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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Mona Ozouf
L’épopée de Varennes fut une véritable révolution dans la Révolution. Le fait même que le roi, le père, abandonne son peuple signa le divorce entre la royauté et la nation, et ouvrit la voie à l’idée républicaine. Il tentait alors, accompagné de la reine et de ses deux enfants de rejoindre le bastion royaliste de Montmédy où il espérait lancer une contre-offensive. Ce fameux 21 juin 1791, dix-neuf mois avant sa fin tragique sur l’échafaud, Louis XVI mourait une première fois dans l’esprit et le cœur des Français. Dans quelles circonstances s’est-il enfui ? Ce moment fut-il à l’origine de la Terreur révolutionnaire ? Quel fut le visage d’une République née de ce chaos ? Autant de questions auxquelles Mona Ozouf répond dans ce livre.
L’équipée de Varennes ne figure pas dans le canon des journées révolutionnaires : ni foules anonymes en fureur, ni sang versé, ni exploits individuels, ni vainqueur, ni vaincu.
Le 21 juin 1791 à Varennes, un roi est venu, un roi s’en est allé, avant de retrouver quelques jours plus tard une capitale sans voix et une Assemblée nationale appliquée à gommer la portée de l’événement. Autant dire, une journée blanche.
Trente-six heures seulement ont séparé le moment où la famille royale s’échappe des Tuileries et celui où il lui a fallu reprendre la route en sens inverse. Et pourtant, ce voyage apparemment sans conséquence fit basculer toute l’histoire révolutionnaire : il éteignit dans les esprits et les cœurs l’image paternelle longtemps incarnée par Louis XVI ; mit en scène le divorce entre la royauté et la nation ; ouvrit un espace inédit à l’idée républicaine ; et, pour finir, projeta la Révolution dans l’inconnu.
Cet ouvrage de Mona Ozouf reconstitue cette histoire énigmatique. Il en éclaire les zones obscures et s’intéresse aux intentions des acteurs. Ce moment tourmenté ouvre une vraie fracture dans l’histoire de France : quelques mois avant la mort du roi Louis XVI, Varennes consommait l’extinction de la royauté.
Dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, six personnes se rejoignirent dans les rues de Paris : les deux enfants de France ainsi que leur gouvernante, Mme Elizabeth la sœur du roi, Louis XVI et Marie-Antoinette. Ils venaient tous de quitter le palais des Tuileries où on ne les perdait jamais de vue et où leur surveillance s’était accrue à mesure que les bruits annonçant leur fuite grandissaient. Il fallait rejoindre la place de Montmédy, hors des frontières du royaume. Le roi s'était enfui vêtu en valet, archétype du bon français puisque nommé « Durand », au service de madame de Korff, censée être une baronne russe alors que c’était en réalité le pseudonyme de madame de Tourzel, la gouvernante. Quant à la reine, elle devint madame Rochet.
Après un long voyage, le soir du 21 juin, alors que la berline faisait halte à Sainte-Menehould, un maître de poste nommé Jean-Baptiste Drouet crut reconnaître le roi, mais ne réagit pas. La troupe repartie, il s’élança finalement à cheval vers Varennes où il pensait que se dirigeait la voiture.
Lors de l’arrivée du roi dans cette commune, un doute fut exprimé sur l’authenticité des passeports présentés, parce qu’ils ne portaient pas la signature de l’Assemblée nationale. Elle n’était nullement requise sur les papiers officiels, mais les habitants de Varennes ne semblaient pas le savoir. Monsieur Sauce, procureur de la commune, averti des doutes de Jean-Baptiste Drouet, offrit le gîte pour la nuit en attendant d’éclaircir l’affaire. Rapidement, alors qu’on lui répétait avec insistance que c’était le roi, il hésita, monsieur Durand persistant à dire qu’il ne l’était pas.
Louis XVI fut finalement reconnu par le juge de la commune qui s’était marié à Versailles quelques années plus tôt : réveillé et poussé dans la chambre des fugitifs, il s’inclina et dit « Ah, Sire ! ». Aussitôt, le tocsin sonna, les rues se remplirent des curieux, et l’espoir s’envola. Il fallait retourner à Paris.
