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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L’Anthropocène décodé pour les humains

de Nathanaël Wallenhorst

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Science et environnement

Le changement climatique, la pollution, l’épuisement des ressources... nous font entrer dans une ère nouvelle : l’Anthropocène. Le mot désigne un désastre, une urgence. Mais l’Anthropocène relève d’abord de la géologie, pour désigner, sur des bases scientifiques, une époque façonnée par l’homme, qui prendrait la suite de l’Holocène. Pour nous familiariser avec ce néologisme à la propagation foudroyante, Nathanaël Wallenhorst nous invite à distinguer l’Anthropocène avec majuscule de l’anthropocène en tant que défi social et politique. Car la fin d’un monde n’est pas la fin du monde. Le terme de Capitalocène serait d’ailleurs plus adapté pour comprendre ce qui est en jeu.

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1. Introduction

À l’origine, le terme Anthropocène renvoyait à une modification des processus planétaires, sous l’effet des activités humaines. Il a été spontanément prononcé par le géochimiste Paul Crutzen, lors d’un congrès en 2000, pour signifier qu’avec son impact, l’homme avait quitté l’Holocène (période interglaciaire qui a commencé il y a 11 700 ans).

Deux ans plus tard, Crutzen publiait dans Nature un article mentionnant des éléments quantitatifs signant l’entrée dans l’Anthropocène, comme l’intensification du rythme de disparition des espèces (par un facteur 1 000). Cet article eut un fort retentissement en raison du statut de son auteur, à fois prix Nobel et non géologue. Le mot n’étant pas balisé par une frontière académique, la communauté scientifique s’en est emparée Il permettait d’appréhender un ensemble de changements sur lesquels travaillaient les scientifiques depuis le rapport du Club de Rome (1972 : Les limites de la croissance). C’est pourtant Buffon, dans Les Époques de la nature, qui, pour la première fois, a considéré l’homme comme une force géologique. Idée qui fera son chemin avant d’être théorisée dans les années 2000 .

2. Planter le clou

Concept fédérateur, l’Anthropocène entre alors dans le processus institutionnel visant à définir une nouvelle période géologique. En 2009, un groupe de travail est constitué dans le cadre d’une sous commission de la stratigraphie du quaternaire, de la Commission internationale de stratigraphie, membre de l’Union internationale des sciences géologiques (UIGS).

Après un vote favorable en 2016, les géologues doivent maintenant définir un point stratotypique mondial (PSM) et cinq stratotypes auxiliaires. Ils doivent donc répondre à la question : dans quels endroits constate-t-on que les humains ont « changé le système Terre, au point que les récents dépôts géologiques en formation qui resteront dans les enregistrements géologiques comprennent une signature distincte de l’Holocène et des époques antérieures » ? (p. 97)

Le PSM, où la corrélation avec le changement global sera la plus nette, sera matérialisé par un clou d’or, planté dans la roche, à l’image de celui d’El-Kef en Tunisie, qui définit la limite inférieure du Paléogène, qui signe la fin du Crétacé et de ses dinosaures. Le PSM est ici reli& à un pic d’iridium (associé aux météorites).

Pour l’Anthropocène, faut-il chercher dans les sédiments pollués d’un lac ? Dans un désert soumis aux retombées nucléaires ? Ce n’est pas simple, car les effets anthropiques ont en partie différés, ce qui complique le choix de la date à retenir pour sceller le sort de l’Holocène. Le PSM est en effet associé à une limite temporelle, définie par un âge absolu, pour définir une unité chronostratigraphique.

3. Neuf limites

Quelle est la limite qui différencie l’Anthropocène de l’Holocène ? La question n’est pas l’apanage des géologues. Elle se pose à tous les habitants de la planète, soumis de facto à de nouvelles conditions de vie, avec des seuils à ne pas dépasser. À la suite d’autres auteurs, Nathanaël Wallenhorst retient neuf limites:

