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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Les corridors du quotidien

de Paul Fustier

récension rédigée parValentine ProuvezÉducatrice spécialisée, doctorante en Études Psychanalytiques (Montpellier, Université Paul Valery).

Synopsis

Psychologie

Dans cet ouvrage, Paul Fustier questionne les pratiques des éducateurs spécialisés dans les institutions proposant un hébergement de personnes qualifiées de « cas sociaux », « délinquantes » ou « caractérielles ». Son attention se porte sur ce qui se joue dans les cadres de la du quotidien, en particulier sur les « crises » et sur les situations qui tendent à les déclencher. En analysant ces observations à la lumière des théories du psychanalyste Donald Woods Winnicott (1896-1971), Fustier propose ici à la fois une interprétation de problématiques récurrentes dans cet accompagnement à la

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1. Introduction. L’accompagnement à la « vie ordinaire »

L’accompagnement à la vie quotidienne constitue un aspect essentiel du travail de l’éducateur spécialisé qui demeure aujourd’hui encore insuffisamment analysé. De nombreuses institutions proposent en effet un dispositif d’accompagnement en internat : ces solutions sont par exemple proposées à des personnes connaissant de graves difficultés socio-économiques, à des personnes en situation de handicap (physique ou psychique) qui doivent être accompagnées dans certains gestes de la vie quotidienne, à des enfants qui ne peuvent résider au domicile familial en raison d’une situation de rupture ou de l’ordonnance d’une mesure de protection par le juge…

Dans de tels dispositifs, le travail qui est réalisé par les équipes éducatives dans les « corridors du quotidien » – ce que Paul Fustier appelle aussi « l’accompagnement à la vie ordinaire » – joue un rôle absolument déterminant. Il est complémentaire des différents « traitements », soins ou thérapies spécifiques qui peuvent y être proposés. Dans les institutions du travail social, en effet, les « effets de changements » ne se jouent bien évidemment pas seulement dans le bureau du psychologue ou à travers la réalisation d’actions spécifiques (par exemple la prescription d’un traitement médicamenteux, l’établissement d’un partenariat renforcé avec l’éducation nationale…).

Le partage de la vie quotidienne, parce qu’il ne peut manquer d’évoquer de près ou de loin le cadre de la vie familiale, produit, de la même façon qu’un entretien psychologique, une réactualisation de certaines scènes ou problématiques qui devront donc être analysées et « traitées » dans ce cadre. Or, cette réactualisation engendre bien souvent des situations de « crise » que les équipes éducatives, autant que les personnes qu’elles accompagnent, peinent à canaliser tant qu’elles n’en comprennent pas les tenants inconscients.

2. Des problématiques récurrentes

Les « crises » et conflits se manifestent de façon récurrente dans le quotidien des institutions sociales, ou médico-sociales. C’est en particulier le cas dans les établissements qui accueillent ces enfants dits « asociaux », « caractériels » ou « délinquants ». Pour ces derniers, c’est le partage du quotidien en lui-même qui semble bien souvent produire ces épisodes de crise : toute situation qui évoque un peu trop fortement ce qui se joue ordinairement dans la vie familiale, et même pour certains le simple fait d’avoir à vivre sous le même toit.

Dans la vie institutionnelle, certaines dates ou événements repérés comme « critiques » sont d’ailleurs fréquemment redoutées : ce sont par exemple les fêtes de fin d’année, mais aussi pour chacun des enfants accompagnés des périodes « anniversaires ». Les équipes éducatives savent cependant que ces situations ne peuvent être évitées : n’importe quel détail de la vie quotidienne est susceptible de les déclencher. Les motifs de ces conflits se cristallisent par ailleurs dans la relation d’accompagnement, notamment lorsque ces enfants identifient inconsciemment les éducateurs spécialisés à des figures parentales : les soins font souvent revenir la représentation inconsciente de la mère; un simple rappel à la loi peut rappeler la figure autoritaire du père ; la confidence ou le conseil peuvent éveiller l’image du frère, par exemple.

C’est en raison de leur caractère évocateur et de la puissance des souvenirs, des désirs et problématiques familiales ainsi réveillés que les actes les plus anodins de la vie quotidienne peuvent donner lieu à des conflits difficilement « contenables ». Ces phénomènes, si fréquents dans la vie institutionnelle, constituent pour les travailleurs sociaux une source de difficultés majeure et peuvent entraîner des conséquences dramatiques : les « passages à l’acte » violents marquent en effet durablement les esprits – tant du côté des équipes que des personnes accompagnées –, quand ils n’induisent pas tout simplement une rupture des démarches d’accompagnement.

