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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Malscience

de Nicolas Chevassus-au-Louis

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Science et environnement

Données retouchées, patients inventés, expériences impossibles à reproduire… la fraude scientifique se développe. Les articles toxiques polluent la recherche quand ils ne font pas peser un risque sur la santé des patients, traités sur la base de résultats truqués. Longtemps considérées comme marginales, ces dérives ne proviennent pas seulement de comportements individuels. La recherche de financements des laboratoires, l'évaluation continue des chercheurs et le marché juteux de l'édition scientifique favorisent les arrangements avec la rigueur. Voire la tromperie à grande échelle.

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1. Introduction

Les articles scientifiques relèvent d'une mystification. Car le plan précis que suit chaque publication (introduction, méthode, résultats, discussion) aboutit à une reconstruction, qui met en avant une belle histoire, avec un résultat clair et précis, éloigné des réalités expérimentales.

À l'image des travaux du prix Nobel de physique Robert Andrews Millikan (1923), premier à mesurer la charge électrique de l'électron, en pulvérisant de minuscules gouttes d'huile ionisée entre deux électrodes : grâce à son cahier de laboratoire, on sait aujourd'hui que le physicien américain n'a retenu que 58 gouttelettes sur 175 : celles qui se rapprochaient le plus des résultats qu'il escomptait. Ce n'est donc pas l'expérience qui lui servait de tribunal, mais une idée préconçue conduisant d'ailleurs à un résultat faux, Millikan s'étant trompé sur la viscosité de l'air freinant les gouttelettes.

Cet exemple montre à quel point la littérature toxique peut entraver la production scientifique : trouvant des valeurs plus élevées que leur prédécesseur, les physiciens qui ont refait l'expérience les ont éliminées à leur tour, pensant qu'ils avaient fait une erreur.

2. De belles données

Il est devenu courant d'embellir les données, révèlent plusieurs études qui s'attachent à la probabilité statistique qui valide un résultat, soit p > 5 %. Les scientifiques admettent en effet un phénomène dès lors qu'il a moins d'une chance sur vingt de relever du hasard. C'est-à-dire quand il se produit au moins 95 fois sur 100 cas étudiés.

Dans la littérature récente, p apparaît souvent juste en dessous de 0,05. Deux psychologues américains, qui se sont penchés sur 3 557 publications de trois revues respectées parues en 2008, ont établi que les valeurs de p comprises entre 0,045 et 0,05 sont surreprésentées. « Ce qui incite fortement à penser que les données ont été arrangées pour passer juste sous le seuil fatidique » (p. 52). Daniele Fanelli, qui a étudié 4 600 articles dans des domaines variés, constate que si 70 % des articles de 1990 indiquaient avoir confirmé leur hypothèse, ils étaient 86 % en 2007. Des taux de 100 % s'observent même en biologie moléculaire et en médecine clinique, ainsi que chez les chercheurs asiatiques, toutes disciplines confondues (75 % en Europe et aux États-Unis).

Ces apparents progrès scientifiques ne sont pas dus au succès de la recherche, mais plutôt à la recherche du succès. On ne publie désormais que ce qui marche, ce qui condamne une partie de l'activité scientifique. Les résultats « négatifs » n'ont plus droit de cité, alors qu'ils participent de la construction des savoirs.

Le coup de pouce s'observe également dans l'imagerie numérique, en particulier en biologie médicale, où le visuel a valeur de preuve. Le rédacteur en chef du Journal of Cell Biology a ainsi découvert que le quart des images soumises à sa revue en onze ans, étaient manipulées. De l'arrangement, on est passé à la fraude.

3. Des cas spectaculaires

Le phénomène a été porté sur la place publique à la suite de plusieurs affaires retentissantes, dont celle de William Summerlin, couverte, pour la première fois, par la presse généraliste. Affecté à New-York dans les années 1970, ce biologiste s'intéressait aux transplantations de tissus. Malheureusement, on s'aperçut que les implants noirs sur la peau des souris blanches étaient dus à... l'encre de Chine.

