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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Guerre des vaccins

de Patrick Zylberman

récension rédigée parRomain AllaisÉditeur et correcteur indépendant. Titulaire d'un DEA en histoire des sciences (Université de Nantes).

Synopsis

Science et environnement

Depuis que des virus autrefois dangereux, voire mortels, n’inquiètent plus personne, tout un tas d’individus remettent en cause l’utilité des vaccins, oubliant que ce sont ces vaccins qui les ont rendus inoffensifs. Patrick Zylberman tente d’analyser dans La Guerre des vaccins les motivations de ceux qui refusent toute forme de vaccination, estimant qu’il faut laisser faire la nature, et de ceux qui contestent l’obligation vaccinale, suspectée de réduire la liberté individuelle. La guerre des vaccins, c’est en fait celle qui oppose légitimité démocratique et légitimité scientifique.

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1. Introduction

En cette année 2020 où une pandémie contraint le monde au confinement et à la distanciation sociale, la seule solution pour un retour à la normale semble résider dans la rapide mise au point d’un vaccin efficace. Cette situation inédite illustre parfaitement le paradoxe des vaccins : indispensables lors des crises sanitaires, ils apparaissent facultatifs, voire inutiles ou dangereux, lorsque tout va bien. Mais nous oublions vite que, si tout va bien, c’est justement parce qu’ils existent. Alors pourquoi certains s’opposent-ils à la vaccination ?

C’est ce qu’essaie de décrypter Patrick Zylberman dans La Guerre des vaccins. Scandales sanitaires bien réels, incompréhension d’un public qui n’a pas toujours les clefs pour saisir pleinement la démarche des scientifiques, préjugés ancestraux, croyances sincères mais infondées, alimentent un scepticisme qui vire parfois au délire complotiste. Les antivaccins purs et durs sont peu suivis, mais leur discours trouve cependant un écho favorable auprès d’une partie de la population. La vaccination est pourtant un enjeu majeur de santé publique. Et les résistances à une obligation vaccinale mettent en péril le bien-être collectif.

2. Couverture vaccinale

La crise provoquée par la Covid-19 a le mérite de nous rappeler un fait que nous avions un peu perdu de vue : la grande utilité des vaccins. Une bonne couverture vaccinale permet au plus grand nombre d’entre nous de vivre en bonne santé. Son efficacité nous donne même l’impression que les maladies dont nous sommes protégés appartiennent au passé. Vient alors une question somme toute légitime : est-il encore nécessaire de se faire vacciner contre des maladies qui peut-être n’existent plus ? La poser en ces termes, c’est déjà y répondre, ou tout du moins semer la graine du doute. Après tout, la variole a bien été éradiquée, non ?

Des voix en embuscade s’élèvent alors pour remettre en cause le principe de la vaccination. Il s’agit tout d’abord d’accepter ou de refuser telle ou telle vaccination au nom de sa liberté de conscience, puis de prétendre que les vaccins ne sont pas des substances anodines, avant de remettre en cause leur innocuité.

Contre le monde médical qui affirme qu’il n’en est rien, il suffit de rappeler quelques scandales qui ont marqué les esprits, affaire du sang contaminé ou crise de la vache folle. À ce titre, pouvons-nous encore faire confiance aux experts scientifiques et à leurs relais politiques ? N’y a-t-il pas anguille sous roche ? Cette suspicion gagne insidieusement les esprits. S’il n’y a pas, à proprement parler, une volonté de se rebeller contre toute vaccination, il y a sans conteste un relâchement dans les pratiques. Résultat : la couverture vaccinale baisse, certaines maladies resurgissent, dont la rougeole qui, au XXIe siècle, tue encore. Un constat qui ne saurait endormir les antivaccins.

3. Lien de causalité

Qu’importe, pour les antivaccins, qu’on puisse encore mourir d’une rougeole du fait d’un défaut de vaccination, qu’importe également que les vaccins aient protégé efficacement l’humanité contre de très nombreuses maladies. Pour eux, la vaccination est, a priori, suspecte.

Et cette suspicion remonte aux prémices de la vaccination. Il faut rappeler que le terme « vaccin » vient du latin vacca, qui signifie « vache », parce qu’au XVIIIe siècle la matière inoculée pour immuniser une personne provenait souvent de cet animal. De là deux objections à la méthode : d’une part l’idée qu’on administre les germes d’une maladie à un sujet bien portant ; d’autre part, et surtout, le fait qu’on brise la barrière des espèces, remettant ainsi en cause l’ordre divin. « En plus de pervertir la nature humaine, la vaccination […] pervertissait la Providence divine » (p.109).

De nos jours, la vision des antivaccins n’a finalement que peu changé. Certes, on ne parle plus guère de Providence divine, mais on fantasme volontiers sur une bienveillante nature qu’il suffit de laisser faire. Quant à l’idée qu’on peut introduire une maladie via les vaccins, elle est encore bien ancrée dans les esprits. Il suffit de se souvenir des cas de scléroses en plaques survenues après une vaccination contre l’hépatite B. Les antivaccins n’ont pas eu à crier trop fort pour dénoncer la dangerosité de ce vaccin.

