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L’intelligence humaine n’est pas un algorithme

de Olivier Houdé

récension rédigée parRomain AllaisÉditeur et correcteur indépendant. Titulaire d'un DEA en histoire des sciences (Université de Nantes).

Synopsis

Science et environnement

Un algorithme, c’est un système qui permet de résoudre un problème de manière logique. Peut-on alors parler de système intelligent ? Non. Car l’intelligence ne se réduit pas à de la raison pure, mais est aussi constituée d’un autre élément : l’intuition. Celle-ci est toujours la première à réagir, mais apporte des réponses imprécises, parfois inexactes. La raison est plus fiable, mais n’intervient que dans un second temps. L’intelligence, c’est donc la capacité à mobiliser la bonne stratégie dans une situation donnée. Selon Olivier Houdé, ce n’est possible qu’en introduisant un troisième élément : l’inhibition. Quand c’est nécessaire, elle permet de bloquer notre intuition, hyper réactive, au profit de la raison.

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1. Introduction

Aujourd’hui, avec tous les moyens mis en œuvre pour développer l’intelligence artificielle, le fantasme de la voir supplanter l’intelligence humaine est devenu une crainte. Mais cette dernière est-elle fondée ? Non. Car l’intelligence artificielle n’est qu’une suite d’algorithmes, c’est-à-dire une série de calculs logiques mobilisés pour résoudre un problème. Or, l’intelligence humaine est loin de se résumer uniquement à des processus logiques. Certes, elle a en elle cette dimension algorithmique, que l’on peut identifier à la raison, mais elle est aussi définie par une dimension intuitive.

Par exemple, la peur, qui est une sensation, nous pousse à fuir un individu armé d’une hache. C’est une réaction immédiate et adaptée qui se passe de raisonnement. Cependant, dans notre fuite, nous passons devant un arbre. Et là, nous réfléchissons : se pourrait-il que l’individu menaçant soit en fait un bucheron et qu’il n’y ait pas lieu d’avoir peur ? La raison prend alors le relais de l’intuition.

Face à une telle situation, l’intelligence artificielle n’aura jamais peur. Grâce à ses algorithmes, elle ne formulera qu’une conclusion : soit que l’individu armé d’une hache est un bûcheron, auquel cas elle ne fait rien, soit qu’il est une menace, auquel cas elle réagit. Malheureusement, si le bucheron inoffensif est considéré comme une menace, une réponse logique implacable de l’intelligence artificielle s’appliquera à tort. Tout dépend de l’informaticien qui a codé l’algorithme : comment perçoit-il une personne avec une hache à la main ?

2. Algorithme, une notion ancienne

L’algorithme est à l’intelligence artificielle ce que la raison est à l’intelligence humaine. Le fait que ce terme soit très utilisé en informatique peut laisser à penser que son apparition est très récente. En vérité, il n’en est rien. L’origine de son nom date du XIIe siècle et dérive du mathématicien arabe Al-Kwarizmi, à qui l’on doit par exemple les chiffres que nous utilisons aujourd’hui, et qu’on appelle fort à propos les « chiffres arabes ».

Mais le concept que sous-tend la notion d’algorithme est encore plus ancien, car il remonte à l’invention de l’écriture. En fait, une simple addition est un processus algorithmique. Elle correspond à « une organisation mécanisable d’opérations élémentaires pour réaliser une tâche donnée » (p. 45), comme le définit l’informaticien Gérard Berry.

Quant à la notion d’intelligence artificielle, elle est elle-même très ancienne. Dès l’Antiquité grecque, il est question d’êtres artificiels. Et Julien Offray de La Mettrie, au XVIIIe siècle, écrit L’Homme machine, dans lequel il considère « l’esprit comme une organisation sophistiquée de la matière du cerveau humain » (p. 41). Mais c’est avec Alan Turing, célèbre mathématicien qui a inventé la science informatique au début du XXe siècle, que l’intelligence artificielle telle qu’on la conçoit aujourd’hui apparaît. D’autres, comme John McCarthy ou Marvin Minsky, apportent plus tard leur contribution. Pourtant, l’intelligence artificielle, dans laquelle de grands espoirs sont placés, déçoit dans les années 1990.

