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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Philippe Joutard
Le mercredi 17 octobre 1685 fut un jour parfaitement ordinaire. Louis XIV, qui résidait à Fontainebleau, chassa le matin, assista le soir à une comédie, et dans l’intervalle signa l’édit révoquant l’édit de Nantes, qui régissait depuis 1598 les rapports entre les catholiques et les protestants. Très vite, apparurent les conséquences désastreuses, tant intérieures qu’internationales, de cette volonté d’éradiquer la religion réformée, et rapidement contemporains puis historiens se sont interrogés sur les circonstances et les responsabilités de cette décision. Dans cet ouvrage, le parti pris par Philippe Joutard est celui du temps long : l’importance de l’édit de Fontainebleau, qui révoquait celui de Nantes, tient autant dans les violences de sa première application que dans sa longévité. Comment expliquer l’incapacité à révoquer la Révocation au cours du siècle des Lumières, avec des dirigeants souvent indifférents en matière religieuse ? Cette permanence, malgré les preuves de son inefficacité a créé ce que Philippe Joutard qualifie de « culture de la Révocation » qui marqua durablement l’histoire de France et fut un facteur majeur d’intolérance.
Le 30 avril 1598, le roi Henri IV promulgua un édit de tolérance, l’édit de Nantes, qui accordait notamment des droits de culte, des droits civils et des droits politiques aux protestants du royaume. En signant un tel acte, il mettait fin aux guerres de Religion qui avaient ravagé la France depuis 1562. 87 ans plus tard, son petit-fils, Louis XIV, signa l’édit de Fontainebleau qui révoquait le versant religieux de l’édit de Nantes. La tolérance religieuse n’était plus et cette situation allait durer jusqu’en 1802.
Afin de justifier cet acte, le Roi Soleil expliqua qu’il n’avait fait qu’accomplir les souhaits de son père et de son grand père : « réunir à l’Église ceux qui s’en étaient si facilement séparés ». Les circonstances les en avaient empêchés : la mort précipitée pour Henri IV, les guerres menées tout au long du règne pour Louis XIII ; la paix retrouvée permit à Louis XIV de réaliser le « grand dessein ». Il motivait également son geste par le fait que l’édit de Nantes était selon lui devenu inutile, puisque la majeure partie des réformés étaient désormais convertis à la religion catholique romaine.
L’édit de Fontainebleau, lui, ne fut jamais révoqué, y compris par l’édit de Versailles de 1787 qui accordait l’état civil à tous les sujets du royaume, catholiques ou non. Un temps long, donc, durant lequel existait en permanence une menace contre les communautés protestantes du royaume et qui cristallisa les craintes des réformés jusqu’au XIXe siècle.
Philippe Joutard revient dans un premier temps sur les circonstances de rédaction de l’édit de Nantes en 1598 et les difficultés qu’avait dû affronter Henri IV à la fin du XVIe siècle. En effet, la situation française était unique en Europe. L’éclatement de la chrétienté avait entrainé deux modèles différents : dans la plupart des États, une seule confession l’avait emporté ; dans le monder germanique et en Suisse, une certaine égalité entre les deux courants s’était établie. Mais la France n’obéissait à aucun de ces deux modèles.
Le protestantisme était minoritaire (10 % des sujets du royaume à son apogée) et disposait de ce que l’historien qualifie de « minorité de blocage », principalement en raison de la qualité des individus gagnés à la Réforme : citadins, bourgeoisie marchande et portuaire, mais surtout de nombreux membres de la noblesse et même une partie de l’entourage royal. L’édit de Nantes se voulait un texte de compromis, d’arbitrage entre les deux partis.
Pourtant, la prééminence catholique était perceptible dans le texte de loi, notamment par l’utilisation pour désigner l’autre camp du terme péjoratif « religion prétendue réformée ». Œuvre pragmatique, l’édit de Nantes permettait surtout à Henri IV d’isoler les radicaux des deux camps, et de réunir autour de lui tous les chrétiens du royaume. Ainsi, le premier Bourbon retrouvait son autorité souveraine et fondait l’absolutisme.