• Le changement climatique : le gaz carbonique (CO2) n’est pas le seul facteur explicatif du réchauffement de la Terre. Entrent également en jeu le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O), les halocarbures (responsables du trou d’ozone), ainsi que la vapeur d’eau et l’albédo qui peuvent atténuer le rayonnement solaire. La perturbation du cycle du carbone joue un rôle majeur. Le taux de CO2 préindustriel de 275 ppm (partie par million) qui atteignait 310 ppm en 1950 est désormais 400 ppm, au-delà de la limite admise de 350 ppm. Nous émettons plus que la nature ne peut en absorber (via les océans, par exemple). Bien que le réchauffement soit un processus inscrit dans un temps long, il est déjà manifeste. On a ainsi relevé 46,7°C dans l’est de la France. Canicules en Europe, vagues de chaleur en Inde (1998, 2003, 2010)…, nous atteignons des températures que l’homme n’a jamais connues avec, en perspective, des menaces alimentaires ou sanitaires couplées à risques économiques et politiques (accès à l’eau par exemple). Le seuil qui limite la vie humaine est en effet de 35°C TW (« température humide »). Le stress thermique dépasse rarement 31, mais avec une augmentation de 3,7°C à la fin du siècle, des zones comme l’Arabie pourraient ne plus être habitables. Même chose pour l’Asie du Sud, très peuplée, et par ailleurs exposée à des catastrophes induites (typhons, inondations...)

• La biodiversité : la Terre a déjà connu des extinctions d’espèces, parfois massives. Près de 3,5 milliards d’espèces ont vécu sur la planète, dont 99 % auraient disparu. Mais, avec environ 500 espèces qui ont (officiellement) disparu au XXe siècle (contre 125 au XIXe), le taux d’extinction est de trois à douze fois ce qu’il était dans le passé. Par ailleurs, les espèces se raréfient, à l’image des insectes et des espèces marines, ce qui menace les chaînes alimentaires. La poursuite de cette dynamique est problématique. Une seule espèce, l’homme, s’approprie les ressources de la planète (25 % de la production de la photosynthèse sont au service de ses besoins alimentaires) tout en détruisant les habitats de nombreuses espèces (il utilise 50 % de la surface de la Terre).

• Les cycles biogéochimiques : les cycles fondamentaux du carbone, de l’azote, du phosphore et du souffre ne sont plus auto-régulés, mais tributaires des activités humaines. Leur flux sont perturbés, au point que la limite de 62 téragrammes (ou millions de tonnes) par an définie pour l’azote anthropique, est largement dépassée, avec 150 Tg. Le cycle de l’azote est rarement mis en avant, alors que les activités humaines l’affectent davantage que le carbone. Et qu’une partie de l’azote se transforme en N2O, environ 300 plus impactant que le carbone en termes d’effet de serre (8 % du réchauffement d’origine anthropique lui est attribué). L’altération du cycle de l’azote est largement due à l’industrie des engrais agricoles, et à son procédé de production d’ammoniac (Haber-Bosch).

• L’acidification des océans : le degré d’acidité (pH) a perdu 0,1 par rapport à la période préindustrielle. La limite utilisée ici porte sur le taux de saturation de l’aragonite, une forme de carbonate de calcium, corrélé au taux de CO2 dans les mers. Elle est de 350 ppm de CO2, nous avons dépassé 400 ppm. Cela signifie que la coquille des animaux marins se dissout et que les coraux disparaissent.

• La pollution : aucune limite n’a été définie par les scientifiques, car les produits nocifs se comptent en milliers. Les plastiques par exemple : on estime à 275 Mt les déchets produits par les 192 pays riverains de l’océan.

• Les autres limites : l’utilisation de l’eau douce (limite mondiale de 4 000 km³ par an, nous sommes à 2 600), la concentration d’ozone stratosphérique (la limite est dépassée au dessus de l’Antarctique), les aérosols atmosphériques (leur concentration a doublé depuis 1750, mais aucun seuil n’a été défini), l’usage des sols (qui manque d’indicateurs).

4. Des basculements irréversibles

Les graphiques produits par l’auteur sur la période 1750-2010 sont éloquents : 24 indicateurs (de la population urbaine à la disparition de la forêt tropicale) présentent peu ou prou la même courbe : une accélération marquée depuis les années 1950, pour atteindre un niveau où notre empreinte écologique menace ou dépasse la capacité de charge d’une planète qui accueillait six milliards de personnes en 2000. En 2050, nous serons 9,5 milliards.

