Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Nir Eyal
Frappé par le caractère addictif des nouvelles technologies, vous aimeriez comprendre les grands succès du marketing de ces dernières années qui ont réussi à changer nos habitudes quotidiennes et à nous fournir des services et des produits dont nous ne savons plus nous passer ? Ce livre est fait pour vous. À travers le modèle « Hook » qu’il développe, Nir Eyal explique les quatre étapes qui mènent à ce « harponnage » du consommateur. Si vous avez un produit ou un service à mettre en place, vous allez apprendre à ancrer chez votre utilisateur une habitude nouvelle et en faire un business.
Hooked est un livre hybride qui présente bien des portes d’entrée intéressantes. L’auteur qui gravite depuis des années dans le monde des nouvelles technologies s’appuie sur l’observation des plus grands projets de la sphère Internet et il donne des clefs pour en comprendre l’insolente réussite.
Il opère également une synthèse des acquis des neurosciences, aussi bien à propos des phénomènes d’addiction que des comportements induits par le marketing sur des consommateurs.
Enfin, l’ouvrage se présente aussi comme un manuel de stratégie de développement pour les chefs de produit et les développeurs de service qui voudraient utiliser une méthode efficace pour rendre les usagers « accros ». Il pose également quelques questions sur l’éthique qui devraient permettre d’éviter les abus dans la manipulation des clients.
Nir Eyal part du constat que chacun peut faire dans son entourage ou même en observant ses propres comportements : dans le secteur des nouvelles technologies grand public, jeux, applications, réseaux sociaux, il est sidérant de voir les véritables addictions qui ont été développées ces dernières années.
Consulter son smartphone devient le premier et le dernier geste de la journée, qu’il s’agisse de vérifier ses mails, ses notifications Facebook ou Twitter, ses applications favorites ou l’état d’avancement de son jeu préféré. En moyenne, on regarderait 34 fois par jour son téléphone, mais les plus accrochés pourraient dépasser les 150 consultations.
Comment ce secteur a-t-il réussi à « harponner » (le sens de the hook en anglais) les individus pour modifier en profondeur et sur du long terme leurs habitudes ?
Tout au long du livre, les exemples de sociétés et de services sont précis et analysés de près. Ainsi l’application Pinterest est plusieurs fois étudiée pour comprendre le plaisir que les utilisateurs prennent à consulter ce catalogue d’images qui renvoient vers des sites et comment les utilisateurs sont poussés à créer eux-mêmes du contenu en postant leurs propres trouvailles. L’auteur pointe également les démarches des grands noms d’Internet, Google et Twitter, pour offrir des interfaces extrêmement simples qui garantissent une prise en main immédiate.
Nir Eyal compare par exemple – copies d’écran à l’appui – les pages d’accueil de Twitter en 2009, 2010, 2012 et 2013 : de plus en plus simples, débarrassées des informations inutiles, ces présentations visent à augmenter l’engagement des utilisateurs et à multiplier les occasions de se connecter. Facebook, YouTube, Instagram, Tinder, Snapchat, mais aussi les jeux comme Warcraft ou FarmVille donnent des exemples d’addiction garantie, avec des systèmes de notification et de récompenses. Il est clair que Nir Eyal connaît parfaitement toutes ces firmes. Il sait en retracer les étapes depuis leur création et noter les évolutions : il peut ainsi se focaliser par exemple sur un point précis comme l’analyse des écrans d’accueil en fonction des objectifs affichés par les différentes firmes.
Ainsi la comparaison entre Yahoo ! et Google vers 1998 fait ressortir que le grand gagnant est celui qui fluidifie l’accès à la recherche de données. Google a vraiment une longueur d’avance face à ses concurrents. Facebook et Twitter vont davantage simplifier l’inscription ou le partage qui sont les bases de leurs activités. Nil Eyal passe facilement de l’analyse stratégique d’une société à l’ergonomie d’une fonctionnalité précise d’une application. Ce va-et-vient entre les différents plans d’analyse rend la lecture intéressante et rompt la monotonie.
On sent que le livre bénéficie de l’expérience pédagogique qu’a acquise son auteur dans différentes grandes écoles de commerce et universités américaines. Cette impression est renforcée par les résumés à la fin de chaque chapitre (« À retenir et partager »), suivis d’exercices pratiques à mettre en oeuvre si on le souhaite (« À faire dès maintenant »).
