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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Bio

de Philippe Baqué (dir.)

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Science et environnement

La bio est-elle une simple affaire de produits sains c’est-à-dire de consommateurs ? Ou est-elle porteuse d’une démarche politiquement responsable ? Les auteurs révèlent, analysent et détaillent ce qui se trame sous le label « bio ». Des kibboutz israéliens aux immenses plantations sud-américaines, le bio-business fait appel à une main-d’œuvre jetable, et il se soucie peu de la forêt. Mais la bio suscite aussi des initiatives : de la coopérative de Brooklyn (Park Slope) au groupement Choux-fleurs et Pissenlits d’Uzès. Toutes s’organisent autour de producteurs qui revendiquent une autre forme d’agriculture.

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1. Introduction

Les scandales sanitaires ne sont pas étrangers au développement de la bio. En Europe (poulet à la dioxine, vache folle, steaks à la viande de cheval, etc.), comme aux États-Unis, où les crises régulières (épinards porteurs de la bactérie E. coli, œufs touchés par la salmonelle, etc.) feraient 5000 victimes par an, selon le Centre national de contrôle et de prévention des maladies.

Les consommateurs sont de plus en plus attentifs au contenu de leur assiette, y compris au pays de McDonald's, où les premières exploitations bio sont nées dans la mouvance hippie. En 2010, le marché bio américain pesait 28 milliards de dollars, en progression de 7,7 % par rapport à l’année précédente. Une telle tendance n’a pas échappé à l’agro-industrie. Danone détient maintenant 85 % de Stonyfield Farm, l’entreprise leader du yaourt bio (née en 1983 avec sept vaches, désormais 300 millions de CA par an), Nestlé a racheté Sweet Leaf Tea, et Coca-Cola s’est invité chez Naked Juice. En intégrant Wal-Mart et Costco au milieu des années 2000, la bio a donc quitté le marché de niche pour le marché de masse.

2. Pour les pays riches

Outre-Atlantique, elle s’inscrit dans une quête de « souveraineté alimentaire » qui procède autant de la lutte contre la malnutrition que du combat contre l’obésité ou de la justice environnementale. Objectifs qui transcendent aujourd’hui les appartenances partisanes, et se déclinent sous différentes formes : revendications législatives, programmes de formation ou jardins urbains qui ne sont pas sans rappeler le potager bio de l’université de Berkeley : le fameux People’s park ouvert en 1969.

Cette « révolution des mentalités » est une aubaine pour les producteurs qui savent superposer une couche de pragmatisme à l’idéalisme de leurs aînés. Earthbound Farm, producteur de légumes né d’un jardin de salades, regroupe ainsi 150 producteurs, américains ou mexicains, qui totalisent 14 600 hectares, et vendent leurs produits sur tout le continent. À l’opposé, les producteurs adeptes du circuit court restent soucieux du lien entre agriculteur et consommateur. Que ce dernier soit un simple citoyen, un restaurant ou une boulangerie.

En Europe, les cultures certifiées (4,3 % de la surface agricole utile) auraient progressé de 8,2 % en 2008. Année où la bio affichait 23 % de croissance chez Auchan et 27 % chez Casino. Avec des taux de marge conséquents. Comme l’a révélé le magazine Capital, si un kilo de fraises conventionnelles est acheté 3 euros pour être revendu 5,96 €, les fraises bio acquises pour 5 euros sont revendues 11,96 € dans le même hypermarché parisien. Les gains de l’enseigne sont plus de deux fois supérieurs.

Qui dit marché porteur dit toutefois marché concurrentiel : les grandes enseignes se sont affrontées sur le terrain du prix, orchestrant des campagnes de communication auprès de consommateurs bien conscients du prix élevé des denrées « naturelles ». Il est vrai que tous les produits ne sont pas disponibles en gros volumes. Picard n’a ainsi qu’un produit français dans ses surgelés bio, le brocoli. Et certains produits peuvent être plus chers qu’ailleurs. Alors qu’un producteur normand vend ses carottes bio 0,85 €. le kilo, son collègue hollandais les fournit à 0,5 €.

3. Du bio intensif

Les filières de la transformation et de la distribution ont donc pressuré les producteurs, tout en se tournant vers les pays étrangers. Plus de 35 % des produits labellisés bio consommés en France sont ainsi importés. Non sans conséquences.

