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Les Perversions narcissiques

de Paul-Claude Racamier

récension rédigée parKarine ValletProfesseure certifiée de Lettres Modernes.

Synopsis

Psychologie

Dans ce livre fondateur, Paul-Claude Racamier lève le voile sur un concept peu connu dans les années 1990. Il nous livre les secrets du pervers narcissique, ce prédateur qui ôte toute capacité de se défendre à ses proies. Une pathologie d’autant plus inquiétante qu’elle s’immisce dans la société et dans les familles sous le couvert de l’innocence…

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1. Introduction

Paul-Claude Racamier est le premier à avoir analysé le fonctionnement du pervers narcissique. Dès 1992, il en fait une étude approfondie dans Les Perversions narcissiques, qui correspond en fait à deux chapitres issus d’un autre livre, Le Génie des origines. Si l’auteur a été amené à suivre des patients atteints de cette pathologie, il a dû lui-même faire face aux manipulations d’un groupe de pervers narcissiques au sein de son institution.

Fort de cette expérience, il décortique ce phénomène complexe qui laisse l’entourage complètement démuni et le place sous le joug d’un individu sans scrupule, prêt à tout pour détruire sa victime. Quelles formes peut prendre la perversion narcissique ? À quoi peut-on repérer une personne qui en est atteinte ? Comment s’effectue le travail de sape de la victime ?

Paul-Claude Racamier se propose d’étudier en détail cette pathologie afin d’aider à s’en prémunir ceux qui pourraient être amenés à côtoyer un pervers narcissique.

2. Perversion morale narcissique : définition

La perversion narcissique est une pathologie peu connue au moment où l’ouvrage est publié en 1992. Paul-Claude Racamier la définit comme « le besoin et le plaisir prévalents de se faire valoir soi-même aux dépens d’autrui » (p. 22). Elle est ainsi fondée sur deux mécanismes antagonistes, mais indissociables : d’une part, l’affirmation de soi basée sur la séduction narcissique, c’est-à-dire le désir de plaire ; d’autre part, le déni de l’autre qui constitue une stratégie défensive pour se protéger d’une blessure intérieure. Chaque individu dispose en lui d’un potentiel de perversion narcissique.

Pour l’auteur, il s’agit d’une « inclination universelle » qui trouve ou non son expression de façon plus ou moins éphémère et à des degrés divers. Elle s’avère même nécessaire pour s’adapter à la vie sociale. Néanmoins, elle devient pathologique et nocive dès lors que la négation de l’individualité d’autrui l’emporte sur l’affirmation de soi.

La perversion narcissique est un mécanisme de défense inconscient qui vise à faire barrage à un état dépressif latent ou à des conflits intérieurs non réglés. Elle peut résulter d’une douleur, d’un traumatisme ou d’une phase difficile de l’existence. Elle trouve aussi sa source dans des causes plus profondes, telles que le deuil originaire : ce renoncement de l’enfant à la fusion avec la mère grave une blessure psychique inconsciente et vivace en tout individu, qui peut être à l’origine d’une pathologie narcissique ultérieure. C’est également à la faveur de certaines circonstances que la perversion narcissique peut se développer. Il faut que les facteurs personnels s’allient à des conditions favorables en matière d’opportunités et d’environnement relationnel.

C’est ainsi que les pervers narcissiques réussissent à s’immiscer au sein de certaines familles, de couples ou même de structures institutionnelles comme les entreprises.

3. Qui est le pervers narcissique ?

Le pervers narcissique se définit avant tout par sa suffisance. Il se considère supérieur à quiconque et affiche un ego surdimensionné qui lui permet de combler son vide intérieur.

À l’égard des autres, il témoigne de la condescendance et du mépris. Le remords et la gratitude lui sont étrangers puisqu’il n’est jamais redevable de rien et n’a besoin de personne. Pour que sa gloire soit à son comble, il a besoin d’un public, témoin de son propre triomphe et de la défaite de sa victime. Son absence de lucidité quant au caractère pervers et pathologique de ses agissements le rend d’autant plus dangereux : il est persuadé d’être dans son bon droit et aucune censure morale ne vient entamer sa conviction.

S’il ne s’agissait que de cela, peut-être pourrait-on se prémunir de tels individus et les détecter facilement. Mais le pervers narcissique a l'art et la manière de se faire passer pour ce qu’il n’est pas et de manipuler en toute impunité. S’il est convaincu d’être tout-puissant, il n’en demeure pas moins que chez lui, tout n’est qu’apparence et trompe-l’œil. Il est également prompt à se retirer quand il sent que le vent tourne et que ses tactiques ont été repérées. Car le pervers n’a aucun intérêt à s’attarder s’il voit ses manipulations déjouées et sa véritable nature sur le point d’être mise à jour. Au contraire, ce serait pour lui un échec cuisant qui entamerait sa certitude d’être invulnérable et maître de tout. Or, son identité est fragile : elle risque de s’effriter à la moindre déconvenue et de le plonger dans l’état dépressif qu’il tente de fuir à tout prix.

