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Le Revenu de base inconditionnel

de Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght

récension rédigée parMarc-Antoine AuthierDiplômé de l’ESSEC avec une spécialisation en entrepreneuriat social. Conseiller politique au Sénat, auteur et traducteur.

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

L’idée d’un revenu de base inconditionnel, plus communément appelé « revenu universel », a connu ces dernières années un engouement mondial hors du commun. Mais de quoi s’agit-il vraiment ? Les écologistes qui militent en sa faveur sont-ils vraiment d’accord avec les libéraux qui le promeuvent depuis longtemps ? Cet ouvrage propose une large revue de littérature et une indispensable boîte à outils, tant aux partisans de ce dispositif de protection qu’à ses détracteurs. Si les auteurs n’occultent pas leur adhésion à ce dispositif, leur ouvrage fait figure de référence dans le débat.

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1. Introduction

Le revenu de base constitue un dispositif bien spécifique de protection sociale qui se caractérise par son caractère universel (il est alloué à tous les citoyens d’une société) et inconditionnel (il est alloué à tous sans conditions, notamment de ressources).

Par ces deux caractéristiques essentielles, il apparaît comme révolutionnaire et suscite aujourd’hui un engouement sans précédent. Pourtant, l’idée n’est pas nouvelle et fait son apparition dès le XVIIIe siècle. Depuis lors, elle n’a cessé de séduire dans le monde intellectuel comme dans la sphère politique, sans jamais dépasser le stade de la proposition.

Est-ce à dire que le revenu de base demeurera toujours à l’état d’utopie ? Pour les auteurs de cette somme aux accents de manifeste, rien n’est moins sûr. La principale raison tient au fait que le contexte politique, économique et social au niveau mondial n’a jamais paru aussi favorable à son adoption. Et pour cause : de toutes parts, nos modèles sociaux sont soumis à la pression d’une multitude de facteurs (accélération de la mondialisation, creusement des inégalités, bouleversement du monde du travail, etc.).

Tout conduit à penser qu’il faut aujourd’hui les rénover par des dispositifs innovants. Dans cette démarche, le revenu de base pourrait bien apparaître comme la solution idoine.

2. Qu’est-ce que le revenu de base inconditionnel ?

Le revenu de base inconditionnel (RBI) est un dispositif de protection sociale consistant à verser à chacun un revenu régulier à titre individuel, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie. Les auteurs préfèrent parler d’un « revenu de base » plutôt que d’un « revenu universel » afin, d’une part, de l’identifier avec le terme anglais « basic income » et, d’autre part, de ne pas restreindre son caractère inconditionnel à son universalité, qui n’en constitue qu’un aspect.

Le RBI tel que les auteurs l’envisagent est en effet inconditionnel à trois titres. Premièrement, donc, il est universel, c’est-à-dire qu’il est versé à tous les membres d’une communauté établie sur un territoire donné. Deuxièmement, il est strictement individuel, c’est-à-dire que son montant n’est pas versé au titre d’un foyer mais bien à chaque personne en tant que telle. Troisièmement, il est versé sans conditions de ressources et sans exigence de contreparties, c’est-à-dire qu’un individu y a droit quels que soient ses revenus et sa situation personnelle ou professionnelle.

Le RBI est parfois confondu avec certains de ses proches « cousins » – comprenons : des dispositifs qui partagent une partie de ses caractéristiques essentielles, mais pas toutes. Ainsi, il diffère de la dotation de base, qui correspond à un montant versé aux individus en une seule fois, par exemple à la naissance ou à la majorité, alors que le RBI correspond à un versement régulier et garanti sur la durée.

Il se rapproche davantage de l’impôt négatif ou du crédit d’impôt, dans lesquels le revenu assuré à chaque bénéficiaire constitue une avance d’impôt dont le montant diminue à mesure que ses revenus et donc que ses impôts augmentent. Il faut également distinguer le RBI des subventions salariales, qui s’attachent à un emploi plutôt qu’à une personne, et des formes d’emplois garantis, qui impliquent une contrepartie au versement du montant.

3. Un dispositif de protection sociale révolutionnaire

La comparaison avec ces dispositifs qui s’approchent du RBI aident à mieux cerner ses qualités intrinsèques. Le RBI vise ainsi à éviter les deux principaux écueils des dispositifs qui structurent nos modèles de protection sociale : la trappe à pauvreté et la trappe à inactivité.

