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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Plan B pour la planète

de Naomi Klein

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Société

Manifeste, cri d'alarme et plan de sauvetage, ce livre sans concession regroupe des textes et des discours écrits au cours des dix dernières années. Une décennie où ouragans, inondations et incendies géants témoignent du changement climatique, largement imputable aux combustibles fossiles. Un temps précieux, perdu à ne rien faire, ou si peu. L'urgence commande aujourd'hui d'attaquer le mal à la racine, en conjuguant réduction drastique des émissions de carbone, justice climatique et combat contre les inégalités. C'est l'objectif du New Deal vert.

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1. Introduction

Nous venons de connaître la décennie la plus chaude pour la planète, avec des phénomènes d'une intensité ou d'une fréquence inégalée (incendies, ouragans …). Quelques « climato-sceptiques » contestent ce réchauffement, non sans contradictions d'ailleurs : tantôt le réchauffement n'existe pas, tantôt ce n'est pas un problème… Ce déni n'a rien de scientifique. Il dissimule une opposition d'un tout autre ordre, qu'exprime par exemple l'institut américain Heartland, dont la vocation est de « promouvoir les solutions apportées par l'économie de marché ». Ses membres ont très bien compris que, comme l'indique la Stern review, le changement climatique est le pire échec du marché jamais observé. Il menace leurs privilèges, et l'ordre économique qui les fait prospérer.

Pour eux, le réchauffement serait même une aubaine. L'auteure reprend ici la thèse de son ouvrage, La Stratégie du choc, dans lequel elle expliquait que, sous l'influence de Milton Friedman et de l'école de Chicago, les désastres en tous genre permettent d'imposer des politiques ultra-libérales. Sécheresses et famines justifient les semences génétiquement modifiées. L'ouragan qui a frappé Porto Rico a fourni l'occasion de procéder à des privatisations, etc.

Financé par l'industrie extractiviste (plus d'un million de dollars pour le seul groupe pétrolier Exxon), l'institut mène un travail d'intense lobbying pour peser sur l'opinion publique, utilisant l'argument de la peur économique. Il y a désormais un lien très net entre le refus d'accepter les résultats de la climatologie et les privilèges socio-économiques. Les « sceptiques » américains sont majoritairement conservateurs, blancs, de sexe masculin, avec des revenus supérieurs à la moyenne. Incidemment, ils font peu confiance à la jeunesse, et ne se soucient guère des victimes du dérèglement climatique.

2. Pas de planète bis

De telles positions expliquent la politisation du débat climatique aux États-Unis. Elles renvoient aussi à des présupposés profondément ancrés. « Une grande part de notre économie repose sur l'idée qu'il y a un ailleurs », souligne l'auteure (p. 175).

Hier, dans cet ailleurs, l'économie européenne a puisé des esclaves (Afrique) et des ressources (Amérique) qui l'ont fait prospérer. Plus récemment, les pays industrialisés ont déployé leurs industries polluantes dans les pays périphériques. Comme les eaux usées que les égouts emmènent au loin, les dommages faits à l'environnement étaient donc évacues « ailleurs ». Avec le réchauffement climatique, une telle configuration est bel et bien impossible. La fracturation hydraulique menace maintenant le bocage britannique. Nous découvrons également que nos ressources sont finies.

À l'idée que la nature n'a pas de limites, qu'elle est inépuisable – mythe fondateur de l'Amérique du Nord et de l'Australie –, se superpose l'idée qu'elle est au service de l'homme : telle est la conception judéo-chrétienne de la nature. Ou plutôt, était. Car l'encyclique Laudato si' (2015), que le pape François a consacrée au changement climatique en reconnaît la valeur intrinsèque. L'approche anthropocentriste n'a plus cours. Loin de la prière invitant à « mépriser les choses de la terre et à aimer celles du Ciel », le pape appelle aujourd'hui à une conversion écologiste. Si une institution aussi traditionaliste que l’Église opère un tel virage, comment le fétichisme porté au produit intérieur brut (PIB) échapperait-il à une remise en cause ?

