dygest_logo

Téléchargez l'application pour avoir accès à des centaines de résumés de livres.

google_play_download_badgeapple_store_download_badge

Bienvenue sur Dygest

Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Comment gouverner un peuple-roi ?

de Pierre-Henri Tavoillot

récension rédigée parMorgan DonotDocteure en science politique (CNRS- Paris 3).

Synopsis

Philosophie

Cet ouvrage cherche à répondre à la question suivante : comment le peuple-roi peut-il se gouverner ? En renouant avec la tradition des traités d’art politique, Pierre-Henri Tavoillot revient sur le fonctionnement du régime démocratique et sur l’énigme de l’obéissance volontaire du peuple en démocratie. À travers la lecture et la confrontation des grands auteurs du passé, il nous livre une critique étayée de ce régime politique tout en s’en faisant le défenseur acharné.

google_play_download_badge

1. Introduction

Partant du constant d’une remise en cause voire d’un rejet de la démocratie représentative dans nos sociétés actuelles, Pierre-Henri Tavoillot se propose de revenir sur les soubassements conceptuels et les règles qui fondent la pratique démocratique.

Son postulat de départ, contre Churchill, est que la démocratie n’est pas le pire des régimes à l’exception de tous les autres, mais qu’elle est le meilleur. Sur un ton humoristique et parfois ironique, il part de la célèbre formule de Lincoln selon laquelle la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, et cherche à apporter des éléments de réponse aux deux énigmes qu’elle contient : qu’est-ce qu’un gouvernement et qui est le peuple ? Tout le projet de cet ouvrage est donc de réhabiliter le et la politique, ainsi que le régime démocratique, si décrié de nos jours.

2. La théorie des cinq peuples

La première préoccupation de l’auteur consiste à circonscrire le peuple de manière positive afin de dépasser l’impasse consistant à identifier les ennemis du peuple comme préalable à tout projet définitionnel. Pour commencer, le peuple a trois visages. Le peuple-société est composé d’une somme d’individus libres et égaux vivant dans un espace commun. Mais, pour se constituer en peuple, ces individus doivent vouloir vivre ensemble, d’où l’instauration de l’État comme garant de la vie en société et de sa pérennité. Afin d’équilibrer ces deux peuples, Tavoillot fait intervenir le peuple-opinion, chargé d’établir la médiation entre la société et l’État.Mais toujours la volonté hégémonique de l’un de ces trois peuples d’incarner l’intégralité du peuple est à l’origine des pathologies démocratiques, comme la propagande ou la transparence.

Pierre-Henri Tavoillot nous propose ici de changer de point de vue : la quatrième dimension du peuple ne s’incarnerait plus dans des visages, mais dans une méthode. Pour fonctionner et pour permettre aux trois peuples identifiés de coexister de manière équilibrée, il faut mettre en place un ensemble de règles. À la question de savoir qui est le peuple, l’auteur substitue la question des fonctions qui lui incombent : le peuple confère aux politiques, à travers l’élection, l’autorité nécessaire pour agir ; par la délibération, il contribue à préparer la décision ; il décide par l’intermédiaire de ses représentants ; enfin, il leur demande régulièrement des comptes.

Pour faire une synthèse de ces quatre peuples, l’auteur, réhabilitant l’art politique de raconter des histoires, conçoit enfin le peuple comme un récit, celui de sa propre mise en œuvre. Le récit donne corps au peuple en permettant de forger une identité nationale.

Dans une démarche réflexive, Tavoillot s’interroge sur l’intérêt d’une telle complexité pour penser le peuple. Premièrement, cela permet de penser tant le peuple de la démocratie que le peuple pour la démocratie, à savoir un peuple « adulte » à la hauteur de l’enjeu. Ensuite, si la démocratie est une manière de gouverner et de faire le peuple, ce dernier ne peut exister qu’en démocratie. Le troisième acquis est la compréhension et l’acceptation de la dimension libérale de la démocratie.

Enfin, cette formule des cinq peuples met en exergue la difficulté de l’exercice de l’art politique démocratique qui, parce qu’elle est méconnue, est en partie à l’origine de la déception des citoyens à l’égard de la démocratie.

3. Les maux de la démocratie

Afin de mieux conceptualiser le pouvoir en démocratie, l’auteur part des déceptions qui s’expriment de manière de plus en plus virulente à l’encontre de la démocratie. Si l’ère du déclin n’est pas amorcée, la démocratie est en crise pour les uns, pour les autres elle souffre d’une déliquescence de la souveraineté, quand d’autres encore y voient un déficit de sens.

Pour contrer la crise de la représentation, la volonté de « radicaliser la démocratie » s’impose de plus en plus chez certaines élites politiques comme chez les citoyens déçus. Dans ce cadre se développe l’idéal d’une démocratie directe.

