Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Paul Watzlawick
Le premier pas vers la joie ? Apprivoiser son malheur ! Le célèbre psychologue Paul Watzlawick, membre fondateur de l'École de Palo Alto, nous apprend, en maniant le second degré en virtuose, à nous réconcilier avec nos névroses les plus banales. Ce petit livre est un manuel parodique, qui fonde son argumentaire sur des exemples littéraires, philosophiques et historiques, et vise à nous donner le mode d’emploi, clés en main, pour faire de sa vie un enfer. Avec, en filigrane, une révélation pour le lecteur : il tient le bonheur entre ses mains !
Vivre une existence, faites de conflits perpétuels semble à la portée de tout un chacun. Mais cultiver le sentiment de malheur seul, dans son for intérieur, constitue un autre niveau de difficulté, accessible seulement aux experts. Accéder à cette expertise, en se donnant les moyens de faire de sa propre vie un enfer et de soi-même son pire ennemi : voilà ce que propose ce petit livre intelligent et plein d'humour, parodie des guides pratiques à la mode.
Exercices pratiques à la clé, l’auteur recense les 14 moyens de devenir l'artisan de son propre malheur : soit ceux que nous pratiquons déjà sans avoir besoin de conseil (ruminer sur le passé, ou exiger de la personne aimée qu'elle partage tous vos goûts), soit ceux qui exigent un apprentissage.
Le fait que l’homme ne soit pas fait pour s’accommoder de la pure béatitude est un lieu commun depuis des temps immémoriaux. D’ailleurs, le bonheur, à l’état pur, semble un sentiment très difficile à atteindre. Il y a longtemps que l’on nous dit que la poursuite du bonheur débouche sur le bonheur. Ce que nous croyons naïvement. Mais le terme même de bonheur n’est guère susceptible de définition. Ainsi, Saint-Augustin dénombrait pas moins de 289 opinions sur le bonheur.
Le malheur, lui, semble bien plus accessible. La littérature mondiale a pour matière première les désastres, les tragédies, les catastrophes et les crimes en tous genres. C’est d’ailleurs cela qui fait le sel de la lecture. En réalité, nous avons besoin du malheur pour nous sentir bien. Alors que nous sommes submergés par des manuels et guides consacrés à la poursuite du bonheur, « notre monde ne doit plus se voir refuser la bouée de sauvetage dont il a tant besoin », déclare malicieusement l’auteur (p. 1). Paul Watzlawick présente la fabrication de l’enfer personnel comme un secret jalousement gardé par la psychiatrie et la psychologie, et comme un « talent ». Il dédit le livre aux lecteurs qui n’ont pas acquis la maîtrise de ce talent. Être malheureux est à la portée du premier venu, mais se rendre malheureux relève d’une technique qu’il faut apprendre.
Il précise que l’entreprise n’est pas seulement altruiste, mais qu’elle revêt une réelle importance politique et sociale, tant les gouvernements modernes de tous bords dépensent des sommes vertigineuses (santé publique, dépenses à caractère social…) pour que leurs citoyens accèdent, du berceau à la tombe, à un bonheur parfait. À la clé, une réelle industrie et des millions d’emplois, à préserver à tout prix. « L’État moderne a (…) besoin de l’impuissance et du malheur toujours croissant de ses citoyens » (p.13).
L’auteur liste une série d’attitudes qui contribuent à faire de nous notre pire ennemi. D’abord, la glorification du passé : voir sa jeunesse comme un paradis perdu ; source inépuisable de nostalgie.
S’obstiner dans son chagrin après une rupture amoureuse, et ce, contre l’avis de tous ses proches et alors même que l’on savait la relation désastreuse. Puis se lancer dans une relation identique avec un partenaire similaire. Ou encore, vivre étouffé par les remords pour avoir franchi un premier pas nocif et irréparable (par exemple, la première cigarette). Puis s’en défausser sur d’autres coupables : Dieu, le destin, les médecins, les patrons, les amis… C’est aussi se fixer un but sublime et inatteignable, sous prétexte que la réalité détruit le rêve. Ce qui justifie, envers soi-même et envers le monde, le fait de ne jamais atteindre son objectif.
Autre type d’attitude pernicieuse : le refus de tous les compromis, sous couvert de loyauté avec soi-même. S’attacher à un adage (« Mieux vaut tenir que courir », « Qui ne risque rien n’a rien », etc.) et en faire sa règle de vie, jusqu’à parvenir à la conviction qu’il n’existe qu’un seul point de vue : le sien propre. Préférer considérer le monde tel qu’il devrait être plutôt que tel qu’il est et rejeter systématiquement les conseils d’autrui, même contre son intérêt. Également propre à faire notre malheur : persister dans une attitude absurde et sans fondement, envers et contre tout. Par exemple, chercher un objet perdu là où l’on sait qu’il n’est pas, simplement parce qu’il est plus près de soi. En somme, s’arc-bouter sur la conservation forcenée d’ajustements et de solutions qui peuvent avoir été bonnes autrefois, mais en ignorant le fait que toutes les situations changent avec le temps. Double effet à cet aveuglement : il rend la situation de plus en plus désespérée, et conduit à s’enfoncer dans le malheur.