La première renvoie à des dispositifs sous conditions de ressources qui ne sont versés que si les bénéficiaires prouvent qu’ils en ont besoin : ces systèmes, par nature bureaucratiques et intrusifs, incitent les bénéficiaires à ne pas prendre le risque d’améliorer leur situation pour conserver l’assurance d’un revenu. La seconde renvoie à des dispositifs avec exigence de contrepartie qui ne sont versés que si les bénéficiaires prouvent que leur comportement répond à un cahier des charges : ces dispositifs placent les bénéficiaires dans une position infantilisante, dans laquelle ils doivent démontrer qu’ils ont bel et bien mérité leur allocation.

Ces deux principaux écueils ont déjà été largement étudiés et documentés, mais ils subsistent en l’état actuel. Ils entretiennent la précarité de millions de bénéficiaires dans le monde entier plutôt qu’ils ne leur permettent d’en sortir. Le RBI vise ainsi à développer la liberté réelle des individus en leur donnant concrètement les moyens de vivre en pleine autonomie.

D’où le caractère révolutionnaire du RBI, qui induit une nouvelle conception de nos modèles sociaux, plus adaptée aux évolutions de notre monde, telles que la généralisation de nouvelles formes de travail, l’éclatement des structures familiales traditionnelles ou l’augmentation de la mobilité. Mais cette rupture que propose le RBI trouve à s’articuler avec la longue histoire de la protection sociale.

4. Pour dépasser nos modèles de protection sociale

Historiquement, la protection sociale s’est construite sur deux logiques distinctes mais complémentaires : l’assistance publique et l’assurance sociale. L’assistance publique, telle qu’elle est apparue en Europe à partir de la Renaissance, consiste en un acte de solidarité envers les plus démunis.

Qu’elle soit motivée par le devoir de charité ou par le désir de mettre les indigents à l’écart, l’assistance publique a ancré dans nos sociétés l’idée que la collectivité doit apporter aux plus pauvres les moyens de leur subsistance. L’assurance sociale, apparue en Europe avec les Lumières et leurs idées révolutionnaires, vise à protéger les citoyens contre certains risques sociaux grâce à la mutualisation d’une partie de leurs revenus.

Que ce soit pour prévenir la maladie, la vieillesse ou la perte d’un emploi, l’assurance sociale a introduit l’idée que l’État a la responsabilité de veiller sur le bien-être des citoyens tout au long de leur vie.Dans la plupart des pays occidentaux, les dispositifs de protection sociale procèdent essentiellement de ces deux logiques, tantôt en privilégiant l’une à l’exclusion de l’autre, tantôt en combinant les deux.

C’est ainsi que nos modèles sociaux se sont construits de façon incrémentale, en superposant des dispositifs d’assistance publique et de protection sociale. Et dans cette histoire déjà longue de plusieurs siècles et déclinée en de multiples variantes nationales, l’idée d’un revenu de base universel et inconditionnel est sporadiquement apparue sans jamais s’imposer réellement. Elle représente pourtant une troisième voie possible, au-delà de l’assistance publique, qui se contente de soulager la pauvreté, et de l’assurance sociale, qui dépend des conditions particulières dans lesquelles se trouvent les individus à un moment donné de leur vie.

Cependant, pour innovante qu’elle paraisse aujourd’hui, l’idée d’un revenu de base n’en est pas neuve pour autant. Son histoire ressemble à une succession de rendez-vous manqués, d’opportunités ratées : le revenu de base n’est jamais apparu dans sa forme la plus pure comme la meilleure solution aux défis sociaux.

5. Généalogie du revenu de base

La première occurrence de l’idée date de la fin du XVIIIe siècle. Elle apparaît sous la plume du penseur et révolutionnaire franco-américain Thomas Paine, qui considère que la nation doit offrir à tout individu, indépendamment de ses ressources, les moyens de s’accomplir personnellement. Mais cette proposition est éclipsée par celles relevant de l’assurance sociale, qui galvanisent les foules autour d’États porteurs de progrès social.

L’idée continue de faire son chemin de façon confidentielle dans les milieux intellectuels et politiques du XIXe siècle. Alors que les théories socialistes, qu’elles soient utopistes ou marxistes, cristallisent tous les débats portant sur le progrès social, Joseph Charlier, auteur belge à l’influence discrète, théorise l’idée d’un revenu versé par la puissance publique à tous les citoyens tout au long de leur vie. Elle trouve quelques échos chez d’autres penseurs plus influents, tels Charles Fourier ou John Stuart Mill, mais elle ne dépassera jamais, au cours du XIXe siècle, le stade de proposition théorique prisée d’intellectuels avant-gardistes.

