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Essais sur l’histoire de la mort en Occident

de Philippe Ariès

récension rédigée parAnne RichierArchéologue, ingénieure de recherches. Doctorante en histoire sociale (EHESS).

Synopsis

Histoire

Paru en 1975, Essais sur l’histoire de la mort en Occident est le premier ouvrage de Philippe Ariès qui traite des attitudes devant la mort sur le temps long, du Moyen Âge à l’époque contemporaine (de la Révolution à aujourd’hui). Il s’agit d’un recueil de textes formé de quatre conférences données dans une université américaine et de plusieurs articles écrits entre 1966 et 1975 en rapport avec la mort et le mourir. Ce petit livre présente de façon concise les grands thèmes concernant l’évolution des attitudes devant la mort qui seront développés dans son œuvre majeure, L’Homme devant la mort (1977).

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1. Introduction

Essais sur l’histoire de la mort en Occident constitue un recueil de textes paru en 1975, traitant de l’histoire des attitudes devant la mort du Moyen Âge à l’époque contemporaine.

Si le thème de la mort a déjà été défriché depuis le milieu du XXe siècle par les sociologues et philosophes (Edgar Morin, Jean Ziegler, Vladimir Jankélévitch), les historiens ont tardé à l’investir. Ainsi, l’ouvrage de Philippe Ariès, qui préfigure son monumental Homme devant la mort (1977), est l’une des premières contributions à l’histoire de la mort. L’originalité de la démarche et le choix de la longue histoire dans cet ouvrage ont valu à l’auteur, alors peu reconnu en France en tant qu’historien, un succès de librairie et un passage remarqué dans l’émission littéraire Apostrophes.

Peu de temps après, Philippe Ariès entre à l’École des hautes études en sciences sociales et est enfin reconnu comme grand historien des mentalités dans la vague de la nouvelle histoire, aux côtés de Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie ou Paul Veyne.

L’ouvrage est original dans sa forme puisqu’il propose une première partie synthétique qui correspond à plusieurs conférences universitaires portant sur l’évolution des attitudes devant la mort puis une série d’articles présentant des focus sur les thèmes abordés.

À son habitude, Philippe Ariès embrasse le temps long, ici plus d’un millénaire, et puise dans différentes sources, historiques, artistiques, littéraires, voire personnelles. L’une des questions majeures posées par son ouvrage concerne le lien entre conscience de la mort et conscience de l’individualité à travers le temps. Celle-ci sera abordée de façon temporelle en mêlant les développements des focus, de la mort apprivoisée à la mort interdite.

2. Quand la mort était familière

Pour Philippe Ariès, l’attitude la plus ancienne mais également la plus longue face à la mort est une sorte de résignation, d’acceptation de la destinée humaine. Celle-ci transparaît de multiples façons à travers les productions littéraires, artistiques ou les faits historiques, du Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle. L’une des premières manifestations de cette acceptation collective de la mort figure dans les chansons de geste ou les romans médiévaux : la mort est attendue, prévisible et les vivants, sauf exception, « sont avertis » (p. 18).

La situation la plus courante est de mourir paisiblement dans son lit, ce qui donne lieu à des cérémonies et des rites codifiés, durant lesquels « la chambre du moribond est une sorte de lieu public » (p. 169). Car il s’agit de « bien mourir » : après le pressentiment de la fin prochaine, le mourant, entouré de ses proches, famille, amis, voisins, fait oralement ses adieux au monde sous forme de bilan de vie. Celui-ci, qui comprend des excuses, demandes de réparation et recommandations diverses, sera consigné à partir du XIIe siècle dans un testament rédigé par un curé ou un notaire. Vient ensuite le moment des prières et si un religieux est présent, de l’absolution « signe de croix et aspersion d’eau bénite » (p. 80), précédant la mort.

Cette série de rites constitue une véritable mise en scène publique du mourir, aussi importante que les cérémonies d’obsèques après le décès.

La familiarité avec la mort transparaît également jusqu’à la fin du XVIIIe siècle par la proximité entre morts et vivants. Les lieux d’inhumation, tenus éloignés des centres urbains durant toute l’Antiquité, colonisent en effet à partir du début du Moyen Âge les édifices religieux du fait du nouveau culte des martyrs et les cimetières pénètrent au cœur des villes.

