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De l’Esprit des lois

de Montesquieu

récension rédigée parJeanne BinaDoctorante à l'EPHE et chargée de cours à l'IEP de Paris.

Synopsis

Philosophie

De l’Esprit des lois, publié en 1748, est une enquête visant à comprendre comment les lois incarnent et organisent la vie sociale d’une nation. Comment les lois peuvent-elles créer l’harmonie politique ? Qu’est-ce qu’un bon gouvernement ? Insistant sur la nécessité de la liberté politique et de la distribution équilibrée des pouvoirs, il est le penseur de la modération et de la liberté. Partant de ses observations qui sont notamment le fruit de ses voyages, il fait un examen détaillé des réalités sociales, culturelles et physiques. C’est pourquoi il est souvent présenté comme un sociologue avant l’heure.

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1. Introduction

De l’Esprit des lois a été publié anonymement à Genève en 1748. Sa lecture est interdite en France. Dès 1751, le pape le met à l’Index. Dans cet ouvrage, Montesquieu examine comment les lois organisent la vie sociale dans une nation. Il se demande dans quelle mesure cette organisation est cohérente et harmonieuse et plus précisément comment le législateur doit agir pour rendre cette cohérence et cette harmonie possibles. La vie politique est fondée sur l’accord entre le gouvernant et les gouvernés, mais ce sont les lois qui permettent et sont le garant de cette harmonie. La loi, et plus encore l’esprit de la loi, occupent une place fondamentale.

La méthodologie de Montesquieu est celle de l’observation et de la distanciation : prendre du recul lui permet de mieux comprendre et analyser sa propre société – il suivra une démarche analogue dans Lettres Persanes. Après deux années de voyages en Europe où il a pu observer les autres cultures et systèmes politiques, ainsi que des années de lecture, Montesquieu fait le constat suivant : les hommes ne sont pas « uniquement conduits par leurs fantaisies » mais il y a une rationalité qui gouverne les sociétés. Cette rationalité n’est plus le fait d’un ordre transcendant (Dieu ou la nature) mais de phénomènes immanents incarnés dans la loi. La loi prend une épaisseur nouvelle car elle n’est plus le fait de la volonté divine, elle dépend des conditions historiques, climatiques, culturelles, géographique. L’autre constat est que les lois ont un esprit, soit à la fois une âme et une histoire mais aussi une géographie et sont le produit de meurs particulières.

Les sujets principaux qu’il développe tout au long de son ouvrage sont la question de la source des lois réelles et la théorie des gouvernements. Penseur et défenseur de la liberté politique et de la modération, Montesquieu en appelle à la monarchie constitutionnelle qu’il considère comme un « chef d’œuvre de législation » car ce type de gouvernement rend l’équilibre des pouvoirs possibles.

2. Une réflexion renouvelée sur la loi : origine, finalité et application

La particularité de la démarche de Montesquieu tient du fait qu’il part d’un examen, d’une enquête sur les lois dans leur grande diversité. Dans un premier temps, il cherche à comprendre et expliquer ces lois. Puis de là, il tente de dégager les fondements rationnels du droit. Comment la raison humaine qui légifère agit dans des situations singulières ? Montesquieu veut élucider cette raison législatrice en présentant d’abord les lois réelles – telles qu’elles existent dans des situations singulières – pour rendre compte de leurs multiples caractéristiques, et comprendre la logique et le fonctionnement de cette raison fondatrice. On part donc d’exemples concrets pour penser les fondements d’un droit naturel qui peut s’articuler avec lois positives instituées par les hommes.

La nouveauté de son approche réside aussi dans le fait qu’il considère que l’examen des lois ne doit pas se limiter à la sphère juridique : il ne s’agit pas dans De l’Esprit des lois de faire un traité de jurisprudence. En effet, il affirme qu’il « ne traite point des lois, mais de l’esprit des lois, et que cet esprit consiste dans les divers rapports que les lois peuvent avoir avec diverses choses ». La jurisprudence, c’est l’étude et la compréhension du corps des lois. Ici, Montesquieu veut aider son lecteur à sonder l’âme ou esprit des lois car cela nous permet de comprendre l’ensemble des relations qui doivent être prises en compte, ainsi que la situation historique particulière dans laquelle le législateur intervient. Autrement dit, il ne se limite pas aux lois positives et aux institutions politiques, mais se demande également comment ces lois se rapportent à un ensemble plus large que constitue la société.

Si on s’intéresse à un objet d’étude plus large que la loi, celle-ci demeure au fondement de cet ordre. Si l’universalité de la loi est posée, son essence n’est plus d’ordre divin, mais fait appel à la raison humaine législatrice dont l’objectif est de résoudre une question politique : savoir quel est le meilleur gouvernement. Pour l’auteur, le meilleur gouvernement est celui qui est en accord avec son peuple particulier pour lequel il est institué. Ainsi, la réflexion de Montesquieu sur la souveraineté va interroger les lois du point de vue de la légitimité politique. On cherche à connaître les fondements de l’autorité.

