Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Nathaniel Rich
Nous ne pouvons pas dire que nous ne savions pas. Tel est le postulat du récit de Nathaniel Rich sur la réalité du réchauffement climatique décrite depuis des décennies et le danger qui pèse sur la survie de l’espèce humaine. Dès la fin du XIXe siècle, et de façon de plus en plus alarmiste à partir des années 50, de nombreux scientifiques ont réalisé des études, des rapports, ont alerté sur le constat d’un dérèglement climatique dû aux activités humaines. L’humanité a raté son rendez-vous avec le climat, alors que les occasions d’agir n’ont pas manqué. Il y a quarante ans, la Terre aurait pu être sauvée. Aujourd’hui, il est trop tard. Ce sont ces décennies de tergiversations scientifico-politico-industrielles que Nathaniel Rich retrace dans cet ouvrage très documenté.
« À peu près tout ce que nous comprenons du réchauffement climatique à l’heure actuelle était déjà compris en 1979. Et peut-être mieux compris. » (p. 11)
Tels sont les premiers mots de ce récit glaçant qui retrace les quarante années d’errance et de non-action des politiques américains, mais aussi de l’ensemble de la communauté internationale, dans lutte contre le réchauffement climatique et de ses conséquences prévisibles. Cela fait quarante ans, précisément en 1979, qu’un rapport gouvernemental, The Charney report, dirigé par le climatologue américain référent, Jule Charney, a été élaboré avec des scientifiques de renom. Pour la première fois de l’histoire, le lien direct et bien réel était établi entre émissions de CO2 et dérèglement climatique, énoncé d’une seule et même voix. Cette démonstration était complétée par une projection quantifiée des conséquences prévisibles d’une non-réduction des émissions de CO2 sur le réchauffement climatique.
Et si des études avaient été réalisées dès la fin du XIXe siècle sur la question, , les auteurs de ce rapport « choc » pointaient clairement le fait que si l’Homme continuait à recourir aux combustibles fossiles, des changements « significatifs et néfastes » de l’atmosphère terrestre allaient être observés dans les décennies futures. Parmi la communauté scientifique, nombreux étaient ceux à croire que ce rapport allait provoquer un électrochoc des consciences, en particulier chez les hommes politiques au pouvoir, les industriels de l’énergie et les quelques scientifiques sceptiques.
À plusieurs reprises, ils se sont retrouvés pour tenter d’imaginer une politique restrictive de l’utilisation des énergies fossiles, afin d’en limiter les dégâts. À chaque fois, le rendez-vous a été manqué de peu. Les intérêts contradictoires ont eu gain de cause.
Jule Charney (1917-1981) était un météorologue américain qui joua un rôle essentiel dans le développement de la prévision météo en proposant des équations destinées à modéliser les mouvements à grande échelle de l’atmosphère. En juillet 1979, il organisa une réunion de chercheurs de renom afin de tenter de faire parler d’une même voix ces spécialistes pour confirmer le lien entre émissions de CO2 et dérèglement climatique. Charney souhaitait quantifier précisément les données et lever les incertitudes.
« Ensemble ils allaient passer en revue les données scientifiques disponibles, afin de décider si la Maison-Blanche devait ou non prendre au sérieux Gordon Mac Donald lorsqu’il prédisait une apocalypse climatique. » (p. 53) En effet, deux ans auparavant, des scientifiques, dont Mac Donald, alertaient sur une présence considérable de dioxyde de carbone dans l’atmosphère qui pourrait avoir doublée dès 2035 par rapport à la période préindustrielle, avec des températures à la surface du globe augmentant en moyenne de 2 à 3°C, ce qui aurait des répercussions cauchemardesques sur la vie sur Terre. Cette réunion de grande ampleur, deux années plus tard, aboutit quelques mois après à un rapport, « Dioxyde de carbone et climat : une évaluation scientifique ».
Celui-ci créa alors un « tsunami » international. Bien loin de contredire ou de tempérer ce qui avait été énoncé, il concluait que les études précédentes péchaient par optimisme. Les nouvelles modélisations faisaient ressortir que lorsque le taux de dioxyde de carbone aurait été multiplié par deux, au milieu du XXIe siècle, les températures mondiales augmenteraient plutôt entre 2,5 et 5°C. Ce réchauffement d’une amplitude exceptionnelle n’avait été atteint qu’une seule fois au cours de l’évolution naturelle de la Terre, lors du Pliocène, soit trois millions d’années en arrière. Une période pendant laquelle des forêts étaient présentes en Antarctique, des animaux de régions tempérées vivaient en Arctique, et le niveau des océans était de 24 mètres plus élevé…
Un rapport d’autant plus alarmant que cette situation cataclysmique se produirait alors même que toutes les émissions de carbone auraient cessé immédiatement. Sinon, cette prévision de 3°C en moyenne ne serait qu’un début…
À l’époque du rapport Charney, les scientifiques avaient déjà de multiples études en mains abordant cette question… Depuis le XIXe siècle, en effet, nombreux avaient été les scientifiques à se pencher sur cette problématique. En 1859, le physicien irlandais, John Tyndall, énonçait le premier le principe fondamental de l’effet de serre. Le chimiste suédois, futur Nobel, en déduisit en 1896 le lien de cause à effet.
