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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Qu’est-ce qu’une Nation ?

de Pascal Ory

récension rédigée parRaluca LestradeDocteure en science politique. ATER en Science Politique à l’IEP de Toulouse.

Synopsis

Histoire

Aboutissement de multiples réflexions, nourries notamment par le contexte européen d’après 1989, l’ouvrage de Pascal Ory propose une définition de la nation qui se veut transnationale. En effet, la nation est entendue par l’auteur comme un mouvement qui permet à un peuple – une communauté partageant des signes communs de reconnaissance – de devenir le Peuple, c’est-à-dire de gagner sa souveraineté, de s’émanciper. Pour l’auteur, ce « basculement fondateur », rencontre entre identité et souveraineté, en plus d’être mondial, participe de l’universel.

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1. Introduction

Allant à l’encontre de la thèse d’une mondialisation continue, l’auteur présente le XXe siècle comme étant rythmé par un rapport au national. L’Europe et l’Asie du XXIe siècle « sont sorties » du Congrès de Paris de 1919 qui officialisait la mort des empires. Avec la décolonisation puis, dans les années 1990, avec l’éclatement du bloc de l’Est, une nouvelle donne géopolitique a conduit au retour au pouvoir du libéral et du national.

Depuis un siècle, des revendications nationales surgissent un peu partout dans le monde et, depuis le début du XXIe siècle, notamment à partir du milieu de la décennie 2010 – moment du vote en faveur du Brexit – dans la plupart des zones du monde monte aussi en vigueur le populisme.

Comment un peuple devient « Le Peuple » ? Qu’est-ce qu’une nation ? Quand et comment est-elle née ? Pourquoi certains projets de nation réussissent et d’autres non ? Autrement dit, « pourquoi y a-t-il une nation plutôt que rien » ? La nation apparaît au moment où l’ethnos – notion culturelle désignant un peuple – s’enrichit d’une nouvelle identification, celle d’un demos : le Peuple.

Pascal Ory s’inscrit contre les directions prises par les études déconstruisant la nation et relativise les déterminations économiques de celle-ci. Pour lui, la nation est non seulement politique mais aussi poétique, elle présente une forte dimension symbolique, créatrice.

2. Une origine politique

Bien qu’il existe des formes politiques pré-nationales, tous les peuples ne deviennent pas des nations. La nation apparaît au moment où une culture partagée devient politique ; se fabrique alors une forme d’identité collective qui s’imposera comme souveraine.

Pour qu’une nation apparaisse, l’identification par le nom donné (et surtout par celui qu’un peuple se donne) est essentielle. Le dénominateur commun des peuples est la forme de pouvoir s’exerçant alors « au nom » d’elle-même. Mais l’origine d’un peuple est nécessairement politique : c’est bien le politique qui produit de la culture qui, elle, par la suite, produit de la nation. Il y a donc autant de formes d’institution politique que de peuples, certains dans un rapport de continuité, d’autres dans un rapport de discontinuité.

Le politique présente une forte intrication avec le religieux : par exemple, le choix chiite iranien constitue une manière de résister face à un impérialisme arabe. La ritualisation de la communauté caractérise toutes les sociétés humaines, avant même la révolution chrétienne. Les acteurs collectifs « font peuple » dans l’espace sacré d’un culte.

Une corrélation économique entre révolutions et modernité est loin d’être vérifiée. La nation apparaît dans le lieu théorique et dans le temps historique où l’attribut culturel devient un levier politique, où un ethnos s’enrichit d’une nouvelle identification, celle d’un demos (p.106). Son cadre est la modernité occidentale dans l’espace-temps de l’Occident.

3. Une nation-État née en Occident

Une certaine modernité est née en Occident entre le XVIe et le XVIIIe, puis s’est diffusée dans le monde entier. La dynamique de l’étatisation a alimenté la nationalisation. En effet, le système de représentations des dominants évolue entre les XVIe et XVIIIe siècles. Les institutions étatiques les plus ambitieuses sont le fait de monarchies (royaume de France, royaume d’Espagne), mêlant technicité administrative et ambitions philosophiques. On reproduit cette nouvelle philosophie nationale venue d’Europe et passée par les États-Unis. Plusieurs États nouveaux accèdent à la souveraineté, certains par la décolonisation, d’autres, comme les pays d’Amérique latine, par la conflictualité. L’uniformisation des procédures par la création d’une administration centrale, des textes normatifs ou encore une armée – autrement dit une étatisation – structure les souverainetés. La langue nationale est ici un enjeu essentiel. L’idiome de chaque peuple prend à cette époque un poids symbolique sans précédent : la traduction de la Bible devient une étape décisive dans l’appropriation culturelle des futures nations, déclenchant un processus politique. L’État moderne configure une autorité et l’État de souveraineté populaire forge une individualité patriotique. Une valeur capitale s’introduit : la liberté.