L’introduction et la première partie du livre (« La zone des habitudes ») retracent à grandes lignes les acquis des études en neurosciences, notamment en ce qui concerne la psychologie du consommateur, les interactions entre l’homme et l’ordinateur et l’économie comportementale.
On peut en rappeler les grandes lignes. Les stimulis sont très importants pour créer une nouvelle habitude capable de se muer en addiction. La mise en place de récompenses en fonction des actions et du comportement vient consolider le phénomène et pousser le consommateur à s’investir encore davantage envers le produit.
Pour s’ancrer, une nouvelle habitude doit se répéter très souvent. Sinon, elle est très vite chassée en fonction de la loi dite « LIFO » (Last in, first out, dernier arrivé, premier sorti). L’accès au produit doit être rendu le plus facile et le plus direct possible. Le produit, d’abord simplement plaisant et agréable, doit devenir indispensable. Nous sommes clairement dans le domaine de la manipulation mentale. L’habitude devenue addiction déconnecte pour ainsi dire les comportements conscients, si bien que le consommateur revient de lui-même vers le produit. Ses motivations sont doubles : trouver du plaisir et de l’excitation, mais aussi éviter ennui et souffrance.
L’auteur d’emblée explique qu’il ne va pas traiter des produits ou des services qui sont utilisés occasionnellement, mais de ceux qui sont destinés à trouver un usage répété et dont l’emploi va s’insérer dans nos habitudes de vie. Les neurosciences offrent donc bien des clefs de compréhension de ces phénomènes puisqu’elles sont capables de décrire comment et pourquoi nous contractons une habitude et même comment celle-ci peut se transformer en addiction, pour le meilleur comme pour le pire.
Ayant sans cesse recours à des produits « vitamines » ou des services « anti-douleurs » pour tromper l’ennui ou répondre à nos besoins, nous ancrons des processus répétitifs dans notre quotidien. Nous associons ainsi des situations et des réponses, comme lorsque nous jouons sur notre smartphone dans les transports, pour substituer une émotion positive à une sensation désagréable (promiscuité, désœuvrement, sentiment de perdre son temps). La soif de plaisir, d’espoir ou d’appartenance à un groupe et au contraire la crainte de souffrir, d’échouer et d’être rejeté sont des motivations puissantes qui servent de levier pour installer des comportements addictifs.
L’auteur fait souvent référence aux travaux de B. J. Fogg, professeur et chercheur au Laboratoire des technologies persuasives de l’université de Stanford qui est le premier à avoir inventé le concept de « captology » qui est la capacité de l’ordinateur à persuader les gens et à influencer leur comportement : pour cela il a utilisé les méthodes de la psychologie expérimentale
Le livre se veut surtout un ouvrage pratique, voire un manuel, pour donner une méthode précise et rigoureuse à l’entrepreneur qui veut développer une technologie addictive. Ainsi la méthode Hook est décomposée en quatre phases à appliquer successivement qui sont d’abord expliquées à grands traits, puis détaillées en autant de chapitres. Entrons dans le détail.
La première phase est centrée sur ce que l’auteur désigne comme « les déclencheurs ». L’auteur distingue les déclencheurs externes, comme une notification, une alarme qui vient rappeler à l’utilisateur qu’il devrait utiliser le service, et les déclencheurs internes, les plus efficaces, qui font que, presque spontanément, on se rue sur le produit. Les déclencheurs internes s’appuient souvent sur des émotions négatives : le sentiment de solitude, d’isolement, d’ennui pousse l’utilisateur à aller se connecter au réseau de ses « amis ».
La deuxième phase est le temps de l’action. Par ce mot l’auteur entend l’action immédiate, rapide, simple : une connexion, une consultation, une recherche, un « like ». L’action doit être très simple pour ne pas demander une aptitude complexe à mettre en oeuvre. Il faut que l’action soit immédiate, ne prendre ni temps, ni argent, ni effort physique ou psychique et elle doit être motivée par la perspective d’une récompense, elle aussi immédiate, que l’utilisateur anticipe.
Puis vient la troisième étape, celle des récompenses. Pour qu’elles ancrent parfaitement l’habitude, voire l’addiction, les récompenses doivent conserver une part de variabilité et d’aléatoire. Elles peuvent être de l’ordre de la récompense sociale au sein de sa petite « tribu » d’amis et de connaissances. Mais elles peuvent aussi être liées au simple plaisir de la recherche et de la trouvaille, de la « chasse ». Enfin, elles sont parfois encore de l’ordre de la performance personnelle, de « l’ego ». Les récompenses doivent être savamment dosées pour laisser à l’utilisateur l’impression d’un choix, être suffisantes pour apporter du plaisir, mais cependant laisser sur sa faim l’utilisateur pour qu’il ait envie et besoin de revenir vers le produit.
