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La Société allemande sous le IIIe Reich

de Pierre Ayçoberry

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

Durant de nombreuses années, les études historiques qui se penchèrent sur la période de l’Allemagne nazie se sont intéressées au « pourquoi ? », tentant notamment de révéler les raisons de l’accession au pouvoir d’Hitler en 1933. Avec cet ouvrage, Pierre Ayçoberry entend davantage interroger le « comment ? » et ouvre un volet plus social d’une époque que nous connaissons davantage sous l’angle politique. Comment les Allemands ont-ils continué de vivre et préservé leur dignité dans le cadre de plus en plus violent de la dictature nazie ? Comment la majorité réagissait-elle aux coups de force et aux intrusions, toujours plus fréquentes, du pouvoir en place ? De quelles manières la société allemande des années 1933-1945 a-t-elle suivi les doctrines imposées par Adolf Hitler et la SS ? Autant de questions auxquelles l’historien tente de répondre, renouvelant, par son approche, un champ historiographique déjà très riche.

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1. Introduction

La période de l’Allemagne nazie a suscité, depuis le début des années 1970, un nombre croissant de recherches dans toute l’Europe. Pierre Ayçoberry est le premier historien français à proposer une étude d’ensemble consacrée à la société allemande sous le IIIe Reich. Cet ouvrage de synthèse propose une vision moins politique de la période, non sans difficulté. En effet, dès l’introduction, les obstacles à la réalisation d’une telle entreprise sont précisés : tout historien du nazisme se trouve confronté en permanence aux problèmes posés par le langage nazi, par une documentation à l’interprétation délicate, et par l’impossibilité de s’abstenir de tout jugement moral. De même, la question de la périodisation s’ajoute à la complexité de la tâche : même si l’époque nazie a été de courte durée, il est difficile de traiter d’un bloc douze années de l’histoire allemande. Le peuple allemand est au cœur de cet ouvrage qui présente à la fois les illusions du régime et la désillusion de la société, la terreur et la violence qui l’animaient ainsi que les diverses réactions de millions d’individus face à l’horreur nazie, depuis les premiers pogroms jusqu’à la libération des camps.

2. Susciter la peur

L’ouvrage s’ouvre sur une étude de la violence dans le monde nazi qui était principalement le fait de ceux qui devaient encadrer la société. Ainsi, les SA (Sections d’Assaut) assurèrent, selon l’historien, un « terrorisme d’État » en 1933-1934, s’attaquant aux socialistes, aux syndicalistes, aux Polonais et aux Juifs. Il y avait également la SS (escadrons de protection), qui avait entre autres fonctions celle de police ou l’encadrement des camps de concentration, dont le premier fut celui de Dachau, près de Munich, ouvert dès le mois de mars 1933. Afin d’entrer dans le corps de la SS, il fallait prouver ses capacités sportives, son innocence politique, un minimum d’instruction (une dictée de trois lignes !), et la pureté raciale de ses ancêtres ; les examinateurs pouvaient fermer les yeux sur ce dernier point. Une école des cadres formait les hommes les plus « performants ».

De cette violence, il résultait deux logiques : l’une, de revanche et de sécurité, contre les protestataires et les adversaires politiques ; l’autre, d’épuration du corps social, contre les « étrangers à la communauté ». Seulement, aucune de ces deux logiques ne permettait de fixer des bornes à la répression, car la notion d’adversaire politique était indéfiniment extensible, et les critères raciaux n’étaient pas scientifiquement établis, ce qui conduisait à déterminer la race d’un individu à travers son comportement social. La liste des victimes de la violence nazie paraissait donc sans limites : marxistes, Juifs, Tsiganes, témoins de Jéhovah, homosexuels, criminels, asociaux, paresseux, dégénérés peuplaient les prisons et les camps de concentration.

Le nombre de prisonniers des camps augmenta fortement à partir de 1936 en raison du durcissement de la répression politique et religieuse. Ainsi, après un pogrom en novembre 1937, 35 000 Juifs furent enfermés. D’une manière générale, les flux d’entrées et de sorties étaient considérables. Ainsi fut atteint le premier objectif de leur création : bien que les libérés aient dû promettre qu’ils garderaient le silence, un sentiment de terreur ne manquait pas de se diffuser dans leur entourage. Le second objectif, la « rééducation » des coupables, était de pure forme ; tout au plus servit-il de prétexte aux brimades et aux châtiments corporels.