4. Des révolutions-sœurs

Sur un peu plus de deux cents ans, quatre révolutions vont fonder la Modernité. La victoire des protestants des Pays-Bas contre l’autorité de Philippe II d’Espagne constitue la première révolution politique moderne en tant que fondatrice d’un régime nouveau. Anvers est le grand foyer de la rébellion protestante d’où part la contestation politique. L’Acte de La Haye – le « Plakkaat » de 1581 – constitue la première déclaration de principes de l’époque moderne (période comprise entre le XVIe et le XVIIIe siècles), le prototype-même de tous les actes d’indépendance. Ses principes servent de modèle aux patriotes européens et américains.

La Révolution anglaise sera, en fait, une variante ce modèle néerlandais. La Déclaration des droits (Bill of Rights) de 1689, imposée par le Parlement au roi, pose le droit d’adresse des sujets au roi et la liberté des élections à la Chambre des communes. Une assemblée délibérative représentative du « peuple » ouvre une voie sur laquelle les institutions britanniques continueront à avancer.

Pourtant, les colonies américaines ne sont pas représentées au Parlement de Londres. Les « rebelles » d’Amérique souhaitent remédier à cela et désirent une nation qui soit la seule habilitée à voter les lois qui la concernent. Cette troisième révolution moderne suit le même schéma : union/déclaration : la Déclaration d’indépendance votée le 4 juillet 1776 est imprégnée de l’esprit des Lumières. L’acteur décisif est le peuple, sujet collectif et unifié. La logique démocratique émane de là et perdure : les États-Unis fonctionnent encore sur la base de ces institutions du XVIIIe siècle, aptes à absorber les réformes des deux siècles suivants.

Arrivée quatrième, la Révolution française n’est donc qu’une suite. Mais son modèle révolutionnaire se distingue des précédents. Vieux pays d’Église et d’État, la France présente une rigueur et une sophistication remarquables. L’Encyclopédie avait lancé une grande machine critique et la Constitution de 1791 affirmera que la souveraineté « appartient à la Nation », le roi ne détenant plus que le pouvoir exécutif. Mais, alors que la Déclaration américaine prônait la liberté de la parole, la Déclaration française de 1789 porte toujours l’ombre d’une tradition d’État. La France se distingue par son « absolutisme » et par son catholicisme.

Le choix de la forme républicaine est une manière d’afficher un absolu démocratique mais, à la différence des révolutions précédentes, la révolution « à la française » se construit contre l’Église catholique. Cela ne l’empêche pas de s’adresser à l’humanité dans son ensemble. La vraie fécondité politique mondiale de la France se mesure à l’exportation des grands principes de la « Grande Nation ».

5. « Un Printemps des peuples »

Un système de représentations aux origines occidentales se diffuse dans le monde aux XIXe et début du XXe siècles.Un vaste mouvement d’émancipation collective et une vive revendication nationale s’emparent de la plupart des territoires coloniaux au sud des États-Unis mais à l’initiative des colons et non des autochtones. Selon les conjonctures, un modèle standard de nationalisation passe par un volontarisme culturel et produit des effets politiques. En Europe, le peuple allemand dépasse sa division religieuse, en investissant les arts, la science ou encore le sport. Les frères Grimm, Schelling, Hegel ou encore Herder fondent un esprit national par la langue et la littérature. L’Allemagne devient au XIXe siècle le pays de la « philologie ».

Ce siècle est presque partout celui des dictionnaires, des encyclopédies, de la purification des dialectes et des langues. Sont notamment composées des épopées nationales et la littérature, l’opéra ou le théâtre prennent, eux aussi, une tournure patriotique, bien que cette forte mobilisation culturelle ne débouche pas systématiquement sur des succès politiques.

La nation est importée, assimilée, adoptée en fonction de chaque culture. Un affaiblissement géopolitique du dominant permet les premières victoires nationales du XIXe (en Amérique espagnole) et des revendications d’autonomie en Europe (ex. la principauté de Serbie). En 1919, le Congrès de Paris dessine la nouvelle carte nationale de l’Europe centrale et orientale. Le mouvement « d’auto-émancipation » juive devient aussi un mouvement national, avec l’originalité de faire du national à partir d’une diaspora. Kemal, en Turquie, transforme l’humiliation ottomane en patriotisme turc, met en avant l’identité nationale, instaure la laïcité de l’État.