Autre imposteur célèbre, le cardiologue John Darsee, dont le comportement a éclaboussé le National Institutes of Health (INH), première institution américaine dans la recherche biomédicale. L'université de Harvard a été condamnée à rembourser au NIH les subventions utilisées par le post-doctorant indélicat. Une première. Même chose pour le vénérable New England Journal of Medicine, qui publia deux avis de rétractation, fait sans précédent depuis 1812.

Les exemples ne manquent pas. Car les fraudeurs n'interviennent pas que dans les domaines porteurs de grandes retombées économiques. Le psychologue néerlandais Stapel a ainsi été contraint de rétracter 55 articles en 2011 portant sur la genèse des stéréotypes sociaux. Pour établir que les préjugés raciaux étaient corrélés à la précarité économique, il diligentait des enquêtes auxquelles il répondait lui-même. Le physicien allemand Schön, lui, recourait à des fonctions mathématiques pour générer les résultats d'expériences qu'il ne menait jamais.

4. Ne cherchez plus, signez !

Pour frauder, il n'est même plus nécessaire de chercher. Il suffit par exemple de plagier une étude. La méthode n'est pas nouvelle – Boyle la déplorait au XVIIe siècle – mais elle se répand depuis 1980, date du premier cas connu de rétractation pour plagiat. On le doit au saoudien Alsabti, industriel de la copie, mais aussi ambassadeur à sa manière. L'analyse bibliométrique signale en effet que les premiers plagiaires proviennent de l'Asie et du Moyen-Orient. Une revue chinoise a même découvert qu'ils avaient signé 31 % de ses articles.

Autre méthode pour passer à la postérité : le vol, dont les femmes sont les premières victimes. Qu'on songe à Rosalynd Franklin, passée sous silence dans la découverte officielle de l'ADN, ou, plus récemment à Liliana Kaplan qui a mis au point une technique de prélèvement des cellules placentaires avec des collègues qui ont profité de son absence pour s'attribuer le mérite de la découverte. Internet favorise aussi les malversations.

Car le web relaie des agences spécialisées, chinoises pour l'essentiel, qui proposent d'acheter la signature d'un article choisi au sein d'une base de données. L'auteur s'y est essayé. Ses conclusions rejoignent celles de journalistes qui ont enquêté sur cette offre peu orthodoxe : les instituts chinois vendent leurs données au plus offrant.

L'informatique permet en outre de confier la rédaction des articles à des logiciels. L'initiative en revient au Massachusetts Institute of Technology (MIT) qui entendait dénoncer le faible niveau des colloques par le biais d'un programme faisant appel à une grammaire non contextuelle.

En clair : un immense charabia, assorti de graphiques générés de manière aléatoire. Cela ne devait être qu'un canular, mais le science generator du MIT a été détecté dans une centaine de publications entre 2008 et 2013, généralement signées par des auteurs chinois.

5. Des revues peu regardantes

L'initiative peut faire sourire. Mais elle met l'accent sur un phénomène qui prend de l'ampleur avec les revues « en accès libre » qui modifient le modèle économique de la publication scientifique, secteur déjà hors-norme : les revues (25 000 dans le seul domaine biomédical) font appel à une matière première gratuite (les articles), elles ne rémunèrent pas les relecteurs (bénévoles) et elles facturent leurs abonnements à des tarifs jugés exorbitants. D'où un taux de profit de 30 % par an.

Désormais, l'auteur paie pour être publié. Et le lecteur a un accès gratuit aux études. La première revue en libre accès, Public Library of Science, est apparue en 2001 sous l'égide de biologistes qui voulaient accéder gratuitement aux archives des revues. Cela coûte 1495 dollars d'y publier un article. Des éditeurs « prédateurs » ont tout de suite flairé le bon filon. Sans rédacteur en chef, leurs revues se parent d'un nom anglo-saxon (comme la française Research), domiciliant leur site web aux États-Unis. Dominées par le chinois David Publishing et l'indien Science Domain, ces publications étaient au nombre de 1 800 en 2011. En 2015, on en comptait 15 000, publiant 400 000 articles par an, dont 70 000 relevant de la biomédecine.

L'intérêt objectif de ces revues est d'accepter le plus d'articles possibles. Plusieurs tests ont établi leur faible crédibilité. Une contribution répétant à l'infini : « Get me off your fucking mailing list » considérée comme « excellente » par le relecteur de l'International Journal of Advanced Computer Technology a été acceptée, moyennant 150 $ !

