Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Philippe Breton
L’ouvrage aurait pu s’intituler Le Protocole de préparation de l’argumentation. En effet, le cœur même du livre consiste à proposer une méthode simple et claire en quatre étapes pour préparer une argumentation en s’appuyant sur les règles de la rhétorique antique, dépoussiérées et remises au goût du jour. À peine plus de 150 pages suffisent à Philippe Breton pour poser les enjeux d’une argumentation convaincante et pour donner les clefs d’une rhétorique efficace. En effet, dans cet ouvrage, l’auteur cherche à lier de manière indissociable deux problématiques complémentaires : l’éloquence et la morale. Il entend décrire un processus efficace pour préparer une argumentation solide. De quoi bien former des communicants éthiquement irréprochables.
Philippe Breton veut d’abord mettre en lumière le lien entre rhétorique et éthique, ou, en termes plus actuels, il veut montrer comment on peut et doit adopter une communication à la fois probante et responsable.
Celui qui a une opinion et qui veut y rallier les autres de manière durable et profonde doit préparer une argumentation cohérente. S’il se propose d’agir en bluffant, en trompant, en bousculant son auditoire, il doit s’attendre à de cruelles déconvenues. Il doit au contraire préparer un enchaînement d’arguments qui immanquablement amènera à diffuser ses convictions.
Philippe Breton, universitaire, fin spécialiste de cette matière littéraire qu’est la rhétorique, veut utiliser la force de cette longue tradition qui a pris naissance dans l’Antiquité aussi bien grecque que latine, puis s’est imposée dans le champ culturel classique, structurant la production de textes argumentatifs jusqu’au XIXe siècle.
Mais l’auteur est aussi un pédagogue expérimenté : il sait bien que la rhétorique n’est plus une discipline inculquée en tant que telle. Lui-même professeur, il enseigne la communication contemporaine. Il a pu mesurer combien les principes traditionnels sont solides et efficients, si bien qu’en les appliquant à des sujets actuels, il permet à son lecteur de s’approprier cette culture, même s’il n’a jamais étudié aucun orateur antique.
Ainsi jamais Aristote n’aurait pu aborder et évoquer, non sans malice, les discussions dans le couple sur le partage des tâches ménagères ou, plus sérieusement, les débats qui agitent l’opinion publique autour du nucléaire ou de l’euthanasie.
Tout le vocabulaire employé par l’auteur nous situe dans le domaine de la conviction et de l’opinion. Et il constate qu’on n’amène pas les autres à partager son point de vue par un simple énoncé de faits. Convaincre demande autre chose qu’une simple démonstration rationnelle. Il ne suffit pas de relater des faits ou de décrire des situations. Il faut construire une argumentation en mêlant le factuel et l’émotion, mais toujours en agençant le discours pour qu’il ait un impact sur les jugements de ceux qui écoutent. L’opinion ne relève ni des faits ni des émotions, même si elle se nourrit des deux. La transmission d’une conviction tient forcément compte du rapport interpersonnel qu’on va instaurer avec son interlocuteur. Bien connaître sa cible permet d’ajuster l’argumentation. Ainsi, en guise d’exemple, il évoque une prise de parole sur la délinquance des mineurs devant un auditoire composé à la fois d’enseignants et de policiers : l’argumentation devra intégrer des angles d’attaque différents qui prennent en compte toute la palette des sentiments sur lesquels elle pourra jouer. Se réfugier dans un simple énoncé de faits n’est pas la solution : ce serait, à coup sûr, un procédé incapable de convaincre qui que ce soit. L’expression est bien la clef, puisqu’il faut entretenir une communication de qualité avec son auditoire. C’est de communication globale qu’il s’agit, utilisant tous les registres possibles.
Dans le court lexique de fin d’ouvrage, l’auteur précise bien ce qu’on entend par communication, c’est-à-dire la transmission d’un message qui passe d’un émetteur à un récepteur via un canal. Et il précise les trois registres de la communication : la communication expressive (qui utilise des figures pour exprimer ce qu’on ressent), la communication argumentative (qui vise à convaincre et à partager des opinions) et la communication informative (qui s’en tient aux faits et aux événements).
Ruse, violence, bluff, propagande... Nous serions tentés de croire, au miroir de l’histoire, que les tactiques de manipulation sont redoutablement efficaces. L’auteur évoque les ouvrages – ou même aujourd’hui les catalogues de formations – qui promettent de faire du lecteur ou de l’apprenant un leader qui imposera son point de vue aux autres. Il dénonce en particulier la PNL, Programmation Neuro-Linguistique qui, sous couvert d’une appellation plus ou moins scientifique, vend l’illusion de dominer les débats, mais ne permet d’obtenir que des adhésions, immédiates certes, mais superficielles et de courte durée. Il fait aussi remarquer que si la propagande fonctionne dans les régimes totalitaires, ce n’est pas grâce à la qualité de son argumentation, mais par les menaces, la police politique et les violences qui accompagnent la communication du pouvoir, toutes choses extérieures au discours ! Dans un cadre démocratique, si le citoyen a librement le choix de son opinion, dès qu’il aura le sentiment qu’on cherche à abuser de son consentement par des méthodes douteuses, il nourrira un ressentiment totalement contre-productif. Les flatteries, les techniques qui consistent à calquer sa respiration et sa gestuelle sur celles de sa victime pour mieux entrer en (fausse) empathie avec elle, si elles sont repérées, amènent immanquablement à la révolte et au conflit.