Ce n’est qu’assez récemment, notamment grâce aux progrès liés à Internet, que l’intelligence artificielle a fait un bon, suscitant à nouveau beaucoup d’intérêt, au point que certains n’hésitent pas à croire qu’elle égalera, voire surpassera l’intelligence humaine.

3. Trois systèmes qui se répondent

Pur fantasme, selon Olivier Houdé. L’intelligence artificielle, aujourd’hui, est loin d’égaler l’intelligence humaine. Et ce ne sera pas non plus le cas dans un avenir proche. Pourquoi ? Parce que cette intelligence n’est qu’algorithmes alors que l’intelligence humaine est constituée de trois systèmes qui se répondent : l’intuition, la raison (équivalent de l’algorithme en informatique) et l’inhibition. Les deux premiers sont connus depuis longtemps.

L’esprit logique a fait la renommée d’Aristote et de Descartes quand Pascal, lui, évoque l’esprit de finesse pour qualifier l’intuition. Les deux systèmes interagissent, mais l’intuition, plus réactive, a tendance à court-circuiter la raison, plus lente à se mettre en place.

Autrement dit, réfléchir exige un effort que l’esprit humain, prompt à la paresse, ne consent pas toujours à faire. Il préfère souvent se reposer sur ses premières impressions, qui peuvent parfois le tromper. En effet, une information crédible, mais fausse, nous convainc davantage qu’une information valide, parce que cette dernière nécessite un travail de vérification pour établir sa validité. Les fake news sur les réseaux sociaux en fournissent d’excellentes illustrations.

Olivier Houdé a identifié un autre système, dit d’inhibition, qui permet de faire taire, au besoin, notre intuition au profit de notre raison. Et c’est observant le développement de l’intelligence chez les enfants qu’il l’a mis au jour.

4. Les éléphants sont-ils lourds ?

Instituteur de formation, Olivier Houdé a occupé une place privilégiée pour observer les capacités cognitives chez les enfants. Il a aussi beaucoup étudié les travaux de Jean Piaget. Ce psychologue spécialiste des enfants a décrit le développement de l’intelligence humaine du bébé jusqu’à l’adulte. Sa conception est simple : au fur et à mesure qu’un enfant grandit, il passe par différents stades dans lesquelles son intelligence intuitive cède petit à petit la place à son intelligence logique. Pour rendre compte de cette évolution, un escalier dont chaque marche représente un degré supérieur de raison est une bonne image. Le bébé se trouve en bas et l’adulte tout en haut.

Une expérience de Piaget a permis d’établir un « âge de raison ». Il s’agit de montrer à un enfant deux rangées composées de jetons. Chaque rangée a le même nombre de jetons, mais dans l’une d’elles les jetons sont plus espacés, rendant ainsi l’une des deux rangées plus longues. Avant l’âge de six ou sept ans, l’enfant considère qu’il y a plus de jetons dans la rangée la plus longue.

En effet, pour lui apprendre les nombres, un enseignant associe à chaque chiffre des objets (par exemple, on dessine à côté du chiffre 1 un soleil ; à côté du chiffre 2 deux maisons, qui prennent plus de place que le soleil ; à côté du chiffre 3 trois ballons, qui prennent plus de place que les deux maisons ; etc.) Intuitivement, la longueur est donc pour lui proportionnelle au nombre. À partir de sept ans environ, il s’aperçoit que ce n’est pas toujours le cas. Cette fois, il doit fournir un effort pour compter le nombre de jetons dans les deux rangées et en conclure qu’elles en contiennent le même nombre. Un autre exemple éloquent est fourni par la question suivante : si les éléphants sont des mangeurs de foin et que les mangeurs de foin ne sont pas lourds, les éléphants sont-ils lourds ?

Tous les enfants répondent que les éléphants le sont. Pourtant, il est impossible d’établir une telle conclusion en lisant les prémisses de la question. Mais les enfants se fient avant tout à leur intuition plutôt qu’à la pure logique, comme l’aurait fait un adulte. Preuve selon Piaget que les enfants ne sont pas logiques, mais qu’en devenant adultes, ils apprennent à le devenir.

5. Des marguerites et des fleurs

Olivier Houdé s’oppose catégoriquement à la théorie de Piaget, car elle ne rend pas du tout compte de ses observations sur les enfants. D’une part il a constaté qu’un nombre significatif d’enfants font preuve de logique avant l’âge identifié par Piaget. D’autre part, et à l’opposé, il a aussi constaté qu’un nombre significatif d’enfants manquaient totalement de logique bien après « l’âge de raison ».