Cette cohabitation entre morts et vivants, qui durera près d’un millénaire dans l’Occident chrétien, joue pour Philippe Ariès un rôle fondamental dans l’organisation de la société et dans les conceptions collectives de la destinée. Le corps et le salut de l’âme étant intégralement pris en charge par l’Église, « peu importait ce que l’Église en ferait [des corps morts] pourvu qu’elle les conservât dans son enceinte sacrée » (p. 29).

Le cimetière, terre bénie accolée à un bâtiment religieux, cathédrale, église ou chapelle, constitue toutefois un lieu public, ce qui a pour effet de rapprocher encore plus morts et vivants. Il devient lieu d’habitation, de commerce (plus ou moins légal), de rassemblements festifs qui seront décriés puis interdits par l’Église.

Cette familiarité physique avec la mort et les morts durant le Moyen Âge et l’Ancien Régime constitue pour Philippe Ariès une clé d’entrée pour interpréter les attitudes et conceptions traditionnelles : « Ils étaient aussi familiers avec les morts que familiarisés avec leur mort » (p. 31). L’auteur a donc choisi de nommer ce moment, qui se situe dans le temps long, la mort apprivoisée.

3. L’individualisation et la dramatisation de la mort

Au sein de la longue période durant laquelle la mort est familière et acceptée, quelques évènements vont venir modifier les conceptions traditionnelles. Le plus important est relatif à l’eschatologie individuelle (discours sur la destinée de l’âme après la mort) : avant le XIIe siècle, il suffisait d’être chrétien et d’avoir eu une mort chrétienne pour bénéficier après un long sommeil du grand retour céleste, la résurrection.

À partir du XIIe siècle, l’Église promulgue une nouvelle géographie de l’au-delà en lien avec l’évolution de la société, qui abandonne progressivement les schémas binaires et manichéens du premier Moyen Âge.

Ainsi apparaissent le jugement dernier, la pesée des âmes et le Purgatoire, qui mettent en avant une responsabilité individuelle entraînant ou non la survie de l’âme. Philippe Ariès illustre ce phénomène nouveau par des exemples iconographiques qui représentent « le Christ assis sur le trône du juge, entouré de sa cour » (p. 34). Le chrétien est dorénavant jugé dès son trépas sur le bilan de sa vie, bonnes et mauvaises actions étant réparties sur une balance.

Cette vision « comptable » et surtout individuelle va profondément modifier les conceptions eschatologiques des chrétiens et créer une relation nouvelle « entre la mort et la biographie de chaque vie particulière » (p. 37). Cette responsabilité individuelle va donc avoir des conséquences sur la vie et sur la mort, avec une dramatisation et une charge émotionnelle inconnues jusqu’alors.

La dramatisation de la mort est particulièrement bien illustrée au niveau artistique par l’apparition des transis à la fin du Moyen Âge. Il s’agit de représentations de cadavres en cours de décomposition assez courantes entre le XIVe et le XVIe siècle dans le monde occidental chrétien. Ces transis, dont l’image est réaliste et crue, viennent orner les manuscrits, les murs des églises et des cimetières ou des sépultures. Dans la littérature et la poésie, le cadavre corrompu devient familier à partir du XVe siècle, même s’il souligne « l’horreur de la mort physique et de la décomposition » (p. 39).

Cette apparition du terrifiant transi dans l’imaginaire collectif est à mettre en relation pour l’historien avec l’amour de la vie, des choses et des êtres mais également avec une notion d’échec de l’homme, se sachant mortel, fragile et sans aucune assurance de vie éternelle : « La mort est devenue le lieu où l’homme a pris le mieux conscience de lui-même » (p. 41).

L’individualisation et la dramatisation de la mort ont également une influence directe sur les sépultures à partir du XIIe siècle. C’est en effet à cette époque que les inscriptions funéraires et les effigies, qui avaient disparu à la fin de l’Antiquité, réapparaissent sur les tombeaux. Très fréquentes entre le XVIe et le XVIIIe siècle, ces inscriptions funéraires traduisent selon Philippe Ariès une volonté de marquer le lieu de la sépulture et de sortir les défunts de l’anonymat mais aussi de perpétuer leur mémoire et leur identité au-delà de la mort.

L’on retrouve dans l’art funéraire le lien entre conscience de l’individualité et conscience de la mort, ce qui a poussé Philippe Ariès à nommer ce phénomène inscrit dans le temps la mort de soi.

