Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Peter Singer
Peter Singer considère La libération animale comme « le plus important » de ses livres, car il est au fondement de l’éthique animale et au cœur de toutes les discussions, tant théoriques que pratiques, sur le sujet. Sujet brûlant et d’actualité, ce livre est fondateur. Il incite à l’action et à la remise en cause de notre pensée et de notre rapport aux animaux. De style clair et pédagogique, il s’adresse à tous pour avoir l’impact le plus large possible. Le but est donc clair et affiché : étendre le champ de l’Éthique aux animaux et changer nos habitudes de domination.
Trois grands mouvements structurent le livre pionnier de Peter Singer : l’un qui établit le fondement de l’égalité, non de condition, mais d’intérêt et de considération de l’humain et de l’animal en raison de leur nature sensible commune ; le second qui recense les maltraitances subies dans le cadre de l’expérimentation scientifique militaire et industrielle sur les animaux qui les réduit à de simples outils de recherche puis, dans celui l’industrie alimentaire qui en fait une simple matière première : la viande ; le troisième qui prescrit une solution pour cesser de causer des souffrances à ces êtres pourvus de sensibilité et capables de ressentir la douleur : le végétarisme.
Changer les habitudes de pensée : voici son objet. Mais pour pouvoir transmettre une nouvelle pensée, il faut tout de même employer des mots anciens sous peine qu’elle soit incommunicable. Ainsi, le mot animal est employé au sens : « animaux autres que les humains » sachant que l’homme est un animal. Il utilise un langage populaire pour être lu et diffusé : « Les principes fondamentaux de la libération animale sont très simples. J’ai voulu écrire un livre clair et facile à comprendre » (p. 63).
La préface de 1975 précisait l’objet de l’éthique animale comme extension de l’éthique aux animaux et excluait toute considération sentimentaliste. Il précisait que « tous les animaux, que nous les aimions ou non, ont droit aux mêmes égards ».
Une grande partie du livre est consacrée à montrer comment les animaux souffrent de la tyrannie des humains afin de provoquer l’indignation et susciter l’action. L’émotion doit toujours être secondée par la raison. Un mouvement de libération est « l’exigence que soit mis un terme à un préjugé et à une discrimination basés sur une caractéristique arbitraire tels le sexe ou la race ». Cela demande un élargissement de notre horizon moral. Des pratiques auparavant considérées « naturelles » comme manger de la viande sont alors vues comme la résultante de préjugés injustifiables. Le premier handicap que doit dépasser le mouvement de libération animale est que les membres du groupe exploité ne peuvent agir pour leur libération. Le second est que les exploiteurs qu’il faut convaincre mangent tous de la viande et considèrent cet acte comme légitime et naturel aux usages de l’espèce.
Peter Singer définit l’éthique animale comme : « l’étude de la responsabilité morale des hommes envers les animaux ». Il convient de ne pas la confondre avec le droit animalier dont on lui attribue souvent, par erreur, la paternité. Le droit des animaux a été inventé par Thomas Regan, spécialiste de philosophie morale, en 1983, dans le « Droit des animaux ». Le concept de « libération » assume l’héritage de l’abolition de l’esclavage et se situe dans le sillage des mouvements de libération des Noirs, des Indiens, des femmes et des homosexuels. L’auteur étend donc la considération des questions éthiques au-delà de la sphère de l’espèce humaine.
Il existe deux familles dans l’éthique animalière : les Welfaristes qui militent pour moins de souffrance animale et les abolitionnistes qui souhaitent la fin de toute exploitation animale par l’humain, que ce soit pour se nourrir, ou une quelconque de ses activités. Le terme welfarisme vient de l’anglais « welfare », « bien-être », et mesure la valeur éthique d’une action à ses conséquences. Les Welfaristes sont des réformistes. Les abolitionnistes contestent la légitimité des réformes et souhaitent la fin de l’exploitation animale et de l’élevage.
Peter Singer, en dépit de la radicalité de son engagement est plutôt souple et vise davantage la propagation pacifique de ses idées que la pureté éthique. Il s’inscrit dans la lignée de ses modèles d’action que sont Martin Luther King et Gandhi. Son objectif n’est pas la pureté doctrinale, mais l’efficacité : ce qu’il rappelle dans la préface de l’édition de 1992.
Le principe éthique sur lequel repose l’égalité humaine exige que nous étendions l’égalité de considération aux intérêts des animaux.
