Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Mona Chollet
Avec Chez soi, Mona Chollet signe un essai à la fois intime et politique. Cet ouvrage balaie des questions sociétales d’actualité ayant un lien avec l’habitat, comme le droit au logement, l’utilisation des réseaux sociaux, la place du travail dans la société, l’obsession de la rentabilité, l’exploitation domestique, la place de la femme dans l’espace domestique, la vision uniforme de la famille ou les questions écologiques. C'est aussi un livre plus personnel puisque Chollet fait part de sa vision du journalisme, de son idéal de vie, de ses choix engagés en tant que femme.
Chez soi est un essai très documenté sur la base de travaux de sociologues, anthropologues, journalistes, architectes internationaux, mais aussi à travers des références à la pop culture via des séries télévisées, des interviews d’actrices, des blogs, des citations de réseaux sociaux.
Mona Chollet dans cet ouvrage émet l’idée que le « chez soi » est un lieu permettant le ressourcement et la capacité à mieux se tourner vers l’extérieur. Dans ce sens, il doit être pensé afin de permettre l’émergence d’une nouvelle société plus créative, respectueuse de son environnement et de ses besoins.
L'ouvrage met en exergue l’importance pour chacun de disposer d’un espace qui lui est propre afin de se réaliser. La forme que revêt cet espace à soi, trop souvent précaire, influe aussi sur notre bien-être. En fait, elle s’intéresse à toutes les dimensions de l’habitat et à son impact dans la vie des individus, mais aussi pour la société. Enfin elle réfléchit à des alternatives d’espaces à soi permettant une réalisation personnelle et une évolution de l’organisation sociale.
Dans Chez soi, Mona Chollet articule ses réflexions autour du logement en s’appuyant sur l’idée qu’un espace à soi est essentiel pour chacun.
Pourtant, comme le montre l’auteure à travers différents exemples, être casanier est souvent décrié dans notre société. Aimer rester chez soi impliquerait d’avoir une vie ennuyeuse, de ne pas être ouvert vers l’extérieur, d’être individualiste. « La sédentarité dénoterait un repli coupable menant inévitablement à l’erreur et à l’abrutissement » (p.19). Un des exemples que donne Mona Chollet est le terme « rat de bibliothèque » : la référence à un animal perçu comme sale et peu attirant marque bien la vision négative portée sur un « fou de livres » (p.28), comment de telles personnes sont vues à travers le prisme du rejet. Rester chez soi reviendrait donc à se mettre en marge.
Or, pour l’auteure, avoir un espace à soi permet un repli nécessaire pour mieux appréhender le monde. Elle fait référence par exemple aux grands écrivains et reporters qui après un temps d’action et de recherches à l’extérieur doivent se retrancher dans leur intérieur pour écrire et se ressourcer.
D’autre part, rester chez soi peut permettre de développer ses connaissances et une culture propre qui pourront ensuite être partagées aux autres. L’auteure met en avant son propre cas de « journaliste casanière » qu’elle qualifie « d’oxymore embarrassant » (p.17) qui ne l’empêche cependant pas d’exceller dans sa profession. En effet, pour que les voyages soient fructueux, l’auteure met en avant la nécessité de d’abord développer une capacité de réflexion et de sens critique pour pouvoir comprendre ce qu’on découvre. Il faut aussi avoir quelque chose à partager avec l’extérieur pour avoir des échanges fructueux.
Avoir un espace à soi permet donc d’exprimer sa créativité. Une référence incontournable sur cet aspect est Virginia Woolf qui, en 1929, dans Une Chambre à soi, écrit que pour révéler sa créativité et son génie, une femme a besoin de temps et d’un espace qui lui est dédié, un espace à soi.
Selon cette perspective, le logement revêt une importance cruciale, puisque c’est un lieu où l’on se sent en sûreté, où on peut se réfugier pour mieux résister à la dureté du monde extérieur. Autrement dit, cultiver le souvenir et préparer l’avenir. Pour Chollet, avoir un toit est une « condition élémentaire d’une vie digne de ce nom ». (p.72)
Afin de pouvoir bénéficier des bienfaits d’un espace à soi, il est nécessaire que cet espace soit décent.
Mona Chollet dénonce la dégradation des conditions de logements ces dernières décennies. En s’appuyant sur des statiques françaises et américaines, l’auteure pointe du doigt l’augmentation du mal-logement qui est pour elle « une forme de persécution physique permanente » (p.79). Les conséquences sont physique, mais aussi psychique et sociale. Mona Chollet dénonce notamment la diminution de l’espace habitable par ménage dans les zones urbaines qui a pour conséquence d’exacerber les violences domestiques, les addictions et les troubles de la concentration chez les enfants.
L’auteure explore alors les architectures permettant d’optimiser le bien-être des habitants. Elle met en exergue deux types d’architectures : l’architecture esthétique, qui cherche a existé comme art et l’architecture fonctionnelle étudiée pour satisfaire le besoin des futurs habitants. Le laboratoire universitaire Rural Studio par exemple, créé par Samuel Mockbee à Newbern aux États-Unis, s’efforce de créer des bâtiments en s’adaptant au plus près des besoins et des utilisations de leurs futurs occupants. Pour cela, les architectes vivent sur place et mènent des entretiens avec les habitants pour mieux comprendre leur mode de vie.