Lorsqu’il arriva au pouvoir en 1661, Louis XIV avait parfaitement intériorisé la monarchie de droit divin. Le roi se pensait autorisé à intervenir sur toutes les questions religieuses, y compris sur la doctrine. Il ne se limitait pas seulement à la dimension temporelle des problèmes religieux, il se voulait chef de l’Église, intermédiaire entre Dieu et son peuple, responsable de la destinée spirituelle de celui-ci, à la manière du roi d’Angleterre.
C’est ainsi qu’il établit une stratégie à long terme à l’encontre des protestants, prenant de nombreux arrêts qui leur étaient défavorables (dont celui qui interdisait de chanter des psaumes en dehors des temples), dès 1663. Tout a donc été fait pour affaiblir le protestantisme, sans pour autant le faire disparaître. Au tournant des années 1680, le roi ne se satisfaisait plus de l’efficacité des méthodes utilisées jusqu’alors.
Après le pragmatisme prudent des années 1660, Louis XIV sembla vouloir agir rapidement, brutalement, par n’importe quel moyen. L’escalade vers la révocation fut notamment marquée par la déclaration du 17 juin 1681 permettant à un enfant de sept ans de changer de religion ; jusqu’alors les filles devaient avoir douze ans et les garçons quatorze.
Il suffisait d’un moindre geste réel ou supposé – vouloir entrer dans une église par curiosité, esquisser un signe de croix – suivi d’une dénonciation pour que l’enfant soit considéré comme voulant se convertir et donc susceptible d’être retiré à ses parents protestants : ceux-ci devaient alors plaider devant la justice.
Les réformés finirent par se méfier de leurs connaissances catholiques, sans parler de leurs ennemis ou de leurs débiteurs qui, par le biais d’une dénonciation calomnieuse, disposaient d’un moyen de pression facile. C’est ce climat qui pousse Philippe Joutard à employer le terme de « terreur » pour qualifier les quelques années précédant la promulgation de l’édit de Fontainebleau.
Face à cet étranglement progressif, il y eut une tentative de résistance huguenote mais la répression fut violente. Cet échec encouragea le pouvoir royal dans sa volonté de mettre fin au protestantisme. En outre, sur le plan international, Louis XIV se sentait renforcé par une conjoncture particulièrement favorable : de l’autre côté de la Manche, l’Angleterre avait vu arriver à sa tête un souverain catholique, Jacques II, qui s’efforçait de faire accepter les catholiques dans son pays. Ainsi, le triomphe du roi de France pourrait être complet et la révocation constituer l’apogée de son règne, mais il fallait agir rapidement et ce fut ce qu’il fit à la fin du mois d’octobre 1685, préparant son texte en neuf jours.
Pour répondre aux inquiétudes du clan Colbert sur le danger de fuite des négociants, l’édit de Fontainebleau contenait l’interdiction d’émigrer avec en contrepartie, la préservation du for intérieur : l’article douze prévoyait de conserver sa croyance dans son cœur à la seule condition de ne pas la manifester par la moindre pratique. Désormais, les protestants étaient réduits à la clandestinité d’autant plus que la répression d’accentua en 1686, au sujet de l’extrême-onction : en cas de refus de consulter un prêtre, le cadavre pouvait subir un procès et les biens du défunt confisqués.
L’échec de la révocation fut d’abord visible à l’extérieur du royaume et par l’émigration, ce que le roi avait voulu éviter. Car l’exil était une tradition ancienne chez les protestants français, initié dès l’introduction de la Réforme et plus massivement lors des guerres de Religion du XVIe siècle, particulièrement après le massacre de la Saint-Barthélemy de 1572. Trois destinations furent alors privilégiées : Genève, la Hollande et l’Angleterre.
Mais l’émigration ne fut pas le seul échec du Roi Soleil à l’extérieur de la France : en faisant mieux que l’Empereur qui faisait cohabiter les deux religions sur ses terres, Louis XIV attendait une forme de reconnaissance et les félicitations du chef spirituel des catholiques, le pape. Or, celles-ci se firent attendre. De même, s’ajoutaient des inquiétudes à propos des répercussions qu’aurait l’affaire pour les catholiques là où ils étaient minoritaires. Enfin, les pays à majorité protestante, longtemps fascinés par le royaume de France, changèrent radicalement de position, et d’abord la Hollande, dont le souverain Guillaume d’Orange se posa en protecteur des protestants français.
