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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le Profit avant l’homme

de Noam Chomsky

récension rédigée parAlexandre KousnetzoffAncien élève de l'IEP de Paris.

Synopsis

Société

Depuis la disparition des régimes communistes, le néo-libéralisme et ses dogmes économiques, politiques et sociaux constituent la nouvelle identité sous laquelle les États-Unis, imités en cela par la grande majorité des pays occidentaux, défendent leurs intérêts stratégiques. Mais que cache en vérité, et plus exactement, cette notion à la fois large et un peu abstraite de « néo-libéralisme » ? Une réalité très simple, que l’on peut définir de manière lapidaire : le profit avant l’homme.

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1. Introduction

Le Profit avant l’homme est un ouvrage issu de textes divers de Noam Chomsky réunis en un volume unique : un discours au Forum social mondial de Porto Alegre de février 2002, un discours prononcé à l’université du Cap en mai 1997, un article paru dans le périodique In These Times daté du 21 février 1994, un article paru dans le numéro de juillet-août du magazine Z…

Tous ces textes partagent un point commun : disséquer le néo-libéralisme dans ses aspects non seulement économiques, mais également politiques, sociaux, culturels et environnementaux. En effet, remplacer les citoyens par des consommateurs et sacrifier les libertés individuelles et démocratiques au profit de la liberté des marchés, telle est l’essence du néo-libéralisme.

Parallèlement, l’essor de la doctrine néolibérale tend à renforcer la mainmise des États-Unis et de leurs alliés sur le monde ! Ce réquisitoire passionné ne laisse dans l’ombre aucun des aspects de ce phénomène multiforme, aussi insaisissable qu’omniprésent et omnipotent, pour le plus grand plaisir et pour le plus grand profit des lecteurs.

2. Le néo-libéralisme règne sans partage sur la planète

Pour Noam Chomsky, le néo-libéralisme constitue la réalité économique et sociale la plus radicale et la plus incontournable de notre temps. Elle définit et permet les politiques et les processus grâce auxquels des intérêts privés en très petit nombre, mais contrôlant des flux financiers colossaux, s’arrogent le droit de contrôler tout ce qu’il est possible de contrôler. Un contrôle multiforme, total et presque totalitaire puisqu’il intègre aussi bien la vie économique stricto sensu que la vie sociale dans tous ses aspects et la vie politique au travers de la démocratie et de ses consultations électorales.

Depuis maintenant une vingtaine d’années, le néo-libéralisme est le courant économico-politique dominant dans le monde, repris et diffusé, servi et propagé par tous les partis politiques, sans exception. Aussi bien de droite avec une tradition ancienne que de partis plus centristes. Mais, surtout, les partis de la gauche traditionnelle ne sont pas les derniers, avec le zèle des nouveaux convertis, à appliquer les recettes du néo-libéralisme (qui ont échoué partout pour l’auteur) et à vanter leurs mérites.

Noam Chomsky ne cite pas les hommes politiques ainsi évoqués, mais le lecteur comprend immédiatement que sont visés ici aussi bien le Français François Mitterrand, pionnier dans ce domaine puisqu’il appliqua les formules du néo-libéralisme dès le début des années 1980, que le Britannique Tony Blair ou l’Allemand Gerhard Schröder, tous représentants de la social-démocratie « bon teint ». Car, dans le cas des États-Unis, on oserait à peine qualifier le Parti démocrate de « parti de la gauche traditionnelle », et ses représentants les plus autorisés, Bill Clinton ou Barack Obama, d’authentiques « hommes de gauche »…

3. « Démocraties » et « démocraties capitalistes d’État »

Les régimes que l’on nomme « démocraties » par convention, ou par facilité, ne portent ce nom que par défaut. Il s’agit même, en l’espèce, d’une sorte d’abus de langage. En effet, pour l’auteur, si l’on veut être fidèle à la réalité, on devrait plutôt les appeler « démocraties capitalistes d’État ».

Quelle est la nuance entre les deux ? Elle tient à une différence fondamentale. Car dans le néo-libéralisme mis en place à partir des années 1980 sous l’égide de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, qui a pris son envol dans les pays anglo-saxons avant de s’étendre à la totalité du monde habité, il est presque impossible d’exister pour toute force démocratique extérieure au marché. Et le « presque » serait même peut-être de trop.

Il en résulte le fait suivant : le néo-libéralisme n’est pas seulement une réalité économique, mais bel et bien une réalité culturelle et politique. En effet, où le néo-libéralisme fonctionne-t-il le mieux ? Dans les pays où existe une démocratie électorale « formelle », mais où les citoyens se voient privés de manière extrêmement efficace, de tout accès à une information fiable, complète et authentique ainsi qu’aux forums publics nécessaires, indispensables même, à la participation réelle à la prise de décision démocratique.