La fuite du roi fut un choc, parce qu’il s’agissait de la manifestation ostensible de la distance que Louis XVI cherchait à mettre entre ses sujets et lui-même. Plus personne ne croyait dès lors à la royauté sacerdotale, et celle-ci n’était plus soutenue par la notion de majesté. Le roi ne se distinguait plus du reste de l’humanité et ainsi se déchaînèrent contre lui la déception, le ressentiment, voire la haine. Varennes n’a pas fait des révolutionnaires, mais des enfants ulcérés d’avoir été trahis, abandonnés par un fuyard. Sans père désormais, c’est-à-dire sans roi.
Parmi toutes les causes mises en avant par Mona Ozouf pour justifier l’échec de la fuite royale, l’historienne en retient une, qui semble à elle seule contenir les raisons de cette infortune : il s’agit, entre les fugitifs et leurs poursuivants, de la discordance des temps. Le temps des fugitifs comme de leurs partisans était celui de l’Ancien Régime : celui de la lenteur des choses, des arrangements laborieux, des complications de l’étiquette, de la diplomatie. Sur la route de Varennes, on vit un roi peu pressé, des officiers qui parlementèrent et tergiversèrent. Tous les témoins s’accordaient sur la lenteur de la berline.
De l’autre côté, des municipaux qui se concertèrent, alertèrent les alentours, firent sonner la cloche et galoper leurs émissaires : la Révolution n’avait pas de temps à perdre. Était-ce, de la part du roi, de la paresse ? De l’indifférence ?
Mona Ozouf explique que c’est la soumission au destin qui donnait à Louis XVI la dignité calme qui ne l’abandonna jamais, mais c’est elle aussi qui le priva de toute initiative et l’empêcha de saisir les occasions. À aucun des épisodes de cette aventure, il ne s’est départi de ses habitudes de patience et de prudence qui faisaient partie de sa nature.
À Paris, en l’absence de la famille royale, l’Assemblée chercha par tous les moyens à cacher l’évasion et poursuivit ses activités afin de montrer que le départ du roi n’entravait en rien la marche régulière du gouvernement. Il fallait démentir les rumeurs de l’imminence d’une guerre civile, que tout le monde craignait en l’absence du roi dans la capitale. Pourtant, son image était bien dégradée : l’idée d’une fuite se répandait, nourrissant les discussions à propos de l’utilité du monarque. C’était une vision polémique de la société du temps, puisqu’elle impliquait la dissociation entre le roi et l’État, qui trouva dans les événements de Varennes son application pratique.
L’historien Michelet dit d'ailleurs, à ce propos : « Paris se passait très bien de roi ». C’est ainsi que l’idée de « république » apparut, et fut promise à une éclatante fortune dans les semaines qui suivirent.
Le convoi qui reprit la route vers Paris dut naturellement affronter des réactions contrastées de la part des sujets. Certains menaçaient, d’autres crachaient et la famille royale était constamment huée. Seuls furent acclamés les députés de l’Assemblée nationale lorsqu’ils rejoignirent le cortège à quelques lieues d’Épernay. Les deux pouvoirs de la monarchie constitutionnelle se faisaient alors face dans la cohue et le retour dans la capitale allait s’avérer tout aussi houleux.
Lors de l’entrée de Louis XVI dans la ville de Paris, la foule était immense et brandissait armes, piques et baïonnettes. Les témoins de la scène décrivirent une famille royale qui semblait marcher au supplice en se rendant aux Tuileries. Durant la fuite, le royaume avait été orphelin de son roi ; il le fut davantage avec son retour. Louis XVI revint captif et il fallait déterminer comment le traiter : le pouvoir exécutif fut dans un premier temps suspendu durant les investigations à propos d’éventuels complices.
