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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

De zéro à un : comment construire le futur

de Peter Thiel

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Peter Thiel ne propose pas une formule de la réussite. Mais il présente un modèle qu’il a souvent rencontré : « Les gens qui réussissent savent créer de la valeur là où c’est le plus inattendu, en pensant à leur activité à partir de principes fondamentaux (p. 11). » Son livre explique pourquoi et comment passer de 0 à 1, c’est-à-dire inventer le traitement de texte en partant de la machine à écrire, par exemple. « La technologie bien comprise est le moyen unique d’échapper à la concurrence d’une planète en pleine mondialisation » (p. 197).

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1. Introduction

La réussite suppose un état d’esprit. Il faut croire en l’avenir, penser qu’on peut y jouer un rôle. Dans le cas de PayPal, P. Thiel voulait créer sur Internet une monnaie qui supplanterait le dollar américain. Une ambition énorme, mais une idée très simple. C’est ainsi que les petites start-up peuvent transformer le monde.

Proche des libertariens, l’auteur reprend ici des idées déjà développées ailleurs (voir bibliographie). Pour lui, la finance incarne la pensée dominante aux États-Unis, « parce que c’est le seul moyen de gagner de l’argent quand on ne sait absolument pas comment créer de la richesse » (p. 96). Pour un optimiste « défini », comme P. Thiel, c’est-à-dire porteur de projets concrets, et non d’un simple sentiment de confiance dans l’avenir, l’important est de dresser des plans. Tous les grands chefs d’entreprise sont d’abord et avant tout des concepteurs, fait-il remarquer. Steve Jobs le premier.

Mais tous les grands fondateurs font preuve de flair. Airbnb a identifié une offre invisible aux yeux de beaucoup. Uber ou SpaceX également. Tous ont tiré profit d’un « secret », résume P. Thiel, qui ne limite pas la technologie aux ordinateurs. Encore faut-il que ce soit une technologie gagnante, capable de créer du neuf.

Ce passage de 0 à 1 représente un progrès vertical qui s’oppose au progrès horizontal : celui de la mondialisation, de la concurrence généralisée qui ramènent les profits à zéro. Ce saut qualitatif joue un rôle discriminant. « Une technologie exclusive constitue l’avantage le plus substantiel qu’est susceptible de détenir une entreprise, parce que cela rend votre produit difficile ou impossible à répliquer. » Les exemples ne manquent pas : des algorithmes de Google au stockage virtuel/réel d’Amazon.

Où pourraient se situer les innovations de demain ? Les secrets ne sont pas faciles à découvrir, car l’éducation formate les esprits. Ce qui explique « pourquoi des individus atteints d’inaptitude sociale semblent être à leur avantage dans la Silicon Valley. Si vous êtes moins sensible aux signes sociaux, vous êtes moins susceptible de faire la même chose que tout le monde autour de vous » (p. 58).

2. La position dominante du PC

Avec sa marge de progression, l’informatique est une piste à suivre, mais il faut être clairvoyant : devenant de plus en plus puissants, les ordinateurs ne vont pas remplacer les humains. Ils vont les compléter, pronostique l’auteur en donnant des exemples issus de son expérience. Victime de fraudes sur les cartes bancaires qui menaçaient son existence même (10 millions de dollars de pertes mensuelles), PayPal a développé un logiciel avec des mathématiciens. Mais ce traitement automatisé pouvait être vite contourné. L’application a donc été modifiée pour un traitement manuel des cas douteux.

Avec des analystes humains, les comptes de PayPal sont passés en positif. Le système fut à l’origine de Palantir (2004), qui permit de prévoir où les insurgés afghans poseraient des bombes. Le traitement des données, qui a fait le succès de LinkedIn auprès des recruteurs, concentre aujourd’hui de grandes opportunités. Dans le futur prévoit P. Thiel, les entreprises les plus profitables offriront des technologies pour aider les humains à résoudre des problèmes complexes.

Pour valoriser les innovations sans équivalent, P. Thiel plébiscite le monopole, prolongement économique de l’exclusivité technologique. L’explication est classique. « Un monopole est détenteur de son marché et peut donc fixer ses prix. Comme il ne rencontre aucune concurrence, il produit un volume de produits à un prix dont la combinaison maximise ses profits » (p. 37). En 2012, Google a réalisé un CA de 50 milliards de dollars, contre 160 pour les compagnies aériennes américaines. Mais ces dernières ne captent que 37 cents par voyage et par passager, alors que Google transforme 21 % de son CA en bénéfice, soit un taux de marge 100 fois plus élevé que dans l’aérien.