Pour illustrer cet aspect, Olivier Houdé reprend une expérience de catégorisation de Piaget. Soit dix marguerites et deux roses. À la question « Y a-t-il plus de marguerites que de fleurs ? », les enfants avant sept ans répondent qu’il y a plus de marguerites. Ce n’est qu’après sept ans qu’ils répondent qu’il y a plus de fleurs, car ils comprennent que les marguerites sont incluses dans la catégorie « fleurs ». Mais si on demande à ces mêmes enfants « Peut-on faire quelque chose pour qu’il y ait plus de marguerites que de fleurs ? », ils répondent alors qu’il suffit d’ajouter des marguerites ou d’enlever des fleurs, ce qui est parfaitement illogique et contredit sans appel la théorie de Piaget. En effet, une marguerite appartient à la catégorie fleurs. Ajouter une marguerite, c’est donc ajouter une fleur. Et enlever une fleur, c’est enlever une marguerite, auquel cas le nombre de marguerite baisse, ou c’est enlever une fleur qui n’est pas une marguerite, auquel cas le nombre de marguerites est au mieux égal au nombre de fleurs, mais jamais supérieur.

Mais Olivier Houdé va plus loin en considérant que les adultes, censés être parfaitement logiques selon Piaget, ne le sont pas du tout. Il cite notamment un exemple tiré des travaux de Daniel Kahneman, psychologue et prix Nobel d’économie. Une étudiante américaine est politiquement très engagée à gauche. Un fois dans la vie active, est-il plus probable qu’elle soit devenue 1) employée de banque ou 2) employée de banque et militante féministe ? Même des étudiants rompus à l’exercice des probabilités choisissent spontanément la réponse 2). Or, la « cooccurrence de deux événements est toujours moins probable que l’occurrence d’un seul » (p. 123). Ainsi, même chez les adultes, l’intuition prend le pas sur la raison. La théorie de Piaget ne fonctionne pas.

6. L’expérience de Binet

En 1900, Alfred Binet, un psychologue français à l’origine du quotient intellectuel (QI), réalise une expérience auprès d’élèves de dix à onze ans. Les enfants sont séparés en deux groupes : ceux qui sont considérés comme les plus intelligents, et les autres. Un exercice simple leur est donné à faire.

Dans un texte, ils doivent barrer un certain nombre de lettres au fil de leur lecture, par exemple les a, e, d, r et s. Sans surprise, les bons élèves font le moins d’erreurs. Binet réitère l’expérience, mais cette fois avec d’autres lettres, par exemple les i, o, l, f et t. Tous les élèves mettent plus de temps à réaliser l’exercice, mais, cette fois, ce sont les meilleurs qui font le plus d’erreurs. À l’époque, ce résultat avait laissé Binet perplexe. Mais pour Olivier Houdé, c’est parfaitement logique du fait des trois composantes de l’intelligence : l’intuition, la logique et l’inhibition. Et c’est cette dernière, complètement ignorée par Piaget, qui joue un rôle clé dans l’intelligence humaine.

À la lumière de cette nouvelle donnée, il convient de réexaminer l’expérience de Binet. Si les élèves dits plus intelligents ont mieux réussi la première phase de l’exercice, c’est qu’ils ont mieux su ignorer les lettres qui n’étaient pas leurs cibles. En fait, ils ont en quelque sorte « inhibé » les lettres qui n’étaient pas a, e, d, r et s. Et ils ont su si bien le faire que, dans la seconde phase, lever cette inhibition sur les lettres i, o, l, f et t s’est avéré très difficile.

7. Lever l’inhibition

Pour mettre en évidence cette inhibition, Olivier Houdé a repris l’expérience de Piaget sur les rangées de jetons et a utilisé l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour calculer le temps des réactions d’enfants dans différents cas de figure.

Dans le premier, un groupe d’enfants (A) est soumis à deux rangées d’une longueur différente, mais avec le même nombre de jetons. Les enfants doivent alors dire si les deux rangées ont le même nombre de jetons. Puis, on présente à ces mêmes enfants deux nouvelles rangées de longueurs différentes, mais cette fois il y a plus de jetons dans la plus longue que dans la plus courte. Ils doivent aussi dire si les deux rangées ont le même nombre de jetons ou pas, et le temps qu’ils mettent pour répondre est mesuré très précisément. Dans le second cas de figure, on soumet directement un autre groupe d’enfants (B) à deux rangées qui varient en longueur et en nombre de jetons. Et le temps de réponse est également mesuré. Il se trouve que les enfants du groupe B sont plus rapides que ceux du groupe A. Pourquoi ?