D’où une conclusion qui s’impose d’elle-même : en régime néo-libéral, pour Noam Chomsky, tout gouvernement qui poursuivrait une politique contraire aux intérêts du marché est ipso facto antidémocratique, même (surtout ?) s’il jouit d’un large soutien populaire. Car, fidèles en cela à l’enseignement de leur prophète Milton Friedman, qui dans son ouvrage Capitalisme et Liberté rappelait que l’essence même de la démocratie est de faire des profits, les partisans du néo-libéralisme ont une vision bien particulière du rôle des gouvernements. Ils jugent indispensable de cantonner ces derniers dans des tâches de pure gestion et de protection de la propriété privée. Tout en limitant le débat politique autorisé à des problèmes mineurs, extrêmement secondaires à tous points de vue.

Les vraies questions, celles qui comptent réellement, production et répartition des richesses ainsi qu’organisation sociale, doivent être laissées au bon vouloir des seules forces du marché.

4. Le néo-libéralisme constitue une gigantesque imposture

Les initiatives néo-libérales sont systématiquement présentées sous un angle unique. Celui d’une politique de liberté des marchés, quasiment illimitée. Encourageant, au passage, les valeurs fondatrices du néo-libéralisme, qui sont celles du capitalisme de toujours : l’entreprise privée, le choix exercé par le consommateur dans le cadre de la défense de ses intérêts, la récompense accordée à la responsabilité individuelle et à l’esprit d’entreprise.

Avec, en contrepoint, des repoussoirs bien connus, toujours les mêmes là encore : des gouvernements censés être par nature incompétents, des administrations publiques pléthoriques, parasitaires et bureaucratiques, les uns et les autres ne pouvant de toute façon agir en faveur de l’intérêt général, même s’ils en avaient la volonté, ce qui est de toute façon très douteux pour les tenants du néo-libéralisme. Pour ses partisans, une seule instance est investie de la défense et surtout de la définition de l’intérêt général : les forces du marché.

Depuis quelques décennies à présent, quatre ou cinq environ, tous ces arguments est récitée comme un mantra par les dévots des thèses néo-libérales. Le problème étant que ce discours a envahi, puis absorbé la sphère publique tout entière. En effet, à coups d’opérations de relations publiques menées depuis des générations et financées par les plus notables des firmes transnationales et multinationales, tous ces termes et toutes ces idées en sont venus à régner sans partage dans l’opinion publique. Et, au passage, par acquérir une aura de caractère sacré : toute critique des valeurs du néo-libéralisme devient un blasphème insupportable, un signe manifeste d’asocialité ou, pire, d’aliénation mentale.

Avec la conséquence suivante : c’est un rapport de foi qui prime par rapport aux valeurs du néo-libéralisme, ce n’est pas, ce n’est plus un rapport rationnel. Les affirmations du néo-libéralisme n’ont donc pas besoin d’être défendues, argumentées ou démontrées, et peuvent dès lors servir à justifier tout et n’importe quoi. Des baisses d’impôts colossales pour les plus riches à l’abandon de mesures de protection de l’environnement en passant par le démantèlement patient, mais d’autant plus efficace de tous les services publics, à commencer par l’éducation, la santé et, surtout, les programmes d’assistance sociale.

En conclusion, toute activité qui, de près ou de loin, implicitement ou explicitement, est susceptible de gêner l’action et la domination sans partage des grandes entreprises est d’emblée suspecte, car elle perturbe le dogme majeur, sinon unique, du néo-libéralisme : la sacro-sainte liberté des marchés. Ces marchés sont, pour l’auteur, les uniques acteurs à même de répartir de manière à la fois démocratique, rationnelle, équitable et efficace les biens et les services. C’est ainsi qu’à entendre les partisans les plus acharnés du néo-libéralisme, ces derniers rendent d’immenses services aux plus déshérités lorsqu’ils appliquent leurs politiques de défense exclusive des intérêts d’une toute petite minorité de privilégiés.

5. Le néo-libéralisme impose un consentement sans consentement

Le principe de toute démocratie digne de ce nom repose sur le consentement des gouvernés. Or qu’en est-il dans le cadre du néo-libéralisme, dont l’auteur considère qu’il fonctionne le mieux dans des sociétés, apparemment démocratiques, mais qui, dans les faits, n’en sont pas ?

Dans ce domaine, le néo-libéralisme a imposé ce que Noam Chomsky nomme « le consentement sans consentement ». C’est-à-dire une résistance victorieuse de l’élite aux exigences minimales de la démocratie. En effet, depuis maintenant 250 ans environ, l’évolution politique de la plupart des pays du monde se fait en faveur des forces populaires, qui ont cherché et, dans la plupart des cas, obtenu la possibilité de participer plus largement à la gestion des affaires publiques, c’est-à-dire de leurs affaires.

Avec certains succès certes, mais aussi avec de nombreuses défaites. Qu’il suffise de mentionner le nombre de dictatures, le pus souvent militaires, qui ont vu le jour au cours de ces mêmes 250 ans. Pourtant, ces dictateurs, même sanguinaires, arrivaient presque toujours, et pas seulement par l’exercice de la force brutale et de la répression aveugle, à obtenir de leur population un certain degré de consentement.

