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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Dire non ne suffit plus

de Naomi Klein

récension rédigée parNicolas DelforgeDocteur en épistémologie. Chercheur associé au sein du laboratoire AHP-PReST (CNRS, UMR7117).

Synopsis

Société

Il est grand temps d’en finir avec la stratégie néolibérale du choc qui utilise les crises sociales et écologiques pour implanter toujours plus profondément une idéologie mortifère. C’est elle qui a mené Trump au pouvoir, et celui-ci s’empresse aujourd’hui d’aggraver la situation à son propre profit et celui des plus riches. Aux États-Unis comme ailleurs, bien des voix s’élèvent contre les politiques destructrices du lien social et de la diversité. Pourtant, pour nécessaires et utiles qu’ils soient, ces mouvements de résistance ne suffisent plus. On lira ici l’ouvrage très bien documenté d’une journaliste engagée, écœurée de voir la cupidité détruire le monde, mais plus motivée que jamais à réinventer le vivre-ensemble.

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1. Introduction

L’ouvrage part d’une hypothèse : Trump est la conséquence d’un système malsain mis en place voici plus de cinquante ans. Il en est la caricature, le symptôme extrême, mettant sur le devant de la scène, sans plus aucun filtre, la violence d’une politique fondée sur la toute-puissance des intérêts privés, une politique dénuée de scrupules – même de façade – vis-à-vis des intérêts communs et des malheurs des plus pauvres.

Il s’agit de dire non à ce système et pour cela, d’en comprendre l’histoire. Selon Klein, il y a urgence, car Trump risque de pousser à son maximum la stratégie du choc étudiée ailleurs par l’essayiste : utiliser les crises économiques, politiques, sanitaires, comme des occasions pour faire passer des idées néolibérales (sur le plan économique) et autoritaires (sur le plan politique).

Mais comprendre l’histoire et dire non ne suffisent plus. L’ouvrage cherche aussi à dessiner des propositions d’autres mondes possibles. Klein suit la voie de l’écologie, mais aussi des politiques antiracistes et féministes, notamment. Inventer des récits qui renouvellent l’imagination utopique au sein de la population, sans attendre des politiciens professionnels ou des milliardaires qu’ils sauvent le monde, telle est l’idée phare.

Klein affirme avoir écrit ce livre en quelques mois. Grâce à ses analyses antérieures (la stratégie du choc, mais aussi les marques creuses), certaines spécificités du mandat de Trump apparaissent. La journaliste à la double nationalité (canadienne et états-unienne) s’adresse à tous ceux qui souhaitent sortir de l’état de commotion provoqué par l’élection de Trump en Amérique du Nord, mais aussi dans le reste du monde.

2. La marque Trump

Dans No logo, son premier essai, Klein avait étudié la logique de marques mondiales telles que Nike ou Apple. Elle montrait comment ces entreprises ne se préoccupaient plus de la production ni des conditions de travail et de rémunération des personnes travaillant en usine ; il leur suffisait de créer une mythologie autour d’un nom pour attirer les consommateurs. C’est l’avènement des « marques creuses » : on ne vend pas d’abord une chose concrète mais une idée. Peu importe la qualité et même le produit, tant que le consommateur se reconnaît dans une communauté de valeurs véhiculées par l’enseigne.

Pour Klein, Trump a parfaitement compris cette nouvelle tendance et tout particulièrement celle du personnal branding : son nom et sa personne sont le cœur de sa marque. Alors que ses immeubles et ses produits sont douteux sur le plan de la qualité, il a réussi à bâtir un prestige de marque grâce à la revente de licences « Trump » (il se contente de recevoir des dividendes sans porter la responsabilité de ce que font les investisseurs des immeubles réels) et aussi à son passage à la télévision.

La marque Trump a en effet bénéficié de la capacité de l’homme à « faire le show ». En lui offrant la possibilité de s’exhiber, l’émission The Apprentice l’a propulsé au plus haut niveau de célébrité. Son nom est devenu capable d’attirer d’autres marques et les affaires des marques associées à la famille Trump ont considérablement prospéré. Le businessman a également profité d’un bon timing, puisqu’il est arrivé à point nommé pour proposer des appartements de luxe aux oligarques russes et colombiens.