En fait, dans le groupe A, les enfants doivent tout d’abord lutter contre l’idée qu’une rangée plus longue doit comporter davantage de jetons. Ils sont amenés à inhiber cette intuition. Ensuite, on les met dans une situation qui correspond à l’intuition qu’ils ont précédemment inhibée. Ils doivent donc lever cette inhibition pour conclure que les deux rangées n’ont pas le même nombre de jetons. Dans le groupe B, les enfants font directement face à une situation qui est conforme à leur intuition, à savoir que la longueur d’une rangée est proportionnelle au nombre de jetons. Il est donc logique qu’ils répondent plus rapidement que les enfants du groupe A, qui ont dû faire un effort supplémentaire pour lever l’inhibition mise en place préalablement.

8. Conclusion

Qu’en conclure ? Le développement très linéaire de l’intelligence proposé par Piaget n’est pas satisfaisant. L’intelligence rationnelle ne remplace pas, au cours des stades successifs de l’enfance, l’intelligence intuitive, bien au contraire. Le développement de l’intelligence est dynamique et fait intervenir un troisième élément essentiel : l’inhibition. Cette inhibition permet de bloquer l’intuition lorsque celle-ci n’apporte pas de réponse pertinente à un problème. La raison prend alors le relais.

Mais cette inhibition n’intervient pas lorsque l’intuition offre une solution adaptée à une situation donnée. Nul besoin pour le cerveau, dans ce cas, de gaspiller de l’énergie à réfléchir. Olivier Houdé va plus loin. L’échec d’un enfant à un test logique de Piaget ne signifie pas que sa raison ne s’est pas encore développée, mais que sa capacité à inhiber ses perceptions trompeuses n’est pas encore fonctionnelle. L’intuition étant plus réactive que la raison, c’est toujours la première qui l’emporte quand les deux sont en compétition. L’intelligence humaine est donc cette habile articulation entre une intuition rapide, mais imprécise, une logique implacable, mais lente à mobiliser, et un système inhibiteur qui « choisit » l’un ou l’autre en fonction de la situation rencontrée.

En d’autres termes, l’intelligence humaine est une formidable machine à s’adapter. Elle est donc très loin de se faire rattraper par une intelligence artificielle dont l’unique moteur est basé sur les algorithmes.

9. Zone critique

Difficile de savoir pour qui est fait ce livre. Par son vocabulaire scientifique, ses exemples techniques, ses références pointues, Olivier Houdé semble s’adresser à des initiés, ou du moins des personnes que la neurobiologie ne laisse pas indifférentes. Mais la répétition des concepts et des expériences tout au long du livre semble traduire une volonté pédagogique.

Quoi qu’il en soit, il paraît peu probable qu’un public non habitué aux démarches scientifiques y trouve son compte. Le texte exige concentration et prérequis. Et le plan du livre n’aide pas vraiment à s’y retrouver. Olivier Houdé a voulu relier le développement de l’intelligence chez l’enfant, domaine dont il est un spécialiste, avec l’intelligence artificielle, mais l’union des deux sujets paraît forcée, au point d’avoir la sensation d’avoir deux livres dans un seul.

En fait, Olivier Houdé donne l’impression de parler d’intelligence artificielle uniquement pour justifier un titre accrocheur, mais peu représentatif du vrai sujet traité ici : l’inhibition, le facteur clé de l’intelligence humaine.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– L’intelligence humaine n’est pas un algorithme, Paris, Odile Jacob, 2019.

Du même auteur

– Comment raisonne notre cerveau ?, Paris, PUF, 2019.

Autres pistes

– Vincent Berthet, L’erreur est humaine, Paris, CNRS Éditions, 2018.– Myriam Revault d’Allonnes, La Faiblesse du vrai, Paris, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2018.– Jérôme Boutang, Michel De Lara, Les Biais de l’esprit, Paris, Odile Jacob, 2019.– Sébastien Bohler, Le Bug humain, Paris, Robert Laffont, 2019.

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