En 2017, dès le 2 août, nous avions déjà consommé ce que la terre produit en une année. Il est évident que cette « grande accélération » ne peut pas se poursuivre longtemps, sous peine d’entraîner des points de basculement. C’est-à-dire de franchir des seuils au-delà desquels il ne sera plus possible de revenir en arrière. Car la Terre et ses écosystèmes ne fonctionnent pas selon des lois linéaires, mais en interaction. L’exemple du pergélisol, qui dégèle en raison du réchauffement et, de ce fait, accentue ce même réchauffement en libérant du méthane dans l’atmosphère, montre comment la dérégulation des cycles naturels nous entraîne dans l’inconnu, tout en réduisant nos possibilités d’action.

C’est pour éviter de tels basculements que Johan Rockström a défini une « zone de sécurité planétaire », encadrée par les limites ci-dessus, définies sur des bases scientifiques.

Certaines sont critiques, mais certaines sont déjà franchies. Le changement climatique et la perte de biodiversité risquent, à eux seuls, d’entraîner un basculement global, « car reliés à toutes les autres limites planétaires. La transgression trop large d’une seule de ces limites a pour caractéristique une sortie de l’Holocène. Il s’agit en effet des principales variables, responsables des changements de temps géologiques » (p. 57).

5. Quelle date retenir ?

Géologiquement, l’Anthropocène commence là où l’influence de l’homme apparaît dans les sédiments. Mais quelle date associer au début de cette période ? Les principales propositions sont les suivantes :

• L’âge de pierre, en raison de l’utilisation du feu. Mais il ne s’agit que d’incidences locales.

• Le développement de l’agriculture, qui a entraîné la sédentarisation, modifié l’atmosphère (par le méthane issu de l’élevage, en particulier) et transformé le biote (ensemble des organismes vivants).

• La rencontre de l’ancien et du nouveau monde, événement majeur de l’histoire humaine, qui a entraîné un déclin de la population américaine (de 60 millions environ en 1492, à 6 millions de personnes en 1650) en raison de l’esclavage et des maladies, et réorganisé les vies végétales et animales, via les échanges commerciaux.

• La révolution industrielle, et plus particulièrement 1769, date à laquelle James Watt a déposé le brevet de sa machine à vapeur.

• La grande accélération, qui désigne la croissance tous azimuts (population, PIB, consommation de pétrole, déchets...) survenue après la deuxième guerre mondiale, à l’origine de nombreux marqueurs stratigraphiques.

• Les explosions nucléaires, qui se sont multipliées depuis le test effectué le 16 juillet 1945 au Nouveau-Mexique. La date du traité d’interdiction partielle des essais, le 5 août 1963, correspond, à quelques mois près, au pic de radioactivité enregistré sur la planète. Il s’agit, dit l’auteur, d’un « PSM très clair », mais ces explosions « n’ont pas radicalement changé le système Terre » (p. 106).

• Quelque part dans le futur. Pour le climatologue Eric Wolf, la logique géologique n’implique pas l’urgence : il faut laisser aux générations futures le soin de définir a posteriori le début de l’Anthropocène, les changements actuels pouvant être réversibles d’ici 100 000 ans.

Toutes ces dates renvoient à des moments marquants de l’histoire humaine, mais ils ne sont pas de même nature. Faut-il associer l’Anthropocène à des changements anthropiques ou considérer l’altération du système Terre ? Les géologues sont divisés. Certains plaident pour considérer l’unité de temps, sans définition stratigraphique formelle, la stratigraphie ne retenant qu’un événement majeur.

6. L’anthropos absout les responsables

On voit que sous ses aspects purement scientifiques, le concept d’Anthropocène n’est pas neutre. D’ailleurs, « un concept qui véhicule l’idée de la fin possible de l’aventure humaine du fait des humains, peut-il n’être que scientifique ? (p. 112)

Quel serait, par exemple, l’anthropos responsable de l’Anthropocène ? Quel est ce récit naturaliste qui ferait de l’homme un responsable indifférencié dans la moindre référence à l’histoire ? « Nous ne pouvons pas associer la machine à vapeur au genre humain » (p. 116), souligne l’auteur, qui pointe la responsabilité du système capitaliste et de ceux qui l’organisent. D’autant que les victimes sont rarement les responsables. Au début du siècle, les 45 % les plus pauvres de la planète étaient à l’origine de 7 % de émissions de CO2, alors que les 7 % les plus riches en produisaient 50 %. « Les différenciations sociales entre les humains sont au cœur de l’entrée dans l’Anthropocène. » (p. 118).

