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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Sapiens face à sapiens

de Pascal Picq

récension rédigée parRomain AllaisÉditeur et correcteur indépendant. Titulaire d'un DEA en histoire des sciences (Université de Nantes).

Synopsis

Science et environnement

L’humanité est arrivée à un point crucial de son évolution. Depuis son émergence il y a environ 300 000 ans, Homo sapiens s’est répandu quasiment partout sur la planète, s’adaptant à une grande variété d’environnements différents. C’est un cas unique, aucune autre espèce n’est jamais parvenue à un tel succès évolutif. Mais aujourd’hui, l’espèce humaine est face à un défi inédit : s’adapter aux conséquences de sa réussite.

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1. Introduction

Avec plus de sept milliards d’individus sur Terre, répartis dans presque tous les environnements qu’offre la planète, à l’exception des plus extrêmes, l’espèce humaine est un exemple de succès évolutif sans équivalent. Mais elle se trouve aujourd’hui à un moment de son histoire où les conséquences de son succès menacent son avenir. Pour tenter de comprendre comment Homo sapiens en est arrivé là, et ainsi envisager son évolution future, un retour en arrière est tout d’abord nécessaire.

L’origine de l’espèce humaine se perd dans l’immensité africaine. Il y a deux millions d’années environ, le genre Homo apparaît, mais il est difficile, sinon impossible, de déterminer de quelle espèce d’hominidé il est issu. Par ailleurs, pour identifier le bon candidat, il faudrait déjà que la communauté scientifique se mette d’accord sur ce qui caractérise le genre Homo, puis qu’elle cible les fossiles qui semblent répondre à ces critères. Si le flou sur cette question est de mise, les paléoanthropologues s’accordent tout de même pour faire de l’Homo erectus une espèce bien engagée sur la voie de l’humanité.

Cet « homme » venu d’Afrique a essaimé, par vagues successives, en Europe et surtout en Asie. Trois groupes humains se différencient par la suite : schématiquement, les hommes de Denisova en Asie, les hommes de Néandertal en Europe et Homo sapiens en Afrique. Ce dernier serait finalement sorti d’Afrique pour se répandre dans le monde entier, poussant les deux autres espèces à l’extinction.

Sans concurrent direct, Homo sapiens a évolué jusqu’à aujourd’hui, mais une menace inédite le guette : lui-même.

2. Le premier homme

Déterminer l’origine de l’homme, c’est, en quelque sorte, identifier l’ancêtre commun que nous partageons avec notre plus proche cousin : le chimpanzé. À ce titre, un certain nombre de fossiles, tous découverts en Afrique, offrent de bons candidats : Sahelanthropus tchadensis, etc. Parmi ces hominidés se trouve peut-être l’ancêtre de l’homme actuel, nul ne peut néanmoins le prouver.

Mais il est certain que ces espèces ont donné naissance au riche groupe des australopithèques et des paranthropes, dont la plus célèbre représentante est Lucy. Ce groupe a vécu entre 4,2 et 2 millions d’années en Afrique et a évolué, non pas de manière linéaire, mais en mosaïque. C’est-à-dire que plusieurs sous-groupes se sont différenciés, certains s’engageant dans une impasse, d’autres évoluant vers d’autres formes.

À ce stade, et bien que les australopithèques utilisaient déjà des outils en pierre, il n’est pas encore question de parler d’hommes. Traditionnellement, le premier individu considéré comme appartenant au genre Homo est Homo habilis, apparu vers 2 millions d’années. La raison en est simple, il présente trois traits caractéristiques de l’homme dans son évolution : « une bipédie de plus en plus exclusive au niveau des membres inférieurs conjointement avec l’atténuation des caractères des membres supérieurs associés à l’arboricolisme ; la diminution de la taille de l’appareil masticateur et des dents […] ; l’augmentation de la taille absolue et relative du cerveau, avec l’accentuation des asymétries entre les deux hémisphères cérébraux en relation avec la dextérité et le développement des aires du langage ».