3. L’accession à la Maison-Blanche

Mais pour parvenir à la Maison-Blanche, il en fallait davantage. Le « tour de passe-passe » subtil a reposé sur l’utilisation de la colère et du désespoir des travailleurs sans emploi, dont les marques se moquaient pourtant en délocalisant toujours plus. En vociférant contre des cibles faciles (les immigrés notamment), en manifestant sa puissance, Trump a mis dans sa poche les victimes mêmes du système qu’il défendait.

C’est à eux, comble d’ironie, qu’il a promis des emplois neufs, notamment en pariant tout sur les nouvelles énergies fossiles. Héros de la success-story capitaliste, il a réussi à faire de sa fortune l’un des arguments clés de son accession au pouvoir. Lors de sa campagne, il a utilisé un double argumentaire : sa richesse le rendrait incorruptible et sa connaissance du monde des affaires le rendrait capable d’en prendre le contrôle. Son accession au pouvoir a pourtant rendu la situation encore plus cynique. En fait, Trump a fusionné le pouvoir public et ses intérêts privés.

Cette accession au pouvoir doit aussi être mise en perspective à partir de l’histoire du néolibéralisme. Des théories de Milton Friedman à l’arrivée au pouvoir de Bush junior, en passant par la vague dérégulatrice de l’ère Reagan, le néolibéralisme s’est progressivement implanté au point de faire croire à tous, en 2008, à la nécessité de renoncer aux avantages sociaux et aux biens de base au profit d’un renflouement des banques.

Trump constitue à la fois la caricature de cette idéologie et le comble de ce processus historique. Désormais, les pratiques de collusion s’exercent au grand jour. Les gros bonnets du privé entrent dans le gouvernement ou des anciens membres du gouvernement entrent dans le privé (pour éventuellement refaire un tour dans le public) de façon bien visible.

Klein mentionne pléthore de cas. Par exemple, cinq dirigeants de Goldman Sachs ont obtenu des fonctions de direction dans le gouvernement de Trump… Alors que celui-ci avait fustigé la banque pendant sa campagne et que celle-ci a joué un rôle essentiel dans la crise de 2008.

4. Logique du choc et conséquences du trumpisme

La stratégie du choc s’est amplifiée dans les années 2000 : guerre en Irak en réponse aux attentats du 11 septembre 2001, renflouement des banques suite à la crise financière de 2008, deux occasions uniques de solidifier les acquis de l’idéologie néolibérale et d’étendre le pouvoir des plus riches.

Le projet de Trump respecte fidèlement cette tendance générale : profiter des migrations, des guerres et de l’insécurité, profiter de la crise économique pour déréguler toujours plus l’économie afin de laisser libre jeu aux multimilliardaires. Les chocs à répétition, bien entretenus, mettent bon nombre d’individus K.-O.

Trump, le businessman président, veut faire de l’argent. Pour ce faire, son gouvernement ne redoute pas l’incertitude et l’état de guerre permanent, au contraire. Les spéculations sur le prix du pétrole offrent un exemple paradigmatique de cette stratégie et de ses conséquences : « [L]e chaos a de longue date fait ses preuves, dès lors qu’il s’agit de faire grimper les prix du pétrole. S’il monte à 80 dollars ou plus le baril, ce sera de nouveau la ruée pour extraire et consommer les énergies fossiles les plus polluantes […] Une remontée des prix libérerait la frénésie de l’extraction des énergies fossiles à haut risque et à forte teneur en carbone […]. Si cela arrivait, c’en serait fait de notre dernière chance d’échapper à un changement climatique catastrophique. Donc, très concrètement, prévenir la guerre et éviter le chaos climatique ne sont qu’un seul et même combat » (Troisième partie, chapitre 9).

5. Négationnisme climatique et décollage des riches

Trump nie le réchauffement climatique, pourtant accrédité par 97% des scientifiques du monde. Pourquoi ? Pour préserver les millions de dollars investis dans les énergies fossiles ? Pas seulement. Plus fondamentalement, il s’agit de maintenir la confiance en l’idéologie néolibérale elle-même. Le changement climatique requiert une action collective qui court-circuite frontalement les agissements du secteur privé et en premier lieu des multinationales. Augmenter les impôts des riches et des entreprises, réguler, localiser, aider les plus pauvres et les victimes des catastrophes, voilà ce à quoi le changement climatique devrait nous inciter pour l’auteure.