À travers ces situations « catastrophiques », ce sont ainsi ces scénarii d’échec ou d’exclusion – qui constituent des problématiques récurrentes dans le parcours de vie des personnes accompagnées – qui tendent ainsi à se répéter… Et donc aussi à se renforcer. Une question s’impose donc prioritairement à la réflexion des institutions sociales, médico-sociales, et aux travailleurs sociaux qu’elles emploient : si le partage du quotidien produit une réactualisation des problématiques familiales et de leurs incidences « désastreuses » dans le parcours de vie des personnes accompagnées, comment pourrions-nous cependant sortir de cette logique de répétition ?

3. Quand la « réponse » alimente paradoxalement le « problème »

À l’origine des « tendances asociales » de nombreuses personnes accueillies dans ces institutions – de leur difficulté à supporter le collectif, le cadre et tout ce qui est de nature à provoquer une frustration –, on peut le plus souvent identifier l’existence de carences affectives et de traumatismes liés à leur histoire familiale. C’est en particulier le cas pour ces enfants qui bénéficient d’une mesure de protection ordonnée par le juge : la maltraitance, le manque d’attention et de soins, l’abandon sont les causes les plus fréquentes d’un « placement » en institution. C’est à la souffrance, aux angoisses et aux besoins affectifs qui en découlent que les éducateurs spécialisés tentent prioritairement de répondre par leur accompagnement.

Traditionnellement, Paul Fustier repère que cette réponse est pensée du côté du « don d’amour » inconditionnel, du « maternage », censé pouvoir « réparer » les carences et blessures inhérentes à cette histoire traumatique : on tente ainsi de répondre à un « vide » en apportant du « plein ». Cette conception « dévouée » et « maternante » de l’accompagnement éducatif plonge ses racines dans les origines caritatives du travail social : celui-ci n’était pas, au départ, un ensemble de professions, mais un don spontané de soi et de ses ressources pour aider ceux que l’on appelait alors les « pauvres » ou les « malheureux ».

Cette représentation historique de « l’aide sociale » comme réponse à une détresse, à un « appel au secours », comme effort pour combler un vide ou compenser un manque prévaut encore aujourd’hui. Or, Paul Fustier repère que celle-ci produit paradoxalement un effet de renforcement des « tendances asociales » et des situations de violence.

Si la « demande d’amour » est manifeste chez de nombreux « usagers » (elle peut aisément être reconnue derrière des demandes adressées « sans fin »), il semble en effet que plus les professionnels multiplient leurs efforts pour y répondre – parfois jusqu’à négliger ou abandonner complètement leur vie personnelle –, plus s’exacerbent les situations de conflit. Par exemple à la période de Noël ou à l’occasion des fêtes institutionnelles, le fait que les éducateurs soient particulièrement présents et « généreux » pour apaiser la souffrance qu’ils perçoivent (ou se représentent) chez l’enfant peut paradoxalement induire des comportements « débordants », voire violents.

4. L’institution comme expérience de la « transitionnalité »

Paul Fustier s’appuie sur les notions de « dévotion maternelle » et de « mère suffisamment bonne » conceptualisées par Winnicott pour analyser ces phénomènes. Il va en effet soutenir que la problématique qui se pose dans l’accompagnement des personnes accueillies en institution est que celui-ci est exclusivement pensé du côté de la « dévotion maternelle », alors qu’il devrait s’élaborer à partir du second modèle. Héritières des conceptions caritatives de l’aide sociale, on retrouve en effet d’un côté cette représentation de la personne accompagnée comme « manquante », « carencée » et « appelant au secours »…

Et de l’autre cette représentation du travailleur social comme celui qui sait reconnaitre les besoins de la personne et répond inconditionnellement à ses demandes. On retrouve ici les caractéristiques de ce que Winnicott décrit comme le mode de relation primitif entre la mère et son enfant : le stade de la « pleine » dévotion maternelle, qui se produit « normalement » durant les premières semaines succédant à la naissance. La mémoire du nourrisson est alors vierge de toute expérience et celui-ci est donc incapable de conférer du sens aux excitations qu’il ressent. Sa survie dépend totalement du fait qu’une personne comprenne ce dont il a besoin et consacre toute son attention à y répondre.