Pourtant, la succession de deux événements, ici la vaccination contre l’hépatite B, puis l’apparition d’une sclérose en plaques, ne suffit pas à établir un lien de causalité entre le premier et le second. D’ailleurs, à ce jour, sur ce cas précis, aucun lien de causalité n’a jamais été démontré. Mais il en faut plus pour convaincre un antivaccin déterminé à prouver le contraire.

4. Profanes et experts

Finalement, ce qui se dessine à travers cette « guerre des vaccins », ce sont les profils des belligérants. D’un côté, donc, des antivaccins dont les convictions sont étayées par des peurs ancestrales, des doutes alimentés par de réels scandales sanitaires et des cas qui semblent conforter leur méfiance. De l’autre, des scientifiques, appuyés par les autorités, prônant une vaccination qui ne devrait plus avoir à prouver son efficacité. Combien en effet de malades, mais aussi de morts, ont été évités grâce à ce principe ? Les éventuels effets négatifs d’une vaccination sont largement compensés par les bénéfices de celle-ci.

Pour résumer, ce qui se joue ici est en fait une bataille qui oppose profanes et experts. Or le profane bâtit ses connaissances sur ses expériences personnelles, sur ses perceptions du monde, sur les témoignages qu’il recueille. Son savoir est donc subjectif. En revanche, l’expert essaie de prendre du recul, adopte une approche rationnelle des événements, s’efforce de recueillir le maximum de données afin d’avoir une assise statistique suffisante pour conclure. Son savoir se veut objectif.

Problème : comment une personne atteinte de sclérose en plaques après avoir été vaccinée contre l’hépatite B pourrait-elle accepter qu’aucun lien de causalité n’existe entre cette vaccination et sa maladie ? Il est à craindre, en effet, que cette personne ne le puisse pas, son expérience personnelle allant à l’évidence à l’encontre des conclusions d’une approche rationnelle. Les antivaccins, en revanche, lui délivrent un message en parfaite adéquation avec son ressenti.

5. Optique démasquante

C’est là un point essentiel. En vérité, les antivaccins restent minoritaires dans la population. Pourtant leur parole bénéficie d’un large écho auprès d’une population aux positions moins radicales, mais sensible à un discours qui frappe davantage les esprits qu’une austère démonstration scientifique.

Si de plus en plus de personnes ne se vaccinent plus, ce n’est généralement pas parce qu’elles sont vent debout contre les vaccins, mais plus prosaïquement parce qu’elles ont négligé de le faire. Mais qu’un scandale sanitaire éclate, et le doute s’installera ensuite chez elles. Et pour peu qu’elles prêtent l’oreille à certains messages de militants antivaccins, selon lesquels par exemple la vaccination n’est encouragée que pour enrichir l’industrie pharmaceutique, et elles risquent de rejoindre les antivaccins les plus radicaux.

La bataille entre profanes et experts prend alors une nouvelle tournure. Cette fois, les premiers s’emploient à démasquer les complots d’une élite qui travaille contre les intérêts du peuple. Le mot est lâché : complot. « Pour la société de masse, notait Hanna Arendt, la vérité, c’est tout ce que les élites nous cachent » (p.180). Le discours officiel incite tout individu à être à jour de ses vaccins afin de garantir sa santé et celle des autres. Les antivaccins proposent de dévoiler les véritables raisons qui poussent les élites à tenir un tel discours. C’est l’« optique démasquante ». Et difficile de s’y opposer ou d’en dénoncer les abus, puisque toute objection sonne comme une nouvelle tentative des élites de cacher la vérité au peuple.

6. Obligation vaccinale

La dénonciation d’un prétendu complot s’avère une arme efficace pour permettre aux antivaccins les plus acharnés de répandre leurs idées. Pour autant, si cette stratégie bénéficie d’une large audience, elle peine à convaincre au-delà du cercle des militants. C’est qu’en fait la plupart des gens ne s’opposent pas au principe de la vaccination en soi, mais plutôt à son obligation.

La guerre des vaccins est ainsi le théâtre d’un nouvel antagonisme : la liberté individuelle, par laquelle chacun est libre de se faire vacciner ou non, contre l’intérêt collectif, qui fait de la vaccination un devoir moral puisque tout individu qui se vaccine contribue non seulement à sa santé, mais aussi à celle des autres. Les antivaccins n’ont donc pas tardé à clamer que « la vaccination obligatoire portait atteinte à la liberté des individus et n’avait été adoptée en vérité que pour satisfaire l’intérêt pécuniaire des médecins vaccinateurs » (p.110).