Sun Yat-sen, un intellectuel chinois qui incarne le héros national chinois fonde le Guomindang, une organisation nationaliste d’inspiration occidentale explicite. La Chine du XXIe siècle perpétuera ce pouvoir central fort et le capitalisme et le paternalisme d’État. En Afrique du Sud, un espace atypique de colonisation l’African National Congress construit de toutes pièces une organisation qui lutte contre un super-colonisateur britannique. Un mouvement d’émancipation nationale anti-raciste porte la figure d’un Nelson Mandela en martyr de la cause.

La dimension émotionnelle apporte un éclairage au politique.

6. La poétique du politique : une langue et une religion unificatrices

Les nations sont des entités performatives, et bâtir un imaginaire national permet de faire tenir l’édifice.

Aucune nation ne peut se passer d’un nom, d’un territoire, d’une langue ou encore de symboles. Au nom d’une nation, la Macédoine, terre grecque périphérique, adopte une culture slave en près d’un demi-siècle d’existence. Le nationalisme puise partout, y compris auprès des anciens dominants, pour se justifier lui-même : l’Indonésie porte un nom étranger à son histoire.

Une communauté était définie par rapport aux communautés voisines : l’altérité sert à faire de l’identité. Certains États-nations du XIXe procèdent à un (re)centrage par un changement de capitale, la territorialisation française étant à ce sujet inspirante pour d’autres pays.

Les conjonctures et les rapports de force éclairent les cas les plus remarquables de réussite ou d’échec en matière d’unification linguistique. Aucun système politique n’échappe à la diversité linguistique mais seule l’émergence de l’idéologie nationale permet l’adoption d’un schéma linguistique unitaire. « Signe principal d’une nation », la langue est un excellent moyen de structurer une société dans un cadre étatique rigoureux comme celui soviétique. Une unification linguistique doit être accompagnée d’une préoccupation politique, la purification d’une langue est associée à une renaissance nationale. On peut aussi transformer une écriture pour affirmer l’identité culturelle : au Québec, la « Charte de la langue française » protège les francophones contre le monolinguisme par l’anglais.

La question religieuse se trouve, elle aussi, au cœur du national. La chute du mur de Berlin a été suivie d’une libération d’énergie religieuse en raison de la persécution religieuse dans les États communistes de l’Europe centrale et orientale. Il ne faut pas minorer cette clé que l’ère populiste actuelle met en lumière : certaines religions s’adossent à des idéologies comme en Inde, au Brésil ou encore aux États-Unis ou un « trio » émotionnel, démocratique et autoritaire s’est constitué.

Le retour du religieux se fait comme agent de l’histoire contemporaine : en Iran, le rapport entre religion et patriotisme évolue en trois phases et aboutit à un discours religieux de la rhétorique nationale. Le religieux se superpose au politique, comme en Irlande (p. 275) séparée entre une Irlande catholique au sud et une Irlande dominée par les protestants au nord, ou bien il se substitue au politique, comme en Pologne, où des circonstances particulières permettent au catholicisme de servir d’appui au nationalisme. La tension culturelle sait se donner l’armature politique dont elle a besoin. Toujours vivante, la nation dispose de nombreux moyens pour produire de l’identité collective.

7. Symbolique et mythologique

Le symbole est un signe de reconnaissance qui tient lieu d’une identité partagée. Cette dimension symbolique s’exerce sur trois modes : l’emblématique – identité collective par la vue et par l’ouïe –, le monumental, le rituel. En effet, une nation se nourrit de mythes. La symbolique nationale est représentée par des drapeaux ou par une emblématique sonore (hymnes et chants nationaux), tout comme les lieux de mémoire (monumentum). La France a connu une déchristianisation remplacée par la commémoration de héros républicains, par des valeurs nouvelles et une « statuomanie », qui s’illustre le mieux avec le Panthéon. Le destin singulier d’une nation se mesure à l’importance donnée à ce type de lieu de mémoire. Le rituel, rapport modifié à l’espace et au temps, par un acte officiel ou par un acte de rupture à charge émotionnelle élevée, soude aussi une communauté politique. La Russie de Poutine a, par exemple, combiné l’emblématique des Romanov et l’ancien hymne soviétique de l’époque de Staline. L’examen du drapeau de l’Afrique du Sud ou celle de ses sept jours fériés résument toute son histoire au XXe siècle.

Il s’agit donc moins d’imaginaire que d’imagination : le mythe est un récit structurant les communautés, une « fiction historique » nécessaire aux Peuples souverains, travaillée aussi bien par l’Université ou les musées que par les manuels scolaires ou encore la littérature nationaliste, les théâtres nationaux ou les festivals – la « Révolution chantante » aux pays baltes représente ainsi une résistance à la politique de russification –, sans oublier les sports. Le patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO contribue à cette émulation des traditions.

