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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Azincourt

de Philippe Contamine

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Histoire

Laissant une grande place aux archives du temps, chroniques françaises et anglaises, complaintes ou comptes publics, Philippe Contamine nous donne à comprendre non seulement la guerre de Cent Ans, mais encore l’esprit du temps, les problèmes économiques, le droit de la guerre : tous les bouleversements qui ont accompagné et provoqué la fin du Moyen Âge. À le lire, on comprend réellement les enjeux du conflit et pourquoi la défaite d’Azincourt (1415) frappa tant les esprits : elle était inattendue.

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1. Introduction

La guerre de Cent Ans (1337-1453) correspond en Europe à une dépression démographique et économique qui dépasse de loin le cadre du seul conflit entre Capétiens et Plantagenêts pour la domination de la France. La Peste noire (1347-1351) a tout dévasté sur son passage. 30% de la population a disparu.

La France, alors de loin le pays le plus peuplé du continent, est passée de 21 à 14 millions d’habitants. Certaines régions sont décimées : la Normandie perd les deux tiers de sa population. Nombre de villages et de champs sont abandonnés. La crise économique est générale. En outre, les mentalités changent. La chevalerie se voit magnifiée, chantée, codifiée, mais elle est en crise, car elle ne fait plus le poids face aux armées professionnelles, privées et d’État. Décidément, le beau Moyen Âge des cathédrales et des Croisades a pris fin.

C’est dans ce contexte, qui correspond à l’émergence de l’État moderne et de son fisc voué à financer l’armée permanente, que Philippe Contamine replace la mémorable défaite d’Azincourt. S’appuyant sur les témoignages du temps, citant longuement complaintes et chroniques, dont celle du fameux Froissart, il nous fait sentir la catastrophe qu’elle fut : la ruine soudaine, causée par l’incurie militaire et les divisions intestines, de tous les efforts fournis par la France depuis Charles V pour se redresser.

2. Les horreurs de la guerre

Les contemporains attribuent généralement les calamités qui les accablent à une seule cause : la guerre. En ce début du XVe siècle, elle est partout. On a inventé la poudre à canon, perfectionné les armures. La guerre est plus destructrice et plus coûteuse. Si elle ravage l’Europe entière, c’est en France que la situation est la plus grave, où les Plantagenêt, rois d’Angleterre, revendiquent ce Royaume des lys, qui pour leur noblesse est un terrain de chasse et de butin.

Si nul ne veut minimiser l’horreur de la guerre, les historiens d’aujourd’hui appréhendent toutefois les choses autrement. Pour eux, l’impression causée sur les esprits par la guerre fut nettement plus importante que la guerre elle-même. Les chevauchées, si désastreuses et impressionnantes qu’elles furent, ne concernèrent jamais qu’une portion très réduite du territoire : les étroits couloirs par où passaient les petites armées d’alors, qui ne comptaient que quelques milliers de combattants.

La ruine économique n’a donc pas pu avoir comme cause directe ces expéditions. Son énormité ne peut s’expliquer que par des événements eux-mêmes énormes : la dépopulation provoquée par les épidémies et la raréfaction de l’argent dans le circuit économique, raréfaction provoquée par l’augmentation des impôts, elle-même causée par le besoin de financer la guerre, et elle-même source de désordre : le refus de l’impôt fut un motif constant de révoltes bourgeoises et paysannes.

Ce changement a une origine technique. Le service militaire, en principe exigible par le Prince de la part de tous ses sujets libres, ne suffit plus. La levée en masse du temps de Charlemagne, l’appel au ban et à l’arrière-ban utilisé par les rois de France au début de la guerre de Cent Ans n’aboutissent qu’à des armées de non professionnels, indisciplinées, incapables de faire face aux Anglais. Peu à peu, ce système est remplacé par celui des armées professionnelles et permanentes. Elles peuvent être d’État, ou privées : les compagnies (condotta en italien), bandes de mercenaires que le roi paie pour la durée d’une campagne.

