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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Une Monnaie écologique

de Nicolas Dufrêne & Alain Grandjean

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Pour financer les considérables besoins de la transition écologique, la politique monétaire doit compléter une politique budgétaire. La Banque centrale européenne dispose en effet d'un pouvoir de création monétaire illimité, qui peut être ouvert aux États, aux entreprises et surtout aux banques d'investissement, pour intervenir massivement là où le marché n'opère pas : sur les biens communs, les opérations à très long terme et les investissements non rentables. Neutralité carbone et neutralité monétaire ne sont pas compatibles : nous devons choisir. Et nous affranchir du filtre des banques commerciales, qui aspirent l'essentiel des liquidités.

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1. Introduction

La « magie monétaire » a été vilipendée par Emmanuel Macron lors d'une discussion animée avec des infirmières, en 2018 : « Il n'y a pas d'argent magique ». L'année précédente, Theresa May signalait pareillement : « There is no magic money tree » (Il n'y a pas d'arbre à monnaie magique).

Il s'agit là d'un parti-pris idéologique, qui transparaît pleinement dans un discours du gouverneur de la Bundesbank. Quand ce dernier s'oppose à Mario Draghi, qui « ouvre les vannes » de la Banque centrale européenne (BCE) en réponse à la crise de 2008, il évoque Méphistophélès, l'incarnation du diable, qui crée de l'argent pour le souverain. Ce sont de telles « raisons comptables » qui ont été opposées à Nicolas Hulot, indique ce dernier dans sa préface. En termes convenus : investir massivement dans la transition énergétique et écologique (TEE) supposerait un endettement trop lourd pour les générations futures.

Le caractère magique de la monnaie renvoie pourtant aux mécanismes monétaires eux-mêmes. Il y a création monétaire dès qu'une banque commerciale accorde un crédit ou achète un actif à un agent non bancaire (un immeuble, des devises ou, plus couramment, une créance). C'est-à-dire quand elle inscrit l'opération à son bilan, en y associant un passif bancaire de même montant.

Contrairement à un transfert entre particuliers, il s'agit là d'une pure création comptable, permise par le « pouvoir extraordinaire obtenu légalement par les banques commerciales d'accorder des crédits sans disposer au préalable des dépôts correspondants » (p. 28). Ce ne sont donc pas les dépôts qui créent les crédits, mais l'inverse. C'est bien pourquoi le paquet européen CRD IV prévoit que les fonds propres des banques atteignent au minimum 7 % de leur bilan.

2. Une pseudo-neutralité

Les banques se financent auprès de la banque des banques, la banque centrale, dont le pouvoir de création est virtuellement illimité, mais concrètement très encadré. Les statuts de la BCE l'obligent en effet à respecter le principe d'une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Le traité de Maastricht (1992) lui interdit par ailleurs de financer directement les États. Cela les conduit donc à se tourner vers le marché pour trouver des fonds.

La banque centrale est censée jouer un rôle technique : elle ajuste les liquidités disponibles et modifie son taux d'intérêt pour réguler les capacités de prêt des banques commerciales. Mais sa neutralité est un leurre : viser une stabilité des prix sous forme d'une hausse modérée de 2 % par an est déjà, en soi, un acte politique. À quel titre, puisque les administrateurs de la BCE ne sont pas élus ?Le postulat monétariste reproche à l'émission de monnaie de créer de l'inflation. Sur le plan théorique, le lien prix-masse monétaire découle de la loi (controversée) de l'offre et de la demande.

Historiquement, l'argument ne tient pas. Hitler est arrivé au pouvoir, non en raison de la flambée des prix en Allemagne, mais à la suite des mesures d'austérité décidées pour combattre cette inflation galopante. À l'inverse, de grandes politiques ont été conduites dans un contexte inflationniste, ce qui se comprend, car l'inflation allège le coût du crédit. Le remboursement de la dette entraîne, lui, une destruction monétaire (qui se manifeste dans le bilan des banques). Et cette réduction de la masse monétaire conduit à une contraction de l'économie.