En raison de leurs pratiques intensives, les producteurs israéliens et marocains épuisent les nappes phréatiques qui alimentent les villageois. Dans la vallée du Jourdain pour les premiers (dattes, raisins, herbes aromatiques...), dans le Souss (agrumes, primeurs...) pour les seconds, et désormais dans la région de Dakka (concombres, melons poivrons...)., où ils prélèvent déjà 50 % des ressources en eau. Une ponction similaire en Espagne, premier pays bio en Europe, inquiète le WWF.

Dans ces pays, la bio est conçue comme une opportunité commerciale, dans une agriculture déjà tournée vers l’exportation. Avec des cultures « hors saison », souvent conduites sous serre : 40 hectares de serres pour la deuxième ferme européenne spécialisée dans les fraises, par exemple.

L’irrigation artificielle ne remet pas en cause le caractère « bio » des productions. Il en est de même des buttes de sable, isolées du sol par un film plastique, où les fraises espagnoles plongent leurs racines. La certification « AB » prohibe toute culture hydroponique (dans un milieu inerte, enrichi d'éléments nutritifs), mais le sable étant extrait localement, il n’est pas considéré comme un milieu inerte ! Dans le bio intensif, la réglementation, qui encourage aussi la rotation des cultures, est donc appliquée a minima. Favoriser la biodiversité ? Les espagnols Bionest comme Flor de Doñana n’utilisent que deux variétés, commerciales, de fraises : la Candonga et la Camarosa.

4. Des bio-prolétaires

La main-d’œuvre à bas coût est l’autre ressource de ces immenses exploitations. L’intensification fait du personnel la variable d’ajustement pour affronter la concurrence.

En Israël, depuis la seconde Intifada, Thaïlandais, Philippins et Chinois remplacent les journaliers palestiniens. Comme dans les exploitations conventionnelles, ces immigrés coûtent 40 % moins cher, et on les contrôle facilement. Dans les grands domaines espagnols, des pancartes en arabe indiquent l’origine du personnel. Mais les anciennes ressortissantes « de l’est » sont nombreuses. Parlant peu ou pas espagnol, Roumaines, Polonaises, mais aussi Sénégalaises ou Philippines, sont payées 30 euros/jour, quel que soit leur temps de travail, et elles peuvent être renvoyées à tout moment.

Ces auxiliaires de la bio ne bénéficient pas des principes éthiques qui fleurissent sur les emballages. Au Maroc, les exploitations royales sont même des zones de non-droit, et dans les « coopératives », les femmes berbères qui traitent les fruits de l’arganier touchent 30 dirhams (2,8 €) par litre d’huile obtenu, alors que l’huile d’argan, la plus chère du monde, se commercialise 300 dollars. L’huile de palme colombienne, essentiellement produite par le groupe Daabon, illustre les dérives écologiques et sociales de l’agriculture dite biologique. Vendue en Europe (via Biocoop, notamment), et présente dans de nombreux produits cosmétiques, elle est censée respecter la réglementation européenne.

Or, que découvre-t-on derrière la certification Ecocert ? Une monoculture sur des centaines, voire des milliers d’hectares (4 500 ha et 1 000 ha de bananiers). Des semences « génétiquement améliorées ». Et des paysans expulsés de leurs terres par la force, comme beaucoup de familles en Colombie, où quatre millions de personnes ont été déplacées en quinze ans, et 50 000 assassinées.

En créant des groupements de producteurs sous son contrôle, les palmiers bio de Daabon ont servi à « nettoyer » les campagnes au profit des paramilitaires.

Il n’y a là rien d’extraordinaire. Introduit en 2010, le label européen « AB », moins contraignant que le label français auquel il s’est substitué (il tolère 0,9 % d’OGM par exemple), ne prend en considération que les techniques de production. Ce n’est pas la seule estampille bio. Biobreizh, par exemple, a créé un cahier des charges plus sévère. Mais ce label « AB » est le sésame des marchés. Sans lui, pas d’exportation vers l’Europe. Une situation qui fait la fortune des « organismes » de certification, qui se révèlent des sociétés commerciales, dont le chiffre d’affaires est fonction des volumes à certifier. Comme le producteur choisit ou révoque son certificateur, « comment imaginer l’indépendance du certificateur par rapport à son client » se demandent ironiquement les auteurs.