Dans le royaume de France, il existait une forte résistance passive de communautés entières qui firent leurs devoirs de catholiques uniquement sous la menace. Ainsi, Philippe Joutard souligne le grand nombre de croix à la place de signatures au bas de registres de catholicité dans des paroisses au taux d’alphabétisation élevé, comme si, faute de signature, la personne n’était pas engagée ou marquait au moins sa désapprobation. Autre forme de résistance cachée, le refus d’adopter les formules testamentaires catholiques invoquant la Vierge et les saints.
Les autorités eurent rapidement conscience de l’échec de la révocation de l’édit de Nantes. Pour des raisons évidentes, ce ne fut pas d’abord dans l’entourage royal qu’on la perçut mais à travers les réseaux de correspondants des Grands du royaume. Ainsi, le comte de Lussan, qui évoquait la région nîmoise en 1685, décrivit un pays meurtri dans lequel on peinait à se résoudre à aller à la messe. La plupart du temps, il était recommandé aux autorités de fermer les yeux et de ne faire appel aux juges qu’en cas de provocation. Mais à partir de 1688, la solution adoptée fut l’expulsion du royaume et la répression se fit plus grande en dépit des résistances, condamnant aux galères toujours plus d’hommes (1419 sous Louis XIV).
Après ces explications au sujet des origines et de l’application immédiate de l’édit de Fontainebleau, Philippe Joutard se penche sur les règnes qui ont succédé celui de Louis XIV. Il fait un constat historiographique important : autant les protestants sont bien présents dans les ouvrages consacrés au Roi Soleil, autant ils ont souvent disparu de celles qui traitent de son successeur, y compris les plus récentes.
Pourtant, sous Louis XV, les protestants furent victime d’une révocation renouvelée. Ainsi, en 1724, le nouveau roi devenu majeur fit une déclaration dans laquelle il confirmait l’édit de Fontainebleau. Cet acte, aveu d’échec de l’autorité royale, confirmait que le protestantisme était toujours bien présent en France.
Dans son contenu, le texte ne concédait rien, ne tolérait rien. L’article 12 de l’édit de Fontainebleau sur la dévotion privée, peu appliqué, était définitivement enterré, puisque toute personne d’ascendance protestante était censée être convertie. Pourtant, malgré son caractère extrême et inapplicable, la déclaration ne fut jamais abolie. Elle réapparut périodiquement, et avec elle la répression, y compris dans des temps de relative tolérance, lorsque les troupes n’étaient plus disponibles.
À partir du règne de Louis XVI qui débuta en 1774, une nouvelle pensée se développa. Le premier à marquer un changement officiel fut Turgot qui, contrôleur général des finances et dépassant ses compétences, adressa au nouveau roi un mémoire sur la tolérance dans lequel il suggérait de supprimer dans le serment du sacre l’engagement traditionnel d’éteindre l’hérésie, ce que le roi n’osa accepter. De même, Malesherbes, secrétaire à la Maison du Roi en charge des affaires protestantes, donna rarement suite aux plaintes contre l’audace croissante des réformés.
