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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Dynamique de l'occident

de Norbert Elias

récension rédigée parAlexandre KousnetzoffAncien élève de l'IEP de Paris.

Synopsis

Société

La Dynamique de l’Occident constitue l’étude, centrée sur mille ans d’histoire occidentale, des liens entre structures sociales et psychisme. Pour Norbert Elias, une société dont la complexité va croissant, et au sein de laquelle le monopole de la violence légale est assuré par l’État, contraint groupes sociaux aussi bien qu’individus à plus de maîtrise de soi, à plus de retenue, à plus de contrôle intériorisé des émotions, s’ils veulent s’insérer de manière optimale et durable dans le jeu social.

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1. Introduction

Lorsque l’ouvrage paraît en France, en 1975, il s’agit de la seconde publication de Norbert Elias traduite en français, après La Civilisation des mœurs, ouvrage traduit dès 1973, et précédant La Société de cour, livre traduit en 1985 seulement alors qu’il est antérieur aux deux ouvrages précités dans l’œuvre d’Elias (1933). Il est à noter que La Dynamique de l’Occident constitue un des deux volumes, avec La Civilisation des mœurs, de son œuvre intitulée Sur le processus de civilisation, parue en 1939 en langue allemande à Bâle.

La Dynamique de l’Occident illustre l’idée maîtresse d’Elias : le fait que l’autocontrôle de la violence et l’intériorisation des émotions se trouvent au fondement de la civilisation occidentale, processus élaboré dans un premier temps au sein des cours royales, à l’origine de la diffusion de ce modèle à des secteurs de plus en plus larges de la société.

Le présent compte-rendu s’attachera à passer en revue les principaux aspects de l’œuvre : le fait que la loi du monopole (le fait que le pouvoir soit exercé par une instance unique sur un territoire donné) soit absolument fondamentale dans la constitution des États modernes d’abord, puis le caractère décisif de la division des tâches sociales pour passer d’un monopole de type privé à un véritable État public.

Suivront une partie sur le rôle déterminant du processus de civilisation dans le passage d’une concurrence violente entre les différentes puissances territoriales à un État pacifié et régulé par des lois ; une autre sur l’interdépendance sociale entre les individus qui rend inenvisageable la lutte entre ces derniers ; et enfin le constat de l’auteur selon lequel, dans l’esprit des individus, la peur intérieure supplante la peur extérieure au fur et à mesure du processus de civilisation.

2. La loi du monopole est absolument fondamentale dans la constitution de l’État moderne

Pour Norbert Elias, le passage de la féodalité (seigneurie médiévale) à l’État moderne (royaumes en voie de centralisation correspondant aux monarchies absolues) se fait par l’intermédiaire de la monopolisation du pouvoir sur un territoire donné.

C’est ce qu’Elias nomme la « loi du monopole ». Il est essentiel de noter ici que la constitution progressive de ce monopole ne se fait pas de manière consciente, volontaire. Il ne faut surtout pas y voir une sorte de plan délibéré concerté à l’avance. L’apparition du monopole résulte en fait obligatoirement de la lutte entre seigneurs. En France, dans cette lutte, c’est le roi capétien qui se montrera le plus puissant, et qui réussira à établir ce monopole à son profit.

Ce monopole passe par deux aspects essentiels : le monopole de la violence légale et le monopole de la fiscalité. Le monopole de la violence légale, c’est celui des armes. Peu à peu, les armées privées – l’ost médiéval des seigneurs locaux – va disparaître pour ne plus laisser subsister comme force militaire que les troupes royales.

Quant au prélèvement de l’impôt, le pouvoir monarchique va peu à peu attirer à lui toutes les ressources fiscales du pays, ne laissant que des bribes insignifiantes aux autres acteurs sociaux de l’Ancien Régime : l’Église, la noblesse et les villes, qui toutes levèrent des impôts sur les sujets du roi jusqu’en 1789.

Ce monopole est cependant appelé à changer progressivement d’échelle comme de nature. Ainsi, si, au Moyen Âge, les Capétiens français réussiront à vaincre leurs vassaux les plus puissants (les rois d’Angleterre de la dynastie Plantagenêt) et à s’assurer le monopole du pouvoir dans les limites des frontières du royaume de France, c’est, dès le XVIe siècle, l’Europe, et non plus sur le seul territoire français, qui sera l’objet du conflit et du monopole. Dès lors les Capétiens français seront opposés aux Habsbourg d’Allemagne et d’Espagne pour la suprématie sur le continent européen.

Cela étant, le monopole du pouvoir au profit des Capétiens relève plus pour Elias de la propriété privée d’un territoire que de la constitution d’un État proprement dit. Pour assurer le passage de ce monopole de type privé à un authentique État public, un élément sera indispensable : la division des tâches sociales.