3. La stratégie de communication

Les meetings d’Adolf Hitler étaient, au sens originel du mot, des rencontres du Führer avec son peuple. Ses triomphes devaient beaucoup non pas seulement au contenu de ses textes, mais également à la gestuelle qui les accompagnait et, une fois que le contact direct était rompu, les médias prenaient le relai, notamment la radio ou la presse.

La communication du parti passait également par les affiches de propagande, qui étaient essentiellement des dessins de deux styles opposés : la caricature, qui reflétait la violence contre les Juifs, laids, rapaces et nomades ; et le classicisme qui esthétisait l’homme idéal selon les nazis, ainsi que leurs grands dirigeants. Pour le cinéma, les attendus furent définis par Goebbels, ministre de la propagande : faire l’éducation politique, mais aussi esthétique du spectateur, et gagner de l’argent. Toutefois, il y eut peu de films nazis, le plus cité étant Le Juif Süss ; la thématique national-socialiste se diffusait davantage par les documentaires, que d’habiles techniciens parvenaient à monter subtilement pour susciter les haines et les enthousiasmes collectifs.

Pierre Ayçoberry signale enfin que le grand art populaire nazi, ce fut l’organisation de fêtes publiques. Architectes, décorateurs, metteurs en scène et éclairagistes puisaient dans la tradition allemande pour ces manifestations spectaculaires, dont le congrès de Nuremberg de 1933 fit incontestablement figure de modèle à suivre.

L’historien revient ensuite sur la réception de cette propagande. Comment la mesurer avec efficacité ? D’abord en s’interrogeant sur la fidélité à Adolf Hitler à travers les résultats électoraux. Tous les coups de force menés par le Führer (comme la remilitarisation de la Rhénanie en 1936, par exemple) furent suivis d’une période d’euphorie et d’approbation populaire, chacun étant convaincu que Hitler avait rétabli la grandeur du pays tout en préservant la paix.

Mais Pierre Ayçoberry s’appuie également sur un autre baromètre de l’opinion : le comportement démographique des ménages. Leur zèle ne fut pas aussi important qu’annoncé par les dirigeants nazis, malgré les mesures d’encouragement (prêts d’argent, allocations, création de la Médaille des Mères), et le taux de fécondité de 1939, s’il crût, il n’atteignait toutefois pas encore celui de 1922, avant la grande crise de 1929. L’historien voit ainsi, dans la « Communauté populaire », sorte de société monolithique qu’entendait créer le parti, un mythe, et constate une opinion allemande faite de fanatiques, mais aussi de tièdes et d’angoissés.

4. La radicalisation, 1938-1939

Le durcissement du régime fut d’abord le résultat de la conquête des masses, qui passait notamment par l’embrigadement dans le cadre des Jeunesses hitlériennes (Hitlerjugend), filière du parti. Elles comptaient 8 millions de membres en 1939 ; ce chiffre, impressionnant, ne représentait en réalité que les deux tiers des tranches d’âge concernées, d’où l’adhésion obligatoire, décidée au printemps de la même année.

Les Églises subirent en premier lieu le raidissement de la politique nazie : les radicaux du parti invitèrent à faire acte de « sortie de l’Église », autrement dit à renoncer à leur foi, protestante ou catholique. Face à cela, la défense de la liberté religieuse ne représentait pas un front uni : certains évêques, à l’instar de celui de Bavière, invitèrent leurs prêtres à prêter serment au Führer, alors que la publication par Pie XI, en mars 1937, de l’encyclique Dans une brûlante inquiétude, dénonçait la doctrine raciste du régime. C’est ainsi qu’Hitler multiplia les procès contre les ordres religieux, accusés de délits de mœurs.