5. Quelle bio pour quelle planète ?

En Europe comme en Amérique du Sud, les paysans sont finalement conduits à faire un choix entre la concurrence et la coopération. Attitude qui suscite de nombreuses initiatives, détaillées par les auteurs.Dans ce foisonnement, on peut retenir qu’en France, la bio a donné naissance à des coopératives, des plates-formes d’achat, des groupements de producteurs, des réseaux de magasins (Bio monde, Accord bio…), des structures de vente directe, ou encore des Amap. Apparues en 2001, ces associations pour le maintien de l’agriculture paysanne ne sont pas des structures bio.

Mais ces regroupements, proches de la Confédération paysanne, fonctionnent comme un logiciel libre, en faveur d’un « juste prix », d’une relation de confiance, et de produits de qualité, même s’ils n’ont pas le marquage « AB ». Les Amap participent des circuits courts, qui aboutissent parfois à un système de panier, dont le contenu varie selon la saison.Ce bio-militantisme est à mettre en relation avec l’évolution d’un secteur où la trajectoire de Biocoop est symptomatique. Née en 1986 de 45 coopératives et associations de consommateurs, Biocoop regroupait à l’origine des magasins à but... non lucratif.

Les acteurs du bio français ne ressemblent pas tous à Maïsadour, grand défenseur des OGM qui a découvert les vertus du poulet bio à la faveur d’un contrat d’un million de poulets pour la grande distribution britannique. Embauche d’éleveurs, construction de bâtiments pouvant accueillir jusqu’à 12 000 pondeuses, production intégrée… Le bio-business peut aussi avoir un caractère spéculatif.

Le boom de la bio suscite cependant des contradictions chez ses farouches partisans. Comment, par exemple, garantir un approvisionnement toute l’année ? Comment éviter d’alimenter les animaux avec du soja bio produit en Roumanie, sur des fermes de plusieurs milliers d’hectares ? Ou avec du soja sud-américain, cultivé sur des terres arrachées à la forêt ? Comment résister à Carrefour, Casino, Leclerc, Auchan, ou aux Mousquetaires ?

« Pour se faire une idée de la puissance économique et commerciale de la grande distribution française, il suffit d’additionner les chiffres d’affaires de ces cinq groupes. Le montant de 245 milliards d’euros est l’équivalent du PIB du Venezuela ou de la Colombie, et représente pratiquement cinquante fois celui du Niger » (p. 99).

6. Ruée vers l’or blanc

L’exemple du lait montre que les producteurs s’organisent, mais ils pèsent peu face à l’agro-industrie. En 2010, plus de 2 000 éleveurs livraient 280 millions de litres de lait bio, soit 2 % de la collecte nationale. Comme en Allemagne, mais loin derrière l’Autriche (13%).

Si des petites laiteries ou des coopératives comme Biolait (800 producteurs dans 53 départements, à l’origine de 150 produits lactés) ou Eurial (regroupement de quatre coopératives) collectent désormais du lait bio, « la transformation a été prise en main par les multinationales comme Unilever, Nestlé et Lactalis (premier groupe laitier mondial), mais aussi Danone, Sodiaal (…), soulignent les auteurs (p. 253). Côté distribution, si les grandes surfaces distribuent 50 % de l’ensemble des produits certifiés bio, leur part de marché est de 80 % en ce qui concerne le lait bio et ses produits dérivés », créateurs de valeur ajoutée.

Avec davantage de vitamine E, de bêta-carotène et d’oméga 3, le lait naturel est plus nourrissant que le lait industriel. Et on y trouve évidemment très peu de pesticides ou d’antibiotiques. Cela suppose des prairies naturelles et plus de travail que dans une ferme hors sol. C’est pourquoi le prix d’achat au producteur est plus élevé, surtout quand il ne transite pas par la case Lactalis ou Besnier.