Est-ce pourtant suffisant pour considérer Homo habilis comme le premier homme ? Non, selon Pascal Picq.

3. Qu’est-ce que l’homme ?

Une espèce d’hominidés peut être considérée comme humaine lorsqu’elle entre dans un processus que Pascal Picq nomme la co-évolution. L’évolution de cette espèce n’est plus seulement soumise aux contraintes de la nature, mais également à celles de la culture qu’elle a elle-même développée.

À ce titre, les outils conçus par Homo habilis ne constitueraient pas un arsenal susceptible d’avoir des répercussions sur son évolution. Il appartient au genre Homo, mais n’est finalement pas encore assez « mûr » pour prétendre à l’étiquette de premier homme.

En revanche, Homo erectus maîtrise suffisamment de techniques pour que celles-ci aient un impact significatif sur son évolution. Pascal Picq rappelle que « le régime alimentaire n’a pas fondamentalement changé entre les “premiers hommes” et les premiers Erectus, mais c’est bien le traitement des nourritures qui s’est modifié : à la fois par des moyens physiques – les outils et leurs usages – et, ce qui est nouveau, à l’aide de moyens chimiques via le feu ». (p. 75) Conséquence : les aliments sont mieux assimilés par l’organisme, ce qui permet au cerveau de se développer davantage.

Pendant longtemps, les paléoanthropologues pensaient que l’homme, au cours d’une évolution perçue comme linéaire, se libérait des contraintes de la sélection naturelle, or c’est tout le contraire qui se produit. L’homme n’échappe pas à la sélection naturelle, et à cette dernière s’ajoute une sélection culturelle. Les mieux outillés ont une plus grande chance de survie, ce qui est le cas d’Homo erectus, capable de conquérir de nouveaux mondes.

4. Migrations

Homo erectus n’est pas le premier à sortir d’Afrique, mais il s’étend plus loin que n’importe quel hominidé avant lui. Il y a 1,5 million d’années, son aire de répartition suit le littoral de l’Asie du sud, en passant par la péninsule arabique, l’Inde, jusqu’à l’Indonésie.

Cette expansion est rendue possible par ses capacités nouvellement acquises. « Il façonne sa propre niche écologique et va faire ce qu’aucun autre genre n’a jamais pu réaliser : s’adapter à tous les écosystèmes. » (p. 43) Comme ses ancêtres, il pratique la cueillette et le charognage, mais ses techniques de chasse évoluent.

Désormais, il évite la confrontation directe avec ses proies. Son endurance exceptionnelle lui permet d’exercer une traque sans relâche. L’animal en déroute finit par s’épuiser, et Homo erectus peut ainsi lui donner le coup de grâce ; c’est le principe de la chasse à courre. Il vit dans des sociétés dites de fusion/fission : de petits groupes se rencontrent et fusionnent, puis se scindent à nouveau au gré des déplacements. Vers 800 000 ans, il a conquis une grande partie de l’Eurasie.

En évoluant localement, il se diversifie. Bientôt, trois grands groupes apparaissent, tous issus de cet Homo erectus conquérant.

5. Trois empires

Homo erectus a donc accouché de trois grandes familles humaines : Homo sapiens en Afrique, Homo neanderthalensis en Europe et Homo denisovensis en Asie. Ces trois types d’hommes ont vécu pendant le Pléistocène, une période comprise entre 780 000 et 126 000 ans. Les fossiles qui ont été mis au jour offrent un avantage décisif dans la compréhension de l’évolution humaine : ils sont assez récents pour permettre une analyse génétique. C’est particulièrement précieux pour l’homme de Denisova, peu documenté par les restes fossiles trop rares. Difficile donc de se faire une idée de la physionomie de ce dernier.

