présent, et manifeste une grande curiosité à l’égard des expériences contemporaines de la chambre. Elle puise également ses réflexions dans la sociologie, l’ethnologie, la psychologie, mais également dans l’architecture ou les enquêtes médicales.

Ainsi, l’ouvrage d’une grande richesse multiplie les sources et aborde un thème aussi stimulant qu’original.

2. La diversité des chambres

Les espaces décrits par Michelle Perrot sont très nombreux : ils vont de la grotte de l’ermite à la chambre de Louis XIV, en passant par celle du petit bourgeois de province, celle de l’étudiant ou de l’écrivain solitaire. La chambre du roi à Versailles, par exemple, ouvre l’étude. Elle y est présentée comme un espace matériel modelé par la symbolique, dans son intérieur comme dans ses accès : portes, antichambres, communications, escaliers constituaient autant de filtres savamment hiérarchisés et contrôlés par des huissiers et des valets, rouages de la « mécanique du roi » décrite par Saint-Simon.

L’historienne intègre également à sa typologie de la chambre les espaces qui relèvent de l’enfermement, voire de la séquestration : la cellule du prisonnier, la chambre d’Anne Frank, ou le sous-sol du pédophile qui enferme ses victimes.

Parmi les lieux évoqués qui retiennent une attention particulière, il y a la chambre d’hôtel, à laquelle Michelle Perrot consacre un chapitre entier. Elle s’inscrit dans une longue succession de modes d’hospitalité offerts aux ambulants, depuis caravansérails orientaux aux palaces, en passant par les auberges médiévales. À partir du milieu du XIXe siècle, le développement du commerce et du tourisme éleva les normes de confort et d’hygiène d’une hôtellerie qui s’organisait et s’industrialisait progressivement. Les divers guides (Joanne, puis Michelin) et associations comme le Touring Club y contribuèrent en questionnant les voyageurs et en réalisant des classements et des distinctions (étoiles).

Michelle Perrot présente également une histoire de la chambre d’hôpital et de son lit. Sous l’Ancien Régime, hospices et hôpitaux constituaient un monde de l’enfermement : dans des salles immenses, inchauffables, des lits étaient entassés, partagés par trois à quatre patients. Le XIXe et le début du XXe siècle furent marqués par l’ascension des chambres de long séjour, que les tuberculeux occupaient dans un sanatorium : des dortoirs pour les plus humbles, des palaces d’altitude, notamment en Allemagne ou en Suisse pour les plus aisés.

Dépouillée, voire aseptisée de nos jours, la chambre d’hôpital est à la fois le lieu où quatre personnes sur cinq meurent en France, mais aussi le lieu de tous les espoirs, celui où l’on attend une guérison. C’est également devenu un endroit où l’on reste le moins longtemps possible.

3. Les décors de la chambre

Dans le décor des chambres, Michelle Perrot accorde une attention particulière au papier peint, qui se développa en France à partir des années 1780 et qui obéissait à des convenances et à des modes générées par une industrie active. Ainsi, les motifs privilégiés furent les guirlandes, les figures mythologiques, les fleurs ou les oiseaux.

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les objets envahirent les chambres ; on y on entassait des bibelots ayant marqué l’existence. Les œuvres d’art ou les pièces de collection y avaient peu leur place, au contraire de ce qui se faisait ailleurs dans le logis. Il s’agissait plutôt de souvenirs de mariage, de cailloux, de coquillages et de tout ce qui pouvait évoquer un souvenir. Avec le développement de la photographie, les êtres chers avaient désormais une place dans l’espace caméral. La chambre était ainsi avant tout un lieu de l’intimité, bien plus que celui de l’ostentation.

Mais ce sont les meubles, et notamment le lit, qui attirent l’attention de l’historienne. Elle revient sur celui d’Ulysse, en olivier, sur celui du château médiéval, conçu avant tout comme lieu un d’accouplement et d’accouchement en tant que « matrice du lignage », ou sur le développement du lit conjugal à partir du XVIIe siècle, où l’on dort désormais à deux.

D’autres éléments occupaient également l’espace à la fin du XIXe siècle, époque où acheter une « chambre » consistait à faire l’acquisition d’un ensemble de meubles : un lit, une table de chevet, une armoire et quelques chaises qui avaient vocation à durer, parfois toute une vie. Les modèles étaient alors présentés dans les catalogues des grands magasins et le choix était une affaire de couple : le mari décidait du mobilier, plus onéreux, et l’épouse des rideaux et des tentures.

Les ornements s’inspiraient alors de l’histoire : à la fin du XIXe siècle par exemple, la mode était au style « Louis XVI ». Un prie-Dieu, lorsqu’il était présent, marquait la valeur sacrale du lieu, tout comme un crucifix ou des rameaux accrochés aux murs. De la même manière, une couronne de fleurs d’oranger – la fleur des épousées – manifestait la valeur accordée au sacrement du mariage.