L’égalité de traitement n’est pas une égalité de condition, mais de considération. Tous les vivants ont droit au même égard. « Si l’exigence d’égalité entre humains se fondait sur l’égalité de fait entre eux, il faudrait y renoncer ». « L’égalité est une idée morale et non une question de fait » (p. 70). Il se réfère ainsi à Jérémy Bentham, philosophe utilitariste, qui exprime de la manière suivante ce principe : « Que chacun compte pour un et qu’aucun ne compte pour plus d’un » (p. 71).
Il est donc nécessaire de lutter contre le spécisme (parti pris en faveur des membres de son espèce contre ceux des autres espèces) de la même manière que l’on lutte contre le racisme ou le sexisme.La question dans notre rapport à un être vivant n’est pas « Peut-il parler ? », mais, peut-il souffrir ? La capacité à souffrir et à éprouver du plaisir donne le droit à l’égalité de considération. Le droit minimal est celui de ne pas souffrir. La plus grande partie des humains se range dans la catégorie des spécistes au prétexte que les animaux n’ont pas d’intérêt à défendre. Si la douleur ne se voit pas, elle se manifeste par des signes dont on ne peut raisonnablement douter. Des systèmes nerveux analogues fonctionnent de manière semblable. Il est donc acquis que non seulement les animaux ressentent de la douleur, mais qu’ils ressentent des affects pénibles comme la peur et la terreur.
Autrement dit, ils souffrent. Une aptitude mentale supposée moindre n’est en aucun cas une justification à faire souffrir. Cet argument de Singer a fait scandale et pourtant il ne s’agit que d’étendre la sacralité de la vie à l’ensemble du vivant sensible et non de l’ôter aux humains.
Cependant, la mise en balance de la vie d’un enfant et de celle d’un chien est difficilement admise dans les pays européens à forte tradition chrétienne ou humaniste. « Le droit à la vie ne découle pas de la simple appartenance à l’espèce Sapiens » (p. 91). Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit aussi grave de retirer la vie à un chien qu’à un enfant, mais simplement qu’une comparaison est possible, que la frontière de l’espèce ne suffit pas pour l’interdire. Il s’agit surtout d’intégrer « les animaux non humains dans la sphère de nos préoccupations morales » (p. 94).
L’inventaire des maux que l’humain inflige aux animaux est recensé ad nauseam dans les chapitres 2 et 3. Peter Singer a dépouillé les archives de l’armée américaine comme des centres de recherche expérimentale et rapporte des cas insoutenables de maltraitance animale dépourvue en plus de toute utilité probante.
Il rapporte ensuite une série d’expériences non militaires en psychologie expérimentale, aussi cruelles et inutiles que les précédentes. L’enquête révèle qu’il ne s’agit pas de pratiques isolées. 17 à 22 millions d’animaux seraient ainsi maltraités chaque année rien qu’aux États-Unis. Les autres pays, bien sûr, ne sont pas en reste. L’expérimentation animale est une industrie qui traite les animaux comme des biens meubles.
L’animal comme « outil de recherche » fait donc l’objet de mauvais traitements et de tortures en masse. Ce phénomène est une conséquence directe de l’idéologie spéciste. Il existe pourtant d’autres méthodes d’expérimentation promues par des militants comme Henry Spira. Militant animaliste de la première heure, juif exilé d’Anvers à New York, d’abord engagé pour la cause ouvrière, il est devenu journaliste et a couvert les luttes des Noirs américains pour enfin, à la suite de la lecture d’un article de Peter Singer, s’engager dans la lutte pour la cause animale qu’il a menée avec beaucoup d’intelligence et de ténacité et remporté de nombreuses victoires. Des associations antivivisection ont tenté peu à peu d’en promouvoir la mise en place dans certains laboratoires. Que ce soit dans l’industrie du médicament, des cosmétiques ou dans celle de l’alimentaire, la sensibilisation de l’opinion à la souffrance animale a fait son chemin pour faire reculer de telles pratiques. En particulier aujourd’hui, et cet ouvrage y a contribué.
Pour ce qui concerne la recherche médicale, les avancées sont plus lentes, car il est plus difficile d’avancer leur inutilité. Par principe, toute recherche qui produit des douleurs devrait être empêchée. Cependant, Singer ne préconise par l’abandon pur et simple de toute expérimentation. Son pragmatisme le conduit à envisager, dans des conditions exceptionnelles, des expériences sur le vivant. Son éthique ne s’appuie pas sur ces principes absolus, mais sur les conséquences envisagées des actes qu’elle produit. Il est difficile de prouver que les avancées réelles de la médecine sont dues à l’expérimentation animale. Et quand bien même, le droit d’acquérir des connaissances n’est pas sacré et ne peut légitimer d’infliger de la souffrance à quiconque.