Autre manière de se complaire dans le malheur : refuser de penser que l’on puisse être aimé pour soi. Soupçonner chez son partenaire un quelconque intérêt, motivé par un égoïsme caché, conduit à une impasse, par exemple celle de la relation masochiste. Surtout si s’y ajoute l’impossibilité d’aimer quelqu’un qui nous aime. Solution lancée ironiquement par l’auteur : s’éprendre d’une personne mariée ou inaccessible (prêtre, vedette…). Une clé pour cultiver son mal-être peut être aussi de porter aux manifestations d’altruisme – de soi-même ou d’autrui – des mobiles cachés. Enfin, pratiquer la paranoïa : être adepte de la méthode Coué, pour se persuader qu’on nous veut du mal et cultiver la théorie du complot permanente.
Partant de la certitude que nous sommes livrés sans défense à des pouvoirs échappant à notre maîtrise, Paul Watzlawick « conseille » l’évitement permanent, qui empêche, au final, de voir si le danger existe toujours. Le philosophe Karl Popper a exposé l’idée selon laquelle ce sont les actes mêmes par lesquels Œdipe cherche à éviter l’accomplissement de la prophétie – il épousera sa propre mère – qui aboutissent à la fatale vérification de l’oracle. Ressasser un sujet est aussi une source de malheur : une idée, pour peu qu’on s’y accroche avec conviction, finit par produire sa propre réalité.
Une situation qui se vérifie aussi à l’échelle de la société tout entière, pointe l’auteur. Par exemple, plus un pays se sentira menacé par son voisin, plus il s’armera, provoquant ainsi en retour une réaction défensive. Et toute prédiction d’une pénurie (réelle ou supposée) conduira les gens à se ruer dans les magasins pour faire des stocks, entraînant ainsi la pénurie annoncée. Paul Watzlawick cite l’anecdote d’un homme qui jette de la poudre anti-éléphants du train au sein de la campagne française, et qui se félicite de l’efficacité de son remède, vu qu’il n’y a aucun pachyderme.
Il est également conseillé, pour se rendre malheureux, de ne pas douter qu’un grand nombre de nos activités quotidiennes (sport, conduite automobile, pollution de l’air…) recèle un élément de danger. Et de se calfeutrer chez soi pour éviter ceux-ci. Mais la sécurité même du foyer est toute relative : risque de chute dans les escaliers, risques liés au feu, au gaz, à l’électricité… Sans parler des tremblements de terre. Enfin, il conviendra de limiter au minimum les contacts avec les étrangers et leurs coutumes dérangeantes. Les mêmes gestes (en matière de séduction, par exemple) ne sont en effet pas porteurs du même sens partout, et chacun a vite fait de se mettre en danger en se livrant à un geste anodin chez soi. Bref, pour éviter d’être déçu, mieux vaut rester chez soi, en terrain connu.
Paul Watzlawick rappelle la célèbre citation de Sartre : « L’enfer, c’est les autres ». Et la détourne pour en tirer toute une série de pistes visant à faire, soi-même, vivre un enfer à son entourage. Il aborde les différentes manières de « rendre l’autre fou », en exploitant les leçons du savoir-faire des « Professionnels de la Démolition des Relations ». Il donne l’exemple de la participation « librement choisie » à une activité thérapeutique unique « proposée » dans les établissements psychiatriques. Si le patient refuse, c’est une preuve de sa pathologie, mais c’est aussi le cas s’il accepte.
Autre manière efficace de compliquer sa relation avec autrui : lui proposer le choix entre deux possibilités, et lui reprocher systématiquement son choix. Paul Watzlawick préconise trois exercices. Primo, demander deux services successifs à quelqu’un et se plaindre qu’il ne se consacre pas assez à l’un d’eux ; et s’il s’en offusque, se plaindre de ses sautes d’humeur. Ou bien, dire ou faire quelque chose à quelqu’un qu’il peut ou non interpréter comme un trait d’humour ; et, selon son attitude, lui reprocher de ne pas prendre au sérieux un sujet important ou de manquer d’humour. Ou encore, accuser son partenaire, quoi qu’il fasse, de vous manipuler. « Il s’agit donc d’une tactique qui, outre qu’elle permet à son utilisateur de faire sans cesse la preuve de son bon droit et de sa normalité, présente l’avantage d’assurer au couple le malheur maximum », pointe-t-il avec malice (p. 79). Pour une perversité maximale, on peut appliquer à la lettre la devise officieuse du puritanisme : « Fais ce que tu veux, à condition de ne pas t’amuser », en culpabilisant ou en faisant culpabiliser autrui de tout.