4. Des expériences de la chambre

La notion même de chambre implique l’importance de la porte et de la clé ; à l’image du temple antique, l’enceinte de ce lieu délimitait un espace quasi sacré. Tout au long du XIXe siècle, se développa le besoin de disposer d’un abri, d’un refuge, d’un espace à soi, pour soi. Ce fut un sentiment particulièrement vif chez les jeunes gens qui rêvaient d’autonomie. L’historienne s’appuie notamment sur les mots d’Anatole France qui précisait dans Le petit Pierre que dès qu’il eut une chambre à lui, il eut une vie intérieure. Elle relie ce besoin de retrait à la pression grandissante de la foule, puis des masses.

Pour un enfant, la gamme des expériences de la chambre est très étendue. Il y a bien entendu la peur à la nuit tombée, mais c’est également un lieu de récitation de la prière du soir, principalement durant la première moitié du XXe siècle, lorsque s’imposa la communion privée. La chambre fait également souvent fonction de salle de jeu, de lieu d’apprentissage, de lieu où l’on s’ennuie. Parfois, cette pièce se mue en lieu de punition, dont la phrase « va dans ta chambre » est la meilleure des illustrations.

Pour un adulte, la chambre renvoie au rêve, au sommeil, au réveil. Jusqu’au milieu du XXe siècle, elle fut également le lieu de la prière individuelle, et des jeunes filles y installaient parfois des oratoires. C’était là que, dans le recueillement, s’effectuait, avec le plus de précision, l’examen de conscience. Plus fortement qu’ailleurs, on pouvait y éprouver la présence de l’ange gardien, prendre la mesure des progrès de son âme et, plus rarement, rédiger un journal de spiritualité. Après le concile Vatican II en 1965, de telles pratiques sont tombées en désuétude, même dans les milieux les plus fervents.

La lecture, diurne ou nocturne, est également une affaire de chambre, comme l’attestent la présence de lampes de chevet et, plus encore, des « livres de chevet ». C’est dans la chambre que, bien souvent, la lecture des romans historiques a introduit aux jeunes gens la connaissance du passé ; c’est là aussi que, depuis le XVIIIe siècle, les récits de voyage ont forgé l’imaginaire. Dans certains cas, la chambre était le lieu de travail des écrivains, à l’instar de George Sand qui y écrivait, des nuits entières, sur une petite table.

5. Les émotions de la chambre

Parmi ce qui est ressenti dans une chambre, Michelle Perrot revient sur la douleur. Dans ce domaine, la femme est, plus souvent que l’homme, incitée, voire condamnée, à « garder la chambre ».

Les troubles des menstruations, de la gestation, les nombreuses « maladies de femmes » – dont l’hystérie – répertoriées par les médecins de toutes les époques expliquent cette différenciation. L’accouchement, jusqu’à ce que les médecins ne s’en emparent à partir du XVIIIe siècle, a longtemps été un moment de socialisation des femmes, dans le cadre de la chambre. Matrones et sages-femmes entouraient la parturiente dès les premières douleurs ; elles aidaient à sortir l’enfant, coupaient le cordon, lavaient et langeaient le nouveau-né, s’affairaient autour du lit de la mère. L’historienne ajoute que durant longtemps, le sang et la douleur des femmes ont été effacés des images présentant l’accouchement ; elle précise qu’au Moyen Âge par exemple, les représentations sont joyeuses, dans le cadre serein d’une chambre claire.

En ce qui concerne les plaisirs du lit et la rencontre des corps, l’historienne s’appuie sur des sources principalement masculines, car depuis la fin du XVIIIe siècle, des hommes ont abondamment décrit, contrairement aux femmes, leurs expériences voluptueuses, dans leur correspondance, leurs journaux intimes ou leurs Mémoires.

Michelle Perrot revient ainsi sur l’adultère, l’une des expériences camérales du plaisir, dont le cadre variait souvent. Il pouvait s’agir du cabinet particulier d’un restaurant, d’une chambre d’hôtel où un homme conduit sa maîtresse, d’une garçonnière, mais aussi, transgression suprême, du lit conjugal de l’un des deux amants. Il ressort des écritures de soi datant du XIXe siècle que les hommes avaient l’expérience du plaisir dans de multiples chambres à l’intérieur desquelles l’espace, le décor, la lumière, le mobilier, la forme et la qualité du lit étaient différents. Ils ne manquaient pas non plus de mentionner les déceptions, les désirs de fuite, les chagrins et les larmes de ruptures dont les chambres qu’ils occupèrent furent témoins.

6. Des chambres qui n’en sont pas et des chambres en souffrance

Michelle Perrot s’attarde également sur les cabanes qui, à la campagne, jouèrent le rôle de chambre éphémère pour des ébats amoureux. Elles furent notamment évoquées par Jacques-Louis Ménétra dans son Journal, ou dans les écrits de Nicolas Restif de la Bretonne. Dans la littérature, on retrouve par exemple cette idée dans Le Paradis perdu de John Milton dans lequel les amours d’Adam et Ève se déroulent dans un écrin de verdure. Elle précise également que les enfants ont toujours construit leur identité par l’appropriation d’un territoire et que la cabane est désormais, dans notre culture, assimilable à une chambre.