Mais le néo-libéralisme renverse complètement la donne. En effet, il confisque la démocratie, il en fait une coquille vide dont on garde les apparences, mais dont la substance a disparu, liquidée par les « forces du marché ». C’est cela, en conclusion, la nature, l’essence même du « consentement sans consentement » qui assure de très beaux jours à la véritable dictature exercée par le néo-libéralisme.

6. La lutte contre le néo-libéralisme peut être couronnée de succès

Le pouvoir absolu et sans partage du néo-libéralisme n’est pas une fatalité. En effet, et en dépit des apparences, il n’acquiert cette puissance colossale que si on lui laisse le champ libre, si on ne lutte pas pied à pied contre lui. Pour l’auteur, la bonne stratégie de lutte est celle qu’il appelle « l’arme absolue ». De quoi s’agit-il ? Tout simplement de la mobilisation consciente et déterminée des forces démocratiques, populaires le plus souvent, qui s’oppose de manière résolue à l’emprise du néo-libéralisme sur l’économie, sur la société et sur les consciences.

Noam Chomsky donne deux exemples de victoires gagnées, de haute lutte, contre le néo-libéralisme. Le premier est la victoire des Indiens zapatistes de l’État du Chiapas, au Mexique, qui se sont opposés victorieusement, et les armes à la main, à l’application de l’ALENA, l’Accord de libre-échange nord-américain. À son application, comme également à celles de ses conséquences qui étaient les plus destructrices pour leur mode de vie et pour leur économie locale. Pourtant, dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, les Indiens du Chiapas étaient opposés au gouvernement mexicain, qui ne s’est jamais embarrassé d’un respect excessif des droits de l’homme. Il était, en effet, soutenu par la première puissance mondiale, les États-Unis, qui imposent leur loi au Mexique depuis maintenant bientôt deux siècles.

Le deuxième et dernier exemple choisi par l’auteur est celui d’une lutte pacifique. Celle des opposants à l’AMI, Accord multilatéral sur l’investissement, sorte de cadre juridique contraignant que l’OCDE, le « club des pays riches » voulait imposer aux pays du monde entier comme une sorte de complément aux mesures pourtant déjà léonines du GATT et de son successeur l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Aux termes de ce projet, toute action tendant à limiter la liberté absolue des flux de capitaux à travers le monde et de la liberté d’investissement devenait délictuelle et passible de sanctions, les États devant même verser aux entreprises ayant investi sur leur sol des dommages et intérêts en cas des catastrophes naturelles. De même, les programmes de partis politiques prônant un contrôle, même léger, sur les investissements étrangers devenaient hors-la-loi aux termes de ce projet particulièrement liberticide pour Noam Chomsky.

La date butoir fixée par l’OCDE pour parvenir à un accord mettant en place l’AMI était avril 1998. Grâce à une mobilisation exemplaire dans quelques pays anglo-saxons, Canada et Nouvelle-Zélande surtout, à l’exception des États-Unis bien sûr, dont l’opinion publique est restée muette sur le sujet, cet accord-cadre n’a pas pu être mis en place. Et, devant une opposition aussi déterminée, il semble que les pays de l’OCDE aient renoncé à imposer à la planète leurs vues sur la question, du moins pour le moment.

7. Conclusion

Noam Chomsky rappelle qu’au cours du XXe siècle, de nombreux auteurs ont défini le fascisme comme « le capitalisme sans prendre de gants ». Soulignant par là l’absence de droits politiques, économiques et sociaux ainsi que l’absence d’organisations démocratiques qui caractérisaient les régimes fascistes. Or, pour l’auteur, on sait maintenant, après plus d’un demi-siècle de distance critique et historique, que le fascisme était plus complexe que cela.

En revanche, la formule « le capitalisme sans prendre de gants » convient d’après Chomsky admirablement bien au néo-libéralisme. Faut-il en conclure que, pour l’auteur, le néo-libéralisme est, d’une certaine façon, une nouvelle forme de fascisme ? Probablement, même si cette thèse n’est pas parfaitement explicite dans l’ouvrage…

8. Zone critique

Le principal reproche adressé à l’ouvrage peut tenir en un mot : « radicalisme », pour reprendre le terme américain dans sa version française, mot que l’on pourrait traduire par « gauchisme ».

En effet, de l’utilisation de la vulgate marxiste comme « démocratie formelle », pour désigner les régimes jouissant d’élections libres, à l’apologie du mouvement zapatiste au Mexique, l’ouvrage de Noam Chomsky frise souvent la caricature. Un radicalisme que l’auteur cependant assume entièrement, et surtout qu’il justifie preuves et arguments à l’appui.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Le Profit avant l’homme, Paris, Éditions 10/18, 2003.

Du même auteur– Les Dessous de la politique de l’Oncle Sam, Paris, Le Temps des cerises, 1996, Bruxelles, EPO, 1996 et Montréal, Ecosociété, 1996 – Responsabilités des intellectuels, Marseille, Agone, 1998 – La Conférence d’Albuquerque, Paris, Allia, 2001– Autopsie du terrorisme. Le monde de l’après-11-Septembre, Marseille, Agone, 2016

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