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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau et autres récits cliniques

de Oliver Sacks

récension rédigée parAnna Bayard-RichezDocteure en Psychologie Clinique Interculturelle (Université d'Amiens).

Synopsis

Psychologie

L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, est un des cas cliniques les plus troublants observés par la médecine contemporaine. Dans son best-seller, Oliver Sacks nous conte les affections neurologiques les plus bizarres qu’il a rencontrées. Ce recueil clinique de vulgarisation nous fait découvrir l’univers intime des patients et ainsi entrer dans le monde aussi surprenant que fascinant des lésions cérébrales. Comprendre comment s’adapter à son mal et à sa nouvelle identité, comment accompagner les patients et tenter de mieux les comprendre pour améliorer leur situation, tel a été le défi du Dr. Sacks tout au long de sa carrière.

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1. Introduction : étrangeté de l’hémisphère droit délaissé ou le chaos organisé

Cette recension de cas de lésions cérébrales nous ouvre les portes de symptomatologies à peine croyables, où l’un confond sa femme avec son chapeau, l’autre ne reconnait pas sa propre jambe, ou encore est capable de mémoriser une encyclopédie complète.

Olivier Sacks nous plonge ainsi au cœur du monde fascinant de la neuropsychologie, et cherche à découvrir cette force de l’âme qui permet à ses patients d’appréhender cette symptomatologie, de l’apprivoiser et de se réinventer une réalité tolérable pour l’esprit humain.

Au travers de chacune de ces pertes de sens, de mémoire, de reconnaissance, de sensations corporelles, chacun de ces excès fonctionnels, flots d’insultes, réinvention mnésique, calculateurs prodigieux, le Dr. Sacks interroge ce qui fait l’identité de l’humain et plaide ainsi pour une neurologie de l’identité qui s’appuierait sur les capacités de résilience plus que sur le déficit.

L’hémisphère droit du cerveau a, de par sa complexité, longtemps été le grand oublié de la neurologie. Pourtant il est primordial pour l’être humain puisqu’il contrôle notamment la fonction de reconnaissance, indispensable à la survie.

2. Affections neurologiques entraînant la perte du sens

Une longue liste de mots privatifs décrit les conséquences possibles d’une lésion cérébrale – aphonie (perte de la voix), aphémie (impossibilité d'exprimer des idées ou des sentiments par la parole), alexie (trouble de la lecture), apraxie (trouble du mouvement), agnosie (trouble de la reconnaissance des objets), ataxie (troubles de la coordination), etc. –, Sacks en propose dans la première partie de son ouvrage des illustrations. • Prosopagnosie (impossibilité à reconnaître les visages) : l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Le Dr P., éminent professeur de musique attendit 3 ans avant de consulter le Dr. Sacks tellement sa symptomatologie semblait aberrante. Dans un premier temps il se mit à ne pas reconnaitre les visages de ses étudiants, mais à les identifier par leur voix. Rapidement il vit des visages là où il n’y en avait pas, s’adressant par exemple à une poignée de porte, s’étonnant de ne pas avoir de réponse. D’aucuns crurent à une excentricité, mais il s’agissait de symptômes bien réels.

Lors de ses entretiens, le Dr. Sacks constata chez son patient une certaine étrangeté, inconnue de lui jusqu’alors. Une incapacité à appréhender une scène dans son ensemble, se fixant uniquement sur des détails, au point par exemple de décrire précisément un gant, mais de manière abstraite sans en comprendre son utilité. Le patient fonctionne ainsi comme un ordinateur, décrivant le monde à partir d’abstractions, de détails significatifs, mais il a perdu le sens de la réalité sensorielle, imaginative, émotionnelle, et même le sens de lui-même, incapable de se reconnaître sur une photo ou d’identifier son propre pied. Au moment de son départ, le Dr. P, cherchant son chapeau, leva la main vers la tête de sa femme, essayant de la soulever pour visiblement s’en coiffer, et cela sans que son erreur ne semble l’affecter outre mesure.

Le Dr. Sacks témoigne de plusieurs cas de syndrome de Korsakoff (Amnésie), consécutifs à une grande consommation d’alcool, et s’interroge sur l’identité de ces patients fossilisés dans le passé, car incapable de se souvenir du présent. Il aspire à une restauration de leur humanité et de leur intégrité malgré la destruction neurologique irréparable qui vient arrêter le temps et efface le présent, traumatisme de se voir défiguré par une vieillesse prématurée dans un miroir, incompréhension face à une image de la terre vue depuis la lune, puisque la conquête de l’aérospatial n’existe pas dans leur monde.

Les patients atteints d’aphasie (trouble de la capacité à parler ou à comprendre le langage) ont beaucoup de mal à comprendre un discours totalement artificiel et dénué d’expressivité, puisque le sens des mots leur échappe. Par contre, ils sont plus à l’aise face à une discussion faite d’intonations et de signaux corporels qui transcendent le verbal. Ils compensent ainsi « leur incompétence linguistique par une remarquable, et presque infaillible, sensibilité tonale et émotionnelle.