Reste qu'il faut se demander comment les fraudeurs peuvent tromper les relecteurs des revues traditionnelles, dont la fonction est justement de porter une appréciation critique avant publication. Question d'autant plus fondée que plusieurs fraudeurs ont sévi pendant des années, tels le japonais Fujii et l'allemand Boldt, qui ont inventé les patients de leurs essais cliniques. Avec 183 articles rétractés (en 2011), Fujii apparaît même comme le recordman de la fraude scientifique. À ses côtés, les frères Bogdanoff font plutôt figure d'artistes. « Rarement aura-t-on vu un travail creux habillé avec une telle sophistication », concluait un rapport du CNRS en 2010.

6. Davantage de rétractations… et de victimes

Les rétractations d'articles confirment que les manquements à l'intégrité sont de plus en plus fréquents. Deux chercheurs, qui ont étudié 4 000 publications retirées de la littérature depuis 1928, signalent qu'il s'agit d'un phénomène récent (21 avant 1980) aux proportions inquiétantes. S'il elles représentent moins d'un article sur mille, les rétractations ont été multipliées par 11 entre 2001 et 2010.

Ce sont des valeurs a minima, car ces données excluent les fraudeurs en série, et toutes les revues ne rétractent pas les articles mis en cause.

Une étude de 2012 portant sur les articles rétractés de la base Medline (qui recense les articles en médecine publiés dans le monde entier) ajoute que la première cause de rétractation est la fraude (43% des 2017 articles rétractés), loin devant l'erreur de bonne foi (21 %). Le taux de rétractation pour fraude a été multiplié par dix depuis 1975, et il est plus marqué chez les revues les plus prestigieuses (Science, Nature, Cell...).

Là où certains scientifiques voyaient une forme d'autocorrection, Nicolas Chevassus-au-Louis discerne au contraire une gangrène du système scientifique. Les études menées en sociologie des sciences signalent d'ailleurs que 2 % des scientifiques admettent avoir fabriqué ou falsifié des résultats au moins une fois dans leur carrière. Parallèlement, 14 % déclarent connaître des collègues fraudeurs… soit sept fois plus.

Cette situation n'est pas sans conséquences. Car la fraude peut tuer. En Grande-Bretagne, une étude médiatisée du chirurgien Wakefield concluait à un risque d'autisme, engendré par le vaccin contre la rougeole… jusqu'à ce qu'on découvre sa manipulation. Il a fallu attendre douze ans pour que l'article, cité 700 fois, soit rétracté. Entre-temps, une recrudescence de cas mortels de rougeole a été observée, en raison d'une chute des taux de vaccination.

Reste que tous les articles frauduleux ne sont pas rétractés ou signalés comme tels. La littérature diffuse toujours ceux de Boldt, par exemple, en faveur de l'hydroxy-éthyl-amidon, un produit censé lutter contre les hémorragies… qui provoque 200 à 300 morts par an au Royaume-Uni.

Par ailleurs, la fraude coûte cher à la collectivité. Entre 1992 et 2012 aux États-Unis, pas moins de 2,3 milliards de dollars ont été attribués à des projets ayant débouché sur la rétractation d'au moins un article.

7. Contrôler l'intégrité scientifique

La production savante autorise de telles dérives. Car une expérience scientifique est présumée reproductible. En pratique cependant, il est presque impossible de reproduire une expérience à l'identique, de sorte que la plupart des scientifiques font confiance aux résultats de leurs collègues. Cette non-reproductibilité, qui peut aussi être volontaire, est au cœur de la fraude.

Soucieuses de leur intérêt et leur image, les sociétés privées en sont particulièrement conscientes : après avoir dépensé des fortunes pour tester des inventions qui ne fonctionnaient pas, elles ont développé des contrôles que le monde académique peine à mettre en place.

En 1989, pour la première fois au monde, les Américains se sont dotés d'une instance indépendante chargée d'instruire les affaires de manquement à l'intégrité scientifique et de poursuivre les fraudeurs, pour détournement de fonds publics. En Europe, les pays nordiques ont pris des dispositions comparables. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont suivi, mais avec des procédures internes.

