Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Philippe Bihouix
Face à l’état de la planète, il est urgent d’agir. Mais il ne s’agit pas de couvrir le Sahara de panneaux solaires. Ou de produire des millions de véhicules hybrides. Car les technologies « vertes » sont un mirage. Avides de ressources rares et non renouvelables, elles ne répondent pas à la seule solution qui vaille : réduire nos besoins. Il faut donc adopter des solutions low tech, faites de technologies simples voire rustiques, peu polluantes, peu gourmandes en énergie. Avec des produits utiles, conçus pour durer. Au bout du compte, nous vivrons mieux et nous travaillerons moins.
Le « progrès » est une absurdité écologique : les ingrédients d’un simple yaourt à la fraise parcourent 9000 km. Leur transport consomme donc une énergie démesurée. Vous avalez des produits chimiques, et le pot vient finalement grossir un tas de déchets non recyclables.
Notre société technicienne se fourvoie ainsi dans une triple impasse, résume Philippe Bihouix. « Une impasse sur les ressources exploitées à un rythme insoutenable, énergies fossiles, métaux ou minéraux comme le phosphore, forêts, pêcheries… Mais aussi effondrement de la biodiversité et des sols agricoles (…) ce qui veut dire qu’on se retrouvera sans terre cultivable, en moyenne, dans trois cents ans » (p. 103).
Cette fuite en avant n’est pas nouvelle. Exemples à l’appui, l’auteur montre comment la technique a toujours répondu aux pénuries engendrées par l’activité humaine, de la maîtrise du fer au développement de la chimie. Grâce aux matières plastiques ou à la réfrigération, nous ne sommes plus tributaires des végétaux (pour produire des colorants, par exemple) ou des animaux (pour faire de la colle, etc.) qui ont accompagné l’humanité jusqu’à une date récente.
Depuis le néolithique, dit Philippe Bihouix, trois stratégies permettent de répondre aux pénuries, locales ou générales (bois, métaux, terres arables...) : se déplacer (le nomadisme, aujourd’hui étendu à la recherche de métaux sur la Lune), échanger (par le commerce, désormais industrialisé via le conteneur) et inventer pour trouver un substitut (l’aniline pour remplacer l’indigo) ou créer un nouveau procédé (le haut-fourneau). Ces trois méthodes sont employées de concert. Aujourd’hui encore, le pétrole accompagne le charbon, dont la production mondiale augmente sous la pression des Chinois : 7,7 milliards de tonnes.
Mais « les ingénieurs font rarement d’omelette sans casser les œufs », résume l’auteur (p. 59). La facilité du transport externalise la pollution, comme les usines à gaz repoussaient les fumées nocives en périphérie des villes dans le dernier quart du XIXe. Nos besoins sont désormais assouvis au prix fort, comme l’indiquent les retours sur investissement énergétique, c’est-à-dire les ratios entre l’énergie dépensée (pour forer, par exemple) et celle qu’on retire.
Dans les années 1930, il fallait investir deux ou trois barils de pétrole pour en produire cent, on atteint aujourd’hui le ratio de un pour trois dans les sables bitumineux. Creuser plus profond exige beaucoup d’énergie, et développer de nouvelles sources d’énergie suppose un recours accru à des métaux rares ou en voie d’épuisement : tungstène pour le pétrole offshore, tantale et bore pour les réacteurs nucléaires, néodyme pour les éoliennes, cadmium pour les panneaux solaires. C’est un cercle vicieux.
Un de plus ? Notre mode de vie a toujours engendré « une accélération permanente entre des pénuries et de nouvelles solutions pour y répondre, créant elles-mêmes de nouveaux besoins et de nouvelles pénuries » (p. 59).
Mais cette fois, aucune fuite en avant ne viendra nous sauver, prévient Philippe Bihouix, car nous nous heurtons à des limites physiques. Il n’y a pas assez de lithium sur terre pour équiper plusieurs centaines de millions de véhicules électriques, et pas assez de platine pour un parc équivalent de voitures à hydrogène. Nous manquons également de temps. Il faudrait 500 années de production (au niveau 2011) pour satisfaire les besoins de la planète avec des panneaux solaires.