La dénomination de l’effet de serre date du début du XXe siècle, un concept alors décrit scientifiquement de façon très claire : plus le dioxyde de carbone est présent dans l’atmosphère, plus la planète se réchauffe. Guy Stewart Callendar, ingénieur britannique spécialiste de la vapeur, expérimenta en 1939 les effets du relâchement de 9000 tonnes de C02 par minute dans l’air.
Dans les années 50, les études se multiplient sur cette question. Un rapport de 1965, commandé par le président américain, Lyndon Jonhson, prévient de la fonte inquiétante de l’Antarctique due aux combustions fossiles. En 1968, le géophysicien, Gordon Mac Donald, conseiller scientifique du président américain, publie un article retentissant, « Comment détruire l’environnement ? », où il annonce que les plus grandes menaces ne sont pas les armes nucléaires, mais bel et bien les catastrophes écologiques. Mêmes constats alarmants au début des années 70 de la communauté scientifique internationale élargie. À partir de 1977, cette catastrophe annoncée fait réagir les plus hautes instances de l’État américain.
En effet, le comité JASON, groupe de scientifiques américains chargés de conseiller gouvernement fédéral dans les domaines militaires et de sécurité nationale, se réunit pour tenter de chiffrer les conséquences d’un doublement du CO2 dans l’atmosphère sur le réchauffement climatique. Son rapport, L’impact à long terme du taux de CO2 dans l’atmosphère sur le climat, prévoyait donc un doublement dès l’horizon 2035, au mieux en 2060, avec un réchauffement climatique situé entre 2 et 3°C. « Ce doublement du taux de CO2 était certes un jalon arbitraire, mais il offrait l’avantage de frapper l’esprit, puisqu’il marquait ce moment où l’humanité aurait injecté autant de carbone que la planète elle-même l’avait fait au cours des 4,6 milliards d’années qui avaient précédé l’apparition de notre espèce. » (p. 31) Un an plus tard, Charney revoyait donc ces estimations à la hausse…
La publication du rapport Charney en 1979 avait enfin éveillé les consciences. En tout cas, beaucoup le pensaient. Les climatosceptiques n’avaient pas droit au chapitre, personne ne s’était élevé pour contredire l’état des lieux cataclysmique dressé par le météorologue américain. Jimmy Carter, 39e président américain entre 1977 et 1981, s’était montré préoccupé par ces conclusions. Les États-Unis sont alors les premiers émetteurs de carbone au monde. La communauté politique en général semble avoir pris la mesure du danger. Les concepts clefs de volonté politique et d’urgence semblent être au cœur des préoccupations.
À l’automne 1980, une vingtaine d’experts, politiques, scientifiques, un chercheur de l’industrie pétrolière… et un écologiste se réunissent pour élaborer un plan d’actions. Ils s’accordent à dire que seul un traité international serait capable de maintenir, au moins, les émissions de CO2 à un niveau raisonnable. Ils semblent à l’unisson lors de la rédaction du communiqué synthétisant leurs discussions, malgré, selon leurs propres mots, « les quelques désaccords sur des points de détail ».
Pourtant, aucune proposition concrète n’a jamais vu le jour à l’issue de cette rencontre qui aurait pu marquer un tournant majeur dans la politique de lutte contre le réchauffement climatique. Quatre jours seulement après la fin de cette réunion, Ronald Reagan est élu président des États-Unis. Pour les scientifiques les plus engagés, incrédules devant si peu de volonté politique, cette élection sonne un coup d’arrêt dans ce qui leur apparaissait comme le début d’une nouvelle ère de politique volontariste. Le président élu lance bel et bien, dès sa prise de fonction, un véritable « Blitzkrieg antiécologiste ».
Plus surprenant, ce sont aussi les « pollueurs », à savoir les industries émettrices de CO2 et en particulier les géants pétroliers, qui sont sur le qui-vive à la suite du rapport. Exxon décide, par exemple, de mettre en place son propre programme de recherche sur le dioxyde de carbone en lui allouant un budget de 600 000 dollars par an. Une prise de conscience et une inquiétude généralisée ? Rien n’est moins sûr. L’intérêt d’Exxon n’était pas tant de connaître les conséquences de son industrie sur le réchauffement climatique, mais bien de savoir quelle part pouvait lui être imputée.
Hasard du calendrier. C’est en 1988, alors que les États-Unis connaissent l’été le plus chaud de leur histoire, que le climat revient au cœur du débat politique.