Dès lors, les crucifix des salles de classe furent remplacés par des portraits du Führer, il fut interdit d’évoquer l’Ancien Testament dans les séances de catéchisme et les associations catholiques d’ouvriers furent dissoutes. La persécution nazie intimida les tièdes et nourrit la ferveur des plus fidèles, renvoyant la sphère religieuse à des manifestations discrètes. Pierre Ayçoberry considère les Églises comme « atomisées » par l’offensive de plusieurs appareils officiels.

La radicalisation du régime fut manifeste lors du pogrom du 9 novembre 1938, que communément qualifié de « Nuit de cristal ». Accusant les Juifs d’être à l’origine de l’assassinat du conseiller Vom Rath à Paris, Goebbels déclencha une vague de violences spontanées et la police reçut l’ordre de ne pas intervenir. Il y eut une centaine de morts et 7 000 magasins ravagés. Pierre Ayçoberry interprète ces événements comme la volonté d’Hitler d’apaiser l’impatience de ses fanatiques par un rituel d’humiliation, tout en poussant un nombre accru de Juifs vers l’émigration.

Après le retour au calme, les Juifs durent payer une amende collective, de nombreux biens furent spoliés, et leur vie quotidienne s’assombrit encore avec l’interdiction d’entrer dans les piscines, les parcs, les musées et les théâtres. Mais même chez les plus radicaux des nazis, il y eut des protestations, car beaucoup considéraient le respect de l’ordre et de la propriété comme au-dessus d’une religion, quelle qu’elle fût.

5. Une société en guerre

La seconde partie de l’ouvrage se penche sur la période 1939-1945. Les communautés qui avaient tant bien que mal survécu aux tentatives d’emprise de l’État et du parti nazi devaient fatalement subir les contraintes de l’économie de guerre et l’impact direct des opérations, d’abord aériennes, puis terrestres.

La cohésion de la cellule familiale fut atteinte par la mobilisation du père, l’envoi des enfants à la campagne dès 1940 et la participation des femmes et des adolescents à diverses tâches de défense. L’atelier ou la boutique pouvaient être fermés d’un jour à l’autre par les autorités, et le foyer paysan obligé de compenser le départ des hommes adultes par l’emploi d’étrangers, ou de faire une place à des réfugiés des villes. En ville précisément, les évacuations de précaution plus ou moins bien acceptées furent relativement peu nombreuses, et Berlin ne perdit jusqu’en juillet 1943 que 300 000 habitants sur plus de 4 millions.

Ce fut ainsi la population urbaine dans sa quasi-totalité qui eut à subir les conséquences de la guerre, pénibles d’abord, puis tragiques : difficultés matérielles, fermeture d’entreprises, puis bombardements. Les liens de voisinage ou d’associations furent progressivement détruits, et ne perdurèrent que ceux qui se faisaient parmi les travailleurs des usines d’armement, avant que celles-ci ne fussent à leur tour délocalisées vers des régions plus abritées.

Pierre Ayçoberry décrit également ce qu’il considère comme « l’empire SS ». Il était notamment composé de sa branche militaire, les Waffen-SS, qui se développèrent en marge de l’armée régulière au point d’en former un véritable corps. La SS comprenait aussi la police criminelle (Kripo) et la police politique (Gestapo), dont la distinction était de pure forme dans un système où les délits de droit commun étaient interprétés comme des oppositions politiques.

La SS veillait également à la bonne marche des camps de concentration dont très rapidement, la mission de rééducation des détenus fut abandonnée pour un seul critère d’ordre racial : aux Juifs revinrent les tâches les plus humiliantes et la hiérarchie interne des camps confiée aux Allemands, prisonniers de droit commun.

6. La question juive

Entre juillet et septembre 1941, Hitler donna l’ordre de ne plus parquer les Juifs, mais de les exterminer. Le début des déportations provoqua dans cette population une vague de suicides, et quelques milliers plongèrent dans la clandestinité. Mais la majorité fit ses bagages et se rangea dans les colonnes qui marchaient vers les gares d’embarquement. La population allemande ne pouvait ni ignorer le départ des déportés qui se déroulait en pleine rue, ni leur sort final que leur rapportaient les permissionnaires du front de l’Est.