Or, une fois la campagne achevée, ces compagnies demeurent. Nul patriotisme ne les habite. Alors elles pillent, en attendant la prochaine guerre, et, une fois celle-ci déclarée, elles feront tout pour qu’elle ne cesse pas. Ainsi, les gens d’armes passent, aux yeux du peuple, pour être la pire engeance du monde.

3. La France livrée

La France du XIVe siècle fut pour l’aristocratie d’outre-Manche une préfiguration de l’Inde du XIXe : un territoire très riche livré au pillage. Les rois anglais, régulièrement, débarquent et chevauchent. Ils pillent. Ils vivent bien. Ils se font nombre de complices, parmi les gens de guerre, nobles et bandits, puis ils repartent, coffres chargés, dans leur terre natale. Une véritable économie de razzia, avec pour les Plantagenêts ce but : tant épuiser le pays qu’à la fin il n’aura d’autre choix que de se livrer à ses nouveaux maîtres.

Après la bataille de Maupertuis (1356), il semblait bien qu’il dût en aller ainsi. Le pays avait déjà essuyé nombre de défaites (L’Écluse en 1340, Crécy en 1346, Calais en 1347). Il était exsangue, ravagé par la peste. Mais là, ce fut vraiment la curée. Alors que la bataille semblait devoir s’engager à l’avantage du roi de France, Jean le Bon, survinrent les envoyés du pape, qui voulait réconcilier les deux princes et les envoyer en croisade. Ce temps de pourparlers, les Anglais l’employèrent à se bien retrancher, et la cavalerie française, ne se doutant de rien, vint le lendemain se heurter aux pieux, aux fossés et aux archers de l’ennemi. « Et là fut morte, narre Froissart, […] toute la fleur de la chevalerie française. »

Le roi de France fut fait prisonnier, Paris se rebella tant la rançon exigée dépassait les possibilités du pays ravagé. À la révolte d’Étienne Marcel, le prévôt des marchands de la capitale, vint s’ajouter, dans le Beauvaisis et le Soissonnais, la révolte des Jacques, ces chefs paysans à qui l’on doit le mot de jacquerie. Mais le Dauphin parvint à reprendre la main, mâtant les uns et les autres. Il fallut bien céder, et, par le traité de Calais (1360), on livra le pays. Outre la rançon, nombre de villes et de provinces passèrent sous la domination des Plantagenêt (Calais, Guines, le Ponthieu du Nord, l’Agenais, le Quercy, le Rouergue et la Gascogne du Sud). Pendant vingt ans, le pays plongea dans le chaos.

Aux grandes chevauchées venaient s’ajouter les permanentes menaces de ces aventuriers d’outre-Manche qui, n’étant pas repartis, vivaient sur le pays en véritables colonisateurs, prenant à leur service « les déclassés et les déracinés, les bâtards nobles et les criminels de droit commun, toute cette masse d’épaves inquiétantes qui constituent les bas-fonds de la société à la fin du Moyen Âge » (p.63). Pire : les compagnies s’unissent en une « Grande Compagnie (magna societa) dont les dimensions et l’organisation rappellent celles d’une véritable armée ». Le pouvoir, impuissant, la laisse rançonner le pays.

4. La crise de l’idéal chevaleresque et ses conséquences

L’opposition est alors flagrante, entre l’idéal de la chevalerie chrétienne, codifiée par le droit canon et gérée par des tribunaux spéciaux, et la guerre réelle, telle que l’ont faite les mœurs et les conditions de l’époque. En réalité, la vieille chevalerie se meurt : elle a été décimée dans les grandes batailles où les Anglais ont eu le dessus, de l’Écluse à Poitiers, et ce qu’il en reste ne sert plus désormais que d’arme d’appoint.

Pour sauver l’idéal, on écrit des livres (Geoffroy de Charny) et on crée des ordres de chevalerie, la Jarretière en Angleterre, l’Étoile en France. L’époque est mystique et aristotélicienne : on cherche dans les astres « une explication cosmique de la guerre » (p.109), et l’on tente de réconcilier celle-ci avec l’idéal chrétien en distinguant la guerre mauvaise, qui consiste en une violence non ordonnée par une fin juste, de la guerre bonne, qui consiste à lutter pour rétablir la justice. Cette dernière est en principe noble. Elle suppose de respecter la trêve de Dieu et de ne pas réduire les vaincus en esclavage.