On pourrait penser que ces trois phases sont suffisantes pour créer une nouvelle habitude chez le client. Mais l’originalité de la méthode Hook – et sans aucun doute celle des technologies addictives –, c’est l’existence d’une quatrième étape, celle de « l’investissement » qui requiert une action plus complexe de l’utilisateur. S’il prend le temps de s’investir, de travailler, de faire des efforts, ce dernier va ajouter une valeur nouvelle au produit, de manière presque irrationnelle.
Ainsi s’il alimente lui-même les données de l’application, s’il prend le temps d’interagir de manière approfondie, il se détachera de plus en plus difficilement du service ou du produit. L’utilisateur n’attend pas une récompense immédiate cette fois, mais il anticipe des récompenses à venir, plus tard, quand il reviendra pour une nouvelle utilisation.
Pour l’auteur qui a mis au point cette technique de manipulation qui semble imparable, une question éthique cependant se pose : il ne faudrait pas en profiter pour induire des comportements néfastes pour l’usager. Il faut viser à améliorer ses expériences quotidiennes, à répondre à ses besoins et à ses désirs, lui éviter les émotions négatives et les contrariétés.
Le test consiste pour l’entrepreneur à se demander si ce nouveau produit ou ce service qu’on met en place, il a envie et besoin de l’utiliser lui-même. Si tel n’est pas le cas, il faut qu’il s’interroge, qu’il se demande d’où viennent ses réticences. Si le fabricant ne veut absolument pas l’utiliser lui-même et s’il pense que cela n’améliorera pas le quotidien de l’usager tout en créant chez lui une dépendance, il n’est pas loin d’avoir la même moralité qu’un vulgaire dealer ! Alors que le designer qui a rencontré un problème et qui s’est attelé à le résoudre et qui est prêt à le diffuser auprès des autres, en créant une nouvelle habitude plus agréable et plus facile, lui, est un véritable innovateur.
Le livre développe d’ailleurs dans les derniers chapitres l’exemple d’une application centrée autour de la Bible, avec ses différentes fonctionnalités et montre qu’ainsi chacun peut se créer sa propre routine adaptée à ses besoins et désirs qui se révèle du coup très satisfaisante pour l’esprit.
L’ouvrage est extrêmement pratique, avec des résumés, des points à retenir en fin de chaque chapitre et des batteries de questions proposées à celui qui voudrait se lancer dans une innovation de type addictif.
Il donne même des pistes de réflexion pour ouvrir de nouvelles voies en prenant en compte les évolutions techniques récentes. La mise en page efficace, très claire, rappelle un peu celle d’un ouvrage de classe et accentue l’aspect pédagogique de l’ouvrage.
Ce livre, publié aux USA en 2014, fait partie des best-sellers du Wall Street Journal. Il a également été sur la liste des meilleurs livres professionnels du site américain goodreads.com et celle des meilleurs livres de marketing du site 800ceoreads.com.
Fruit de nombreuses années de recherches et de son expérience personnelle, Nir Eyal multiplie les exemples pour montrer comment les produits peuvent influencer nos comportements.
Destiné à tous ceux qui veulent débuter dans le domaine de la psychologie appliquée, le modèle Hook est parfois pris à défaut par des analystes qui interprètent différemment certaines des plus grandes réussites récentes dans le monde de la technologie, notamment celle de Google. Mais tous les critiques américains à sa sortie ont salué un livre de vulgarisation très pédagogique et très pratique.
Ouvrage recensé
– Avec Ryan Hoover, Hooked. Comment créer un produit ou un service qui ancre des habitudes, Paris, Eyrolles, 2018.
Autres pistes
– Philippe Beguin, La psychologie en marketing, 1998, Bruylant-Academia.– Robert Cialdini, Influence et manipulation : L’art de la persuasion, Paris, Pocket, 2014.– Nicolas Guéguen, Psychologie du consommateur, Paris, Flammarion, 2017.– Henri Kaufman et Marion Sciarli, Tout savoir sur… Psycho et Neuromarketing, Paris, Éditions Kawa, 2015.– Alain Sanjaume et Arnaud Caplier, Marketing comportemental, Paris, Dunod, 2010.