3. Perte des sens

Au-delà du sens, ce sont parfois les sensations mêmes qui viennent trahir les patients victimes de troubles neurologiques.

Ainsi, un jeune homme se retrouve à l’hôpital pour un symptôme de jambe paresseuse. Après s’être assoupi quelques minutes, il découvre à côté de lui la jambe d’un cadavre, qu’il pousse hors du lit avec dégoût, mais son corps entier suit et tombe du lit. À ses yeux, cette jambe étrangère attachée à lui ne peut être qu’une mauvaise plaisanterie, et il s’inquiète de retrouver au plus vite sa propre jambe. Dans ce cas étonnant, on parle d’une perte de conscience totale d’un membre hémiplégique.

• La femme désincarnée, perte de la proprioception (perception sensorielle de la position des différentes parties de notre corps ). Mme C., jeune femme de 27 ans, perd à la suite d’une polynévrite aigüe tout sens de son corps, elle a le sentiment d’être dénervée. Si la guérison neurologique est impossible, Mme C. à force de courage et de créativité, en utilisant divers moyens de substitution et divers trucages compensatoires, tels que guider chacun de ses gestes par la vue, atteindra une guérison fonctionnelle relative. Toutefois, elle n’éprouvera plus jamais son corps comme lui appartenant.

• Agnosie de développement. Cas de patients aveugles surprotégés, n’ayant jamais appris à utiliser leurs mains jusqu’à l’âge adulte, et découvrant alors tels des enfants la faculté de la préhension, de la reconnaissance, et de la création au travers du toucher. Ces cas font écho à l’agnosie acquise, qui illustre l’importance de l’usage, pour éviter l’accentuation des dégénérescences.

Les membres fantômes, parfois encombrants, comme pour cet ancien marin qui a l’impression de risquer de s’éborgner chaque fois qu’il porte au visage sa main au doigt amputé. Paradoxalement, ceux-ci ont une fonction essentielle dans le cas de l’utilisation de prothèses, en ce qu’ils donnent sens et utilité au mauvais fantôme douloureux ou encombrant. La tour de Pise : symptôme parkinsonien Un homme âgé, Monsieur G. se manifeste au Dr. Sacks ne comprenant pas pourquoi tout le monde le voit penché. Il présente un dysfonctionnement au niveau du triple système de contrôle labyrinthique, proprioceptif et visuel, qui gère la posture. Face à de tels cas, des médecins tels que les Dr. Martin et Sacks mirent leur créativité au service de leur patient et conçurent des outils compensatoires tels que des lignes peintes sur le sol, des contrepoids à la ceinture, des stimulateurs rythmiques régulant la cadence de la marche, ou encore des lunettes intégrant un niveau afin d’aider Monsieur G. à ne plus pencher. Mme S. souffre d’une hémi-inattention : la gauche, pour elle, n’existe plus à la suite d’une attaque. Elle ne voit pas ce qui se trouve sur sa gauche, ne peut se tourner sur la gauche, maquille seulement la moitié droite de son visage, et présente une conscience purement intellectuelle de son handicap qui lui permet une compensation partielle.

4. Les excès fonctionnels : la maladie comme séduction

Les neurologues n’ont que très récemment pris la mesure de ces dérèglements, qui peut faire passer une maladie pour de la bonne santé, voire pour une qualité (hyperkinésie, activité exacerbée ou hypermnésie, mémoire sur-détaillée). Toutefois dans sa forme extrême, chacune de ces lésions cérébrales peut amener à une perte de l’identité face au symptôme. Le Dr. Sacks parle alors des possédés.

• Le syndrome de Tourette : le tiqueur blagueur. Ce syndrome se caractérise par un excès d’énergie comportementale et une rapidité d’esprit, d’association et d’invention étrange, qui se traduit par des tics, grimaces, bruits, jurons, imitations et compulsions involontaires souvent accompagnés d’humour et d’incongruités. Il peut mettre en cause tous les aspects de la vie affective, instinctuelle ou donner simplement un sentiment d’étrangeté.

Mais celui-ci, comme dans le cas de Monsieur R., peut aussi être source d’inspiration musicale, provoquant des solos de batterie incroyables par exemple, ou des traits d’humour et d’espiègleries qui font aussi partie intégrante de sa personnalité, et c’est pourquoi ce patient fit le choix de prendre un traitement sous Halopéridol la semaine et de conserver son symptôme de Tourette le week-end. Le génie affabulatoire de la psychose de Korsakoff. Monsieur T., face à son amnésie récente, identifie, mésidentifie, pseudo-identifie sans fin les personnes qu’il rencontre. « Il ne cessait de s’inventer un monde et un soi pour remplacer ce qui était, à tout instant, oublié ou perdu » (p.117). Il réinventait ainsi son récit biographique au fur et à mesure, au lieu de poser le discours intérieur calme et constant qui construit l’identité. Privé de sa continuité par l’amnésie, il n’a d’autres choix que d’élaborer un délire narratif permanent, qui le coupe de tout épreuve, de toute profondeur émotionnelle et de toute notion de réalité.