La dématérialisation de l’économie ne changera rien : malgré l’ordinateur, on consomme 900 000 t de papier de bureau en France. Les biotechnologies sont encore en devenir, à supposer qu’elles ne reposent pas, elles aussi, sur une fuite en avant : remplacer certains plastiques par des végétaux, c’est condamner des ressources agricoles. Quant aux nanomatériaux, censés économiser de la matière en miniaturisant les équipements, ils disséminent des éléments rares sans le moindre espoir de recyclage : 500 tonnes de nano-argent en 2008, par exemple, soit près de 3 % de la production mondiale, pour les textiles, les réfrigérateurs, etc.
Bref, les nouvelles technologies ne répondent pas aux défis croissants du manque de matières premières. La high tech « permet aux mieux de freiner l’effondrement », en alimentant un discours trompeur, à tous points de vue. « En produisant de l’énergie à partir de panneaux solaires, en imprimant des objets, je ne suis producteur de rien du tout, souligne l’auteur. Je n’exploite aucun savoir-faire. Je ne suis qu’un débouché tertiaire du vrai producteur, le fabricant des panneaux, qui reste ancré dans le bon vieux secteur secondaire fordiste et souvent made in China » (p. 102).
Face aux impasses de la société – en termes de ressources, de pollutions, de consommation d’espace (70 000 ha artificialisés chaque année, soit la surface d’un département en sept à dix ans) – la seule solution est donc de changer de logiciel. Se tourner vers des solutions low tech, qui permettent de diminuer nos prélèvements. « L’enjeu, résume clairement Philippe Bihouix, n’est pas entre croissance et décroissance, mais entre décroissance subie ou décroissance choisie » (p. 113).
Comme il n’y a pas de produit ou de service plus économe en ressources que celui que l’on n’utilise pas, il faut s’interroger. Pourquoi poser des centaines de panneaux solaires si c’est pour alimenter des publicités lumineuses ? Quel est l’intérêt de chauffer des terrasses de café ? Réduire les besoins « peut et doit être un levier majeur » (p. 209), même s’il y a des pertes d’emploi à a clé. Privilégier les objets durables, propres et économes en ressources, conduit en effet à faire une croix sur la filière des yachts de luxe (1500 litres de carburant à l’heure), comme sur les machines à café avec des capsules jetables, les cosmétiques avec des métaux lourds, les cercueils en bois (au profit d’un linceul en chanvre grossier), etc.
Philippe Bihouix envisage aussi d’interdire le golf (gourmand en eau) et les compétitions internationales (J.O., coupe du Monde…) assimilées à une « débauche énergétique » qui concerne aussi les technologies informatiques (7,3 % de la consommation d’énergie en France en 2008).
Certaines des propositions de l’auteur pourront sembler évidentes : supprimer les imprimés publicitaires (1 million de t/an), par exemple. D’autres le seront moins : imprimer les journaux en noir et blanc, mutualiser les lave-linges dans l’habitat collectif, ou diminuer le chauffage. Ce sont des exemples, un brin provocateur, mais on en comprend vite l’intérêt. Le chauffage représente 25 % de l’énergie dépensée en France. Avec un seul degré en moins, on peut réduire la dépense de 7 à 10 %.
C’est en complément de telles démarches que s’inscrivent les low tech, « virage à 180° contre l’obsolescence programmée, technique ou culturelle, la différenciation marketing et la logique du tout-jetable » (p. 126). Selon l’auteur, il s’agit davantage d’un changement de nos modes de vie que d’une renonciation à la technique. Pour l’informatique par exemple, le consommateur est convié à sortir du culte de « l’ultra-connectivité », et le législateur invité à changer la loi sur les amortissements comptables, qui favorise la mise au rebut de matériel fonctionnel. Mais il faut aussi agir sur la conception des produits, leur recyclage, et « contraindre les opérateurs » à produire des appareils durables.
Ingénieur de formation, l’auteur fait valoir que les low tech ne vont pas diminuer les efforts de recherche. Au contraire, le challenge est considérable. Éco-conception, éco-recyclage, et même agriculture, il faut pratiquement tout (ré)inventer, en changeant de perspective.