Mais comment considérer, dès lors, le principe de l’inviolabilité royale qui avait pourtant été voté en septembre 1789 ? La majorité, à l’Assemblée, savait qu’il lui faudrait changer des choses, mais elle souhaiter réellement sauver Louis XVI, contourner le gouffre ouvert par la fuite, apaiser les esprits. Si on ouvrait le procès du roi, comment éviter d’avoir à refaire une constitution ?
La gauche souhaitait ramener le monarque à l’état ordinaire d’un individu juridiquement responsable, dépouillé du prestige de la royauté. D’autres précisèrent que le roi était avant tout un symbole qu’il était impossible de réduire à une condition humaine. Mais l’ombre d’un procès planait déjà, ce que Mona Ozouf qualifie de « première marche vers l’échafaud », reprenant les mots d’un témoin du temps.
La solution qui rendait obsolètes tous les débats autour de l’inviolabilité fit son apparition : la République. Elle franchit pour la première fois les portes de la scène politique, même si les premières réactions furent majoritairement hostiles. Mais la théorie était apparue. Si la République était encore hésitante, la royauté était déjà condamnée.
En juillet, deux décrets furent publiés qui, sans se prononcer explicitement sur le sort de Louis XVI, l’innocentèrent implicitement. Ils devaient apaiser les esprits, mais ce sont précisément ces deux textes qui provoquèrent dans le camp des patriotes une irréparable fracture.
En effet, le peuple parisien n’entendait pas les choses ainsi et nombreux réclamaient que la nation réglât elle-même le sort du roi. Des députés, parmi lesquels Robespierre, rappelèrent qu’il n’était plus possible de pétitionner contre des décrets déjà publiés et en appelèrent au calme. Toutefois, des Jacobins établirent la pétition selon laquelle Louis XVI, en fuyant, avait renoncé à son titre et qu’on devait le remplacer. Ils ne faisaient pas l’unanimité, y compris dans leur propre camp : certains n’acceptaient pas l’insinuation de la déchéance du roi fugitif, d’autres refusaient la régence qu’elle entraînerait en plaçant sur le trône de France un enfant.
Le 17 juillet, la fracture fut plus grande encore, sanglante cette fois. Ceux qui s’opposaient au rétablissement du roi dans toutes ses prérogatives prévoyaient de se rassembler. Le matin, la commune de Paris avait interdit la manifestation, instaurant la loi martiale et demandant à la garde nationale de disperser tout rassemblement. Mais après un jet de pierre au Champ-de-Mars, les événements s’enchaînèrent jusqu’à provoquer des tirs dans l’assistance. C’était là la mort de l’alliance entre la garde révolutionnaire et le peuple parisien.
Nombreux furent ceux, historiens ou contemporains des événements, qui ont vu dans les événements du Champ-de-Mars le point de départ de la mise en place progressive de la Terreur. Mona Ozouf revient sur ce différend historiographique et refuse d’y voir ce commencement dans la journée du 17 juillet. Car la loi martiale instaurée punissait des crimes définis et des ordres sciemment bafoués ; il manquait donc à ces événements l’essence même de la Terreur, c’est-à-dire l’indétermination de ceux qui la pratiquèrent. Aussi, l’historienne refuse de faire de Varennes l’origine d’un temps de violences d’État sans précédent.
Alors qu’il avait rapidement signalé sa déception à l’empereur d’Autriche de n’avoir pu recouvrer sa liberté après sa fuite manquée, Louis XVI adopta en septembre 1791 un discours plus mesuré. Il conseillait à ses frères exilés de ne rien tenter d’inconsidéré, jugeant plus raisonnable d’attendre que le gouvernement révolutionnaire ne s’effondrât sous le poids de ses propres absurdités.
Mais très vite, il écrivit au baron de Breteuil pour recommander la tenue d’un congrès des puissances européennes, appuyé par une force armée. Mona Ozouf précise que le roi partageait, avec la reine Marie-Antoinette, la pratique du double-jeu, aussitôt devinée par l’opinion patriote qui voyait dans Varennes le prélude à une invasion contre-révolutionnaire. Les liens d’un prince humilié et potentiellement rebelle, à la nation, étaient bel et bien rompus. Aucun retour en arrière ne semblait possible.