Pour l’un des protagonistes en vue de la rencontre de 1980, James Hansen, l’un des plus grands spécialistes du climat parti de la NASA pour se consacrer au combat environnemental, son principal problème avait été la date choisie, en plein mois de novembre. Il estimait, en effet, qu’organiser des réunions l’hiver sur le réchauffement climatique ne pouvait pas avoir l’impact nécessaire. Il est reçu le 23 juin 1988 pour une audience du Congrès lors de laquelle il réaffirme la gravité du réchauffement climatique avec un degré de certitude de 99%. Il interpelle les sénateurs sur la nécessité de « s’attaquer » aux industries productrices de CO2, avec leurs intérêts contraires au bien commun, mettant ainsi en danger la survie même de notre espèce.
Hansen leur demande de prendre enfin leurs responsabilités et d’agir pour juguler le réchauffement climatique. Cette audience connaît une couverture médiatique sans précédent, elle fait la Une du New York Times. Quatre jours après cette plaidoirie marquante, les dirigeants de quarante-six pays et plus de trois-cents scientifiques se réunissent pour ce qui a alors été qualifié de « Woodstock du changement climatique ». À cette occasion, Timothy Wirth, sénateur du Colorado, prononça un discours engagé. Il appela les nations à réduire leurs émissions de 20% d’ici à 2000, et à plus long terme à 50%. « C’était la première fois qu’un objectif concret était ainsi proposé lors d’une grande rencontre internationale.
D’autres orateurs comparèrent les conséquences potentielles du changement climatique à celles d’une guerre nucléaire mondiale. La déclaration finale de la conférence, signée par les quatre-cents scientifiques et hommes politiques présents, reprenait cette demande avec une légère variation : une réduction de 20 des émissions de CO2 à l’ »horizon 2005. » (p. 186) Tous les candidats à la présidentielle américaine se découvrent écologistes, y compris Georges Bush, le futur président républicain. Fin 1988, trente-deux projets de loi relatifs au climat sont présentés au Congrès, accompagnant deux projets de loi de grande ampleur demandant la signature d’un accord mondial sur l’atmosphère avant l’année 1992 : le premier, sur la prévention du réchauffement climatique, le second, sur la politique énergétique nationale.
C’est aussi à ce moment-là que les Nations Unies mettent en place le GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat… « Bush avait promis de combattre l’effet de serre par son effet de faire. » (p. 191) Depuis, face à l’impossibilité de mettre en place une politique internationale commune sur la question climatique, face aux intérêts contradictoires des puissants lobbys ou aux climatosceptiques les émissions de CO2 s’accroissent et le réchauffement climatique devient une effroyable réalité.
Cela fait quarante ans que la communauté scientifique crie dans le désert politique. Depuis le XIXe siècle déjà, les premières études ont commencé à évoquer l’effet de serre et le réchauffement des températures terrestres. En 1979, des scientifiques américains ont démontré, chiffres et données à l’appui, le lien direct et irréversible entre émissions de dioxyde de carbone et réchauffement climatique. Ils ont aussi quantifié ce que serait la réalité du réchauffement climatique à l’aube du XXIe siècle, si aucune décision à l’échelle internationale n’était prise sur la réduction de ces émissions dioxyde de carbone.
Tous confirmaient le doublement de la quantité de CO2 dans l’atmosphère d’ici à 2035, au mieux 2060, avec pour conséquences une augmentation catastrophique des températures à la surface de la Terre. La faute à l’inaction politique des États, mais aussi à l’impossibilité des gouvernants de trouver un consensus international, de contrer le lobbying ultra efficace des industries émettrices de CO2. Quarante ans plus tard, la situation, loin de s’améliorer, continue à se dégrader inexorablement. Mais maintenant, il est trop tard pour inverser le cercle vicieux du réchauffement climatique, qui concourt à la disparition de l’espèce humaine.
Le journaliste Nathaniel Rich avait été découvert par les lecteurs français lors de la publication de son premier livre en version française en 2015, Paris sur l’avenir, une dystopie réaliste glaçante, autour d’un personnage jouant et gagnant sur la création de scénarios catastrophes qu’il a à vendre. Dans cet ouvrage, ce n’est pas une dystopie à laquelle nous avons affaire, mais une réalité de l’état de notre planète. Nous vivons bel et bien le scénario catastrophe annoncé il y a quarante ans. C’est comme le sous-titre l’indique, Une histoire de notre temps, bien réelle celle-ci.Dans la lignée des enquêtes de « narrative-nonfiction », la publication de ce livre l’année dernière constitua, outre-Atlantique, un véritable événement.
Pour ses détracteurs, la thèse est simple, voire simpliste, lacunaire et trop romancée. Pour compléter ce récit factuel, il manque en tous cas vraisemblablement, une approche plus analytique des événements qu’ils soient scientifiques, politiques, géopolitiques, économiques…
Ouvrage recensé– Perdre la Terre, une histoire de notre temps, Paris, Seuil/Éditions du sous-sol, 2019.
Du même auteur– Paris sur l’avenir, Paris, Paris, Les Editions du sous-sol, 2015.
Autres pistes– Aurélien Barrau, Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité, Paris, Michel Lafon, 2019.– Laurent Testot, Cataclysmes : Une histoire environnementale de l'humanité, Paris, Payot, 2018.