Dans le monde rural, la grange a longtemps été un lieu qui s’apparentait à la chambre dans la mesure où elle offrait également un abri pour d’éventuels ébats amoureux. Elle a pu constituer un premier lieu de rencontre à deux, un lieu de la découverte des corps, probablement en raison de l’habitude prise, à la campagne, d’y faire coucher la main d’œuvre, tous sexes confondus. Avant la Révolution industrielle et le développement de la mécanisation, les bâtiments agricoles étaient en effet très densément peuplés.

Michelle Perrot termine son ouvrage par un constat sur les pratiques actuelles de la chambre. Dans l’habitat domestique, chacun dispose désormais de son espace et les chambres se sont multipliées. Elles ont, en outre, changé d’emplacement, souvent reléguées au fond de l’appartement ou de la maison afin de laisser plus de place aux pièces communes.

La plupart se sont singulièrement réduites : perdant la multiplicité de leurs fonctions, elles se sont spécialisées, désormais presque entièrement vouées au sommeil, à la nuit improductive. De même, la chambre d’amis, symbole d’hospitalité, a très souvent disparu : les voyages se font souvent dans la journée et on loge le plus souvent les invités dans un coin du salon, ou à l’hôtel.

Il n’y a guère qu’en matière de sécurité que la chambre a progressé : la robotique et l’intelligence artificielle ont fait leur apparition, permettant aux parents de surveiller un enfant qui dort paisiblement dans son lit, ou aux personnes âgées d’alerter les secours en cas de chute.

7. Conclusion

Cette étude de la chambre renvoie à un constat évident : le désir d’un espace à soi est universel. Il a traversé les civilisations et le temps. Le sommeil, le sexe, l’amour, la maladie, les besoins du corps, mais aussi ceux de l’âme ont poussé et poussent encore au retrait.

L’analyse d’anthropologie historique de Michelle Perrot nous plonge en un lieu qui n’a cessé de se transformer et de nourrir des expériences différentes, depuis l’Antiquité. Le lit qu’elle contient, lieu de naissance, d’amour et de mort, a longtemps suscité une attention particulière, dans sa matérialité et ses pratiques, notamment le temps que l’on doit y passer. Prêtres, moralistes, médecins, hygiénistes et psychologues l’ont investie, définissant sa disposition et ses horaires, son type d’occupation, les manières de dormir. Architectes et décorateurs l’ont ornée et meublée. L’historienne livre ainsi un panorama très large, témoignant d’une constante évolution de la chambre en tant que lieu de vie.

8. Zone critique

L’ouvrage de Michelle Perrot permet d’ouvrir la porte de différentes chambres, à différentes époques, avec différentes fonctions. Les descriptions, nourries d’exemples précis puisés dans de très nombreux types de sources historiques, s’enchaînent et donnent l’impression de lire un roman.

Cette étude permet également d’entrevoir, sous le prisme d’un thème original, le travail de toute une vie d’historienne : l’histoire des femmes, du monde ouvrier, de la vie privée et du monde carcéral, tant étudiées par Michelle Perrot, se retrouve dans cet ouvrage. Les incursions dans le présent donnent, en outre, davantage de relief au texte et invitent à la réflexion. L’absence d’une bibliographie, justifiée par la trop grande diversité des sources utilisées, est cependant regrettable. Mais l’ouvrage est, incontestablement, remarquable et passionnant.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Histoire de chambres, Paris, Seuil, 2009.

De la même auteure– Les ouvriers en grève, 1871-1890, Paris-La Haye, Mouton, 1974.– Avec Georges Duby (dir.), Histoire des femmes en Occident, Paris, Plon, 1990-1991 (5 volumes).– Images de femmes, (coécrit avec Georges Duby), Paris, Plon, 1992.– Les femmes ou les silences de l'histoire, Paris, Flammarion, 1998.– Mon histoire des femmes, Paris, Éditions du Seuil, 2006.– Histoire de chambres, Paris, Le Seuil, 2009.– George Sand à Nohant : Une maison d'artiste, Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 2018.

Autres pistes– Philippe Ariès et Georges Duby (dir.), Histoire de la vie privée, Paris, Seuil, 1985-1987, 5 vol.– Pascal Dibie, Ethnologie de la chambre à coucher, Paris, Métaillé, 2000.– Jean-Claude Kaufmann, Un lit pour deux : la tendre guerre, Paris, J. C. Lattès, 2015.– Michelle Perrot, Mélancolie ouvrière, Paris, Grasset, 2012.– Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation dans les sociétés traditionnelles (XVIIe-XIXe siècles), Paris, Fayard, 1997.

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