À défaut d’être vraiment parvenus à décrédibiliser la vaccination, ils font porter l’attaque sur l’obligation vaccinale, susceptible d’être davantage entendue par l’opinion publique. Car, certes, « le public attend de l’État qu’il le protège, mais sa confiance, il ne la lui accordera qu’à la condition que cette protection ne changera pas les habitudes et les opinions reçues et qu’elle ne prétendra pas surveiller et régir ensemble l’individu et l’État » (p.40).

Comment, dans ces conditions, convaincre l’opinion que l’obligation vaccinale est parfois nécessaire dans l’intérêt de tous, sans restreindre les libertés individuelles auxquelles chacun est farouchement attaché ?

7. Harm principle

C’est là le nœud du problème. « On ne peut pas vouloir une chose et son contraire : une sécurité sanitaire la plus rigoureuse possible pour la collectivité et des libertés individuelles en tous points préservées et inchangées » (p.169).

N’en déplaise aux antivaccins, il existe des cas où la liberté individuelle doit pouvoir s’effacer devant l’intérêt collectif, et c’est particulièrement vrai pour l’obligation vaccinale. Si le refus de se faire vacciner entraîne un risque grave pour autrui, alors la vaccination doit être obligatoire. C’est ce que John Stuart Mill a appelé le harm principle. Cette logique rationnelle, partiellement acceptée par la population, ne saurait suffire à emporter l’adhésion des antivaccins radicaux.

Une loi mettant en place l’obligation vaccinale doit donc répondre à trois critères pour convaincre : légitimité, efficience, efficacité. La légitimité, c’est le droit d’un État à imposer une loi. Ici, la santé publique rend légitime une loi qui rend obligatoire la vaccination. L’efficience, c’est l’applicabilité de la loi. Après avoir promulgué l’obligation vaccinale, l’État met-il tout en œuvre pour réussir sa campagne vaccinale ? L’efficacité, ce sont les effets attendus du vaccin. Les résultats sont-ils bien au rendez-vous ?

Évidemment, les antivaccins contestent une telle loi sur les trois critères décrits. La guerre des vaccins, « c’est en somme l’individu contre le citoyen, la liberté individuelle contre le civisme » (p.244). Et quelles que soient les opinions qui se confrontent, il ne faut pas oublier qu’en se vaccinant tout individu poursuit son intérêt personnel tout en contribuant au bien-être de la collectivité.

8. Conclusion

La Guerre des vaccins, de Patrick Zylberman, met en lumière une série d’antagonismes contemporains à travers l’opposition entre les pro- et les antivaccins : expert contre profane ; raison contre émotion ; intérêt collectif contre liberté individuelle… Cette guerre ne se limite donc pas à un simple problème sanitaire, mais symbolise une véritable fracture entre deux légitimités.

D’un côté la légitimité démocratique dans laquelle la logique libérale atteint son paroxysme et où l’individu est souverain. Il peut donc refuser d’être vacciné, et peut donc mettre en danger autrui. De l’autre la légitimité scientifique dans laquelle l’intérêt général, recherché sur des bases rationnelles, prime sur l’intérêt individuel. L’obligation vaccinale est alors la règle pour le bien de tous.

9. Zone critique

Dans cette Guerre des vaccins, Patrick Zylberman a clairement choisi son camp, et c’est celui des vaccins. On peut donc légitimement penser qu’il souhaite persuader un grand nombre de personnes du bien-fondé de la vaccination. Pour cela, il ne manque pas d’arguments, de statistiques, d’exemples et d’érudition. Pourtant, il est permis de croire qu’il ne séduira que les convaincus. Pour les antivaccins, c’est raté. Pourquoi ? Parce que son propos est moins de promouvoir la vaccination que de dézinguer les antivaccins, considérés parfois avec mépris.

On sent là peut-être les limites d’une approche purement rationnelle. À aucun moment il ne semble vouloir comprendre vraiment, avec empathie, les motivations profondes qui poussent une personne à remettre en cause le principe de la vaccination. Dommage, car son ouvrage reste très instructif. Mais ainsi vont les guerres et ceux qui les mènent : il s’agit de vaincre avant de convaincre.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Patrick Zylberman, La Guerre des vaccins, Paris, Odile Jacob, 2020.

Autres pistes– Stéphane Biacchesi, Christophe Chevalier, Marie Galloux, Christelle Langevin, Ronan Le Goffic et Michel Brémont, Virus, ennemi ou allier ?, Versailles, Quae, coll. « Enjeux sciences », 2017.– Robert Boyer, Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie, Paris, La Découverte, coll. « Sciences humaines », 2020.– Michel Onfray, La Vengeance du pangolin. Penser le virus, Paris, Robert Laffont, 2020.– David Quammen, Le Grand Saut. Quand les virus des animaux s’attaquent à l’homme, Paris, Flammarion, 2020.– Philippe Sansonetti, Vaccins, Paris, Odile Jacob, 2017.

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