Comme il n’a aucune considération pour autrui, le pervers narcissique est prêt à tout pour atteindre son but. Dans son esprit, sa valorisation ne peut se faire qu’aux dépens d’une victime. C’est en s’attaquant à une tierce personne, en l’humiliant et la discréditant, qu’il cherche à se grandir. Il prend d’ailleurs un malin plaisir à voir souffrir l’autre. Pour atteindre sa pleine réalisation, sa jouissance doit être « à double détente », comme la définit l’auteur. C’est même la condition sine qua non pour qu’il y ait perversité. Ainsi, la jouissance se décompose en deux phases : la première consiste à créer l’effet de surprise qui met à mal la victime ; la seconde vise à lui porter un coup fatal qui la terrasse et accentue sa souffrance.

D’une étape à l’autre, le plaisir du pervers narcissique ne fait que s’intensifier. Pour lui, cet acharnement est aussi le moyen d’expulser ses propres souffrances sur l’autre. Paul-Claude Racamier fait également l’hypothèse que le pervers narcissique chercherait ainsi à se détourner de son propre vide intérieur qui, sans proie ni perversion, deviendrait une réalité tangible et insupportable.

4. Quelles sont les stratégies mises en œuvre par le pervers narcissique ?

Le pervers narcissique est de ceux qui agissent et non de ceux qui réfléchissent. La clé de son efficacité : la rapidité. Il doit effectivement manœuvrer sans que sa victime ait le temps de réagir ou d’anticiper l’attaque. L’effet de surprise fait partie des techniques privilégiées par le pervers narcissique.

Cela lui permet d’avoir toujours une longueur d’avance et d’être pleinement maître de la situation en toutes circonstances. Plus son mode d’action sera méticuleux et organisé, plus le résultat sera à la hauteur du mal qu’il veut infliger. Pour cela, il opère dans l’ombre et dissimule ses véritables intentions. Cette manière de procéder l’aide à instaurer son emprise sur sa victime. Les manœuvres d’intimidation font aussi partie de son répertoire d’actions. Paul-Claude Racamier n’hésite pas à comparer le pervers narcissique aux oiseaux qui cherchent à impressionner, détourner l’attention et sidérer l’adversaire, en exhibant leur plumage de façon ostentatoire et provocatrice.

La victime est chosifiée par le pervers narcissique. Elle est considérée comme une proie dont il va absorber la substance. Son objectif est clair : il veut la détruire en jetant le discrédit sur ses qualités. L’auteur parle de « prédation morale » pour désigner ce processus qui consiste, pour le pervers, à affaiblir et fragiliser le narcissisme de l’autre pour consolider sa propre estime de soi. Dans cette perspective, la parole devient une arme de poids.

Elle prend une importance prépondérante : on parle alors de surinvestissement des mots. Il s’agit d’injecter une « pensée-poison » qui va dévaloriser ou déstabiliser la victime par le biais du mensonge, du non-dit, d’informations fausses, d’insinuations, de calomnies ou de contre-vérités. L’histoire a révélé à quel point cette stratégie pouvait être dévastatrice et efficace, quand elle est exercée par des dictateurs avides d’asservir ou de manipuler leur peuple.

5. Quelles sont les différentes variantes de la perversion narcissique ?

Paul-Claude Racamier met en évidence deux types de perversion narcissique : la version phalloïde, souvent identifiée chez les femmes, qui se définit par une manipulation haineuse et vengeresse ; la version « avantageuse », plutôt masculine, caractérisée par un sentiment de gloire et d’autosatisfaction exacerbé. L’auteur distingue par ailleurs deux mises en œuvre différentes de la perversion narcissique. Les phases ou soulèvements pervers sont temporaires, plus ou moins longs en fonction des circonstances qui les provoquent. A contrario, les organisations perverses offrent un stade plus abouti et s’enracinent dans le temps. Elles peuvent trouver leur apogée dans la folie narcissique.

Celle-ci naît de l’obtention d’un succès qui engendre un sentiment de prestige démesuré. Le pervers ne se fixe plus aucune limite et se laisse gagner par une forme de mégalomanie. Sa conviction d’être invulnérable le pousse à adopter des comportements à risque, prenant la forme de délits, de harcèlements sexuels ou de consommation d’alcool. La chute peut être tout aussi vertigineuse et le suicide en est souvent la concrétisation finale.

Le noyau pervers est un cas particulier où la perversion narcissique se déploie sous l’impulsion d’un ensemble de plusieurs personnes. Celles-ci s’unissent pour saper les fondations d’un autre groupe. Le noyau pervers repose sur une dynamique alternant des actions centripètes, destinées à attirer des partisans malléables, et des actions centrifuges ayant pour vocation d’exclure les individus hostiles et insoumis. Les « noyauteurs » colonisent de façon pernicieuse et progressive un groupe pour mieux s’octroyer le pouvoir. Ils fonctionnent sur le principe de l’endoctrinement, à la manière des dictatures.