Et celui qui aura eu recours à ces techniques, lui aussi perdra en estime de soi, ce qui sur le moyen et le long terme finira par avoir des effets plus négatifs que positifs. La transformation de l’individu, qu’il soit à l’origine de la manipulation ou qu’il en soit la victime, est une très mauvaise opération, délétère pour les rapports sociaux. Et donc, pour obtenir un résultat rapide et immédiat, il ne faut pas céder aux sirènes de la ruse et du jeu pervers, même si la tentation peut en être forte.
Socrate condamne les sophistes, les beaux parleurs, capables de défendre n’importe quelle cause sans être animés par quelque conviction que ce soit. Et selon Cicéron, pour être un bon orateur, il faut avoir de la culture et de la morale. Par le mot orator la langue latine désigne celui dont la fonction est de parler, c’est-à-dire l’homme public, voire l’homme politique.
Philippe Breton insiste bien dans son livre sur le rapport intime entre l’argumentation et la démocratie : c’est dans le cadre de débats publics, avec des protagonistes sur un pied d’égalité, que se développe le mieux la joute oratoire. Et comme le but de l’argumentation est de confronter les points de vue, de peser le pour et le contre et de trouver ce qui est le meilleur pour la collectivité, il est certain que la démocratie est l’espace de prédilection de cet exercice. La démocratie se nourrit de dialogue et d’échanges, supposant que chacun respecte le point de vue de l’autre et cherche à comprendre le fond des problèmes soulevés.
En effet, l’auteur prévoit des questions du lecteur, voire des objections, il les formule – elles sont mises en valeur par une typographie particulière – puis il y répond dans un court développement. Ainsi, par exemple, après avoir longuement expliqué comment préparer une intervention, il imagine la question un peu angoissée de son lecteur : « Que faire quand on doit argumenter sur le champ ? ». Il n’élude pas la question et explique qu’à force de préparer de nombreuses prises de parole, on est moins désarçonné quand on doit improviser. On a ainsi l’impression de suivre un cours particulier qu’on peut interrompre dès qu’on a besoin d’un éclaircissement.
D’un point de vue très pragmatique, l’ouvrage de Philippe Breton apprend à son lecteur comment préparer un argumentaire et en particulier une prise de parole. En effet – et c’est l’une de ses originalités – il s’agit bien dans ce livre d’art oratoire. Les manuels de dissertation sont légion : ici il n’est pas question de rédaction écrite, même si les étudiants pourront toujours y puiser quelques éléments profitables.
Pour Philippe Breton, un bon argumentaire se prépare et ce temps d’élaboration est absolument indispensable. L’apprentissage n’est pas une manœuvre artificielle, il faut, en effet, se prémunir face à tout ce qu’un débat peut avoir d’aléatoire et d’imprévu. Se former et s’entraîner, c’est ce qui permet d’affronter toutes les situations.
Pour ce faire, il faut soigneusement distinguer d’une part l’opinion qu’on souhaite faire partager et les arguments qu’on va mettre en oeuvre. Cela suppose aussi de prendre en compte toutes les composantes de son auditoire et d’anticiper les obstacles ou les objections potentiels. Ce qu’on appelle « l’aisance naturelle » qu’on peut manifester à l’oral n’est pas inscrite dans les gènes, elle résulte d’une pratique et d’une anticipation. Et d’un autre côté, on ne doit pas non plus croire que parce qu’on pense détenir la vérité, il suffira de l’exposer factuellement aux autres pour la voir triompher.
C’est pourquoi l’auteur insiste sur le protocole qu’il va détailler et dont il faut suivre dans l’ordre les étapes. Ce modèle est hérité de la rhétorique des Anciens, mais il s’adapte parfaitement aux problématiques modernes.
Le livre présente de nombreux exemples. On voit ainsi des situations très variées comme une réunion technique au bureau où un certain Robert doit proposer à son équipe la création d’un nouveau service au sein du département : il apparaît que cette personne sera en grande difficulté si elle se contente de préparer le dossier technique sans réfléchir aux arguments adaptés aussi bien au directeur qu’à ses autres collègues. On observe aussi dans un autre registre une situation de vente chez un concessionnaire automobile où des techniques de manipulation immorales pourraient pousser le client vers un achat non adapté à ses besoins. L’auteur évoque d’autres questions moins concrètes comme un débat sur la responsabilité individuelle ou la peine de mort.