4. La mort de l’autre et le culte du souvenir

La dramatisation de la mort va particulièrement s’épanouir à partir de la fin du XVIIIe siècle à la rencontre du romantisme, mouvement culturel exaltant le sentiment, les états d’âme et la mélancolie. Mais il ne s’agit plus de dramatiser sa propre mort puisque c’est celle de l’autre et plus particulièrement celle de l’être aimé qui est exaltée. La mort, toujours familière, devient alors synonyme de rupture.

Pour Philippe Ariès, cette rupture prend ses racines dans l’univers fantasmagorique érotico-macabre de l’iconographie de la fin du XVe siècle. C’est en effet à cette période, la même que celle du développement des transis, qu’apparaît le thème artistique et littéraire d’Éros et Thanatos, liant mort et sexualité et faisant dire à l’historien que « comme l’acte sexuel, la mort est désormais de plus en plus considérée comme une transgression, une rupture » (p. 47).

Avec le mouvement romantique, la mort de l’autre exerce une véritable fascination morbide et un sentiment nouveau apparaît : la complaisance à l’idée de la mort. Cette dernière s’exprime tout particulièrement durant le deuil qui prend une importance démesurée par rapport aux usages traditionnels. Les expressions du deuil sortent du cadre social et peuvent friser l’hystérie (cris, pleurs, évanouissements, jeûne…), traduisant pour Philippe Ariès une dramatisation de la mort de l’autre.

Le culte des tombeaux et par là même le culte du souvenir du mort deviennent logiquement prépondérants au début de l’époque contemporaine. Il s’agit là d’une grande nouveauté dans l’histoire des attitudes devant la mort, spécifique à l’Europe catholique et orthodoxe des XIXe et XXe siècles et initiée par l’individualisation de la mort des siècles précédents. Dorénavant, les sépultures sont visitées et honorées régulièrement. Il était aussi important de rompre avec l’accumulation de morts dans les églises saturées et les cimetières anonymes – posant de plus de graves problèmes d’hygiène incompatibles avec la sensibilité du siècle – en créant de nouveaux espaces funéraires éloignés des centres-villes, conçus comme des parcs arborés, organisés pour la visite et le recueillement.

On assiste alors à la création des grands cimetières romantiques urbains et au développement sans précédent des concessions, matérialisées par des monuments souvent ostentatoires.

À l’instar des nécropoles antiques, le cimetière contemporain offre une image socio-économique de la ville et reprend une place physique et morale au sein du monde des vivants : « La cité des morts est l’envers de la société des vivants, ou plutôt que l’envers, son image et son image intemporelle » (p. 56).

L’importance donnée au culte des morts dans l’Europe catholique du XIXe siècle est pour Philippe Ariès d’origine positiviste (courant philosophique fondé au XIXe siècle par Auguste Comte qui prône le lien social) plus que religieuse, permettant d’exalter ce que l’historien nomme la mort de toi.

5. La mort, nouveau tabou du XXe siècle

Au-delà des frontières de l’Europe catholique, les débuts de l’époque contemporaine sont marqués dans le monde anglo-saxon et dans les pays protestants d’Europe du Nord-Ouest par une grande sobriété funéraire.

Loin de l’extravagance baroque des nouveaux tombeaux des cimetières catholiques, ces pays se distinguent à partir de la fin du XVIIIe siècle par des enclos engazonnés dans lesquels de simples stèles marquent l’emplacement des sépultures.

Le culte des morts existe mais est privé, en tout cas aux États-Unis et en Angleterre, où lithographies et broderies ornées de chapelles funéraires font office de mémorial portatif.

Ces attitudes funéraires modestes conduisent selon Philippe Ariès à un effacement progressif de la mort et des morts dans les esprits des vivants, renforcé par le mensonge de plus en plus fréquent aux mourants quant à leur funeste sort : « Le malade ne doit plus savoir que sa fin approche » (p. 170). En ôtant le caractère dramatique et émotionnel du mourir, la mort commence peu à peu à être escamotée, d’autant plus qu’à partir des années 1930, « on ne meurt plus chez soi au milieu des siens, on meurt à l’hôpital, et seul » (p. 62). La mort, réduite à un phénomène technique, devient inconvenante, embarrassante et le deuil se doit d’être discret et solitaire « comme une sorte de masturbation » (p. 64).