3. D'un New Deal à l'autre

Le New Deal est sans doute le meilleur exemple d'une opération de magie monétaire.

En faisant flotter le dollar, en rééchelonnant les dettes des agriculteurs et en injectant des fonds considérables (l’équivalent de 130 milliards d'euros rapportés à la France d'aujourd'hui) dans une politique de travaux publics (un million de kilomètres de routes, 285 aéroports, 800 parcs nationaux, etc.), l'administration Roosevelt a dopé l'activité et remis les Américains sur le chemin du travail. En 1936, le déficit atteignait 3,5 milliards de dollars, mais le PIB avait largement dépassé son niveau de 1929, propulsant les États-Unis sur un sentier de croissance que stimulerait encore l'effort de guerre. La dette peut donc être un formidable levier.

Cet épisode inspire d'ailleurs la gauche américaine : face au changement climatique, le New Deal vert propose d'injecter 16,3 trillions de dollars dans la création d'emplois (20 millions) et d'infrastructures durables.

Une partie des fonds nécessaires à la TEE peut provenir de la réallocation de financements existants, mais une autre partie devra être créée. En Europe, selon la Cour des comptes européenne, celle-ci serait d'au moins 300 milliards d'euros par an sur les 1 135 milliards nécessaires chaque année jusqu'à 2030. En France, l'Institut de l'économie pour le climat chiffre les besoins 2019-2023 à 55-85 milliards d'euros par an pour les seuls objectifs énergétiques et climatiques, soit 2,5 à 4 % du PIB. On en est loin : en 2017, les investissements privés et publics en ce domaine n'ont atteint que 31 milliards.

4. Le contrôle de la monnaie

Comme la réforme budgétaire (régime d'amortissements particulier pour les investissements « verts »), une réforme monétaire s’avère donc indispensable pour mener à bien la TEE. L'austérité, mise en place pour contenir l'endettement, bride les initiatives, y compris les plus nécessaires, alors que « nous sommes au bord de l'abîme », résume Nicolas Hulot. Elle est aussi un frein à l'activité et à l'emploi.En Chine, au contraire, la monnaie est mise au service de l'État : aucune banque n'est indépendante, et la banque centrale contrôle le niveau du yuan.

L'État décide du montant des crédits, il désigne les emprunteurs prioritaires. La monnaie est ici un outil de politique économique, et on en mesure l’efficacité. Déjà au premier rang pour la production d'électricité d'origine éolienne, la Chine a investi 344 milliards d'euros entre 2017 et 2020 en faveur des énergies renouvelables, ce qui doit créer 13 millions d'emplois. Le tarif de rachat de l'électricité est fixé sur une période de 15 à 20 ans, afin de garantir les amortissements. La dette chinoise dépasse les 300 % du PIB (15 % de la dette mondiale), mais elle n'est pas problématique, d'autant que la banque centrale chinoise pourrait facilement créer de la monnaie ex nihilo. Création favorisée par d'immenses réserves de change.

Une telle intervention est fondamentale. Car découpler production de richesse et consommation énergétique est un enjeu majeur de la TEE : « Il est nécessaire d'avoir une croissance qui demande moins d'énergie et une énergie qui produit moins de carbone » (p. 122). Reconvertir l'économie passe aussi par un changement du modèle agricole, de nouvelles formes de mobilité, etc. Il faut par ailleurs financer la recherche, ainsi que des activités peu rentables, ou hors marché, comme la préservation des écosystèmes. Où trouver les ressources nécessaires ?

5. Libérer les ressources monétaires

La BCE détient 15 à 20 % des dettes publiques de la zone euro, dont 417 milliards de dette française, soit 18 % de cette dernière. Elle peut les annuler, ce qui « libérerait » la monnaie, sous réserve d'un investissement de même montant dans une politique de reconstruction écologique et sociale.