C’est ainsi qu’en 1787, l’édit de Versailles offrait aux protestants un état-civil – seulement –, régularisant une situation administrative injuste mais ne résolvant pas la question de la tolérance. Le monde protestant fut naturellement très déçu, car le texte n’évoquait ni les pratiques religieuses, ni l’instruction des jeunes réformés. D’une manière générale, le siècle des Lumières a été marqué par l’incapacité des autorités à accepter les différences confessionnelles
Le 23 août 1789, en pleine Révolution française, les choses évoluèrent rapidement. Il était alors considéré que priver les non-catholiques – protestants et juifs – de leur culte revenait à attenter à leur liberté d’opinion. C’est ainsi que la Déclaration des droits de l’homme du 26 août précisa que « nul ne doit être inquiété pour ses opinion même religieuses pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre établi par la loi. »
Mais la liberté de culte n’était toujours pas reconnue… La constitution du 3 septembre 1791 rattrapa le texte de 1789 et progressa dans l’abolition de la révocation. Elle déclarait que tout citoyen libre « d’exercer le culte religieux auquel il est attaché » et, plus encore, accordait la citoyenneté française à tous ceux qui, nés à l’étranger, descendaient d’un Français expatrié pour raisons religieuses. La décision était hautement symbolique et persista bien au-delà de la courte durée de cette constitution, tout au long du XIXe siècle et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
C’est finalement Napoléon Bonaparte qui, en 1802, établit une égalité entre les confessions et clôtura définitivement la période ouverte par l’édit de Fontainebleau en 1685. Le Premier consul donna aux protestants, aussi bien luthériens que calvinistes, un statut officiel. Le souvenir d’une époque difficile ne disparut pas pour autant et, au XIXe siècle, la tradition orale des protestants de nouveau intégrés à la communauté nationale célébrait les martyrs et tous les actes de résistance accomplis depuis 1685. Des versions manuscrites de ces complaintes circulaient, dans une volonté de maintenir en mémoire l’héroïsme de ces réformés persécutés par leur propre roi. Mais ce fut surtout dans les consciences des descendants que la mémoire s’inscrivit profondément, comme en témoignent de nombreux récits du XIXe siècle, notamment celui de Haussmann en 1832, qui se montrait stupéfait de voir à quel point ses coreligionnaires avaient un souvenir fort du passé des persécutions.
Si la révocation de l’édit de Nantes n’avait pas eu le résultat escompté par Louis XIV, il avait tout de même traumatisé une communauté et continua de la hanter longtemps après sa fin effective.
La révocation de l’édit de Nantes par l’édit de Fontainebleau est un bon exemple d’une tactique réussie mais accompagnée d’une erreur stratégique. Le contraste est total entre les mois qui précèdent la décision du Roi Soleil et ceux qui la suivent. Incontestablement, la politique voulue par le souverain n’avait pas fonctionné.
De même, le refus de revenir sur cet échec, bien au-delà de la mort de Louis XIV et pendant tout le XVIIIe siècle, incombe, selon Philippe Joutard, au poids énorme du Roi Soleil dans les mémoires collectives, y compris chez les philosophes des Lumières les plus tolérants.
C’est ainsi une histoire du temps long que révèle l’historien, dans laquelle il voit la naissance d’une culture de l’intolérance, où chaque protestant était en permanence menacé, et exacerbant des tensions que l’édit de Nantes était en train d’apaiser. Il voit également dans cette période une racine de la laïcité à la française en signalant l’homme d’État Jules Simon, étudiant le texte de la révocation, proposa pour la première fois une séparation des Églises et de l’État en 1867.
Cette étude de Philippe Joutard envisage la révocation de l’Édit de Nantes depuis sa promulgation à la fin du XVIe siècle jusqu’à ses résonnances à la Révolution et au cours du XIXe siècle. Elle porte ainsi un regard nouveau sur un texte de loi dont les analyses, jusque-là, ne renvoyaient qu’aux lendemains immédiats de l’événement, notamment toutes celles qui furent publiée lors de son tricentenaire, en 1985. C’est là, pour l’historien, que réside l’importance de l’édit de Fontainebleau.
Mais plus encore qu’une histoire religieuse, cet ouvrage permet de cerner le fonctionnement et les dysfonctionnements de l’État qui, en interdisant le protestantisme ne répondait à aucune demande sociale particulière et se rendit très rapidement compte que l’édit n’était pas applicable. Il témoigne également de la construction de la mémoire des protestants français, profondément marqués par la révocation. À n’en pas douter, cet ouvrage de Philippe Joutard est à la fois complet, novateur, et passionnant.
Ouvrage recensé– La révocation de l’édit de Nantes ou les faiblesses d’un État, Paris, Gallimard, 2018.
Du même auteur– Jean Baubérot et Marianne Carbonnier-Burkard, Histoire des protestants. Une minorité en France, Paris, Ellipses, 2016.– Didier Boisson et Hugues Daussy, Les Protestants dans la France Moderne, Paris, Belin, 2006. – Denis Crouzet, Dieu en ses royaumes. Une histoire des guerres de Religion, Seyssel, Champ Vallon, 2008.– Janine Garrisson, L’édit de Nantes et sa révocation. Histoire d’une intolérance, Paris, Seuil, 1985.– Myriam Yardeni, Le refuge huguenot. Assimilation et culture, Paris, Honoré Champion, 2002.