Cette attitude à l’égard de la mort, qui devient un interdit remplaçant celui du sexe, va se propager dans tous les pays industrialisés au fil du XXe siècle. Aux États-Unis, l’embaumement va connaître un développement sans précédent qui peut paraître contradictoire avec la mort-tabou mais qui signale en fait un glissement vers le déni pur et simple de la mort. Celui-ci trouve comme support de choix l’incinération, qui fait – presque totalement – disparaître l’embarrassant cadavre, annihile la décomposition, supprime le culte des cimetières et des tombeaux.

Pour Philippe Ariès, cette mort interdite aussi bien dans les faits que dans les discours « appartiendrait, comme la priorité du bien-être et de la consommation, aux sociétés industrielles » (p. 189). Toutefois, ce que l’on a pu nommer l’« american way of death » a rencontré quelques résistances dans les vieux pays catholiques européens marqués par le culte des morts.

La France par exemple a adopté une attitude ambiguë, avec des usages hérités du XIXe siècle mêlés à des pratiques récentes importées des États-Unis. Pour les premiers, il est possible d’évoquer la persistance du jour des Morts (la Toussaint), la visite au tombeau, la préservation des concessions, le culte du souvenir. Pour les seconds, une privation des droits du mourant, une disparition de la veillée funèbre et des condoléances, un rejet du deuil.

Peu à peu, même dans les pays de tradition catholique, l’on assiste à une « évacuation de la mort hors de la vie quotidienne » (p. 162). Ainsi, Philippe Ariès propose un passage de la mort interdite à la mort inversée, la conscience de l’individualité se déployant dans la vie et non plus dans la mort comme durant le Moyen Âge.

6. Conclusion

Dans Essais sur l’histoire de la mort en Occident, Philippe Ariès entame une réflexion sur l’histoire de la mort et plus largement sur les mutations sociales, morales et psychologiques des sociétés occidentales pendant plus d’un millénaire.

Pour lui, les attitudes devant la mort sont révélatrices de questions ontologiques (relatives à l’être) qui évoluent durant le Moyen Âge du fait de l’émergence de l’individualisme. La mort qui était familière, acceptée, devient dramatique puis est glorifiée dans une vision romantique avant de devenir un véritable tabou dans les sociétés actuelles.

De la mort apprivoisée à la mort interdite, l’historien propose une véritable fresque de l’évolution des mentalités en puisant dans des sources originales et variées. Ce découpage à la fois chronologique et thématique permet d’appréhender différemment l’actuelle « crise de la mort » (Edgar Morin) et de saisir ses lointaines racines liées au passage progressif du collectif à l’individuel, dans la vie comme dans la mort.

7. Zone critique

Cet ouvrage sous forme d’essai a permis à Philippe Ariès de poser les jalons de son œuvre pionnière parue deux ans plus tard, L’Homme devant la mort.

Plébiscité à sa sortie par le grand public du fait de son accessibilité et son originalité, l’ouvrage a reçu un accueil plus mitigé de la part du monde universitaire français, un peu méfiant face à cet historien atypique s’attaquant à un sujet novateur à partir de sources hétéroclites. Mais c’est surtout sa notion de mort apprivoisée qui a été remise en cause. Plusieurs chercheurs lui ont en effet reproché de faire montre d’une nostalgie romantique due à sa culture politique en proposant un « âge d’or » des relations à la mort durant le Moyen Âge.

Pour le sociologue Norbert Elias par exemple, la peur de la mort et la tentation de son refoulement sont des caractéristiques propres à l’homme depuis qu’il a conscience de sa propre mort. Malgré ces critiques, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, traduit en plusieurs langues et réédité à de nombreuses reprises, est un ouvrage fondateur et toujours d’actualité.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Essais sur l’histoire de la mort en Occident. Du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 2015 [1975].

Du même auteur

– L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960.– L’Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977.– Georges Duby (dir.), Histoire de la vie privée, de la Renaissance aux – Lumières, Paris, Éditions du Seuil, 1986, tome 3.– Images de l’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1983.

Autres pistes

– Guillaume Gros, « Philippe Ariès, entre traditionalisme et mentalités. Itinéraire d’un précurseur », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 90, 2006/2, p. 121-140.– http://philippe-aries.histoweb.net : site internet en ligne dédié à Philippe Ariès.– Louis-Vincent Thomas, Mort et pouvoir, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2010.

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