Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Philippe Michel
Dans cet ouvrage, Philippe Michel, éminent publicitaire français des années 70 à 90, partage ses idées personnelles sur son métier, mais aussi sur la création, la naissance des idées, la société de consommation. Une pensée novatrice et à contre-courant des pratiques de l’époque, qui consiste à compter sur l’intelligence du public en lui délivrant des messages percutants que chacun pourrait intégrer et donc mémoriser. La publicité selon Philippe Michel, c’est générer une collision entre la marque et son public grâce aux idées – une collision créatrice de valeurs, de sens et de représentations communes.
C’est quoi l’idée ? est le fruit d’entretiens avec Philippe Michel, menés peu avant son décès par Anne Thévenet-Abitbol. La première partie du livre rend compte de ces entretiens ; la seconde regroupe des aphorismes rédigés par la suite.
Le livre dévoile la clé de sa vision de la publicité : l’intelligence du public, sur laquelle le publicitaire compte pour intégrer des messages, points de vue et représentations – ceux des marques – à la culture commune.
Publié d’abord en 2005, très vite épuisé, C’est quoi l’idée ? a été réédité en 2018 en réponse à la demande du public.
Si trouver des idées semble un processus si complexe, si mystérieux, c’est parce qu’on réfléchit au lieu de penser, ce qui revient à « forcer sa nature, […] presser un citron qui n’a pas de jus » (p. 23). L’école nous a appris à raisonner, mais pas à être à l’écoute de nos pensées et de tout le potentiel offert par ce que nous avons intégré du monde. La naissance d’une idée apparaît souvent comme quelque chose d’insaisissable.
Le talent y a certes sa part, mais il n’est pas seul dans ce processus. Selon Philippe Michel, trouver une idée nécessite avant tout de se mettre en posture de découverte et de lâcher-prise, et non d’entrer dans un effort qui sera fatalement contreproductif.
Pour découvrir une idée, il suffit de laisser faire la pensée et ses associations, tout en sachant reconnaître et saisir le germe de l’idée à naître. Il s’agit de trouver, au cœur du discours, un point de vue sur un problème que le public partagera, l’embryon d’une idée toute simple qui saura en même temps englober toute la complexité d’un sujet. Cela demande une disponibilité totale, une posture d’écoute, presque de rêverie : Philippe Michel appelle cet état l’attention flottante. « Lorsque des choses se présentent, c’est un instant fugace, le fantôme de la vérité se présente, et il faut de l’agilité, de la vivacité d’esprit et de l’attention car les signes qu’il t’envoie sont infimes » (p. 25).
Le travail d’équipe multiplie les points de vue et les possibilités de collisions entre différents systèmes de valeurs. Faire se rencontrer des mondes très différents voire contradictoires met en effet en lumière des similitudes intimement partagées qui sont la source des meilleures idées. Dans ce processus, la première intuition est souvent la meilleure, et il n’y a rien de mieux pour cela qu’un œil neuf face à un nouveau problème. De plus, la bonne idée semble souvent hirsute et repoussante, alors qu’elle apparaîtra bientôt comme la révélation géniale d’un pressentiment jamais formulé. Philippe Michel revendique donc la sagesse de l’homme avisé qui confiera à d’autres l’étude des dossiers, car elle émousse l’intuition et la perspicacité.
L’objectif principal de la publicité est de créer des liens culturels entre les désirs de l’entreprise et ceux du public. Ces liens se créent lorsque ces univers se rencontrent, alors même qu’auparavant ils semblaient n’avoir rien en commun : ils aboutissent alors à l’acte d’achat. « Nous sommes chargés de connecter deux univers : celui des marques et celui des gens.
Quand la connexion est réussie, elle est magnifiquement efficace ; [par contre] si les ventes ne se développent pas, c’est la force de vente qui trinque. Mais comment voulez-vous vendre un produit, un service, une marque dont personne n’a envie ? » (pp. 92-93). Pour autant, la publicité doit se tenir éloignée de tout effort de vente visible, car cela détruit le désir d’achat alors que son rôle est précisément de le créer.
La publicité se trompe en présentant à sa cible un miroir d’elle-même utilisant le produit qu’elle souhaite lui vendre. Afin de s’adresser à son public d’une manière qui le touche réellement, Philippe Michel travaille sur les objets mentaux, réceptacles réunissant associations d’idées, impressions, résidus d’apprentissages successifs, ainsi que des données en lien avec différents environnements constituant l’appartenance culturelle (souvent multiple) de chaque personne. Ces objets mentaux sont une matière première de choix pour le publicitaire. Par exemple, l’Auvergne : « J’ouvre ma poubelle comme j’ouvre un Macintosh et je sors mon grand-père auvergnat, bougnat, triste, puis fromage, volcan... et Volvic. Chacun d’entre nous est constitué de milliards d’objets mentaux qui s’interpénètrent » (p. 46). Ce ressort psychologique voire psychanalytique est encore largement utilisé par la publicité actuelle.