3. La division des tâches sociales permet le passage d’un monopole privé à un État public

En Europe occidentale, la division des tâches sociales prend essentiellement pour Norbert Elias la forme de la rivalité entre la noblesse féodale et la bourgeoisie à partir du XVe siècle. Cette rivalité sert les intérêts de la royauté qui, en opposant ces deux groupes sociaux, va progressivement édifier ce que l’on nomme la monarchie absolue. Cet antagonisme ne doit cependant pas être perçu comme une volonté d’élimination mutuelle.

Bien au contraire. Elias parle en effet de « réseau d’interdépendance » entre les différents acteurs sociaux, qu’il limite donc aux élites du temps, noblesse et bourgeoisie. La base même de l’ordre social devient alors cette interdépendance fonctionnelle entre noblesse et bourgeoisie : les uns servent à l’armée, à la cour ou dans les parlements, les autres commercent et créent de la richesse pour l’ensemble du pays.

Cette division croissante des tâches sociales implique que chacun prenne conscience qu’il a besoin des autres, la présence d’un monopole politique faisant peu à peu converger les intérêts particuliers vers un intérêt plus général.

La révolution de 1789 socialisera le monopole que s’était assuré la monarchie absolue, en faisant disparaître à la fois la royauté et la noblesse en tant qu’ordre. Désormais c’est l’État français qui concentre à son profit la totalité des monopoles publics, de même que la bourgeoisie devient le creuset au sein duquel viennent se fondre l’ensemble des élites sociales.

4. Le processus de civilisation permet le passage d’une concurrence violente entre les puissances à un État pacifié et régulé par des lois

Elias montre que la création d’un monopole du pouvoir de type étatique va de pair avec une profonde modification des comportements des individus et de leur manière de se conduire en société. Cette pacification progressive des relations sociales, qui s’accompagne d’un changement en profondeur dans les modes de domination et dans l’exercice des rapports de force, se concrétise dans le passage de la contrainte extérieure imposée à l’autocontrainte, à l’intériorisation de la notion de contrainte.

C’est de ce processus, et de ce dernier seulement, que procède la civilisation pour Norbert Elias.

Sur le plan des institutions politiques, la création du monopole de type étatique suppose la disparition des rapports de type antérieur entre les acteurs sociaux. Ainsi l’agonie du régime seigneurial au XVe siècle – contemporaine de la dernière phase de la guerre de Cent Ans et du renforcement du pouvoir central royal qu’elle a entraîné – a-t-elle mis fin de fait aux rapports « féodaux » qui régissaient la société.

Désormais deux nouveaux acteurs interviennent : la royauté, dont l’action concrète est plus présente, plus quotidienne, plus immédiatement et constamment perceptible, et la bourgeoisie, qui commence à acquérir une légitimité qui lui est propre sur le plan social. Légitimité qu’elle n’avait jamais vraiment réussi à acquérir depuis sa naissance au XIe siècle. Ou, exprimé de manière plus lapidaire, la disparition de la force militaire propre aux seigneurs de l’âge classique de la féodalité (XIe-XIIIe siècle) entraîne pour ceux qui y étaient soumis, paysans et bourgeois, la fin d’une contrainte qui, toute extérieure qu’elle était, n’en était pas moins omniprésente.

Pourtant, la domination s’exerce de manière toujours aussi absolue, aussi implacable. Seulement, elle est exercée par d’autres acteurs, et surtout par d’autres moyens.

D’autres acteurs : outre la royauté centralisatrice, l’essor des activités économiques va mettre dans la dépendance de la bourgeoisie un nombre croissant d’acteurs économiques. L’âge durant lequel les villages pouvaient vivre en autarcie est bien terminé, place à présent au temps de l’intensification des échanges et de l’augmentation de la production des biens et des services.

D’autres moyens : à la contrainte extérieure imposée, arrachée par la force et par la violence la plus expéditive a succédé l’autocontrainte, une contrainte que l’on s’impose à soi-même, régulant ainsi son comportement dans des domaines toujours plus nombreux de la vie sociale.

Ce refoulement des pulsions est progressif, ce deuil des relations sociales placées sous le seul signe de la violence ne se faisant pas en un jour. Cette imposition de contraintes toujours plus nombreuses et qualitativement toujours plus exigeantes constitue pour Elias non seulement la voie royale, mais surtout la seule voie vers la civilisation. Et cette voie, c’est l’Occident qui l’a ouverte pour l’ensemble de l’humanité. C’est cela, la dynamique de l’Occident.

5. L’interdépendance sociale entre les individus rend la lutte entre ces derniers inenvisageable

Si la coopération entre individus, par opposition à la lutte entre ces derniers, n’apparaît pas immédiatement comme moralement supérieure aux acteurs de la vie sociale, elle s’impose en revanche comme absolument nécessaire à leur survie. L’interdépendance créée par une différenciation entraînant la complémentarité implique en effet que la suppression de l’adversaire revient à détruire sa propre position.