En France, il a fallu la retentissante affaire du « gène de l'obésité » (découverte d'une protéine du foie impliquée dans la dégradation des graisses, avec résultats expérimentaux très prometteurs) pour qu'une institution, l'INSERM, se saisisse de la question. Un office de l'intégrité scientifique a été créé. Mais combien d'universités disposent d'instances de contrôle ?

8. Pourquoi de telles dérives ?

Pour l'auteur, les tricheries ont leur origine dans « l'accroissement de la compétition internationale dans un contexte de généralisation, de par le monde, de l'évaluation des chercheurs selon le seul critère du prestige de leurs publications » (p. 75). Leur carrière dépend désormais de leur facteur d'impact, c'est-à-dire de la moyenne sur les deux dernières années du nombre de citations des articles parus.

Ce facteur d'impact est calculé chaque année par le Thomson Reuters Science Citation Index (SCI), qui est à la recherche ce que le chrono est aux sprinters. Avec des retombées très visibles en Chine, où les chercheurs qui signaient 41 417 articles en 2002, en publiaient 193 733 en 2013.

Cette tendance est générale. Certains chercheurs sont même prompts à hyperpublier, à l'image du chimiste britannique Katrizky (une publication tous les dix jours) ou du microbiologiste français Didier Raoult, vice-recordman du monde avec 1252 articles entre 1996 et 2011. L'American Society for Microbiology l'a interdit de publication, après la présentation d'expériences différentes… avec des figures identiques.

Liée à une évaluation quantitative, cette course à la publication est à l'origine de contributions sans réel intérêt, mais elle est aussi un puissant facteur fraudogène. Un pharmacologue signale ainsi qu'en biologie, où les contrôles peuvent être longs, il est tentant de passer rapidement sur le croisement des souris (qu'il faut croiser sur au moins dix générations) et de publier « tant que ça marche »… d'autant que cela peut conditionner les financements du laboratoire.

9. Conclusion

« L'angoisse de ne plus avoir de financement est certainement un puissant facteur poussant les chercheurs à la fraude », résume l'auteur. La compétition qui touche désormais les centres de recherche, se manifeste en effet via le financement par projets. Celui-ci s'appuie sur le facteur h du demandeur, qui mesure le nombre n d'articles ayant obtenu au moins n citations.

Cet indice mal construit pousse à la publication et à la concurrence entre chercheurs. Les plus jeunes, soumis à la précarité, peuvent être tentés de franchir la ligne jaune, en valorisant une étude qui peut décider de leur poste. À l'inverse, ils sont mal placés pour dénoncer des pratiques peu orthodoxes de leurs aînés.

Le développement de l'offre publique (50 % des publications européennes sont désormais en accès libre) ne va donc pas venir à bout d'une fastscience qui s'inspire du fastfood.

10. Zone critique

Au delà des cas spectaculaires, cet ouvrage démontre que la malversation scientifique n'est pas un phénomène isolé, et qu'il n'y a pas de fraudeur type. Ancienne directrice de la délégation à l'intégrité scientifique de l'Inserm, Martine Bungener évoque d'ailleurs des « situations à risque », plus que des profils spécifiques.

Il est ainsi difficile de cerner les zones grises, et de donner des exemples du quotidien des chercheurs et de ses non-dits, d'autant que les travaux sur le sujet sont rares et épars. À destination des non spécialistes, un exemple de financement d'un centre de recherche aurait toutefois été le bienvenu, pour illustrer la pression à laquelle sont soumis les scientifiques.

11. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Nicolas Chevassus-au-Louis, Malscience, de la fraude dans les labos, Paris, Seuil, 2016.

Du même auteur– Un iceberg dans mon whisky, Quand la technologie dérape, Paris, Seuil, Paris.

Autres pistes– Yves Gingras, Les Dérives de l'évaluation de la recherche. Du bon usage de la bibliométrie, Paris, Raisons d'agir, 2014.– Gilles Harpoutian, La Petite Histoire des grandes impostures scientifiques, Vanves, Le Chêne, 2016 – Liste des articles rétractés : https://retractionwatch.com/– Office français de l'intégrité scientifique : https://www.hceres.fr/fr/ofis

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