Le New Deal vert est né du constat suivant : la stratégie des petits pas ne fonctionne pas. Elle est inadaptée, et surtout suicidaire. Des experts comme Anderson et Bows font valoir que ni la tarification carbone ni les solutions d'éco-ingénierie ne permettront de limiter le réchauffement à 1,5°C à la fin du siècle. Même une réduction des émissions de 10 % serait insuffisante. Ces 10 % correspondent à ce qu'on a observé aux États-Unis après le krach de 1929. Si l'on veut éviter « ce type de carnage », il faut donc remettre en cause les fondements même de l'économie, et en reprendre le contrôle, plutôt que de laisser le marché décider de tout.

Cela passe par une intervention massive, qui s'inspire du New Deal lancé en 1933 par Roosevelt pour répondre à la Grande Dépression et au désastre écologique du Dust Bowl (prairies affectées par une violente sécheresse). Le plan Marshall, qui a suivi la libération du Vieux Continent, constitue un autre modèle : des milliards de dollars injectés pour reconstruire l'économie européenne, et empêcher que le continent ne bascule dans le camp soviétique.

La planète a besoin d'un « grand bond » similaire. L'objectif visé est celui d'une économie propre à 100 % d'ici 2050, avec un secteur énergétique entièrement converti au renouvelable.

3. Le New Deal écologiste

Le New Deal vert s'articule autour de six points fondamentaux :

• « Faire revivre et réinventer la sphère publique ». Partant de l'idée que l'action individuelle ne sera jamais la solution à la crise climatique, il s'agit de procéder à des investissements massifs pour réduire drastiquement nos émissions de carbone dans l'énergie, les transports, le logement, et procéder à un « effort de recherche colossal ». Tous ces efforts ne seront pas rentables, mais ils se font dans l'intérêt du public, d'où leur financement par le secteur public. Ce qui peut passer par la dette, les déficits budgétaires publics étant « loin d'être aussi dangereux que les déficits que nous avons créés dans les systèmes naturels » (p. 116).

• « Retrouver le sens de la planification », aussi bien dans l'industrie que dans l'occupation des sols, agriculture comprise, à l'image de la loi agricole étalée sur 50 ans, proposée par Wes Jackson pour réduire sa dépendance au réchauffement et son appel aux intrants. La planification est aussi un outil pour réguler les changements dans le domaine des emplois, et accompagner des évolutions professionnelles en lien avec les syndicats.

• « Mettre au pas les entreprises », c'est-à-dire « re-réguler », en interdisant les comportements « franchement dangereux ou destructeurs ». Donc mettre fin immédiatement aux projets de pipelines et de forages.

• « Relocaliser la production » et refondre le commerce international, forme irresponsable et dévastatrice de libre-échange, à la base de l'Organisation mondiale du commerce. Un défi, puisqu'il s'agit de renverser la tendance ultra-libérale, à l’œuvre depuis Reagan et Thatcher.

• « Mettre un terme au culte du shopping » car, à l'image des économistes Herman Daly (université du Maryland) et Peter Victor (université de York), Naomi Klein ne croit pas que l'on puisse dissocier la croissance économique de son impact environnemental, par le seul truchement de la décarbonation. Si la crise écologique a des racines dans une surconsommation de ressources naturelles, elle doit aussi être combattue par « la réduction de la quantité de biens matériels consommés par la frange des 20 % les plus riches de la planète » (p. 124). À l'inverse de l'économie capitaliste qui fait de la consommation l'unique accomplissement de l'invidu, des biens peuvent augmenter notre bien-être sans consommer de carbone : l'enseignement, les loisirs, les arts, les professions du soin, etc. Secteurs à l'origine de nombreux emplois.

• « Taxer la richesse aux mains sales ». La notion de ruissellement (la croissance conduirait à un gâteau assez gros pour que tout le monde en profite) s'avérant un mensonge, il faut taxer le carbone et la spéculation financière. On touche là aux modes de financement du New Deal vert, sur lesquels Naomi Klein s'attarde, rappelant que l'industrie des combustibles fossiles touche des subventions absurdes : plus de 20 milliards de dollars aux États-Unis, 775 milliards dans le monde.