La concurrence, au contraire, se présente comme « une idéologie qui envahit nos sociétés et notre pensée » (p. 51). En termes de produits, la rivalité conduit à « copier servilement ce qui a fonctionné dans le passé. » (p. 57). Les concurrents imitent ce qui marche plutôt que d’inventer le monde de demain.

3. Un monopole sinon rien

Analyse classique, mais approche contemporaine : un monopole n’a pas à consacrer son énergie à se battre contre la concurrence. Il permet de penser le long-terme, car l’entreprise n’est pas contrainte à une lutte quotidienne pour sa survie. La rivalité entre Oracle et Informix est tout à fait exemplaire. Elle a conduit à une guerre personnelle entre dirigeants qui a duré plusieurs années. Informix a fini par exploser, son PDG ne consacrant sans doute pas assez d’attention à sa propre société.

Peter Thiel ajoute que, contrairement à ce qu’append tout étudiant, un monopole est aussi une bonne chose dans un environnement dynamique, comme le monde actuel : il concourt à l’améliorer. Au-delà de produits nouveaux profitant à tous, la perspective d’accumuler des profits pendant des années ou des décennies incite même à innover davantage. D’autant que la technologie offre des économies d’échelle que ne permettent pas les entreprises de service, par exemple. En interne, le monopole offre une grande latitude pour s’occuper de ses employés, c’est-à-dire souder les équipes.

« En règle générale, précise l’auteur, une technologie exclusive doit être au moins deux fois plus efficace que son proche substitut, et dans un domaine important, pour que cela puisse déboucher sur un avantage monopolistique » (p. 69). L’esthétisme n’est pas exclu. Mais le design et, plus généralement l’image de marque, ne peuvent remplacer la substance. Le look fonctionne pour Apple, qui innove en continu, mais le lifting de Yahoo !, opéré en 2012, ne s’est pas accompagné de nouvelles fonctionnalités.

Même analyse pour les « technos propres » qui ont défrayé la chronique outre Atlantique. Pourquoi la « bulle » a-t-elle tragiquement vers 2012 ? La baisse des prix n’explique pas tout. P. Thiel met en cause le manque de technicité au sein des entreprises en faillite. « Au Founders Fund, nous avons senti venir cette évolution. Les cadres des technos propres se présentaient en costume-cravate. C’était là un énorme signal d’alarme, car les vrais technos portaient le T-shirt et le jean » (p. 218).

4. Maîtriser sa croissance

La start-up doit débuter avec un petit marché, comme l’a fait PayPal avec les PowerSellers d’eBay, les vendeurs professionnels du site d’enchères. Elle doit ensuite se déployer sur des marchés adjacents, à l’image d’Amazon (livres, puis CD, etc.). Viser un grand marché dès le départ, c’est s’exposer à une concurrence qui pourrait être fatale. D’une manière générale, le monopole, établi ou en devenir, a tout intérêt à se faire discret, en particulier sur sa position dominante et son modus operandi.

La start-up a par ailleurs deux ennemis : des taux de croissance qui peuvent faire tourner les têtes, et une trajectoire qui se brise en cours de route. Un monopole n’est donc une bonne affaire que s’il dure. C’est-à-dire s’il génère suffisamment de cash-flow pour justifier les pertes, parfois considérables, des premières années. Contrairement à une entreprise traditionnelle, une start-up va en effet générer une trésorerie considérable, mais seulement à moyen terme (10-20 ans). C’est en raison de ces résultats futurs que certaines sociétés sont introduites en bourse alors qu’elles perdent de l’argent.

Conséquence : il ne faut surtout pas arriver le premier sur un marché. « Mieux vaut être le dernier entrant, c’est-à-dire l’auteur du dernier développement significatif, en engranger ensuite des années ou même des décennies de profits » (p. 81).Les chiffres sont éloquents : 1 % des nouvelles sociétés américaines bénéficient de financements au titre du capital-risque, à une hauteur inférieure à 0,2 % du PIB. Pourtant, « les résultats sont tout à fait disproportionnés, tant ils propulsent l’économie tout entière. Les entreprises soutenues créent 11 % de tous les emplois du secteur privé. Elles génèrent un CA stupéfiant, équivalent à 21 % du PIB des États-Unis » (p. 123). Les plus grandes entreprises technologiques, toutes financées par le capital-risque, valent plus de 2 000 milliards de dollars, c’est-à-dire plus que toutes les autres entreprises du secteur combinées.