Varennes fut au cœur des débats lors du procès de Louis XVI, en 1792. Nombreux furent ceux qui pensaient alors que c’était à cause de ces événements que le roi avait définitivement perdu ses droits au trône. La Convention, régime politique qui dirigeait la France en ce temps et qui devait décider du sort du monarque, tenait d’autant plus à mettre en évidence la fuite que l’Assemblée de 1791 s’était évertuée à la gommer. Elle l’accusait d’avoir trop légèrement accordé son pardon, étouffé le cri d’indignation populaire qui s’était alors élevé contre le roi, et manqué le moment de lui intenter un procès.
Les Conventionnels considéraient qu’il fallait désormais traiter Louis XVI tout autrement, et balayer des siècles de préjugés concernant la personne du roi qui exerçaient encore leur fascination sur les hommes du temps. Ce sont donc les souvenirs de Varennes qui conduisirent le procès : en actant la mort symbolique de la royauté, l’événement préparait déjà une autre mise à mort, celle du monarque qui l’incarnait. Mona Ozouf termine son ouvrage en signalant que la monarchie, qui allait survivre à Louis XVI au cours du XIXe siècle, avait définitivement perdu après Varennes sa dimension sacrée. En dépit de tous les efforts déployés lors du sacre de Charles X en 1825, l’événement n’eut pas le sens extraordinaire qu’il avait auparavant ; il échoua à manifester l’union mystique du roi et de ses sujets.
Cet ouvrage de Mona Ozouf permet de mieux comprendre comment une journée, un événement en apparence sans grande conséquence, a modifié le cours de la Révolution française. Varennes ne fut pas, selon l’historienne, à l’origine de la Terreur, mais constitua un vecteur du transfert de légitimité entre le droit divin (incarné par la personne royale) et la loi (émanation des citoyens).
Les semaines qui ont suivi ont montré qu’il était impossible d’envisager cette idée en conservant le roi sur le trône de France, dans une monarchie constitutionnelle si éloignée des références traditionnelles auxquelles Louis XVI était resté fidèle. Ainsi, le choix du sous-titre de cette étude par l’historienne prend tout son sens : c’est après Varennes qu’il est possible de constater la mort de la royauté.
Cet ouvrage appartient à la collection « Les journées qui ont fait la France » de la maison d’édition Gallimard, qui rend à l’histoire événementielle son poids et son importance.
Mona Ozouf se penche ainsi sur cinq jours qui ont non seulement modifié le cours de la Révolution, mais également le sort de la royauté.
L’historienne raconte, dans un style particulièrement agréable à lire, l’un des moments les plus marquants de notre histoire collective : celui durant lequel un petit village lorrain a supplanté Paris dans l’esprit révolutionnaire. L’étude est fouillée, appuyée par de nombreux témoignages du temps, et se lit comme un (bon) roman.
Ouvrage recensé
– Varennes. La mort de la royauté, Paris, Gallimard, coll. « Les journées qui ont fait la France », 2005.
De la même auteure
– L'École, l'Église et la République 1871–1914, Paris, Armand Colin, 1962 [2007].– Avec François Furet, Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988. – Avec François Furet, Le Siècle de l'avènement républicain, Paris, Gallimard, 1993.– Composition française : retour sur une enfance bretonne, Paris, Gallimard, 2009.– De Révolution en République : les chemins de la France, Paris, Gallimard, coll. « Quarto » 2015.
Autres pistes
– François Furet et Ran Halévi, La monarchie républicaine. La constitution de 1791, Paris, Fayard, 1996.– Philip Mansel, La Cour sous la Révolution, l’exil et la Restauration, 1789-1830, Paris, Tallandier, 1989.– Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Paris, Perrin, 2005.– Alexis Philonenko, La mort de Louis XVI, Paris, Bartillat, 2000.– Michel Vovelle (dir.), Révolution et République, Paris, Kimé, 1994.