Il est à noter que les perversions narcissiques se situent à la frontière de différentes pathologies. L’auteur établit notamment un rapprochement avec la paranoïa. Pour lui, les comportements du paranoïaque et du pervers narcissique se rejoignent sur plusieurs points : l’attitude prédatrice, le mécanisme défensif sur lequel reposent les deux pathologies, mais aussi l’altération de la vérité, puisque l’individu atteint de paranoïa n’accorde de crédit qu’à sa parole. La psychopathie, quant à elle, serait aussi à rapprocher des perversions narcissiques. L’absence de culpabilité et de remords, l’indifférence qui accompagne les actes, tout comme le profil généralement anodin du psychopathe, viennent conforter cette hypothèse.

6. Quelles conséquences la perversion narcissique a-t-elle sur autrui ?

Lorsqu’un individu est confronté à un pervers narcissique, il perd son statut de personne pour devenir une marionnette manipulable à volonté. Il est totalement dépossédé de son individualité : ses opinions, ses émotions et ses désirs se trouvent en permanence déconsidérés ou niés, à tel point que la victime ne suscite ni jalousie ni haine chez le pervers narcissique.

Paul-Claude Racamier propose de parler d’« objet ustensilitaire » ou d’« objet-non-objet » pour désigner le statut conféré à la victime. Ce qui frappe tout particulièrement l’auteur, c’est le « détournement d’intelligence » qui s’opère. Les victimes se laissent facilement prendre au piège et manipuler. Leurs capacités à analyser et à penser sont neutralisées, les mettant ainsi à la merci du pervers narcissique. Elles semblent perdre toute lucidité et toute réactivité intellectuelle qui leur permettraient de voir clair dans le jeu de leur adversaire. Leur liberté d’agir et de penser en est considérablement réduite.

Les agissements du pervers narcissique engendrent donc de graves conséquences sur le psychisme de la victime. La blessure narcissique est profonde et l’unité du moi se fissure. Bien sûr, l’instinct de préservation pousse la victime à se rebeller, ce qui peut avoir un effet encore plus délétère en instaurant un cercle vicieux d’attaques réciproques. Il est néanmoins possible de se libérer de l’emprise d’un pervers narcissique grâce à un travail psychanalytique permettant de se reconstruire et rétablir les vérités. Dans le cas d’un noyau pervers, les effets sont tout aussi dévastateurs, si ce n’est qu’ils sont de plus vaste envergure. Des clivages et une dégradation des relations s’installent dans les groupes soudés.

À plus grande échelle, ce sont des peuples entiers qui souffrent de la folie narcissique d’un leader, comme dans le cas du nazisme. Le non-respect des valeurs et des règles, l’étouffement des initiatives personnelles, le détournement de la vérité sont quelques-unes des conséquences les plus pernicieuses et les plus néfastes pour le bien-être de chacun.

7. Conclusion

Au fil des pages, Paul-Claude Racamier décrit un être sans scrupule, qui aspire l’énergie de l’autre pour se protéger de ses propres souffrances et de son vide intérieur. Car tel est bien le pervers narcissique qui cherche à panser son mal-être et son narcissisme meurtri, en faisant de sa victime un objet à humilier pour se faire valoir.

La perversion narcissique est un véritable fléau social dont les ravages sont terribles et qui oblige les victimes à se reconstruire par le biais de psychothérapies.

8. Zone critique

Les travaux de Paul-Claude Racamier sur les perversions narcissiques ont constitué un apport considérable pour la psychanalyse. De nombreux spécialistes ont étoffé l’analyse de ce concept au fil des années. Tout comme son confrère, le psychanalyste Alberto Eiguer s’est particulièrement intéressé au sujet et s’accorde lui aussi à mettre en avant le caractère ordinaire du pervers narcissique, ce qui lui permet de se fondre dans la foule.

Dans la lignée de Paul-Claude Racamier, les psychanalystes s’accordent à souligner la dimension prédatrice du pervers narcissique. Si lui utilise la notion de parasitisme, d’autres préfèrent parler de conduite vampirique, tels que la psychiatre Marie-France Hirigoyen ou la psychanalyste Simone Korf-Sausse. Les diverses études réalisées révèlent le lien étroit entre la perversion narcissique et les conduites déviantes identifiées chez les criminels ou les agresseurs sexuels, ce qu’avait déjà pressenti Paul-Claude Racamier dès l’écriture de son ouvrage.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé— Les Perversions narcissiques, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2012.

Du même auteur— Le Deuil originaire, Paris, Payot, 2016— L'esprit des soins - Le cadre, 2001— L'Inceste et l'incestuel, Paris, Dunod, 2010 [1995].— Les Schizophrènes, Paris, Payot-poche, 2001 [1980].

Autres pistes— Alberto Eiguer, Le Pervers narcissique et son complice, Paris, Éditions Dunod, 2012.— Sigmund Freud, Pour introduire le narcissisme, Paris, Éditions Payot, 2012.— Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral – La Violence perverse au quotidien, Paris, Éditions Pocket, 2018.— Heinz Kohut, Le Soi – La Psychanalyse des transferts narcissiques, Paris, PUF, 1974.— Francis Pasche, « Définir la perversion », Revue française de psychanalyse, n° 47-1, 1983, p. 396-402.— Paul-Claude Racamier, Le Génie des origines, Paris, Éditions Payot, 1992.

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