Suggérer que l’homme, en tant que tel, est à l’origine de l’Anthropocène, c’est dérouler un récit où l’intentionnalité et le libre arbitre n’ont pas cours. C’est l’inscrire dans un discours technoscientifique où l’humanité n’aurait pas prise sur sa trajectoire. Nous aurions soudain découvert que nous allions trop loin, alors que la sonnette d’alarme a été tirée dès les années 1850 ?

La communauté scientifique n’échappe pas à ce questionnement politique, comme l’illustrent les débats pour décider quelle date marquera le début de l’Anthropocène, et ceci au-delà d’un contexte institutionnel où « trois douzaines d’universitaires prévoient de réécrire l’histoire de la Terre », comme le dénonce le géologue Erle Ellis. Enjeux de notoriété ? Pas seulement. La date va déterminer une grille de lecture qui « viendra plus ou moins ouvrir la gamme des actions possibles ».

Plusieurs termes, qui pointent la responsabilité des nos sociétés industrielles de consommation, ont d’ailleurs été proposés comme alternative à l’Anthropocène : du Thermocène (qui insiste sur le gaspillage énergétique) au Chtulucène de la philosophe Donna Haraway, qui valorise la convergence de toutes les forces possibles pour pérenniser la vie.

7. Conclusion

Comment traverser cette nouvelle période géologique, liée à une série de dommages et de menaces pour l’humanité ?Les mirages technologiques (recherche d’une autre planète, envoi des particules de souffre dans l’atmosphère, etc.) ne doivent pas faire illusion. Ce qu’apporte la géo-ingénierie, c’est d’abord un problème de gouvernance (dans l’ombre d’un possible totalitarisme).

La solution passe par un changement de nos modes de vie, une rupture avec la croissance, un abandon de l’hybris. Il faut même considérer l’Anthropocène « comme une provocation pour réinventer le politique ». Car cette nouvelle période correspond à une nouvelle ère pour la pensée, en lien avec notre condition anthropologique : la terre pourrait poursuivre son chemin sans les hommes.

8. Zone critique

Moins d’un an après sa publication, ce livre a été suivi d’un autre titre, au format réduit (120 p.), La Vérité sur l’Anthropocène, chez le même éditeur. Les deux ouvrages se ressemblent, et leur auteur est prolifique puisqu’il dirige une collection sur l’Anthropocène chez deux autres éditeurs (Le Bord de l’eau et Peter Lang). On lui doit également plusieurs communications récentes, dont La pandémie de covid-19 : une maladie écologique et politique de l’Anthropocène.

On ne va pas de plaindre d’une telle productivité. Car Nathanaël Wallenhorst est un anti bling-bling. Ses propos font écho à la thèse qu’il a soutenue en 2020 (Une théorie critique pour l’anthropocène) et il se base sur de solides données scientifiques (ce qui élimine des données inquiétantes, car récentes : il considère ainsi un seul gyre de plastique dans les océans). Si son propos pourrait ponctuellement gagner en clarté (des dates seraient parfois les bienvenues, il y a deux systèmes de notes, et beaucoup de nombres sont écrits en lettres), il remplit sa mission de décoder l’Anthropocène. « Le concept d’Anthropocène n’est pas neutre : il intègre une composante idéologique de laquelle il n’est pas simple de s’extirper » (p. 135).

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Nathanaël Wallenhorst, L’Anthropocène décodé pour les humains. Paris, Le Pommier, 2019.

Du même auteur– La vérité sur l'anthropocène, Paris, Le Pommier, 2020.

Autres pistes– L’article fondateur : P. Crutzen, Geology of mankind, Nature, 23, 2002. – Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’entraide : L’autre loi de la jungle. Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017.– Michel Magny, Aux racines de l’Anthropocène. Une crise écologique, reflet d’une crise de l’homme. Paris, La Fabrique, 2017.– Stéphane Foucart, Et le monde devint silencieux, Paris, Seuil, 2009.

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