3. La théorie des tempéraments et des climats : l’influence du climat sur les lois

Montesquieu considère que la loi, comme raison humaine, est instituée en situation, c’est-à-dire qu’elle est créée en fonction de situations particulières. Les lois ne sont pas le fait d’une volonté unique qui les créées ex nihilo mais elles s’inscrivent dans l’histoire. De là, Montesquieu conçoit le législateur d’une manière réaliste En effet, les lois ne sont pas homogènes et uniformes, elles peuvent être divergentes voire contradictoires. Il se demande donc comment le climat peut influencer le tempérament des citoyens et comment le tempérament des citoyens va influencer l’élaboration des lois.

De manière didactique, il illustre sa théorie par de nombreux exemples concrets. Pour n’en citer que certains, intéressons-nous aux effets des climats en Angleterre et en Chine qui aboutissent à des systèmes sociopolitiques très différents voire opposés. Dans le chapitre 13 du Livre XIV « Des effets qui résultent du climat d’Angleterre », il écrit que le gouvernement d’Angleterre est le plus libre des gouvernements car ce dernier ne peut obliger son peuple, le climat étant déjà terrible et la souffrance quotidienne. Les causes physiques sont en relation avec les causes morales. Montesquieu examine les dispositions singulières d’un peuple et comment ces dispositions influencent la pratique du législateur .

Dans le chapitre 21 du Livre VIII « De l’Empire de la Chine », il s’intéresse aux effets du climat en Chine. « Le climat de la Chine est tel qu’il favorise prodigieusement la propagation de l’espèce humaine […] La tyrannie la plus cruelle n’y arrête pas le progrès de la propagation […] La Chine, comme tous les pays où croît le riz, est sujette à des famines fréquentes […] Comme, la malgré les expositions d’enfants, le peuple augmente toujours à la Chine, il faut un travail infatigable pour faire produire aux terres de quoi le nourrir : cela demande une grande attention de la part du gouvernement […] La Chine est donc un État despotique, dont le principe est la crainte ». Selon Montesquieu, en Chine, le climat influence la propagation de l’espèce qui semble appeler un certain despotisme. Cette nécessité climatique constitue également ce qui va forcer le gouvernement à bien gouverner son peuple et à organiser le pouvoir avec raison. « Ce doit être moins un gouvernement civil qu’un gouvernement domestique ».

Ses interrogations sur les rapports entre les causes physiques (comme l’influence de l’air par exemple) et morales (les mœurs) ne se limitent pas à ces deux pays. Il s’interroge en effet sur les rapports entre servitude politique et nature du climat chez les peuples de Rome, les Allemands, les japonais, les peuples d’Asie du nord, etc.

4. Les libertés politiques comme garantie contre le despotisme

La liberté politique est assurée quand le citoyen obéit aux lois générales, fixes, non arbitraires et qui sont soumises au principe de publicité. Le pouvoir doit arrêter le pouvoir. Dans le Livre XI, Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport à la constitution, son projet est de penser les conditions constitutionnelles de la liberté par le moyen de la distribution des pouvoirs. La loi stipule et garantit l’esprit de la loi, c’est elle qui donne forme à la liberté. Donc l’esprit des lois, c’est la liberté.

Comment définit-il la liberté ? « La liberté, c’est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir » (p. 235) ; la liberté politique, c’est donc le fait de pouvoir faire ce que la loi autorise, et « point à faire ce que l’on veut ». L’objet des lois et donc de la constitution est de répartir selon un esprit de « modération », les prérogatives de chaque pouvoir. Dès lors, la modération est la condition sine qua non de la liberté politique. Il insiste d’ailleurs dans le chapitre 4 du livre XI que la « liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés ».

Parce que « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites » (p. 395), la condition constitutionnelle de la liberté est la modération et le non abus du pouvoir et « la vertu même a besoin de limites ». Ainsi, la seule façon de ne pas abuser du pouvoir, c’est que « le pouvoir arrête le pouvoir ».

Dès lors, la constitution doit limiter les pouvoirs en les partageant et en instaurant des pouvoirs intermédiaires comme les lois, le parlement, la presse, qui sont subordonnés au roi mais en même temps indépendants. Le rôle de ces pouvoirs intermédiaires est de limiter et affaiblir les pouvoirs du roi en les partageant afin de fournir un frein et un équilibre à la volonté du roi et de prévenir le despotisme. La constitution est donc l’organisation des contre-pouvoirs, notamment par la séparation de ces derniers, seul moyen de garantir la liberté et partant d’instituer un gouvernement modéré.

5. Le gouvernement modéré et la séparation des pouvoirs

Pour former un gouvernement modéré, il faut organiser les puissances grâce aux lois dans le but d’atteindre l’ordre et l’harmonie – qui n’existent pas a priori mais sont le résultat d’un travail de composition juridique très complexe, accompli par le législateur, « un chef d’œuvre de législation ».