Certaines sont donc beaucoup plus performantes que les autres. C’est ce que P. Thiel appelle « la loi de puissance » : l’économie n’est pas régie par des lois statistiques où la distribution serait uniforme. Cette « loi », qui se révèle avec le temps, échappe jusqu’aux investisseurs spécialisés. Ceux-ci préfèrent se diversifier, et incidemment multiplier les ratages, alors que les conclusions de P. Thiel sont formelles : « Le meilleur investissement d’un fonds qui réussit égale ou surpasse le reste de tout le fonds combiné » (p. 118). Il faut donc investir dans les seules sociétés qui réussiront à passer de 0 à 1 et engendreront une croissance exponentielle.

La « loi de puissance » impacte aussi l’entrepreneur : du fait d’une distribution particulière, un marché vaudra sans doute plus que tous les autres. Et une stratégie de distribution dominera généralement toutes les autres.

5. « Une start-up est une équipe d’individus en mission »

Concrètement, le succès d’une start-up se construit au moment même de sa fondation. Car les décisions prises à ce moment-là sont très difficiles à rectifier. Il faut donc respecter un certain nombre de règles.

– Bien choisir ses associés. Les compétences ne suffisent pas : « Il faut que les fondateurs aient une histoire commune » (p. 119). Propos issus de l’expérience : les 19 fondateurs de PayPal ont fréquenté deux universités, où ils ont eu le temps de s’apprécier : Stanford (San Francisco) et Urbana-Champaign (Chicago). Comme les employés, ils doivent s’entendre pour travailler ensemble.

– Bien répartir les rôles. Dans une start-up, la propriété (jouissance des titres) et la possession (direction) de l’entreprise sont aux mains des fondateurs et des employés. Les conflits surgissent d’abord entre propriété et contrôle, c’est-à-dire entre les fondateurs et les investisseurs siégeant au conseil d’administration. La composition d’un conseil d’administration est donc « cruciale ».

– Le management. « À la tête de PayPal », signale P. Thiel, « la meilleure décision que j’aie prise a été de rendre chaque employé de l’entreprise responsable d’une chose et d’une seule » (p. 169). Pour prévenir les conflits, parfois mortels, que provoque la croissance de l’entreprise.

– Peu de rémunération pour les dirigeants. L’expérience montre qu’une entreprise marche d’autant mieux que la rémunération de l’exécutif est faible. Un salaire « incitatif » pousse en effet à réfléchir à court terme, au détriment d’une forte implication du dirigeant. En réalité, les start-up offrent mieux qu’un salaire élevé : des parts de l’entreprise. « La participation est un outil puissant. Quiconque préfère posséder une part de votre entreprise plutôt que de toucher des sommes en liquide témoigne d’une préférence pour le long terme et d’un engagement à accroître la valeur de l’entité dans le futur » (p. 159).

– En matière de recrutement, cela signifie que vous pouvez éliminer un candidat attiré par les avantages qui ont fait le mythe de la Valley (la salle de sports, le poisson rouge…). Peter Thiel avoue qu’il n’a jamais recherché les porteurs d’un CV talentueux. Plutôt « des gens qui travailleraient ensemble en s’appréciant vraiment. Il fallait qu’ils aient du talent, mais plus encore qu’ils soient enthousiastes à l’idée de travailler spécifiquement pour nous. Ce fut le point de départ de la mafia PayPal » (p. 164).

6. Un regard décalé

L’auteur admet que la forte implication de tous peut relever de la secte. « La plus grande différence, c’est que les sectes ont une tendance fanatique à être dans le faux sur un sujet important. Les protagonistes d’une start-up sur la voie de la réussite ont une tendance fanatique à être dans le vrai sur une réalité qui échappe aux autres, à l’extérieur » (p. 171).

On ne peut donc éluder la question des fondateurs et de leur trajectoire : ceux qui réussissent ont été des exclus ou des marginaux à un moment ou un autre. Un brin provocant, P. Thiel rappelle que sur les six fondateurs de PayPal, quatre avaient construit des bombes au lycée. Tous les visionnaires sortiraient-ils de l’ordinaire ? L’auteur passe en revue quelques grands noms américains de l’innovation (de Bill Gates à Lady Gaga). Avant de prévenir les fondateurs que la frontière peut être mince entre adulation et diabolisation.