Mais toute cette codification retombe sur les paysans. Puisqu’on ne tue pas le vaincu, puisqu’on ne le réduit pas en esclavage, on le fait prisonnier. Il devra, pour se libérer, payer une rançon, et c’est aux laboureurs de la payer. Ainsi, la guerre est devenue un sport, « un jeu dont [les paysans] sont la mise » (p.136). La haine grossit, dans tout le pays, contre les gens de guerre, ainsi qu’en témoigne la Complainte sur la bataille de Poitiers, de 1356. L’idée, c’est que les militaires, les chevaliers, la noblesse, ont trahi le roi et le pays. Extrait : « Par leur grand convoitise, non pour honneur conquerre, / Ont fait tel paction avec ceux d’Angleterre : / “Ne tuons pas l’un l’autre, faisons durer la guerre ; / Feignons d’être prisons ; moult y pourront acquerre.” »

5. Le redressement et l’effondrement d’Azincourt

Face à l’incurie du pouvoir central, chaque pays, chaque bourg se met en défense pour son propre compte. Les cités flamandes s’émancipent, et certaines régions deviennent de quasi-États, comme le duché de Bourgogne. L’autorité souveraine n’est cependant pas morte. Les rois de France se reprennent. Ils instaurent l’institution par laquelle se fera la France moderne : l’armée permanente (environ 6000 combattants). Institution très contestée à l’époque (pour Machiavel, elle était la négation de la liberté), elle permit de reconquérir la plupart des provinces perdues, si bien que, vers 1380, on pouvait considérer la France comme rétablie. Seuls le duché de Guyenne et la ville de Calais appartenaient toujours aux Anglais.

Alors, Charles VI forme le projet d’envahir l’Angleterre. La noblesse accourt, de partout, pour « entrer en Angleterre et tout le pays détruire ». En 1386, ce sont plus de 50 000 hommes qui campent dans les Flandres. On attend le duc de Berri (cousin du roi) et ses troupes. Lui a grandi de l’autre côté de la Manche, et il sait qu’en automne ce pauvre pays d’Angleterre ne pourra nourrir une telle armée. Il sait que les Anglais s’organisent, car ils ont naturellement eu vent des préparatifs. Or, tandis qu’on attend le duc, l’armée mange le pays. À tel point que « les Anglais, affirme Froissart, s’ils étaient arrivés en France, n’auraient pas fait de plus grands ravages » (p.176). Pour finir, le roi se range à l’avis du duc de Berri : l’aventure est trop risquée, on annule.

Après une bonne dizaine d’années de paix relative, le parti de la guerre prend le pouvoir en Angleterre : Henri de Lancastre chasse Richard II (1399). En France, le trône est occupé par un fou : Charles VI. Deux partis se sont formés, les Bourguignons, favorables à l’entente avec les Plantagenêts, et les Armagnacs, partisans de la lutte. Ce sont ces derniers qui, en 1415, ont le pouvoir. Ils font régner la terreur sur les bourgeois de Paris et rejettent l’exorbitante exigence de l’Anglais, qui veut la Normandie. Henri de Lancastre débarque. Après le long siège d’Harfleur, que les Français n’ont pas mis à profit pour fondre sur l’ennemi arrêté, le Plantagenêt remonte vers les Flandres. L’armée du Roi de France, nombreuse, choisit de l’arrêter. Mais le terrain est mal choisi. La bataille du roi n’a pas la place de se déployer. « Assez avaient archers et arbalétriers, raconte Jean Le Fèvre ; mais ils ne voulurent point les laisser tirer ; et la cause était pour la place qui était si étroite qu’il y avait place fors pour les hommes d’armes » (p.196).