La clé de l’adhésion à un message est sa résonance avec les objets mentaux que l’on possède : plus l’affinité avec les objets mentaux est forte, plus la rencontre avec le message produira une impression puissante. Or le partage d’un certain nombre d’objets mentaux similaires construit les peuples. Les différentes civilisations culturelles, les différents marchés, rassemblent des personnes possédant des objets mentaux identiques.
Ces derniers forment une représentation collective des choses. Pour modifier la représentation collective d’un produit, le publicitaire doit donc établir une connexion culturelle, basée sur l’étude de cette représentation collective : « trouver une correspondance entre le système de valeurs de la marque et celui du marché, l’exprimer à la manière du marché et la signer du nom de la marque. Facile ! » (p. 86).
Philippe Michel propose de s’exprimer comme l’on parlerait à sa concierge, « en raison de l’archétype qu’elle représente. C’est la personne la plus au courant des choses, qui pourtant ne sait rien […]. Et si l’on arrive avec trois propos à éveiller son intérêt sur autre chose que le potin qu’elle attend, c’est gagné » (p. 27).
L’utilisation de mots alambiqués trahit l’absence d’idée : « [cela] montre que l’on n’a pas trouvé et que l’on se force, que l’on raisonne mais que l’on ne pense pas. On ne pense pas avec des gros mots, on pense avec des mots de tous les jours, et même le plus souvent avec des images » (p. 27). L’erreur inverse serait de vouloir simplifier drastiquement l’idée alors qu’il s’agit de conserver toute sa richesse et de la retranscrire sous une forme unique, capable de représenter une complexité maximale.
La destruction du système de valeurs du consommateur (culture, morale, éducation, clichés…) est une clé. Par exemple, la marque Eram : ici, consommer une marque bon marché devient signe non pas de faibles moyens financiers, mais de bon sens. Cette inversion du système de valeurs est appuyée par un second retournement : le slogan est chanté par des fous. Le problème de base (le coût des chaussures) est remplacé par un autre problème (la folie) : ce n’est pas celui qui n’a pas d’argent pour de nouvelles chaussures qui est déconsidéré, c’est celui qui dépense trop pour des chaussures qui est fou. Détruire un système de valeurs est l’unique moyen d’en intégrer un autre au monde du consommateur.
Par ailleurs, Philippe Michel insiste sur le rôle de l’humour dans la publicité. Le rire naît de la surprise de découvrir une chose autre que celle qu’on attendait, du plaisir de parcourir de nouveaux cheminements de pensée, différents des clichés et des conventions habituels. S’il est assez explosif, cet ébranlement des perceptions, ce détournement des attentes, pousse le cerveau à réagir et à modifier ce qu’il tenait pour acquis, le temps d’un message. Car « tous les objets dont on se souvient, comme les moments de sa vie, sont ceux qui nous ont ébranlé l’âme » (p. 39). Selon Philippe Michel, tout le monde aime se faire avoir, du moins tant que c’est bien fait : humour et impertinence servent, sans complexe, à capter l’intérêt du public, à entraîner une réaction et à entamer un dialogue avec lui.
Le publicitaire n’adhère pas à l’idée de cible et lui préfère la notion de public, plus riche, car la publicité s’adresse à ce qui constitue le point de vue des gens. Il prend l’exemple d’une institutrice allemande : schématiquement, elle fait partie de la fraternité mondiale des enseignants tout en étant imprégnée par la culture germanique. Le publicitaire se place au cœur de cette richesse culturelle : « notre travail n’est ni de monologuer ni de transmettre des informations [mais] de connecter les cultures, et notre manière de voir ne pourra être digérée, métabolisée, [que] dans la mesure où nous aurons eu la politesse de nous adresser à leur manière de voir les choses » (p. 83).
Chaque personne réunit en elle de multiples cultures, qui offrent au publicitaire autant de points de vue lui permettant d’éviter le pire : le monologue.
« Le projet minimal de la publicité, c’est de s’inscrire dans la mémoire des gens. Or, on mémorise surtout ce que l’on a conçu soi-même, et l’on ne mémorise jamais rien sans raison » (p. 43). Philippe Michel conçoit certes la publicité comme un moyen, pour le consommateur, de déléguer l’acte de choix devant les linéaires des supermarchés.
Pour autant, il est urgent de cesser d’assommer les gens par la répétition et de s’adresser à l’intelligence du public, de le pousser à s’arrêter sur le message qu’il reçoit, à le comprendre et le faire sien. Pour ce faire, non seulement le message doit lui apparaître comme utile, mais aussi il doit conserver l’espace nécessaire au raisonnement et à l’interprétation. S’adresser à un marché, c’est produire du bien commun : le discours publicitaire sera intégré comme vérité.