Nous n’avons, pour la majeure partie d’entre nous, de lien à l’animal que domestiqué ou mort et réduit à l’état d’aliment. Le lien entre l’animal vivant et le steak ou la tranche de jambon que nous mangeons est occulté par l’industrie agroalimentaire. Tout ce qui pourrait éveiller la conscience des consommateurs est évacué. Or cet usage de l’animal cause la mort de milliards d’entre eux chaque année.
Depuis les années cinquante, l’élevage est industriel. L’image d’Épinal de l’éleveur entouré de ses bêtes dans un pré relève de la mythologie, car le lot commun des animaux d’élevage est bel et bien la maltraitance systématique et la réduction à des biens de consommation. Peter Singer propose donc le végétarisme comme solution. Lui-même étant végétarien depuis 1971.
Son raisonnement est simple : pour faire cesser la souffrance animale, la première chose à faire est de cesser de les manger. Il ne serait pas cohérent de vouloir la libération animale et de continuer à manger leur chair, car ceci implique de leur infliger des souffrances et une mort anticipée. Il est impossible de concevoir une consommation de viande éthique pour les milliards d’humains que nous sommes. Seul est viable un boycott complet de la viande et de tous les produits animaux qui impliquent leur souffrance. Si devenir végétarien ne se fait pas en un jour, cela doit être pour tout défenseur des animaux qui se veut cohérent, un horizon ultime. Toutes les idéologies religieuses ou philosophiques voire biologiques qui ont tendu à légitimer la soumission de l’animal à l’humain pour son usage n’ont servi qu’à fonder des usages égoïstes.
Par ailleurs, sur un plan énergétique et environnemental, la consommation de viande et de poisson contribue à appauvrir la planète et à faire perdurer la sous-nutrition de millions d’êtres humains dans le monde par le mésusage des terres agricoles et la déforestation.
Quarante ans après sa publication, le livre de Singer a de plus en plus d’écho. Le mouvement animaliste est en plein essor : en France l’association L214 mène des actions dans les abattoirs et informe le grand public des abus et mauvais traitement infligés aux animaux. L’opinion publique est de plus en plus sensible au végétarisme pour des raisons éthiques et environnementales.
Certains intellectuels continuent à considérer Peter Singer comme un extrémiste à commencer par Élisabeth de Fontenay dans Le silence des bêtes. Il a fait l’objet de nombreuses critiques depuis sa parution. La première consiste à lui reprocher de ne pas avoir envisagé le Droit animalier que Tom Regan a introduit. L’utilitarisme a ses limites, car un jugement collectif d’utilité peut bien être erroné. La thèse de l’immoralité intrinsèque des mauvais traitements devient problématique. Si le droit animalier doit demeurer une fiction heuristique grâce à laquelle les hommes pourraient se représenter approximativement leurs obligations morales à l’égard des bêtes, il a le mérite de fixer par écrit des limites.
Reste que Peter Singer a, dans ce livre novateur, dessiné les contours d’une morale non anthropocentrique, pour laquelle il existe une commensurabilité entre l’homme et l’animal. La pensée pratique d’une émancipation serait à structurer sur les traces de Florence Burgat car s’émanciper, ce n’est pas d’abord ou pas seulement jouir plus et être laissé tranquille, c’est accéder à l’autonomie, à la dignité que procure le fait de devenir « sujet de sa vie ».
Ouvrage recensé
– La libération animale, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2012.
Ouvrages de Peter Singer
– Questions d’éthique pratique (1993), Paris, Bayard, 1997.– L'Altruisme efficace, Paris, Éditions Les Arènes, 2018.– Comment vivre avec les animaux ?, Paris, Empêcheurs de penser en rond, 2004.– Sauver une vie. Agir maintenant pour éradiquer la pauvreté, Paris, Michel Lafon, 2009.– Théorie du tube de dentifrice, Paris, Éditions Goutte d'Or, 2018.
Autres pistes
– Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, L’éthique animale, Paris, Puf, 2015.– Tom Regan, Les Droits des animaux, trad. Enrique Utria, Hermann, Paris, 2013.– Elisabeth De Fontenay, Le silence des bêtes. Paris, Éditions Fayard, 1998.– Florence Burgat, Liberté et inquiétude de la vie animale, Éditions Kimé, Paris, 2006.