A contrario, Klein détaille comment l’ouragan Katrina fut l’occasion pour Mike Pence notamment (qui devint plus tard le vice-président de Trump), d’introduire des mesures néolibérales pour « sauver » les habitants. Or dans les faits, c’est l’inverse qui est vrai : les politiques néolibérales séparent toujours plus les privilégiés des pauvres. Klein opère d’ailleurs un rapprochement frappant : l’abandon des citoyens pauvres pendant que les plus riches se mettaient à l’abri, après la dévastation de Katrina, ressemble sur plusieurs aspects à la création de zones vertes et de zones rouges qu’elle a observées dans un contexte de guerre, à Bagdad.

Notre imaginaire est peuplé par des mondes dystopiques où l’avenir serait composé de riches décadents survivant au-dessus de la mêlée grouillante abandonnée à elle-même. Simples lubies ? Il suffit de jeter un œil du côté de la création de « villes flottantes » (un projet imaginé par le petit-fils de Friedman) pour comprendre qu’il s’agit d’une possibilité bien réelle. En niant la crise climatique, les plus riches ont désormais explicitement tourné le dos aux plus pauvres.

6. Plaidoyer pour un populisme de gauche

Le seul candidat soutenu par Naomi Klein fut Bernie Sanders. Le succès de Sanders a prouvé, selon elle, le caractère populaire de mesures dites « socialistes » (système de santé gratuite, annulation de la dette étudiante, mesures environnementales par exemple). Pourtant, il a échoué à convaincre la population noire et la population féminine.

Sur le sujet de la réparation des crimes de l’esclavage par exemple, il est resté trop peu loquace. Ce qui fait dire à l’auteure qu’il est urgent que les populistes de gauche apprennent de cet échec.

Il s’agit d’éviter le retour à l’alternative entre statu quo de l’establishment, proposé par les démocrates bon teint tels que Hillary Clinton, et un populisme de droite de plus en plus agressif. Bien qu’elle s’adresse aux minorités, la politique réformatrice du centre droit conserve fondamentalement la logique néolibérale. C’est d’ailleurs la leçon à tirer de la victoire si prometteuse d’Obama. Celui-ci avait mandat pour reconstituer l’économie, protéger l’environnement, responsabiliser les banques ; au lieu de cela, l’ancien président a finalement fait l’inverse et son plan est devenu « une version modifiée tout en douceur du business as usual ».

Il faut surtout – affirme l’auteure – faire de la politique en deçà des politiciens institués, c’est-à-dire cesser d’attendre qu’un changement se fasse via l’aide des politiciens ou même de riches milliardaires tels que Bill Gates. Klein cite Howard Zinn : « il importe peu de savoir qui est assis à la Maison-Blanche, ce qui importe, c’est qui fait des sit-in – dans les rues, dans les cafétérias, dans les lieux de pouvoir, dans les usines. Qui proteste, qui occupe des bureaux et qui manifeste – voilà ce qui détermine le cours des choses » (Quatrième partie, Chapitre 11). Bref, c’est à chaque citoyen de créer les conditions d’un renouveau du vivre-ensemble.

7. Redéployer l’imagination utopique

Pourquoi les crises récentes n’ont-elles fait que s’échouer sur le sable bitumineux du business as usual, sans générer d’alternatives solides ? La réponse de Klein est nette : l’utopie a perdu de son efficace. L’imagination utopique s’est atrophiée, elle a été mise en état de sidération par la petite musique néolibérale. Ainsi, même s’ils se sont sentis choqués devant ces crises, « [l]es enfants du néolibéralisme ont […] eu du mal à concevoir quelque chose de différent de ce qu’ils avaient toujours connu » (Quatrième partie, chapitre 11).

C’est pourquoi les Occidentaux pourraient s’inspirer des communautés qui ont été trop longtemps soumises et humiliées : « Certaines cultures, certaines communautés, notamment les peuples autochtones, ont constamment cherché à conserver vivants les souvenirs et les modèles d’une vie différente, qui ne se fonde ni sur la propriété de la terre ni sur la quête incessante du profit » (Quatrième partie, chapitre 11).

Il est grand temps de bondir, nous dit Klein. Mais il faut aussi imaginer mieux, de façon plus réaliste : « La vérité, […] c’est que nous ne sommes pas dotés de ce pouvoir quasi divin de réinvention et que jamais nous ne le fûmes. Il nous faut vivre avec le désordre et les erreurs qui sont les nôtres, aussi bien que dans les limites de ce que la planète peut supporter » (Troisième partie, chapitre 9). Pour ce faire, il faudra notamment apprendre à chasser le Trump qui se cache en chacun de nous (volonté de conquête, lustrage sans fin de notre petite marque quotidienne, etc.) et apprendre à dialoguer malgré (ou grâce à) nos différences.