Ce n’est dorénavant plus le produit qui alimente l’acte d’achat : c’est l’idée qu’il représente qui est porteuse de désir. « On ne consomme plus un produit mais une manière d’être, de voir les choses, de se voir soi-même, de s’offrir aux autres, de s’offrir les autres » (p. 123). Les gens donnent du sens à leur vie et enrichissent leur identité au rythme de leurs choix de consommation. D’autre part, solutionner un problème commun répond à un besoin humain fondamental –même si ce besoin est artificiellement réactivé par la publicité. Philippe Michel situe le champ du désir à approximativement 20 % de que ce que les gens possèdent déjà – car personne ne désire ce qui est hors de portée.
Partant de ce constat, les marques tiennent un discours civilisateur reconnu comme vérité. Quand la marque Calor dit que le repassage n’est pas un problème, les femmes intègrent finalement le concept qu’il vaut mieux réaliser soi-même les tâches domestiques.
Philippe Michel compare régulièrement publicitaire et homme politique : ils ont en commun de tenir un discours orienté, clairement manipulateur, souvent séducteur et résonnant avec leur public et avec la nature humaine ; un discours destiné à emporter l’adhésion. Ils sont tous deux les fabricants d’une vérité transitoire, d’une vision subjective de la réalité que chacun choisira ou non de faire sienne, en votant ou en consommant.
Mais le publicitaire, lui, assume et revendique ce positionnement qui répond à l’attente que l’on a de la publicité : se voir proposer un point de vue, des choix de consommation, et se faire « bien avoir ».
Il est le créateur de l’une des plus grandes richesses d’une entreprise : la valeur de sa marque, son attrait auprès du public. « Désormais, c’est le marché qui définit les prix, pas l’usine. Or le marché c’est l’idée qu’un certain nombre de gens se font des choses, et ce consensus-là n’est pas le fruit d’une génération spontanée : il doit être créé ! C’est la relation que les gens ont avec la marque qui a une valeur » (p. 92). La publicité est donc à concevoir comme un investissement, et sa valeur incorporelle est parfois plus importante que tous les investissements liés à la production des produits.
Lire C’est quoi l’idée ?, c’est se plonger dans une pensée anticonformiste, pleine d’humour et d’amour pour la publicité et pour le public. Les campagnes créatives et créatrices de sens de Philippe Michel, celui qui « a donné une âme à la pub et un cerveau aux consommateurs », ont su parler à leur public et marquer leur époque, tout comme les marques qu’elles défendaient, modelant le paysage de la consommation de la fin du XXe siècle.
Une pensée ancrée dans son temps, donc ; mais également visionnaire, puisque Philippe Michel avait su, à cette époque de l’avant-Internet où la réclame se basait sur la répétition des messages, donner le premier rôle au consommateur. Idée, sens, jeu, impertinence, humour, autant de moyens mis en œuvre par ce grand publicitaire pour nouer un lien avec le public, le faire réfléchir, capter son intérêt plutôt que son attention. Une prise de pouvoir qu’il basait sur un profond intérêt porté à son public, et plus largement, à l’Homme, allant jusqu’à le faire qualifier de « philosophe humaniste ».
Un livre inspirant, actuel et source de réflexion : Philippe Michel y partage, au-delà de sa pensée, son amour du métier et de l’Homme. Il s’agit d’une lecture agréable et vivante : les réflexions sont rythmées par des analyses et des exemples concrets faisant entrer le lecteur dans les coulisses de monde de la publicité.L’histoire du livre et son caractère inachevé définissent son mode de lecture.
Présenté comme une compilation d’entretiens et d’aphorismes, il peut présenter une construction en « catalogue » manquant parfois de structure et de lisibilité. Les sujets se croisent et se rejoignent et il peut sembler aride, au premier abord, de relier les idées entre elles. Mais le lecteur y gagne en richesse car il a accès non seulement à la matière brute, mais aussi, par les traits d’humour et les tournures de phrases spontanées, à un peu de la personnalité de cette figure éminente de la publicité française.
C’est quoi l’idée ? est une référence pour tous les étudiants en communication : Philippe Michel y déploie en effet une pensée non seulement focalisée sur les métiers de la publicité, mais aussi adaptée à tous les métiers créatifs – et à fortiori, à tous les consommateurs éclairés.
Ouvrage recensé
– C’est quoi l’idée ? Publicité, création et société de consommation, Paris, Michalon Éditeur, 2018 [2005].
Autres pistes
– Babette Auvray-Pagnozzi, Langue de Pub : le kit de survie du publicitaire, Paris : Eyrolles, 2012.– Nicolas Bordas, L’Idée qui tue ! Politique, business, culture… Les Secrets des idées qui durent, Paris : Eyrolles, 2009.– Jean-Marie Dru, New : 15 approches disruptives de l’innovation, Paris : Pearson France, Coll. Stratégie/Marketing, 2016.– Jean-Marie Dru, La publicité autrement, Paris, Gallimard, Coll. Le Débat, 2007.– Julien Intartaglia, Générations pub : De l’enfant à l’adulte, tous sous influence ?, Paris : De Boeck, 2014.