En revanche, les nombreux restes d’hommes de Néandertal permettent de dresser le portrait suivant : à la fois plus petit et plus trapu que l’homme moderne, il possédait aussi un cerveau sensiblement plus volumineux. Les données génétiques indiquent qu’il devait avoir la peau blanche et les poils roux. Autant de caractéristiques qui en font une espèce bien adaptée au climat froid de l’Europe d’alors. Quant à l’Homo sapiens d’Afrique, il nous ressemble, mais en plus robuste.

Ces trois espèces humaines n’étaient pas isolées les unes des autres. Elles se croisaient, cohabitaient dans les mêmes lieux et s’hybridaient. Nous conservons dans notre patrimoine génétique des gènes des hommes de Néandertal et de Denisova. À titre d’exemple, les Tibétains ont notamment hérité d’un gène dénisovien qui autorise une meilleure adaptation aux hautes altitudes.

Si trois espèces humaines principales se partageaient le monde à cette époque, elles n’étaient cependant pas seules. En certains endroits isolés du globe vivaient d’autres représentants du genre humain : l’homme de Florès (Homo floresiensis) en Indonésie, l’homme de Luçon (Homo Luzonensis) aux Philippines, ou encore Homo naledi en Afrique du Sud. L’absence de preuve n’étant pas une preuve de l’absence, il est probable que l’avenir réserve aux paléoanthropologues d’autres découvertes qui enrichiront ou bouleverseront l’état actuel des connaissances.

Reste une question : devant cette grande variété, comment se fait-il qu’aujourd’hui il n’existe plus qu’une seule espèce humaine : Homo sapiens ?

6. Homo sapiens à la conquête du monde

Les plus anciens fossiles de l’homme anatomiquement moderne, quoique plus robuste, ont été découverts à Djebel Irhoud, au Maroc, et sont datés d’environ 300 000 ans. Une première vague de migration voit Homo sapiens sortir de son berceau africain. Comme évoqué plus haut, il croise le chemin de l’homme de Néandertal, qui lui part d’Europe pour explorer l’Asie, et l’homme de Denisova.

À cette époque, la cohabitation est de mise ; aucun groupe ne semble prendre le pas sur un autre. Il en va tout autrement d’une seconde vague de migration, qui voit Homo sapiens sortir une nouvelle fois de l’Afrique, et cette fois pour littéralement conquérir l’Eurasie, puis les Amériques. Il y a 20 000 ans, Néandertaliens et Dénisoviens, ainsi que les hommes de Florès et de Luzon, ont disparu au profit d’une unique espèce : Homo sapiens, qui occupe alors tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Difficile d’expliquer cette hégémonie. Les changements climatiques lui ont-ils été favorables ? Sa culture, son art, ses techniques, ses représentations du monde l’ont-ils rendu plus performant ou plus agressif ? Le fait est qu’Homo sapiens a supplanté ses potentiels concurrents.

Dès lors, l’espèce humaine connaît une évolution rapide : les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique laissent la place aux premiers agriculteurs et éleveurs du Néolithique. Il est intéressant de noter au passage qu’il existe plusieurs foyers indépendants de néolithisation. La sédentarisation des sociétés humaines impose de nouvelles contraintes : il faut trouver des terres pour la culture et l’élevage, stocker les récoltes, nourrir les animaux, mais aussi prévenir les tentatives de pillage… Il est probable que c’est pour faciliter ces nouvelles organisations humaines que l’écriture apparaît.

Avec elle, les hommes entrent dans ce qu’on appelle l’histoire. Pendant plusieurs millénaires, les hommes restent grandement soumis aux aléas de la nature. Mais, à partir de la révolution industrielle, ils comprennent et maîtrisent de mieux en mieux leur environnement. Les progrès de la médecine aboutissent à une explosion démographique au cours du XXe siècle. Jamais aucune espèce n’avait connu auparavant un tel succès évolutif aussi rapidement, mais pour combien de temps encore ?