À une efficacité technique, qui conduit droit dans le mur, doit se substituer une efficacité environnementale et sociale. Quitte à perdre en performance. Il s’agit donc de relocaliser des activités pour produire des biens, de l’énergie (petites éoliennes), ou réparer des objets du quotidien dans « de petits ateliers équipés de quelques machines robustes » (p. 154).
Faisons simple, dit Philippe Bihouix. À la place d’un système de capteurs pour traiter les verres usagés dans des usines lointaines, standardisons quelques modèles de bouteilles en fonction de leur contenant, et adoptons un système de consigne. Plutôt que de jeter 250 000 t de pneus chaque année, développons le rechapage.
Pour les industries de procédé (ciment, d’acier...), la relocalisation n’est pas toujours souhaitable. Il y a un équilibre à trouver, d’autant que la question des transports est autant liée à l’écologie (coûts (énergétiques) qu’au système de production (coûts sociaux).
Autant dire que les industries de réseau sont un enjeu fondamental et une contrainte de taille pour les low tech. Les systèmes de transport, de distribution d’eau, le maillage du téléphone sans fil (160 000 antennes relais), les éléments de notre modernité reposent sur des systèmes complexes qu’il n’est guère concevable de modifier brique après brique. Mais l’auteur avance sept principes qui sont autant de fils conducteurs. On ajoutera à ceux qui ont déjà été évoqués : savoir rester modeste (« Devant la complexité de la nature, tu t’émerveilleras ») et « démachéniser » les services (« l’homme par la machine, précautionneusement tu remplaceras »). Deux domaines peuvent illustrer leur mise en œuvre.
L’agriculture, d’abord. Comment nourrir l’humanité à moyen et long terme ? La consommation mondiale de pesticides est passée de 0,05 à 2,5 millions de tonnes entre 1945 et 2007, et la France est championne d’Europe avec 4,5 kg/ha/an. Au-delà des effets sur l’environnement, les rendements de l’agriculture stagnent et les OGM (organismes génétiquement modifiés) ne tiennent pas leurs promesses. Entre la monoculture céréalière et les élevages concentrationnaires, la solution passe par une polyculture centrée sur des exploitations de taille moyenne, qui reconstituent la fertilité des sols.
Pour l’auteur, qui plaide pour le développement du bio et la récupération des déchets humains, ce qu’on perdait en rendement serait facilement compensé, d’autant qu’un quart de notre production finit à la poubelle. Il faudrait simplement manger moins de viande (il faut de 4 à 12 calories végétales pour produire une calorie animale) ou de poisson d’élevage, et adopter des circuits courts dans la distribution. Meilleurs paysages, qualité des aliments, nouveaux emplois…, il n’y a là rien d’irréaliste, au contraire. Il suffit de réorienter les (importantes) aides agricoles.
Au chapitre « transports », l’auteur vilipende la voiture, « cet objet de l’ordre d’une tonne transportant 80 kilos de charge utile dans la plupart des cas » (p. 191). On en comptait un milliard en 2010, synonymes de confiscation de terres agricoles, pour une mobilité plus virtuelle que réelle. En traduisant, en temps de travail, tout ce que nous coûte une voiture, le vélo s’avère en effet plus rapide. Il faut donc l’adopter, et se contenter de « pots à yaourt » légers, donc économes, rustiques, donc faciles à entretenir, et peu motorisés, car la voiture ne sera plus qu’un appoint si on développe réellement les transports collectifs. Non pas le TGV, une aberration écologique, mais les trains régionaux, les métros et surtout les bus.
L’auteur raisonne en ingénieur : pour diminuer notre empreinte, il faut baiser la vitesse, réduire la masse, et limiter les parcours. Ce dernier paramètre est un choix de société. Si on revoit l’aménagement du territoire dans une perspective low tech, on réduit nos besoins en déplacements.
Concrètement, il faut à la fois redynamiser les bourgs et « désurbaniser sans étaler ». La question de l’urbanisme et du cadre de vie est délicate, admet l’auteur. Comme pour l’agriculture, cependant, nous avons une bonne marge de manœuvre. Arrêtons les grands travaux d’infrastructure, et concentrons-nous sur le bâti existant, en considérant que la population va finir par stagner, qu’il faut revoir la réglementation sur la location des logements, et qu’on peut construire « beau, sobre, et durable ».