Il faudra donc attendre le XXe siècle pour que le RBI devienne une véritable option politique, discutée aux plus hauts échelons de décision et largement débattue au niveau national. Alors que le Royaume-Uni tente d’élaborer une stratégie économique pour reconstruire le pays au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses solutions sont proposées pour accompagner ce développement d’un volet social conséquent. Le revenu de base constitue une option sérieuse, mais il est finalement délaissé au profit d’un ambitieux système d’assurance sociale inspiré du fameux rapport Beveridge, qui consacre l’émergence de l’État-providence en Occident.

Aux États-Unis, l’idée revient régulièrement dans le débat public, tantôt sous la plume de penseurs néolibéraux, tel Milton Friedman, défendant un revenu garanti, tantôt dans les cercles progressistes, notamment ceux animés par James Tobin et John Kenneth Galbraith, qui promeuvent un véritable RBI.

L’idée parvient même à s’insérer dans le programme du sénateur George McGovern, candidat malheureux du parti démocrate à l’élection présidentielle en 1972 contre Richard Nixon. Cette déconvenue marqua un coup d’arrêt notable dans la progression sur la scène politique du RBI, désormais associé, sous le nom de « demogrant », à l’un des plus cuisants échecs du camp démocrate à l’élection présidentielle.

6. Une mesure économiquement soutenable ?

On a donné de nombreuses explications à cet échec politique du revenu de base. Si le hasard de l’histoire a certainement sa part, des éléments structurels y ont aussi contribué. Le plus évident tient probablement à la perception qu’en a l’opinion publique, qui n’a pas intégré les réponses à toutes les interrogations que ce dispositif soulève. Bien sûr, la question incontournable du montant doit être posée, mais elle ne saurait déterminer la pertinence du RBI en soi. Les auteurs, s’ils se refusent à trancher ce point, donnent pour ordre de grandeur 25% du PIB/habitant (soit près de 700€ mensuels en France).

Cette question du montant est directement liée à celle du financement, qui est quant à elle largement explorée par les auteurs. En effet, la soutenabilité économique du RBI est souvent mise en cause par ses détracteurs, qui le qualifient volontiers de promesse intenable au plan financier. Et pour cause : dans la version la plus pure du concept, un même montant doit être versé à tous les membres d’une communauté, qu’ils travaillent ou non, tout en leur permettant de subvenir à leurs besoins essentiels. Compte tenu de l’ordre de grandeur avancé, on comprend bien que d’importantes recettes publiques doivent y être consacrées, soit par suppression de dispositifs existants, soit par création de nouveaux prélèvements obligatoires. D’où la question non moins importante de la coexistence du RBI avec d’autres dispositifs de protection sociale.

Toutefois, il demeure difficile d’épuiser la question de la soutenabilité économique du revenu de base par une approche trop comptable. En effet, l’instauration d’un tel dispositif à l’échelle nationale bouleverserait profondément la structure des modèles sociaux et les comportements des agents, entreprises comme particuliers. De ce point de vue, de nombreuses théories entrent en concurrence sans qu’aucune ne fasse consensus – et surtout, elles demeurent toutes au stade de théorie.

Il est en effet impossible de les vérifier par la pratique. Bien sûr, certaines expérimentations, telle celle menée à grande échelle en Finlande, permettent d’appréhender de façon scientifique certains changements consécutifs à l’introduction d’un revenu de base. Mais il demeure impossible de mesurer l’impact de l’instauration d’un RBI sur le système fiscal, sur la croissance économique ou sur la trajectoire de vie des individus.

7. Des interrogations éthiques

En tout état de cause, les interrogations concernant ce dispositif ne tiennent pas seulement à sa viabilité financière. D’autres remettent en question, au plan éthique, le principe même d’un revenu versé à tout un chacun indépendamment des ressources dont il dispose et du travail qu’il fournit. Ainsi, certains défenseurs de minima sociaux versés seulement aux plus défavorisés réfutent l’idée d’un tel dispositif, qu’ils perçoivent comme injuste.

C’est le cas de John Rawls, penseur de la justice comme équité, qui opposa au dispositif défendu par Philippe Van Parijs le cas du « surfeur de Malibu » : est-il juste que la société subvienne aux besoins de quelqu’un qui ne travaille pas ? Les auteurs s’attèlent à démontrer que, dans le champ de la justice distributive rawlsienne, la maximisation du don minimum constitue la meilleure option pour toute la société. Le RBI s’articule aussi avec d’autres systèmes de valeur éthique, comme le marxisme ou le libertarisme.

8. Peut-on sérieusement envisager de mettre en place un tel dispositif ?

Les auteurs de ce livre entendent apporter suffisamment d’arguments sérieux pour convaincre les responsables politiques de s’emparer du RBI afin de le promouvoir dans le débat public. Mais encore faudra-t-il que des mouvements politiques structurés s’en emparent et se l’approprient.