7. L’avenir

« Toute évolution est un compromis, et plus une espèce connaît un fort accroissement démographique, plus elle modifie ses environnements ; il lui faut alors s’adapter aux conséquences. » (p. 13) C’est un fait, l’homme s’est adapté à presque tous les écosystèmes terrestres ; il est même capable d’aller dans l’espace. Mais sa réussite a aussi son revers : réchauffement climatique, chute de la biodiversité, destruction des écosystèmes, pollution… La liste est longue. L’humanité a atteint un âge critique où son immense succès peut être l’étape qui précède son déclin inexorable. Considérer qu’il faut agir comme on l’a toujours fait sous prétexte qu’on a jamais aussi bien vécu sur Terre, ce qui est vrai, est une grave erreur. « […] le modèle économique et social de la fin du siècle dernier n’est plus adapté aux changements qu’il a provoqués ». (p. 309).

Aujourd’hui, les mêmes méthodes n’aboutissent plus aux mêmes effets. Nos sociétés modernes se polarisent : d’un côté une minorité de nantis qui continuent à être les grands gagnants d’un système à bout de souffle, de l’autre une majorité toujours plus nombreuse de gens déclassés qui vivent moins bien que leurs parents et leurs grands-parents.

Au bout du compte, il semble bien qu’une bonne moitié de la population mondiale soit entrée dans une mal-évolution que seul un profond changement de paradigme civilisationnel serait en mesure d’endiguer.

8. Conclusion

Pour bien comprendre le succès évolutif sans équivalent de l’Homo sapiens, Pascal Picq retrace son histoire foisonnante depuis ses origines. Mais ce succès semble aujourd’hui arriver, sinon à sa fin, du moins à ses limites. Comment une espèce, aux capacités d’adaptation exceptionnelles, est-elle parvenue à ce moment crucial où elle pourrait ne pas se relever de sa réussite ? Pascal Picq ne répond pas à cette question, mais offre des pistes de réflexion : le modèle économique et social dans lequel nous nous obstinons à vivre ne saurait être la solution aux défis à venir.

Il est temps de réinventer nos sociétés pour qu’elles puissent s’adapter aux conséquences d’un triomphe évolutif humain qui comporte bien des zones d’ombre.

9. Zone critique

Difficile de s’enthousiasmer pour un livre qui semble avoir été écrit et édité à la va-vite. Le plan est peu lisible, des va-et-vient dans la chronologie empêchent de se représenter clairement la lignée humaine, les différentes espèces humaines présentées sont mal hiérarchisées, les cartes censées illustrer l’expansion du genre Homo à différentes époques sont illisibles, le texte est souvent confus. Enfin, la promesse du titre, Sapiens face à Sapiens, n’est pas tenue, car elle ne fait l’objet que d’un court chapitre final. Mais Pascal Picq n’est peut-être pas à blâmer pour autant. C’est clairement le travail éditorial qui fait défaut ici.

On a la sensation que Flammarion ne s’est contenté que d’un nom reconnu pour faire ce livre. Dommage, car beaucoup d’idées de Pascal Picq méritent qu’on s’y attarde, notamment sur les rapports homme/femme, survolés çà et là alors qu’ils auraient pu faire l’objet d’un chapitre entier.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Sapiens face à sapiens, Paris, Flammarion, 2019.

Du même auteur– Premiers Hommes, Paris, coll. « Champs Histoire », Flammarion, 2018.

Autres pistes– Luca Cavalli-Sforza, L’Aventure de l’espèce humaine. De la génétique des populations à l’évolution culturelle, Paris, Odile Jacob, 2011– Silvana Condemi, François Savatier, Dernières Nouvelles de Sapiens, Paris, Flammarion, 2018– Yuval Noah Harari, Sapiens, une brève histoire de l’humanité, Paris, Albin Michel, 2015– Svante Pääbo, Néandertal, à la recherche des génomes perdus, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2015

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