Plus généralement, la BCE doit abandonner son principe de « neutralité » et, comme d'autres institutions financières, adopter une « taxonomie verte « : selon qu'un investissement est plus ou moins vertueux au regard de la TEE, le coût de refinancement pour des banques commerciales sera plus ou moins affecté. Celles-ci soutiennent trop les actifs bruns : en France, 70 % des financements énergétiques sont encore fléchés vers les énergies fossiles.

L'action des banques centrales ne doit pas être circonscrite aux banques commerciales, qui ont profité des injections massives de 2008 pour spéculer et améliorer leur bilan. Le financement des agents économiques (ménages, entreprises, État) doit s’opérer sans leur intermédiaire. Cela peut passer par une monnaie numérique. Mais dès maintenant, peuvent être accordées des baisses d'impôt ciblées, voire de « l'argent hélicoptère » (qui tombe du ciel), comme l'a fait l'Australie, en accordant un revenu aux ménages lors de la crise de 2008.

Cela suppose que l'État retrouve des marges de manœuvre à travers sa politique budgétaire, et donc qu'il ait accès à la monnaie de la BCE. Car les ressources dont il dispose aujourd'hui, l'impôt et l'emprunt sur le marché, ne permettent pas d'impulser un programme à la hauteur des besoins.

Dans les faits, la création monétaire doit surtout profiter aux banques publiques d'investissement, française (BPIFrance, « banque pour le climat » en gestation, etc.) ou européenne (BEI), dont le rôle est justement de pallier les insuffisances du marché. Leurs interventions, dans un cadre réglementaire contraignant, sont d'autant plus frileuses que, sans dépôt et sous dotées en capital, elles doivent refinancer entièrement leurs prêts.

Le recours à la banque centrale est donc crucial, en particulier pour la BEI, qui « a investi en sept ans moins de la moitié de ce qu'il faudrait faire au minimum, en un an » (p. 198). La banque pourrait émettre des obligations à durée longue ou très longue, à taux faible ou nul, lesquelles seraient rachetées par la BCE lors de leur émission. Ce mécanisme simple, offre une « manne illimitée de liquidités pour financer la transition écologique » (p. 209) qui peut se décliner selon plusieurs modalités, en lien avec les États et les institutions financières.

6. La BCE en question

Ces interventions s'appuient sur la création, directe ou indirecte, de monnaie par la BCE, « seul acteur capable de disposer d'un pouvoir de création monétaire sans limites », car elle ne rend des comptes qu'à elle-même. C'est pourquoi, la concernant, la notion de « pertes » n'a guère de sens.

La magie monétaire s'identifie ici à une convention comptable qui se heurte aux représentations historiques et aux pratiques sociales de l'argent : le lien monnaie-métaux précieux et la comptabilité en partie double, née en Italie au XIIIe siècle. Mais les obstacles à une réforme profonde de la politique monétaire sont d'abord idéologiques et politiques. Le statut de la BCE doit donc être réformé (via les articles 130 et 23-2 du Traité sur le fonctionnement de l'UE). « La main invisible du marché ne peut pas remplacer la main visible de la collectivité, à savoir la puissance publique » (p. 223).

Cette révolution ne semble pas hors de portée. Les pays européens ne respectent plus les critères qu'ils se sont fixés. BlackRock, premier fonds de pension au monde (avec près de 7 000 milliards de dollars), préconise d’ailleurs l'achat d'actifs par la BCE et le versement de la contrepartie sur un compte, permettant ainsi aux gouvernements de relancer l'activité. En Europe, ce serait tout simplement revenir à des pratiques d'avant Maastricht, quand l’État pouvait bénéficier d'avances de la banque centrale, avec de la monnaie à taux zéro.

En France, l’État pouvait également intervenir par le biais du Trésor, qui détenait des dépôts, octroyait des prêts, etc. L’État était donc un banquier, mais un banquier bien particulier, puisqu'il pouvait, par exemple, imposer aux banques commerciales de lui acheter des titres de dettes. « Grâce à ces dispositions, l’État a longtemps maintenu le déficit sous contrôle, tout en menant de grands projets d'investissement comme le TGV et le nucléaire » (p. 109).