L’une des caractéristiques les plus étonnantes du RBI, c’est qu’il ne se réduit pas à une seule famille politique et trouve des échos différents mais convergents dans des mouvements parfois éloignés sur le plan des idées.

Ainsi, il séduit la gauche radicale, qui y voit un puissant instrument d’émancipation des travailleurs face aux forces capitalistes, ainsi que les libéraux, qui y trouvent un élément fondamental de liberté réelle pour tous. Inversement, les syndicats s’y sont souvent montrés hostiles, car ils redoutent que son instauration ne remette en question la structure des modèles sociaux dans lesquels ils sont parvenus à occuper une place centrale, de même que le patronat, qui craint que cela ne décourage l’effort individuel tout en augmentant le coût du travail. Les écologistes, avec d’autres courants, tels que les mouvements féministes, y vont vu une opportunité d’étoffer leur discours politique d’une proposition radicale sur le plan sociétal.

De nombreuses familles politiques pourraient donc se montrer favorables à l’adoption du RBI. Mais de nombreuses questions difficiles restent en suspens qui supposent des équilibres délicats à construire et à maintenir dans la durée. Ainsi de la prise en compte des migrants dans la définition des bénéficiaires potentiels : faut-il réserver le RBI aux membres d’une communauté nationale ou aux résidents d’un territoire national ? De même, faut-il accepter de revenir sur le caractère purement universel du dispositif, par exemple en en excluant une part de la population, afin de le rendre plus acceptable par l’opinion publique ?

Les auteurs voient les choses en grand, et l’assument : le RBI a selon eux vocation à être instauré partout dans le monde, mais ils savent qu’un tel dispositif ne sera pas mis en place du jour au lendemain. Il s’agit donc d’identifier les portes dérobées qui permettent de faire progresser le combat en faveur de dispositifs sociaux inconditionnels. Ainsi, ils célèbrent le dividende de l’Alaska, qui correspond à une petite somme versée tous les ans à tous les habitants de cet État américain.

9. Conclusion

Le RBI demeure peut-être, aux yeux de beaucoup, une proposition utopiste.

Les auteurs l’admettent, mais refusent de considérer qu’il s’agit là d’un obstacle insurmontable, et ce pour deux raisons principales : d’abord, parce que toutes les grandes avancées de l’histoire, comme l’abolition de l’esclavage ou l’instauration de la Sécurité sociale, ont longtemps fait figure d’utopie avant de devenir réalité ; ensuite, parce que toute utopie permet de mobiliser des militants venus d’horizons divers et dotés de compétences variées – autant de forces indispensables à l’avènement d’un RBI.

10. Zone critique

Selon ses auteurs, l’ambition de cet ouvrage est de constituer une référence scientifique neutre sur la question du revenu de base. Il peut ainsi s’adresser à ses défenseurs autant qu’à ses détracteurs.

Mais il n’en demeure pas moins un ouvrage partisan, pour rigoureux et sérieux qu’il soit. Même si les auteurs apportent des arguments convaincants pour démontrer la soutenabilité économique de leur proposition, il semble qu’elle ne soit pas encore acceptable au plan politique, à tout le moins dans sa forme la plus pure. Sa mise en œuvre supposerait en effet l’instauration de prélèvements obligatoires supplémentaires, d’autant plus que les auteurs ne considèrent pas que l’instauration d’un RBI devrait se faire au détriment de la plupart des dispositifs existants.

Pour les partisans du RBI qui réfléchissent sérieusement aux possibilités de l’instaurer à l’échelle nationale, il semble plus réaliste d’opter pour une version moins « ambitieuse » du dispositif, telle que l’impôt négatif ou le crédit d’impôt, et d’envisager la suppression de certains dispositifs de solidarité déjà en place.

11. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, Le Revenu de base inconditionnel. Une proposition radicale, Paris, La Découverte, coll. « L’horizon des possibles », 2019.

Des mêmes auteurs– L’Allocation universelle, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2005.

Autres pistes– Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, LIBER, un revenu de liberté pour tous. Une proposition d’impôt négatif en France, Paris, GenerationLibre, 2014.– Joseph Charlier, Solution du problème social, ou Constitution humanitaire : basée sur la loi naturelle, Bruxelles, 1848.– Milton Friedman, Capitalisme et liberté, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 2016.– Thomas Paine, La Justice agraire, Paris, 1797.– John Rawls, Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1983.– Jean-Louis Vivès, De l’assistance aux pauvres, Bruxelles, Valero & Fils, 1943.

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