Toutes ces solutions réduisent nos besoins en ressources et en énergie, que celle-ci soit nucléaire ou éolienne. Selon un calcul « de coin de table », avec 25 % de notre consommation actuelle produite sous forme low tech (petites éoliennes, solaire, hydroélectricité..), nous aurions assez pour « vire décemment », c’est-à-dire sans faire la lessive à la main. Cela suppose de se pencher sur les « aspects culturels sociaux, moraux politiques qui seraient nécessaires pour accompagner les évolutions techniques et organisationnelles » (p. 267).
Donc d’ouvrir quatre grands chantiers : la « question majeure de l’emploi », la balance des paiements, l’échelle du changement dans un monde globalisé, et la mutation de notre système de valeurs. Cela fait beaucoup, mais l’auteur se montre à la fois optimiste et catégorique : « Le changement radical de modèle économique, indispensable pour éviter l’effondrement environnemental, est aussi éminemment souhaitable d’un point de vue social » (p. 282).
L’auteur propose d’interdire le prêt avec intérêt, considéré comme le facteur mécanique d’une course sans fin à la croissance. Mais son propos essentiel porte sur la technologie, au cœur d’un changement de paradigme qu’il faudra bien opérer – rapidement – pour continuer à vivre dans un monde aux ressources limitées.
Avec conviction et audace, Philippe Bihouix plaide pour des principes vertueux (objets durables, pratiques peu polluantes, circuits courts...). Il les illustre par des gestes du quotidien, et des exemples de pratiques à promouvoir, comme la suppression des poubelles, dont le local pourrait utilement abriter un cochon, les habitants des immeubles urbains se livrant à l’élevage de vers de terre pour fabriquer du compost. À sa propre échelle, comme à celle de la planète, il faudra prendre des décisions courageuses.
Condamner le football sous le prétexte qu’il mobilise 295 m² de terrain par joueur peut paraître abusif. Pourquoi ne pas prendre en compte l’ensemble des licenciés et la surface totale des stades ? Malgré tout, les exemples parfois « iconoclastes » de l’auteur indiquent comment adopter un mode de vie compatible avec nos ressources limitées. L’ouvrage se situe en effet du côté de la consommation, sachant que l’exercice a ses limites. Par jour et par français, les déchets des ménages et collectivités atteignent de 1,6 kg, alors que ceux du BTP représentent 10,7 kg.
L’auteur se dépend d’être liberticide, mais quelques suggestions posent problème.
Restreindre l’accès à Internet sous prétexte que regarder des vidéos engendre un trafic « peu utile », n’est-ce pas aller au-delà d’une approche technologique ? S’il s’agissait d’opéra, la technique serait-elle légitime ? La question politique de la décision est toutefois cruciale : qui peut croire que les commerçants vont spontanément revenir s’installer dans les bourgs ruraux ? Ou que l’entreprise Peugeot va d’elle-même se convertir à la voiturette ?
L’ouvrage, qui ne se veut ni un programme ni une « utopie », est ainsi une bonne introduction à un débat, déjà abordé par Ivan Illich en son temps. Éloge de la sobriété, il dissipe des illusions et dessine des pistes sans tabou. La fondation de l’écologie politique lui a d’ailleurs décerné son prix annuel.
Ouvrage recensé
– L'âge des low-tech. Vers une civilisation techniquement soutenable, Paris, Seuil, 2014
Du même auteur
– En collaboration avec Benoît de Guillebon. Quel futur pour les métaux ? Raréfaction des métaux : un nouveau défi pour la société, Les Ulis, EDP Sciences, 2010.
Autres pistes
– David Edgerton, Quoi de neuf: du rôle des techniques dans l’histoire globale, Paris, Seuil, 2013.– Jacques Ellul, Le système technicien, Paris, Le Cherche Midi, 2012.– Ivan Illich, La convivialité, Paris, Éditions du Seuil, 2013.