Il est nécessaire de tailler dans les budgets militaires, d'autant que l'armée américaine est une forte émettrice de gaz carbonique. Mais priorité doit être accordée aux sociétés « responsables de la situation actuelle » : les cinq principales compagnies pétrolières, qui ont engrangé 900 milliards de dollars de bénéfices au cours de la dernière décennie.

À l'image d'Exxon Mobil, qui peut générer 10 milliards de bénéfices en un seul trimestre, les sociétés qui extraient du pétrole et du charbon doivent satisfaire au principe du pollueur-payeur. Des taxes et des redevances plus élevées sur l'extraction financeront le passage vers une économie décarbonée. Ce qui n'exclut pas une nationalisation. Propositions d'autant plus taboues chez les adeptes du libre-échange que l'auteure demande aussi de rendre public le financement des élections, pour éviter le lobbying.

4. Moins de carbone, moins d'inégalités

Ces mesures peuvent générer des millions d'emplois verts : emplois liés aux nouvelles formes d'énergie (solaire, éolienne...) ou aux modes de transport collectifs, mais aussi emplois de nounou, ou d'enseignant, qui ne font pas, ou très peu, appel au carbone. Une société tournée non plus vers la croissance, mais vers l'épanouissement individuel, fera largement appel à ces emplois du secteur public.Par des systèmes de santé et d'éducation gratuits, ces propositions, entérinées par une partie des Démocrates (dont plusieurs candidats à la présidentielle de 2020), visent aussi à réduire les fractures sociales, à combattre le racisme et les inégalités qui sévissent à l'intérieur des frontières nationales, comme à l'extérieur.

En Amérique du Nord, les communautés noires et hispaniques paient ainsi l'addiction aux combustibles fossiles par un nombre plus élevé de cancers et de maladies respiratoires. Les poumons de ces populations sont sacrifiés au charbon, comme le delta du Niger est sacrifié au pétrole. « C'est dans la lutte contre ce type de racisme environnemental qu'est né le mouvement pour la justice climatique » (p. 216), où le New Deal vert puise des racines.

Il n'est pas possible, en effet, d'isoler la crise climatique en la traitant comme un problème technique. Il faut la replacer dans un contexte économique plus vaste, celui de l'austérité et des marchés sans contrôle. Si l'ouragan Maria a entraîné 3 000 morts (officiellement) à Porto Rico, c'est aussi parce que les services publics avaient été démantelés. Faute d'électricité dans les hôpitaux, faute d'une distribution de l'eau permettant d'éviter la contamination, etc., le désastre de 2017 n'a finalement rien de naturel.

Les nations les moins développées sont par ailleurs les premières frappées par le réchauffement. Les glaciers qui alimentaient généreusement la région de La Paz ont tellement fondu qu'en 2017, l'eau a dû être rationnée. Les îles Fidji et Tuvalu sont menacées par la montée du niveau de la mer. Au Moyen-Orient, prédit une étude, de larges régions connaîtront très probablement des niveaux de température intolérables pour l'organisme humain.

50 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues aux 10 % les plus riches de la population mondiale. Les 20 % les plus riches sont responsables de 70 % des émissions. Mais ce sont les plus pauvres qui en paient le prix. En 2050, selon la banque mondiale, 140 millions de personnes devront se déplacer en raison de problèmes climatiques.

5. La convergence des luttes

La justice voudrait que ces victimes d'une crise engendrée par d'autres bénéficient, comme l'a demandé la négociatrice bolivienne pour le climat, d'un « plan Marshall pour la Terre ». Mais le partage des ressources ou la redistribution des richesses vont à l'encontre de l'idéologie dominante « qui nous rabâche son principe du chacun pour soi ».

« Nous sommes à l'aube de la barbarie climatique », prévient Naomi Klein. Car un monde qui se réchauffe produit de la violence et de l'exclusion, dont témoignent déjà le mur de Donald Trump et les 5143 réfugiés, morts en Méditerranée en 2016. Sans parler des discours suprémacistes appelant les pays impactés à se débrouiller pour « s'adapter ».