Les partisans de la TEE et BlackRock constatent donc qu'indépendance rime avec impuissance. Le volume et l'orientation de la masse monétaire échappent à la BCE. Au point que les 2 600 milliards d'euros qu'elle a injectés entre 2008 et 2015 n'ont guère fait décoller la croissance ; son objectif en termes de prix n'a pas non plus été atteint (environ 1 %).

7. La monnaie est un bien commun

Mais la création monétaire ne doit pas être aspirée par ces deux « trous noirs » que sont la spéculation financière (les actifs financiers mondiaux représentent 340 000 milliards de dollars) et l'immobilier (qui concentre plus de 50 % du flux de crédit, donc de la création monétaire, dans les pays développés). En définitive, il ne reste que peu de monnaie pour financer l'investissement : moins de 15 %, selon l'Insee. On assiste donc à une déconnexion croissante entre l'économie réelle et la dynamique financière. Représentant moins de 10 % de la production en 1984, les transactions à terme sur le pétrole correspondent, par exemple, à plus de 10 fois le montant de la production.

Sous couvert de neutralité, le pouvoir de création monétaire accordé aux banques commerciales conduit finalement à des dérives. La récente crise des subprimes n'est que la dernière en date : les crises financières majeures des 50 dernières années ont été provoquées par des bulles liées à l'endettement privé, et non à l'endettement public.

Moyen d'échange mais aussi d'accumulation, la monnaie doit faire l'objet d'une réappropriation collective. Il faut la gérer comme un bien commun, selon un contrôle démocratique, à l'image du Conseil national du crédit de 1946, ou, pourquoi pas, via des référendums monétaires.

Cela ne signifie pas qu'une politique monétaire doive s'affranchir de toute contrainte. Les auteurs, qui se livrent à plusieurs mises en garde, insistent d'ailleurs sur une cartographie des besoins, afin de mettre en relation offre et demande de monnaie : pour prévenir l'inflation et développer des mécanismes de financement opérationnels et décentralisés.

8. Conclusion

L'État doit disposer d'outils et de marges de manœuvres budgétaires pour encadrer la TEE et la conduire quand le marché s'avère défaillant. La politique monétaire le permet, puissant levier autant qu'opportunité économique, du point de vue de l'activité en général. S'il faut tenir compte de la contrainte étrangère, on peut d'ailleurs réfléchir au rôle (théorique et opérationnel) que peuvent jouer les cryptomonnaies, à l'échelle locale (eKrona en Suède) et internationale.

Les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI pourraient constituer un point de départ pour étendre la monnaie écologique au monde entier. Et, déjà, remettre la monnaie au service de l'économie réelle.

9. Zone critique

Cet ouvrage complète d'autres interventions portant sur les moyens concrets d'assurer la transition de notre économie. Il le fait dans un domaine très peu abordé jusqu'ici, bien qu'essentiel : la monnaie.

Rejoignant les partisans (postkeynésiens) de la modern monetary theory, les auteurs avancent qu'une création monétaire « ciblée et discutée démocratiquement, à la manière d'un bien commun, peut éviter les écueils de l'hyperinflation et de l'étatisation de l'économie, tout en permettant de sortir du piège de la monnaie-dette, du surendettement public et privé et de l'impuissance économique » (p. 91).Il s'agit d'une remise en cause de la politique monétaire menée depuis plusieurs décennies. Mais les taux d'intérêt négatifs montrent que les modèles sont caducs. Et les décisions de l'été 2020, visant à mutualiser les dettes publiques liées à des impératifs vitaux (Covid-19), signalent que les tabous peuvent tomber.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean, Une Monnaie écologique, Paris, Odile Jacob, 2020.

Ouvrages d'Alain Grandjean– Avec Mireille Martini, Financer la transition énergétique. Carbone, climat et argent, Ivry-sur-Seine, Éditions de l'Atelier, 2016.– Avec Hélène Le Teno, Miser (vraiment) sur la transition écologique, Paris, Les Liens qui libèrent, 2019.

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