La modération des comportements devient donc la règle sous l’effet de l’autocontrainte. Au point que l’on puisse, avec Elias, dégager la loi suivante, dont la portée est d’ordre général : est civilisé celui qui adopte un comportement parfaitement adapté à sa fonction sociale, optimal pour l’exercice de cette dernière.

Aussi la vision des individus s’élargit-elle, les acteurs de la vie sociale prenant de plus en plus en compte les conséquences prévisibles de leurs actes. Une bonne illustration de ce phénomène d’enchaînement des passions est la domestication de la noblesse en France à l’âge classique.

En devenant noblesse de cour, la noblesse d’épée de l’époque de Louis XIV troque la conquête contre la courtisanerie, la mainmise sur de nouveaux territoires contre l’exercice non moins ardu de la séduction du souverain. Pacification des élites qui n’est que la figure anticipée de la pacification progressive de la société tout entière. Car la culture de cour, les usages curiaux vont peu à peu se diffuser à l’ensemble du corps social.

C’est l’autre face du processus de civilisation, sa face non plus politique et sociale mais culturelle.

6. Dans l’esprit des individus, la peur intérieure supplante la peur extérieure au fur et à mesure du processus de civilisation

La peur extérieure, physique, qui procédait d’une menace elle aussi extérieure disparaît pour les individus au fur et à mesure de la pacification et de la régulation des comportements, d’une maîtrise toujours plus poussée des pulsions.

Mais la peur ne disparaît pas pour autant, elle refuse de céder la place. Car à la peur extérieure succède la peur intérieure, celle issue de sa propre conscience comme de la conscience, accrue dans des proportions considérables, du regard de l’autre.

Cette peur intérieure, que l’on peut nommer honte ou peur du ridicule, peut elle aussi faire l’objet d’une loi dans l’univers intellectuel d’Elias : la peur intérieure naît quand apparaît la conscience d’un manque de correspondance entre son état social et le comportement que l’on tient. Quand le comportement n’est pas approprié à son état, alors naît la peur intérieure.

Des craintes indirectes, intériorisées, succèdent à la crainte immédiate de l’autre. Et toute l’éducation de l’enfant consistera à apprendre à maîtriser ces différentes craintes, à connaître leur usage social. Pudeur physique, langage, hygiène, manières de table : autant de champs d’application d’un processus de civilisation qui s’étend à présent aux moindres aspects de la vie quotidienne.

7. Conclusion

La Dynamique de l’Occident constitue une explication extrêmement claire du processus de civilisation selon Elias.

Partant de la contrainte sociale pour arriver à l’autocontrainte ou à l’autocontrôle sur le plan du psychisme, l’ouvrage illustre le même processus dans la sphère des structures sociales.

Au sein de ces dernières en effet, on passe de la lutte physique, les guerres privées médiévales, à la rivalité socioéconomique, issue de la spécialisation économique et sociale toujours plus accentuée élaborée tout au long de l’Ancien Régime.

La marche vers la civilisation procède donc d’une articulation complexe et progressive entre modifications de l’habitus psychique des structures psychiques d’une part et modifications des structures politiques et sociales de l’autre.

8. Zone critique

Norbert Elias et son œuvre font l’objet de critiques récurrentes. La première d’entre elles a trait à sa thèse majeure, étudiée dans le présent ouvrage : toute la civilisation occidentale serait le produit d’un effort séculaire de maîtrise des instincts.

Or cette thèse est contredite par un auteur comme Hans-Peter Duerr qui, dans Nudité et pudeur affirme que, contrairement à la thèse d’Elias, les civilisations anciennes « préoccidentales » sont également pourvues d’un système normatif extrêmement complexe et extrêmement élaboré.

La seconde critique majeure porte sur une autre des thèses favorites d’Elias, à savoir que le sport moderne réglementé représente une nette rupture avec des pratiques anciennes très violentes. Thèse contredite par Sébastien Nadot qui, dans Rompez les lances ! Chevaliers et tournois au Moyen Âge et dans Le Spectacle des joute met particulièrement en lumière le fait que des jeux physiques présportifs, comme ceux de l’époque médiévale, connaissaient déjà un système de contrôle de la violence très élaboré.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– La Dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975.

Autres ouvrages de Norbert Elias

– La Société de cour, Paris, Flammarion, Coll. « Champs Essais », 2008.– La Civilisation des Mœurs, Paris, Pocket, coll. « Évolution », 2003.– Qu’est-ce que la sociologie ?, Paris, Pocket, 1993.– La Société des Individus, Paris, Pocket, coll. « Évolution », 1998.– Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1994.

Autres pistes

– Hans-Peter Duerr, Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation, Paris, MSH, 1998.– Sébastien Nadot, Rompez les lances ! Chevaliers et tournois au Moyen Âge, Rennes, PU Rennes, 2010.– Le Spectacle des joute. Sport et courtoisie à la fin du Moyen Âge, Rennes, PU Rennes, 2012.

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