Dernier domaine, où Peter Thiel va une nouvelle fois à contre-courant : l’action commerciale. Devant la publicité, le marketing et la vente, les geeks californiens sont sceptiques. Ces activités leur semblent superficielles et sans réel intérêt. C’est une erreur fondamentale, dit l’auteur, car les produits ne se vendent pas tous seuls. Si votre invention est géniale, mais que vous n’avez pas de clients, vous allez dans le mur.

P. Thiel donne alors des méthodes pour vendre un produit, en le déclinant selon la Valeur Vie Client (bénéfice total procuré par ce client) et le Coût d’acquisition Client (dépense moyenne pour acquérir un nouveau client). Il y a deux impératifs : adopter la bonne méthode et choisir la bonne cible. Pour PayPal, qui visait les clients les plus rentables, et non un maximum de clients, ce furent les propriétaires de PalmPilot, puis les immigrés utilisant Western Union pour virer de l’argent. Vint ensuite eBay. Dès que PayPal s’est imposé chez les PowerSellers, « il n’y avait plus moyen de nous rattraper » (p. 188).

7. Conclusion

On ne lira pas ce livre pour la rigueur de sa construction, mais parce que c’est l’analyse – rare – d’un entrepreneur clé de la Silicon Valley.

Peter Thiel passe évidemment beaucoup de choses sous silence. Le journal Fortune a ainsi évoqué le cas de David Sacks, chef de produit à PayPal. À chaque réunion, il consacrait les trois premières minutes à décider si la rencontre était utile ou pas. Dans ce dernier cas, elle était tout simplement annulée.

Mais l’auteur remet la création de valeur dans son contexte, privilégiant une vision d’ensemble, tout en expliquant pourquoi il faut sortir du champ concurrentiel et rejeter la méthode lean en vogue dans les start-up californiennes. Cette méthode prône un produit minimaliste, qu’on ajuste après l’avoir testé sur le marché, jusqu’à obtenir la formule qui se vend le mieux. Résultat de versions successives, le progrès est donc incrémental, étape par étape.

À la fin de l’ouvrage, le cas des technologies propres met en perspective les sept points capitaux abordés jusque-là :

– Une technologie performante ; – Un bon timing ; – La question du monopole ;– Le personnel ;– La distribution ;– La durabilité ;– La question du secret.

S’il ne s’agit pas d’un cours pour étudiant, cette dernière partie en a toutes les vertus.

8. Zone critique

« Réaliser quelque chose de différent, voilà ce qui est vraiment bon pour la société et c’est aussi ce qui permet à une entreprise d’engranger des profits en monopolisant un nouveau marché » (p. 225). La démonstration peut emporter l’adhésion. La journaliste Sarah Lacy souligne toutefois la forte relation entre les jeunes créateurs de PayPal, relation qui n’a pas survécu au rachat par eBay. Au-delà d’un contexte typiquement américain, l’expérience de l’auteur n’est-elle pas trop exceptionnelle pour généraliser ?

N’est-elle pas datée ? Vingt ans après sa création, PayPal est redevenue autonome. En 2018, eBay a même décidé de l’évincer de ses services d'ici 2020, pour se tourner vers Adyen. Le monopole de P. Thiel, l’avantage au dernier entrant, ne sont donc pas gravés dans le marbre.

Par ailleurs, la gestion d’une start-up, telle que la conçoit P. Thiel pourrait davantage emprunter au choix qu’à la nécessité. Chez Google, le CV a valeur de sésame. Or Google n’est pas une start-up vouée à l’échec.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Peter A. Thiel et Blake G. Masters, De zéro à un : comment construire le futur, Paris, JC Lattès, 2017.

Autres pistes

– Peter Thiel, The Education of a Libertarian, en ligne sur https://www.cato-unbound.org/2009/04/13/peter-thiel/education-libertarian.

– Sarah Lacy, Once you’re lucky, twice you’re good: the rebirth of Silicon Valley and the rise of Web 2.0, New York, Gotham Books, 2009. (disponible sous forme d’ebook)

– Martin Untersinger, « Peter Thiel, fondateur de PayPal, rêve d'un monde sans politique », Le Monde, 01/06/2015. En ligne sur https://www.lemonde.fr/festival/article/2015/07/15/peter-thiel-fondateur-de-paypal-reve-d-un-monde-sans-politique_4683680_4415198.html

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