L’injonction paradoxale portée par l’exigence de spontanéité est particulièrement efficace pour ruiner l’existence de son entourage. En effet, en matière de spontanéité, ou bien l’on agit spontanément, à savoir de sa propre volonté, soit l’on obéit à un ordre, et dans ce cas la spontanéité s’évanouit. D’un point de vue purement logique, il est impossible de faire les deux à la fois. C’est ce que méconnaît la mère qui exige de son fils qu’il fasse ses devoirs, non pas parce que c’est la règle, mais parce qu’il devrait aimer cela. Ou l’épouse dont le conjoint exige non seulement qu’elle satisfasse à tout instant ses envies sexuelles, mais aussi qu’elle y prenne du plaisir. De quoi plonger la personne dans une profonde culpabilité, que l’on peut ensuite, qui plus est, utiliser contre elle. Et la mener aux portes de la dépression.
Paul Watzlawick cite le psychologue Alan Watts a dit que la vie est un jeu, dont la règle numéro 1 est la suivante : « Attention, ce n’est pas un jeu, soyons sérieux ! » Depuis les années 1920, il existe même un domaine des mathématiques supérieures, la théorie des jeux. Le jeu désigne ici cadre conceptuel, gouverné par un corpus de règles qui déterminent, à leur tour, les comportements possibles des participants (les joueurs). Les chances de gain sont d’autant plus grandes que l’on applique au mieux les règles.
Paul Watzlawick distingue entre deux catégories de jeux : ceux dans lesquels la somme des gains et des pertes est égale à zéro et les autres. La première est celle où les pertes d’un joueur constituent les gains d’un autre. Dans la seconde, gains et pertes ne s’annulent pas : leur somme peut être inférieure ou égale à zéro. Autrement dit, les deux joueurs en présence peuvent gagner ou perdre. Les relations humaines sont-elles des jeux à sommes zéro ? Les opinions sont partagées.
Mais la réponse est oui si la question se résume au fait de savoir qui a raison ou tort. Et c’est bien le cas d’un grand nombre de relations, dans lesquelles l’on aurait seulement le choix entre la défaite et la victoire. Mais une telle configuration constitue à tous les coups un véritable enfer. Dans cette optique, les joueurs perdent de vue que le principal adversaire est la vie, et tout ce qu’elle a à offrir en dehors de la victoire ou de la défaite.
Seule une règle simple pourrait mettre fin à ce jeu malsain : loyauté, tolérance, confiance… une règle dont nous avons, au fond, toujours eu connaissance en l’esprit. Mais dont nous sommes beaucoup moins persuadés dans les tripes. « Le croire, ce serait non seulement savoir que nous sommes les artisans de notre propre malheur, mais comprendre que nous pourrions tout aussi bien construire notre bonheur », conclut l’auteur (p. 113).
En guise de synthèse, il cite Dostoïevski, dans Les Possédés : « Tout est bien… Tout. L’homme est malheureux parce qu’il ne sait pas qu’il est heureux. Ce n’est que cela. C’est tout, c’est tout : Quand on le découvre, on devient heureux aussitôt, à l’instant même… » (p.114). De fait, si la question du bonheur humain est désespérée, la solution, elle, est désespérément simple. Notre bonheur est entre nos mains : à nous de ne pas le gâcher en nous mettant martel en tête pour tout et pour rien.
Une œuvre légère, originale et plutôt inattendue parmi les multiples ouvrages traitant généralement de façon beaucoup plus « raisonnable » de psychologie. Avec ironie et humour, l’auteur présente une méthodologie inversée par laquelle il indique quelques exercices salutaires pour nous défaire de toutes nos misères intellectuelles et affectives.
Cet ouvrage est donc une introduction pratique à la psychologie de l'individu et de la communication, un excellent moyen d'entrer dans le monde de la psychothérapie brève de Palo Alto. Il constitue une lecture rapide, qui conviendra à un public peu exigeant de développements argumentatifs et conceptuels, mais qui devrait laisser sur sa faim les lecteurs en recherche d'une théorisation plus poussée.
Ceux-ci gagneront à se tourner vers Changements : paradoxes et psychothérapie, du même auteur, qui apprend davantage sur le processus du changement.
Ouvrage recensé– Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur, Paris, Points Essais, 2014 [1984].
Du même auteur– Comment réussir à échouer. Trouver l'ultrasolution, Paris, Seuil, 2014.– Janet Helmick Beavin, Don d. Jackson, Une logique de la communication, Paris, Seuil, 2014.– Paul Watzlawick, John Weakland, Richard Fisch, Changements, Paradoxes et Psychothérapie, Paris, Seuil, 2014.
Autres pistes– Giorgio Nardone, La stratégie de résolution de problèmes : L'art de trouver des solutions aux problèmes insolubles, Paris, Enrick B. Editions, 2017.– Jean-Jacques Wittezaele, Teresa Garcia-Rivera, À la recherche de l'école de Palo Alto, Paris, Seuil, 2014?