Habituellement, les études rhétoriques consistent plutôt à repérer dans un texte argumentatif déjà écrit différents angles d’analyse : l’invention (inventio en latin) pour repérer le ton, le genre utilisé, la délimitation du sujet, les catégories d’arguments ; la disposition (dispositio) pour décortiquer le plan du texte ; l’élocution (elocutio) qui relève les figures de style. Et ces angles variés permettent ensuite dans un commentaire de rendre compte de la singularité d’une oeuvre en mêlant ces différentes approches. Mais Philippe Breton ne se situe pas comme un critique littéraire qui étudierait des textes argumentatifs, il se place ailleurs, à la chaire du professeur d’éloquence qui transmet à ses disciples une méthode d’élaboration du discours.
Il reprend donc méthodiquement les grandes parties de la rhétorique antique, quitte à en bousculer un peu l’ordre et la teneur.
Il commence par l’invention : il s’agit de découvrir le public auquel on s’adresse, le point de vue global et les points d’appui les plus appropriés. Il se limite à l’essentiel et, par exemple, se débarrasse de toute la typologie antique (éloquence judiciaire, délibérative ou épidictique ; ou encore éthos, pathos et logos ; preuves extrinsèques et intrinsèques, etc.).
Il en vient ensuite à l’élocution qui, pour lui, consiste essentiellement à trouver des arguments. Il modifie un peu le champ de cette partie de la rhétorique classique en plaçant ici la typologie des arguments – qui relève plutôt de l’inventio antique – et en distinguant les familles d’arguments (autorité, communauté, cadrage, analogie, par exemple). Il n’insiste guère sur ce qui faisait l’élocution antique, c’est-à-dire le choix d’un niveau de langue (« style ») ou d’ornements que procurent les figures de style.
Il aborde ensuite la disposition (qui était la deuxième partie de la rhétorique et non la troisième) qui consiste à donner une architecture au raisonnement, une structure ferme. Il propose là le plan rhétorique classique, avec un exorde qui capte l’attention et introduit le sujet, puis l’exposé de l’opinion qu’on va promouvoir, et la présentation de divers arguments qui vont tous dans le même sens et se renforcent les uns les autres. Enfin la péroraison vient clore le développement.
Philippe Breton peut alors remettre à l’honneur une partie de la rhétorique souvent négligée, que les Anciens appelaient actio, l’action, donc, qu’il mêle à la memoria, la mémoire, qui donnait des astuces pour se souvenir du plaidoyer ou du discours que l’on avait préparé. Il s’agit dans ce développement de bien incarner son discours, de le soutenir par sa gestuelle, ses intonations et ses effets. L’auteur aborde ainsi rapidement la question de l’éthos de l’orateur, c’est-à-dire de ses valeurs et de son honnêteté, ainsi que celle de l’émotion et du pathos qu’on peut susciter dans l’auditoire. Il donne des astuces pour avoir sous les yeux quelques supports pour soulager la mémoire, en ayant parfaitement mémorisé le plan mais en disposant de notes bien organisées, mais non rédigées, avec par exemple des mots-clefs très visibles. L’essentiel réside dans la capacité à répondre aux réactions de l’assistance.
Le livre de Philippe Breton se veut très pragmatique, s’appuyant certes sur une méthode ancestrale qui a fait ses preuves, celle de la rhétorique classique. Mais il n’hésite pas à la bousculer un peu, à en utiliser les procédés mais en les adaptant au monde moderne de la communication, et en particulier à la sphère de la prise de parole.
Cet abrégé, donne donc accès à la fois aux concepts qui permettent d’analyser le discours, aux procédés pratiques pour élaborer un argumentaire et aux conseils pour être efficace à l’oral, ce qui d’ordinaire se trouve dispersé en plusieurs ouvrages. Ce manuel pratique est à mettre dans toutes les mains et tous les tiroirs de bureau.
Fruit du mélange entre la rhétorique classique et l’expérience de ses années universitaire, Convaincre sans manipuler est un véritable petit guide pratique à destination des débutants en communication.
Le livre, organisé selon une logique de progression, fourmille d’exemples clairs et pertinents. Il aborde les fondamentaux sans entrer trop entrer dans les détails et peut-être pourrait-on lui reprocher un manque de nuance et de développement dans ses analyses.
Excellent outil pour les orateurs débutants, n’espérez cependant pas y trouver la recette miracle de l’art de convaincre… ;)
Ouvrage recensé
– Convaincre sans manipuler. Apprendre à argumenter, Paris, La Découverte, 2008.
Du même auteur
– L'argumentation dans la communication, Paris, La Découverte, 2016 [1996].– Argumenter en situation difficile, Paris, La Découverte, 2004.
Autres pistes
– Nicolas Boothman, Convaincre en moins de 2 minutes, Paris, Poche Marabout, 2013.– Marty Brounstein et Florence Balique, Communiquer efficacement pour les nuls, Paris, First, 2011.– Alex Mucchielli, L'Art d'influencer, Paris, Armand Colin, 2000.– Jean et Renée Simonet, Savoir argumenter du dialogue au débat, éditions d’Organisation, 2014.