Chollet s’accorde avec les propos de l’architecte Christopher Alexander pour définir une architecture réussie comme une architecture vivante, pouvant évoluer et répondre aux besoins de ses occupants. En France, cela s’illustre notamment par le succès de Le Corbusier avec ses logements adaptables grâce à des portes coulissantes et des pièces permettant des usages variables. Elle met aussi en avant l’aspect vivant que peut revêtir un bâtiment de par la nature de ses composants. L’auteure fait référence à une technique japonaise, le wabi-sabi, qui privilégie des matériaux simples et humbles comme le papier, la paille ou le bois et qui permet d’avoir un rapport plus naturel à notre habitat.
En s’intéressant à l’architecture, Chollet identifie des éléments clés pour optimiser son habitat : des espaces répondant aux usages et évoluant dans le temps à l’image de l’Homme.
Disposer d’un espace décent pour vivre n’est cependant pas suffisant pour Chollet pour se réaliser pleinement. Un facteur essentiel est d’avoir du temps pour pouvoir en profiter.
Le découpage physique entre le temps au travail et le temps chez soi réduit le temps disponible chez soi. Le travail est par ailleurs basé sur le nombre d’heures travaillées et non plus sur les tâches accomplies, ce qui impose des durées loin de chez soi plus longues et un carcan dont il est impossible de se libérer totalement une fois rentré chez soi. Et pourtant, libérer du temps pour soi serait tout aussi bénéfique que de libérer un espace à soi. Cela contribuerait à s’instruire, réfléchir, développer sa créativité et ainsi innover. Chollet prend l’exemple des soirées après le travail où elle est trop fatiguée pour se lancer dans des lectures complexes. L’auteure insinue qu’en limitant le temps et l’espace disponible aux individus, la société limite les possibilités d’innovation et de remise en question du système actuel.
L’auteure montre même que le système tend à diminuer un besoin vital – le sommeil – au nom de la productivité. Pour Chollet, dormir devient alors un acte politique engagé, dans un monde capitaliste où chaque moment doit être rentabilisé, où les week-ends sont en train de disparaitre et où les recherches scientifiques cherchent à remédier au besoin de dormir. Même si ce besoin est souvent perçu comme sans importance, il apparaît aux yeux de l’auteure comme le socle de la ville et de la communauté : des habitants « qui se témoignent suffisamment de confiance pour dormir les uns à côté des autres et (qui) se promettent de protéger ensemble le sommeil de chacun » (p.65), c’est une preuve suffisante.
Utiliser le temps disponible pour prendre soin de son intérieur est aussi capital pour Chollet. Contrairement à l’idée reçue que ranger, nettoyer et préserver son espace diminueraient encore le temps disponible pour se ressourcer, l’auteure défend l’idée que ces activités contribueraient au contraire à développer la créativité. Elle compare la poussière et la saleté à des attaques extérieures pouvant entacher notre symbiose avec l’espace. Repousser ces attaques par soi-même permettrait de renouveler l’énergie, de désencombrer ses pensées, et de s’approprier l’espace. Ce serait donc un prérequis au processus de création.
Mona Chollet dans son essai s’intéresse aux rapports de force qui s’exerce au sein du foyer et constate que c’est un des premiers lieux d’inégalité des sexes.
L’auteure dresse un panorama historique de la place de la femme dans la société, et notamment sur le plan du travail. Elle rappelle qu’au début du XVIe siècle en Angleterre, la famille entière constitue le noyau productif. L’homme et la femme travaillent et s’occupent du foyer avec l’aide de leurs enfants. À la fin du XVIe siècle et pendant tout le XVIIe siècle, le capitalisme connait un essor et le besoin croissant de main-d’œuvre mène à des politiques natalistes où les femmes sont exclues du système productif pour se dévouer à leur rôle de procréatrices. Le lien de solidarité entre hommes et femmes est alors rompu. Les femmes ne souhaitant pas suivre ce modèle proposé sont dénoncées comme étant des sorcières et mises au bûcher.
C'est, au passage, l’objet d’étude du dernier essai de Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes. Au XVIIIe siècle l’image de la femme devient « celle d’une féminité vertueuse, douce » (p. 233) jusqu’au XIXe siècle où il est convenu que la place naturelle des femmes se trouve à la maison. À cette époque, les femmes n’ont pas à s’occuper des tâches ménagères puisqu’elles ont des domestiques. Un grand nombre d’entre elles sombre alors dans la dépression. En parallèle, les femmes domestiques sont exploitées.
Le début du XXe siècle marque une avancée dans les droits des femmes, mais cet élan est ralenti par les deux guerres mondiales et les crises économiques. La société incite alors les femmes à retourner vers le travail domestique les convainquant que c’est là où elles sont naturellement les plus douées.