La construction mythique la plus riche offre une imagerie simplifiée du type national. Mais c’est la révolution de la souveraineté populaire qui transforme le politique en culturel. On assiste à une universalité paradoxale des représentations nationales : des « peuples élus » surgissent, des individus, des groupes sociaux et des institutions publiques se livrent à un travail de réenchantement. Cependant, des exceptions et des cas atypiques viennent élargir cette dynamique.

8. Incertitudes et exceptions

Le national est un processus qui peut être atypique et susciter des incertitudes. Un État anational existe en plein cœur du XXIe siècle : l’Arabie saoudite se réclame d’une origine dynastique proclamé en 1932, son système politique traditionaliste est étranger à toute justification nationale. Culture prénationale, la Suisse présente une savante combinaison de modèles anglais, français et allemand qui a pour signe distinctif l’internationalité. Dans l’effondrement de l’URSS (comme dans celui des territoires des colonies), démographie et géopolitique jouent un rôle essentiel : la Biélorussie, l’État le plus proche de la nouvelle Russie, et l’Ukraine, clivée entre Ouest et l’orbite russe, constituent deux cas extrêmes et différents avec, cependant, bien des ressemblances. On peut compter aussi deux configurations d’éclatement opposées : la Tchécoslovaquie pacifique et la sanglante Yougoslavie. La dimension culturelle peut conduire à des processus d’homogénéisation nationale : l’Irak et la Belgique peuvent ainsi constituer les termes d’une comparaison inédite car une unité posée nie leur hétérogénéité culturelle. La première, résultat d’inventions occidentales à la suite des décisions de chancellerie, connaît une difficile coexistence entre sunnites et chiites, la seconde, a connu des guerres de religion, opposant catholiques et protestants Le XXIe siècle continue à produire du national mais il en détruit aussi : le rapport de force peut être défavorable aux nations. La loi de la démographie s’avère parfois plus importante que la démocratie. La Chine, malgré une tolérance culturelle envers elles, ne concède rien aux revendications des Tibétains et Ouïghours, qui sont des mouvements nationalistes modernes. Tout mouvement nationaliste a intérêt à mobiliser le peuple derrière lui à l’occasion des élections et de référendums. Il faut le convaincre que son intérêt est dans la rupture. Mais les revendications de souveraineté ne sont pas inéluctables. Des revendications fragiles, tendant à passer du « régional » au « national », ne sont pas toujours couronnées de succès. Les exemples de la Bretagne, de la Corse et de la Catalogne, malgré leurs singularités, en témoignent. Pour certains « micro-États » – Luxembourg, Singapour ou Taïwan – l’aisance économique a renforcé leur identité culturelle, se constituant en facteur de consolidation nationale. Approché par le national, le conflit israélo-palestinien permet de dissiper la confusion antisionisme/antisémitisme et apparaît comme un conflit national classique.

9. Conclusion

La nation, fille aînée de la modernité politique, née dans l’Europe occidentale, est une figure mondiale, un objet d’histoire globale, chaque peuple élaborant sa propre culture nationale. Le national s’analyse donc en fonction des conjonctures.

À l’origine d’une expérience culturelle, il y a l’expérience politique. L’identité est un mode élémentaire de toute pensée, destinée à réduire la confusion intellectuelle. Le génie du national réside dans sa capacité à récupérer un héritage symbolique vécu et transmis. La nation a encore de l’avenir, preuve en est le périodique retour en vogue du national sur le devant de la scène politique mondiale.

10. Zone critique

« Fiction utile » sur laquelle se fonde toute société politique, la nation semble toujours robuste. En tout cas, l’auteur, qui part de sa propre histoire dans l’Histoire, y croit et le démontre. Prodigieuse leçon d’histoire en accéléré, cet « essai d’histoire et de théorie politiques », procède à un vertigineux déroulement des études de cas.

L’emploi d’une cartographie aurait pu ainsi être utile au lecteur, pour s’y orienter. L’un de ses apports importants est d’étudier le politique dans sa dimension émotionnelle. Ce grand état des lieux sur les ressorts de la nation s’avère plus que jamais pertinent en 2021.

11. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Pascal Ory, Qu’est-ce qu’une Nation ? Une histoire mondiale, Paris, Éditions Gallimard, 2020.

Du même auteur– Pascal Ory, Peuple souverain. De la révolution populaire à la radicalité populiste, Paris, Gallimard, 2017.

Autres pistes– Philippe Braud, L’émotion en politique, Paris, Presses de la FNSP, 1996.– Dominique Schnapper, La communauté des citoyens Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994.

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