Dans le chapitre 6 « De la Constitution d’Angleterre » du Livre XI, Montesquieu s’intéresse à l’expérience anglaise pour présenter les bienfaits du constitutionalisme. Il présente la République romaine dans le chapitre suivant à titre de comparaison – Rome apparaissant comme modèle pour les rois qui rêvent d’une monarchie universelle. La constitution anglaise, monarchique en apparence, présente un bon équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire selon lui, ce qui lui apparaît comme nécessaire.

Pour Montesquieu, séparer les pouvoirs signifie qu’ils n’ont ni la même origine et ni la même compétence. Néanmoins, il ne cherche pas à défendre une séparation totale des pouvoirs car une indépendance complète n’aurait pas de sens. En effet, si les pouvoirs sont totalement indépendants, ils ne peuvent pas collaborer et encore moins se surveiller l’un l’autre . Partant, il défend en réalité une théorie de la balance des pouvoirs dans laquelle les pouvoirs interagissent. Il s’agit surtout d’éviter que les pouvoirs législatif et exécutif relèvent de la même personne car ces si ces trois pouvoirs appartiennent à la même personne, cela aboutit nécessairement au despotisme.

Dès lors, le constitutionalisme est un rempart mené contre l’absolutisme. Il se définit comme une limitation du pouvoir et la mise en place de contre-pouvoirs. « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté » (Ch. VI). Cela peut mener à la tyrannie. Il n’y a pas non plus de liberté si le pouvoir de juger n’est pas séparé des autres pouvoirs car le pouvoir sur la vie et sur la liberté des citoyens serait « arbitraire » et le juge pourrait avoir la puissance d’un « oppresseur ». Par conséquent, le cumul des pouvoirs serait le despotisme lui-même.

Montesquieu distingue les différentes formes de régimes : la république, la monarchie et le despotisme, le dernier étant le régime dans lequel il ne faut pas tomber. Il modifie ainsi la classification antique (démocratie, aristocratie monarchie qui peut aboutir à la tyrannie) et abandonne le critère classique du nombre de citoyens. Ce qui compte avant tout, c’est l’esprit qui anime le gouvernement.

6. Conclusion

De l’Esprit des lois est sans conteste un grand classique de la pensée politique. Montesquieu y décrit les différentes formes de gouvernement et les lois qui conviennent à ces régimes. Il considère que la limitation du pouvoir rendue possible grâce à la distribution équilibrée des pouvoirs rend possible l’harmonie nécessaire et désirée entre le peuple et les gouvernants. Cette harmonie est garantie par les lois.

Cet ouvrage, qui comprend une dimension théorique, est également composé d’observations de situations singulières concrètes pour mettre en avant leur diversité. C’est pourquoi des penseurs comme Auguste Comte, Émile Durkheim, Raymond Aron ou Louis Althusser, le considèrent comme le précurseur de la sociologie moderne. Il est le premier à concevoir le corps politique comme un tout dans lequel des éléments comme le climat, les institutions, les mœurs s’influencent les uns les autres.

7. Zone critique

De l’Esprit des lois a été vivement critiqué, notamment par des jésuites et des jansénistes. C’est pourquoi Montesquieu fera paraître en 1750 une Défense de l’Esprit des lois. Ainsi, que ce soit chez ses défenseurs ou ses réfractaires, son œuvre a stimulé de nombreuses réflexions. Certains auteurs ont considéré qu’il avait introduit le système parlementaire, d’autres pensaient qu’il était l’un des pères fondateurs du libéralisme moderne.

Attention à ne pas tomber dans l’anachronisme. S’il est incontestablement le penseur de la liberté politique, il ne défend pas un État minimal. Au contraire, ce qui compte dans son œuvre c’est ce chef d’œuvre de législation qu’il évoque et qui consiste dans l’accord et l’harmonie entre la liberté du peuple et la puissance de l’État. Sa validité est indépassée et plus qu’actuelle.

En effet, cette théorie constitutionnelle de la distribution et de la limitation des pouvoirs de Montesquieu constitue aujourd’hui dans le monde une norme politique et constitutionnelle répandue : cette conception selon laquelle il est nécessaire d’arrêter le pouvoir grâce à des contre-pouvoirs est au fondement de nombreuses constitutions dans le monde aujourd’hui.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– De l’Esprit des lois, Paris, Œuvres complètes II, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, NRF, 1950, présentation et annotations par Roger Caillois.

Du même auteur

– Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, Paris, Folio, 2008 [1734].– Lettres persanes, Paris, Livre de Poche, 2006 [1721].

Autres pistes

– Louis Althusser, Montesquieu, la politique et l'histoire, Paris, PUF, 2003– Simone Goyard-Fabre, Montesquieu : les lois, la nature et la liberté, Paris, PUF, 1993– Denis de Casabianca, Montesquieu, L'Esprit des lois, Paris, Ellipses, 2003– Pierre Manent, Cours familier de philosophie politique, Paris, Gallimard, Collection Tel, 2004

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