Le milieu du XXe siècle marque le retour des femmes sur le marché du travail même si les inégalités persistent. Sous l’apparence d’une soi-disant liberté de choix de vie, les femmes se consacrant à leur travail nagent à contre-courant. Il est dès lors plus facile de choisir de s’occuper du foyer ou d’aller vers des métiers orientés vers des tâches traditionnellement plus féminines.
L’auteure dénonce le système de mère au foyer qui rend financièrement dépendantes les femmes vis-à-vis des hommes. Elle prône la pertinence d’un salaire ménager permettant aux femmes de s’émanciper.
Chollet reprend le travail de l’anthropologue et architecte Christopher Alexander pour questionner le modèle du logement construit autour d’une famille nucléaire : de par son unité, la famille nucléaire, composée des parents et d'enfants, prend le risque que chaque problème rencontré soit vécu de façon exacerbée et qu’une dépendance se crée entre les membres de la famille générant une fragilité des individus hors de ce noyau. L’architecte recommande d’élargir le logement à d’autres habitants que le cercle familial.
L’auteure explore alors différents types de modes de vie. Elle retient particulièrement les bienfaits de l’habitat groupé, qui consiste en une pluralité de logements indépendants regroupés et partageant des espaces communs. Les propriétaires de ces logements ont interdiction de spéculer sur leur bien. Du fait de la diversité des logements individuels proposés, la population des habitats regroupés est intergénérationnelle.
Pour qu’un équilibre existe, Christopher Alexander recommande que chaque habitat individuel offre un espace propre à chaque individu. Ce type de logement permet de mutualiser les moyens pour atteindre une qualité de vie impossible à avoir individuellement en termes de confort physique, de mode de vie (ex : garde des enfants), mais aussi d’un point de vue écologique. Ces habitats permettent aussi de répondre à des besoins de société comme la prise en charge des personnes âgées. Ils permettent à la fois d’avoir accès à un espace à soi pour se retrouver et de se réaliser sans souffrir d’une solitude forcée.
Cette question de la solitude est aussi étudiée par Mona Chollet qui en explore différentes facettes. Si elle peut parfois être désirée, la solitude est en train d’évoluer avec l’arrivée des réseaux sociaux. Invitation au monde à entrer chez soi, ils laissent de moins en moins de temps pour se retrouver au calme. La séparation entre l’extérieur et l’espace à soi tend à être moins marquée. Cela permet d’élargir ses horizons et de moins sentir le poids de la solitude, mais cela peut aussi limiter le temps disponible pour se ressourcer et créer.
Mona Chollet livre avec Chez soi un ouvrage complet traitant des relations autour de l’habitat. S’appuyant sur les travaux de sociologues, anthropologues et architectes ainsi que sur de nombreux exemples concrets, elle montre comment le logement façonne nos vies et nos relations. En partant d’un sujet personnel à savoir sa tendance casanière, l’auteure réfléchit aux implications des choix architecturaux, des politiques publiques du logement, et de la société sur notre rapport à notre espace et à son utilisation.
L’auteure à travers ses propos signe un essai très engagé : avoir un chez soi devrait être un droit fondamental au même titre que le droit à la santé ou que le droit à l’éducation. C’est seulement en jouissant d’un espace à soi décent, façonné intelligemment qu’on peut espérer se réaliser pleinement. Par ce postulat, Mona Chollet met en tension les rapports de forces homme/femme, et l’un des maux de notre société actuelle, à savoir la solitude.
Le propos de Mona Chollet permet une vraie prise de conscience sur notre rapport à notre logement et sur l’idéal de vie qu’on pourrait en exiger. Sa critique touche aussi bien l’organisation de la société capitaliste tournée vers la rentabilité, que sur l’organisation de notre société individualiste et aliénante pour les femmes.
Le titre du livre et la vision qu’y exprime Chollet font sans aucun doute référence à l’ouvrage féministe de Virginia Woolf Une Chambre à soi, dans lequel elle étudie la place des femmes dans l’histoire de la littérature. Analysant en particulier les facteurs éducatifs à cette marginalisation, elle écrit qu'une femme, si elle veut produire une œuvre romanesque digne de ce nom, doit au moins disposer « de quelque argent et d'une chambre à soi ».
Au-delà de cet engagement, l’auteure invite le lecteur à une réflexion politique sur le droit universel à l’habitat et sur l’habitat collaboratif, où elle inscrit son modèle d’habitat idéal dans la lignée du socialisme utopique.
Ouvrage recensé
– Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2015.
De la même auteure
– Sorcières : La puissance invaincue des femmes, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2018.– Beauté Fatale, Paris, La Découverte, 2015.
Autres pistes
– Virginia Woolf, Une chambre à soi, Paris, 10/18, 2001.– Michel Pollan, A place of my own. The architecture of daydreams, Dell Publishing, New York, 1997.– Christopher Alexander, A pattern language. Town, buildings, Construction, Oxford University Press, New York, 1977.– Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, Paris, Presses Universitaires De France, 1957.