Les combattants sont fourbus, ils ont marché toute la nuit. Les chevaliers, alourdis de leur pesant armement, s’enfoncent dans le sol meuble trempé de pluie. Ils ne peuvent bouger. Le reste est connu. Les chevaliers français, lourds et peu mobiles, sont décimés par les archers anglais. Puis, c’est le massacre en bonne et due forme : « de sang froid, toute cette noblesse française fut là tuée, et découpés têtes et visages, qui était une merveilleuse chose à voir » (p.203).

6. Conclusion

S’achevant brusquement sur le récit de la bataille, le livre de Philippe Contamine est formellement dénué de conclusion, car Azincourt est en soi un achèvement. Ici prend fin le Moyen Âge. L’avenir appartient à ceux qui assumeront la modernité : armée de métier et impôt permanent au service d’une idée nationale. C’est la naissance de l’État moderne. Comme l’écrit Philippe Contamine au début de son ouvrage : « L’armée permanente lui [le Prince] assure une autorité accrue dans le royaume, elle lui permet d’étouffer au plus vite toute rébellion ; elle constitue à la fois le symbole et la garantie de son pouvoir. Née dans les désordres et les convulsions de la guerre de Cent Ans, elle a été l’instrument peut-être le plus efficace de l’absolutisme monarchique et de la raison d’État » (p.29).

Mais ceci a un prix : la naissance d’une puissante opposition, incarnée dans les révoltes paysannes (les jacqueries), les révoltes bourgeoises (Étienne Marcel) et les révoltes de l’esprit : « elle a soulevé [l’armée permanente] un violent mouvement de mécontentement […] : en France, l’évêque Thomas Basin, porté il est vrai aux opinions extrêmes, la considérait comme la marque même de la servitude » (p.28), comme Machiavel.

7. Zone critique

À lire le titre de l’ouvrage, le lecteur est en droit de s’attendre à une description de la bataille d’Azincourt, telle que l’on peut penser aujourd’hui qu’elle a eu lieu. Or, la bataille n’est l’objet que d’une narration, et cette narration est celle qu’en offrait au XVe siècle le chroniqueur Jean Le Fèvre, partisan du roi d’Angleterre.

La chose est typique de la méthode de Philippe Contamine. L’historien se fait humble ; il ne cesse de citer, très longuement, les sources primaires. Cette manière de faire est très agréable, puisqu’elle procure au lecteur le doux sentiment d’assister lui-même aux événements, et lui épargne les théories fastidieuses autant que les jargons d’université. Mais elle est biaisée. Philippe Contamine a forcément opéré un choix, dans ses sources, mais on n’en connaît pas les critères, lesquels sont nécessairement marqués par une historiographie dont il ne dit presque rien.

Enfin, il manque à l’ouvrage de donner des perspectives. Il en ressort, en effet, que la guerre de Cent Ans est la crise de naissance de l’État moderne, que cette naissance est déterminée par des nécessités militaires et qu’elle a provoqué des révoltes paysanne, bourgeoise et intellectuelle. Or, ce sont ces trois révoltes qui ont fini par se conjuguer, certain jour de 1789. Il aurait été du plus grand intérêt de savoir ce que Philippe Contamine pensait de cette frappante coïncidence, à la lumière de sa profonde connaissance de l’histoire de France.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Philippe Contamine, Azincourt, Paris, Gallimard/Julliard, coll. « Folio histoire », 2013 [1964].

Du même auteur– Charles VII : une vie, une politique, Paris, Perrin, 2017.– La Guerre au Moyen Âge, Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio », 2003.– La noblesse au royaume de France, de Philippe le Bel à Louis XII : essai de synthèse, Paris, PUF, coll. « Moyen âge », 1997.

Autres pistes– Thomas Basin, Histoire de Charles VII et de Louis XI, Pocket, coll. « Agora », 2018– Jean Froissart, Chroniques, Librairie générale française, coll. « Livre de Poche, Lettres gothiques », 2001– Jean Favier, La Guerre de Cent Ans, Fayard, 1980– Philippe Contamine, La Guerre au Moyen Âge, PUF, 2003 [1980]– Philippe Contamine, La Vie quotidienne pendant la guerre de Cent Ans. France et Angleterre (XIVe siècle), Hachette, coll. « La Vie quotidienne », 1976.

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