8. Conclusion

Pour Klein, la lutte des Sioux de Standing Rock pour la protection de leurs sites sacrés est exemplaire. Ceux-ci se battent contre la création d’un pipeline qui creuse dans la montagne et passe sous leur approvisionnement en eau potable.

À l’occasion de ce mouvement, c’est un autre monde qui se crée : « Les campements étaient devenus des lieux où Autochtones et non-Autochtones apprenaient à vivre en relation et en harmonie avec la terre » (Quatrième partie, chapitre 12). Les Sioux s’engagent et partagent leurs savoirs.

Naomi Klein relate aussi une expérience réalisée au Canada et à laquelle elle a activement participé et nommé « Un bon en avant ». Avec d’autres, elle a mis sur pied une plateforme populaire qui réunit différents mouvements. Deux règles dirigeaient au départ les débats. D’abord, l’intégration des problèmes : il n’y a pas de hiérarchie entre les crises, il faut trouver des solutions qui répondent simultanément à une variété d’enjeux (climatique, racial, salarial, etc.). Ensuite, la salubrité du conflit : les différences sont positives et le fait de débattre, de créer du frottement, est non seulement inévitable mais fructueux. Plusieurs questions et propositions surgirent de ces rencontres. L’essai se termine en effet par un Manifeste pour un Canada fondé sur le souci de la planète et la sollicitude des uns envers les autres, inspiré des expériences de Standing Rock et de cette initiative. Prudente, Klein y insiste sur un point : « À viser ce qui est commun dans la diversité de nos expériences et de nos problèmes, le risque est de tout ravaler dans le fatras des platitudes du plus petit dénominateur commun. Il faut incarner et préserver l’intégrité de chacun des mouvements, la singularité des expériences communautaires, même si le but ultime est d’élaborer une vision unifiée » (Partie 4, chapitre 12).

9. Zone critique

Dans presque chaque ligne de ce livre, on sent la colère et la volonté d’en découdre. L’ouvrage joue sur les répétitions, l’écho entre les thèmes ; il cherche à convaincre et il y arrive plutôt bien. Grâce à l’auteure, les différentes informations habituellement dégurgitées sans liaisons par les journaux télévisés s’imbriquent peu à peu pour former une image plus nette de notre condition contemporaine. Cette image est générée à partir d’une position située bien sûr, mais c’est tant mieux : Klein est féministe, altermondialiste, populiste de gauche même. Elle affirme clairement ses appartenances politiques et son exécration du « système » Trump.

Naomi Klein nous dévoile aussi des éléments de sa vie et de son histoire personnelle. Elle nous parle de son fils qu’elle veut voir grandir conscient des beautés planétaires et des ravages en cours ; elle évoque l’état de santé de sa mère pour donner à voir nos possibilités de résilience. Du journalisme gonzo ? Plutôt le travail d’une essayiste engagée qui s’embarque elle-même pleinement dans le monde en train de se faire et qui partage au lecteur la large palette de ses affects.

Disons merci à Trump ! Grâce à lui, il devient de plus en plus difficile de maintenir l’idée d’un monde commun unifié par le capitalisme. « [L]e charme néolibéral est [désormais] rompu, écrasé sous le poids de l’expérience concrète et d’une montagne de preuves […] ». L’essai de Klein en regorge, en effet.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Naomi Klein, Dire non ne suffit plus. Contre la stratégie du choc de Trump (traduction de Véronique Dassas et Colette Saint-Hilaire), Paris, Acte Sud, 2017.

De la même autrice – No logo. La tyrannie des marques (traduction de Michel Saint-Germain), Paris, Acte Sud, 2001.– Journal d’une combattante. Nouvelles du front de la mondialisation (traduction de Paul Gagné et Lauri Saint-Martin), Paris, Acte Sud, 2003.– La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre (traduction de Paul Gagné et Lauri Saint-Martin), Paris, Acte Sud, 2008.– Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique (traduction de Geneviève Boulanger et Nicolas Calvé) Paris, Acte Sud, 2015.

Autres pistes – Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017.– Starhawk, Quel monde voulons-nous ? (traduction d’Isabelle Stengers), Paris, Cambourakis, 2019.– Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, Éditions La Découverte, 2009.– Jean Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Paris, Fayard, 2002.

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