5. Singularités de l’altération de la perception

Une stimulation anormale des lobes temporaux et du système limbique cérébral peut également déclencher ce que Sacks nomme des transports hallucinatoires, mnésiques ou oniriques.

C’est le cas de Mme O’C., qui à la suite d’un rêve continua d’entendre de la musique irlandaise, pendant plusieurs jours, réminiscence auditive ou encore épilepsie musicogène probablement due à une attaque au niveau des lobes temporaux.

Ce type de réminiscences peut également être provoqué par une stimulation cérébrale artificielle, par exemple à l’aide d’une molécule. On parle alors de nostalgie incontinente, comme pour le cas d’une patiente qui fut artificiellement replongée dans ses souvenirs des années 1920, le temps du traitement, avant de perdre à nouveau toutes ses réminiscences à l’arrêt de celui-ci.

La drogue, notamment les amphétamines, peuvent également avoir des effets similaires, comme dans le cas du Dr. D., étudiant en médecine, qui pendant trois semaines démultiplia ses sens, notamment la vue, mais principalement une hyperosmie (exacerbation olfactive), au point de, tel un chien, reconnaître à leur odeur les personnes, leurs émotions, et même son chemin dans les rues new-yorkaises.

Monsieur D. subit quant à lui une hallucination d’origine vécue, suite à un accident de vélo qui endommagea ses lobes temporaux. En effet, il retrouva suite à cette expérience la mémoire du meurtre commis quelques années plus tôt sur sa petite amie et sous l’influence de la drogue.

6. Conclusion

Dans son livre, le Dr. Sacks met en lumière des cas improbables, mais ouvre aussi la possibilité d’une neurochirurgie psychologique où la chirurgie ne serait plus seulement mécanique, mais artistique et sensible, prenant en compte les intrications entre la personnalité du patient et ses symptômes, une véritable « thérapie de l’art ».

Plus largement, il éclaire d’une perspective nouvelle le monde du handicap psychique, un monde selon lui beaucoup plus concret, où le peu de place laissée à l’abstraction ouvre la porte à un autre univers de sens, à d’autres qualités de pensée, qui peuvent nous être a priori difficilement perceptibles.

Il met en lumière comment certains simples d’esprit développent une mémoire et une imagerie concrète compensatoire à leurs défaillances conceptuelles et abstractives, pouvant aller d’une préoccupation obsessionnelle pour les détails au développement d’une mémoire ou d’une imagerie exceptionnelle.

7. Zone critique

En se positionnant à l’écoute de ses patients, en leur reconnaissant une intelligence de leur état, Olivier Sacks fait le premier pas pour renouer le lien entre corps et psychisme, et pour tenter de voir la neurologie et la psychologie comme complémentaires.

On peut en effet reprocher à la neurologie classique d’appréhender le cerveau humain comme un ordinateur, mais nos processus mentaux ne sont pas seulement abstraits et mécaniques et disent aussi beaucoup de notre psychisme et de notre identité. C’est pour appréhender cette complexité du réel que nous avons besoin d’un regard psychologique voire psychanalytique sur la neurologie.

Des pas sont ébauchés dans ce sens par Olivier Sacks qui renoue ainsi avec la tradition du courant psychanalytique, puisque Charcot et ses élèves (Freud, ou encore Tourette) comptent parmi les derniers à avoir articulé la neurologie et la psychologie. Mais le Dr. Sacks, avec une formation de médecin, reconnait bien humblement avoir manqué de clefs psychanalytiques pour venir en aide à ses patients. On ne peut qu’espérer que cet héritage soit entendu, et que les ponts se recréent entre les différents courants.

Cet ouvrage publié en 1985, est aujourd’hui plus que jamais contemporain, et fait puissamment écho aux patients qui questionnent la médecine classique et revendiquent d’être considérés comme des agents actifs de leur maladie et entreprenants de leur propre compréhension et de leur guérison.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau et autres récits cliniques, Paris, Le Seuil.

Du même auteur – Oliver Sacks, Musicophilia. La musique, le cerveau et nous, trad. fr de Christian Cler, Paris, le Seuil, 2009.– Oliver Sacks, L'Odeur du si bémol. L'univers des hallucinations, trad. fr de Christian Cler, Paris, le Seuil, 2014.

Autres pistes en neuropsychologie– Alexandre Romanovitch Louria, Les Fonctions corticales supérieures de l’homme, trad. fr. de Nina Heissler et Gabrielle Semenov-Segur, Paris, PUF, 1978. – Alexandre Romanovitch Louria, The Man with a Shattered World, New York, Harvard – University Press, 1972.– Marc Levêque, Sandrine Cabu, La Chirurgie de l'âme, Paris, JC Lattès, 2017.

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