Les premiers soins apportés par la mère, les sensations de plaisir liées à l’apaisement d’un inconfort ou d’un manque (par exemple le froid, ou la faim) laissent une impression profonde dans son psychisme. Il aura ainsi tendance à réinvestir ces souvenirs lorsque se manifestera de nouveau la sensation de manque, car le bébé rêve les conditions de la satisfaction, et l’intervention « réelle » de la mère fait exister ce rêve en réalité. Il vit alors une expérience « magique » dans laquelle désir et réalité sont des équivalents : le manque, et jusqu’à la distinction entre « soi-même » et un autre sont totalement absents ; il s’agit d’une expérience primitive de « pleine satisfaction ».

Mais pour que le bébé puisse devenir autonome et accéder à sa propre identité, la tâche de la mère sera désormais de le « désillusionner » en le laissant éprouver progressivement cette sensation de manque, nécessaire à la reconnaissance de la réalité : elle ne répond plus immédiatement aux « appels » et laisse l’enfant expérimenter ses propres tentatives pour apaiser ses sensations de manque. Elle devient ainsi « normalement » à ce stade « suffisamment bonne », c’est-à-dire « juste assez bonne » : attentive sans être entièrement dévouée au bien-être de l’enfant.

5. Conclusion

Selon Fustier, la demande inconditionnelle de présence et « d’amour », exprimée par de nombreuses personnes accueillies en institution, montre que celles-ci ne sont pas parvenues à accomplir « sereinement » ce passage de l’illusion primaire à l’acceptation de la réalité. Quelque chose – une rupture de la relation avec la mère, des traumatismes précoces –fait que ne s’est pas accompli ce que Winnicott appelle le développement de la « transitionnalité ». Au lieu de rechercher comment satisfaire leurs désirs « en réalité », ces personnes poursuivent ainsi inconsciemment un idéal impossible : celui de retrouver les conditions d’une « pleine » satisfaction, dans une relation de fusion. Il importe que les éducateurs comprennent que c’est ce processus de deuil d’une illusion archaïque qu’ils ont souvent à accompagner.

En ce sens, leurs tentatives de répondre à ces demandes (inextinguibles) en se dévouant « corps et âme à la relation » ne peut qu’entraîner la répétition d’un échec. Il s’agit donc de permettre à ces personnes « fragilisées » par leur histoire familiale de développer ces capacités psychologiques essentielles que sont la « capacité d’être seul », la tolérance à une certaine quantité de frustration, afin qu’elles puissent imaginer par elle-même de quelle façon répondre aux manques qu’elles éprouvent. Il n’y qu’à cette condition que l’absence de l’autre ou le fait qu’il ne réponde pas exactement à nos demandes peut devenir supportable. La continuité de l’accompagnement éducatif réalisé au quotidien apparaît ainsi aux yeux de Fustier comme le cadre idéal à partir duquel pourrait se réaliser ce travail de désillusion progressive, s’ouvrant sur l’acquisition d’un sentiment de confiance et donc d’autonomie.

6. Zone critique

Publié en 1993, cet essai est l’un des tout derniers ouvrages publiés par Paul Fustier et opère ainsi la synthèse des travaux de recherche qu’il a engagés durant plus de 25 ans. Cet ouvrage constitue depuis sa publication une référence classique dans la formation des travailleurs sociaux et demeure fréquemment commenté dans les publications contemporaines. Il n’a pas fait l’objet de controverses.

La réflexion et les conceptions théoriques auxquelles Fustier fait appel pour soutenir son analyse sont par ailleurs exprimées avec une grande clarté. Les situations de terrain étayent le propos et soutiennent la compréhension du lecteur. Il s’agit donc d’un livre accessible aux « non-spécialistes ».

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Les corridors du quotidien, Clinique du quotidien et éducation spécialisée en institution, Paris, Dunod, 2008 [1993].

Du même auteur– L'Identité de l'éducateur spécialisé [1972], Paris, Dunod, 2009.– L'enfance inadaptée, repères pour des pratiques, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1983.– Pouvoir et formation/Pratiques de formation et travail social, Paris, Épi, 1976.

Autres pistes– René Kaës, (coll.) Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels, Dunod, 1996.– Donald Woods Winnicott, Jeu et Réalité [1971], Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2007, p.190.

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