Lors de l’apparition des premières étoiles jaunes, c’était surtout l’indifférence qui prévalait. Les actes de solidarité concrète furent rares : il y eut notamment la protestation des femmes de Berlin qui, en 1943, se sont révoltées contre les arrestations des couples mixtes ; certains des Juifs de la capitale qui survécurent à des années de clandestinité racontèrent également qu’ils avaient eu affaire à des exploiteurs sans pitié ou à des chrétiens compatissants, mais qui voulaient les convertir. Pierre Ayçoberry explique que les masses n’étaient entraînées ni par un antisémitisme radical ni par une solidarité agissante ; cette neutralité était toutefois largement suffisante pour permettre aux SS de réaliser leur programme.

L’opinion allemande d’après-guerre a longtemps vécu dans l’illusion rassurante que la SS n’avait été qu’une excroissance monstrueuse du système nazi, peu nombreuse et coupée du reste de la société. Chaque profession, chaque grand corps civil ou militaire, par la voix de ses associations rénovées, assurait qu’il ne fallait pas le confondre avec une minorité de ses membres, criminels, imbéciles ou déments.

Certes, la phase décisive de la construction de l’empire voulu par Adolf Hitler, le gazage de millions d’individus, est apparue d’abord comme l’œuvre d’un petit nombre d’initiés, bureaucrates lointains ou exécuteurs directs, aidés matériellement par des manœuvres tirés de la foule des victimes ; mais s’appuyant sur les travaux menés par Raoul Hilberg, Pierre Ayçoberry précise que leur secret était partagé avec des milliers d’agents de police ordinaires, des secrétaires et des techniciens de transport…

7. Conclusion

L’ouvrage de Pierre Ayçoberry se termine sur le bilan humain de la guerre, pour la société allemande : entre 3,3 et 4,3 millions de soldats tués, 500 000 civils morts dans les bombardements, 1,3 millions pendant le déplacement des populations vers l’Est, 300 000 dans les chambres à gaz, 140 000 dans les camps de concentration et 500 000 personnes avaient émigré.

À l’instar du reste de l’Europe, la société allemande fut très durement touchée par les ravages du nazisme et par douze années de dictature. Elle subit en outre un nouvel éclatement avec la Guerre Froide. Le peuple (Volk), déconnecté à partir de 1945 de sa valeur raciste, allait devoir attendre un demi-siècle supplémentaire pour pouvoir exister en tant que tel.

8. Zone critique

Tout simplement passionnant. Cet ouvrage de Pierre Ayçoberry permet de redécouvrir une histoire qui semble nous avoir été racontée tant de fois, celle de l’Allemagne nazie, mais d’un point de vue différent. De cette analyse ressort une société allemande aux positions nuancées, loin de l’image ancrée dans les consciences collectives. On y découvre des hommes et des femmes enserrés dans une communauté ce qui explique, en partie au moins, le comportement de la masse des Allemands.

Le principal reproche qui pourrait être fait à cette étude réside dans le faible développement historiographique, pour lesquels il aurait été intéressant de mieux signaler les débats et les controverses de cette histoire sensible. Précisons également que depuis la sortie de l’ouvrage, aucune étude sur la société allemande sous le IIIe Reich d’une telle ampleur n’est venue compléter les travaux de l’historien.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La société allemande sous le IIIe Reich, Paris, Seuil, 1998.

Du même auteur– Journal de Goebbels (1943-1945) [archive], Tallandier, 2005.– L'Unité allemande (1800-1871), Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1992, [1972].– La Question nazie, Les interprétations du national-socialisme, 1922-1975, Seuil, coll. « Points Histoire », 1979.

Autres pistes– Philippe Burrin, Fascisme, nazisme, autoritarisme, Paris, Seuil, 2017.– Johann Chapoutot, Le Nazisme et l’Antiquité, Paris, PUF, 2008.– Jeffrey Herf, L’Ennemi juif : la propagande nazie, 1939-1945, Paris, Calmann-Levy, 2011.– Raoul Hilberg, La Destruction des juifs d’Europe, Paris, Fayard, 2007.– Enzo Traverso, La violence nazie, une généalogie européenne, Paris, La Fabrique, 2002.

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