La coopérative Lait bio du Maine regroupe ainsi 45 éleveurs (et 13 salariés). Elle exploite une fromagerie, dont les produits sont à 80 % vendus dans le département. Le surplus de lait est vendu à des laiteries ou à d’autres transformateurs, à raison de 43 c. le litre, contre 30c. parfois, dans l’agro-industrie, où les vaches vivent cinq ans au lieu de dix. Si le système des aides européennes (5 milliards d’euros en 2010) pénalise les petits producteurs, il alimente la rente des sept groupes laitiers qui se partagent 70 % de la collecte, menée auprès des 87 000 producteurs français. Le président de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab) le dit sans ambages : « La rentabilité financière est le principal moteur de ce système. On n’est plus dans le vivant, on est dans la finance ».

Les semences offrent même à l’agro-industrie un moyen commode de contrôler la filière végétale bio. Car les semences paysannes n’ont plus droit de cité dans l’agriculture moderne. Depuis 2011, la loi française limite le droit de ressemer à 21 espèces, tout en le conditionnant au paiement de royalties. Pour qu’un paysan vende des semences ou les échange avec son voisin, il doit être enregistré comme semencier auprès du Groupement national interprofessionnel des semences (Gnis, créé sous Vichy) : processus d’autant plus lourd et coûteux que les semences elles-mêmes doivent faire l’objet d’un certificat d’obtention végétale.

Résultat : les agriculteurs biologiques doivent s’approvisionner auprès de groupes liés à l’industrie chimique, qui proposent peu de variétés.

7. Conclusion

La certification bio se développe particulièrement en Amérique latine (+26%) et en Asie (+10%), régions où les habitants consomment très peu leurs productions, destinées avant tout aux consommateurs européens et nord-américains.

Localement, au nom d’une « nourriture saine », les mécanismes de certification ne font qu’aggraver la situation des paysans. Comme en Bolivie, où le prix du quinoa a doublé en 5 ans, conduisant les Boliviens à importer du riz de Thaïlande pour remplacer leur nourriture traditionnelle. Tourné vers l’export, sous le couvert d’un label dont la dérive consumériste est de plus en plus claire, le bio intensif, clone du modèle agricole dominant, s’avère une menace pour la bio-diversité et les agricultures traditionnelles.

On est en contradiction flagrante avec la charte adoptée en 1972 par la fédération internationale de l’agriculture biologique (Ifoam), et avec les principes qui, au-delà de ses inspirations, fédèrent l’agriculture biologique : fertilité des sols, exploitations à taille humaine, conditions de production transparentes, etc.

8. Zone critique

Les auteurs nous proposent ici une approche de la « bio » dans l’optique du producteur, et plus précisément dans la perspective d’une agriculture paysanne. Ils critiquent les dérives des cultures intensives, qui remettent en cause les fondements mêmes de la bio, telle qu’elle est pensée et pratiquée partout dans le monde, dans le respect de l’homme et de la nature. À leurs yeux, la bio se rapproche davantage d’un mode de vie que d’un simple mode de production. Elle est porteuse d’un projet de société, où manger des fraises en hiver est considéré comme une hérésie. Où le commerce « équitable » ne consiste pas à revendre le café 10 fois son prix d’achat.

Au-delà de produits traités ou non avec de la chimie, c’est donc le modèle agricole qui est remis en cause. Modèle qui s’efforce de balayer dix mille ans d’expérience paysanne, alors que le réchauffement climatique et la pollution des sols nous rappellent le rôle crucial de l’agriculture dans l’alimentation. Ce message-là ne peut laisser indifférent. De même que la situation de ceux, proches ou lointains, qui sont de l’autre côté de notre assiette.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La bio: entre business et projet de société, Marseille, Agone, 2012.

Du même auteur– Homme augmenté, Humanité diminuée : d'Alzheimer au transhumanisme, la science au service d'une idéologie hégémonique et mercantile, Marseille, Agone, 2017.

Autres pistes– Le site de Minga : http://www.minga.net/– Silvia Pérez-Vitoria., Les paysans sont de retour: essai, Arles, Actes sud, 2005. (prix Farmers’ Friend, prix Nonino)– Patrick Herman, Les nouveaux esclaves du capitalisme, Vauvert, Au diable vauvert, 2008.– Association Minga, Seule la diversité cultivée peut nourrir le monde: réponses à l’OMC, Paris, Saint-Denis, Minga, 2011.

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