Le dérèglement climatique intensifie les autres crises. D'autant que la décarbonation est aussi source d'exclusion. C'est le cas en Israël : plantés sur des terres palestiniennes au détriment des cultures locales, les arbres du Front national juif pour « verdir le désert » sont les « symboles flagrants du système de discrimination officielle » (p. 210). Au Brésil ou en Ouganda, la sanctuarisation d'espaces verts se traduit par l'expulsion des autochtones. Des agriculteurs sont même attaqués par les gardes quand ils tentent de travailler sur leurs terres confisquées. La compensation carbone a créé une nouvelle catégorie de violation des droits humains.

« L'intersectionnalité » mise en avant par la féministe noire Kimberlé Crenshaw doit donc être considérée comme « la seule voie viable qui s'offre à nous ». En clair, on ne peut privilégier une crise au détriment d'une autre. La justice envers les non-blancs, les femmes et les démunis, doit être au cœur de décarbonation de l'économie. Cela rejoint les mesures liées à l'emploi du New Deal vert, beaucoup de postes à créer étant des emplois actuellement sous payés, majoritairement occupés par des femmes (crèches, éducation, etc.)

Cette exigence de justice est une évidence politique : « Les écologistes ne peuvent pas gagner tous seuls la bataille de la réduction des émissions » (p. 277). Elle est aussi la condition du succès. Naomi Klein prend ici l'exemple de la taxe sur les carburants qui a généré le mouvement des « gilets jaunes » en France. Après une série de mesures libérales, cette taxe a été perçue comme une injustice.

En d'autres termes, la crise climatique fournit une occasion unique de remplacer le modèle économique « par quelque chose qui garantisse une forme de sécurité pour les humains et la planète, et n'ait pas pour vocation première la croissance et le profit à tout prix » (p. 342). Loin du capitalisme ou d'une économie socialiste comme celle du Venezuela.

6. Conclusion

Des initiatives ont déjà été prises. Ainsi, la ville de New York a annoncé un plan pour le climat qui permettra à 800 000 personnes de sortir de la pauvreté d'ici 2025, grâce à un meilleur accès aux logements et aux transports publics.

Des mouvements (comme Sunrise ou The Leap) suscitent par ailleurs des mobilisations en Amérique du Nord où le New Deal vert (qui connaît une version canadienne et britannique) est porté par la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, la benjamine du Congrès. Sa mise en œuvre dépend maintenant du résultat des élections présidentielles américaines.

7. Zone critique

Investir dans les énergies renouvelables créée six à huit fois plus d'emplois que dans les hydrocarbures, signale Naomi Klein, qui fournit quelques données chiffrées sans pour autant échapper à des questionnements sur les mesures proposées : comment financer les emplois publics, par exemple ?

Mais cette critique n'est pas fondée historiquement : quand le New Deal ou le plan Marshall ont été lancés, qui aurait pu en prédire les conséquences précises ? Elle peut par ailleurs, passer pour déplacée, tant la situation est inédite : le changement climatique nous plonge dans l'inconnu. Nous n'avons aucune référence à laquelle nous raccrocher.

En ce sens, cet ouvrage, qui s'oppose frontalement au récent livre de William Nordhaus, Le Casino climatique, doit être perçu comme un rappel salutaire : celui de la primauté du politique, de l'action collective. À l'heure où l'espèce humaine est mise en péril par la croissance économique, comment ne pas prendre le risque de faire des erreurs ? Et enclencher dès maintenant des mesures ambitieuses ? C'est aussi ce que réclame Greta Thunberg.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Plan B pour la planète : le New Deal vert, Arles, Actes sud, 2019.

Du même auteur– No Logo : La tyrannie des marques, Arles, Actes Sud, 2001.– Journal d'une combattante : Nouvelles du front de la mondialisation, Arles, Actes Sud, 2003. – La Stratégie du choc : Montée d'un capitalisme du désastre, Arles, Actes Sud, 2008.– Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique, Arles, Actes Sud, 2015.– Dire non ne suffit plus : contre la stratégie du choc de Trump, Arles, Actes Sud, coll. « Essais », 2017.

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