De nombreuses publications ainsi que des initiatives et innovations citoyennes visent à concevoir un nouveau gouvernement réellement citoyen. Selon l’auteur, ces revendications très diverses ont deux points communs : une méfiance à l’égard du pouvoir politique et une mise en exergue de l’individualisme. C’est notamment sur ce second point que Tavoillot veut nous alerter : « Le risque, en voulant radicaliser la démocratie, c’est de la perdre » (p. 71). Pour respecter et protéger la liberté collective, les institutions représentatives ont été érigées dans l’objectif d’établir des médiations entre les volontés immédiates et les décisions politiques. Il oppose ainsi les libertés individuelles à la liberté collective, garante du destin commun.

Le projet d’une démocratie illibérale se présente comme plus conservateur et plus progressiste que le modèle libéral de la démocratie. Il s’agit d’un modèle autoritaire et méritocratique, fondé sur un État interventionniste mais également redistributif. C’est ainsi un projet concurrent du modèle occidental réunissant le capitalisme, des éléments de démocratie dans son acception procédurale, la prise en compte des valeurs et de l’identité locale ainsi qu’un pouvoir fort et centralisé, gage d’efficacité. Sous cette dénomination, l’auteur englobe des « régimes hybrides », des « démocratures » aux régimes démocratiques autoritaires.

Le dernier ennemi de la démocratie correspond à la théodémocratie : son ambition n’est ni de chercher à améliorer le libéralisme, ni de le concurrencer, mais de le détruire. Cette idéologie contestataire radicale rejette la modernité et l’Occident ; elle exerce une certaine séduction dans une partie du monde musulman et dans certains territoires délaissés et relégués des démocraties européennes.À l’encontre de l’idée que la démocratie serait l’horizon indépassable de notre temps, le trait d’union entre ces trois ennemis de la démocratie est la croyance en sa décadence.

4. Se choisir un chef

S’il est vrai que l’élection est le point de départ de la démocratie, le principe électif n’est pas démocratique en tant que tel. Élire signifie choisir le meilleur et non le même, d’où le caractère aristocratique de l’élection. Représenter souligne que seuls quelques-uns exercent le pouvoir, ce qui met en exergue le principe oligarchique. Enfin, le poids de chaque vote est relatif au nombre de suffrages, instaurant de fait une sorte de « némocratie » (ou pouvoir de personne).

Ces propos volontairement provocateurs permettent à l’auteur de faire apparaître les facteurs explicatifs du vote et les moyens de se doter d’un chef. Il existerait six méthodes. Les trois premières consistent à se fier à une autorité supérieure et incontestable, relevant du passé, de la nature et du divin. Les trois autres sont d’ordre humain : la méthode méritocratique du concours, la méthode démocratique du tirage au sort et la méthode aristocratique du vote. Si le vote est aristocratique dans son esprit, sa pratique devient démocratique après l’introduction de trois éléments : le suffrage universel, la logique représentative et des campagnes électorales ouvertes, pluralistes et équitables.

Une fois résolue cette première énigme, l’auteur s’interroge : pour qui votons-nous ? Le « prince » démocratique, présenté comme une version hyperbolique des princes du passé, doit être doté de qualités contradictoires. Il est notamment tiraillé entre les injonctions à la proximité et les attentes de grandeur. Dans ces conditions, Tavoillot interpelle les citoyens-électeurs : la déception des représentants s’explique plus par la démesure des attentes citoyennes que par la piètre qualité des élus.

5. L’art de la délibération

La démocratie a un besoin crucial de délibération, entendue comme examen préparant la décision. L’auteur retient trois idées principales de la réflexion d’Aristote sur la délibération. D’abord, elle permet d’organiser le désaccord et ce, qu’elle soit individuelle ou collective. Ensuite, la délibération relève du domaine de l’action possible à venir. Enfin, elle ne porte pas sur les finalités de cette action, mais sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir, ce qui implique que « pour pouvoir délibérer, il faut déjà être d’accord sur l’essentiel » (p.183). Le principal problème des démocraties contemporaines réside dans le fait que les finalités ont perdu leur caractère d’évidence, d’où le risque de délibérer sans fin et sans finalité.

La délibération se développe dans plusieurs sphères aujourd’hui : le Parlement, l’espace public et la société civile. L’existence et la complémentarité de ces trois sphères délibératives révèlent la vitalité de la démocratie. Cependant, l’auteur fait ici le constat d’un brouillage de ces sphères. La délibération institutionnelle, longtemps majoritaire, a progressivement cédé le pas à la délibération publique, les médias s’affirmant comme des contre-pouvoirs, voire des méta-pouvoirs dans une logique de recherche de la vérité, ou encore des anti-pouvoirs dans une optique de dénonciation d’un pouvoir nécessairement corrompu.

Mais les médias sont aujourd’hui également suspectés, notamment de complaisance vis-à-vis des élites politiques, ou de privilégier la logique financière à la logique journalistique, etc. Avec l’arrivée de l’internet, la troisième délibération, celle du peuple-société, tend donc à prendre le pas sur les deux autres.

Après la vague d’espoir pour l’espace public démocratique suscitée par cette révolution, Pierre-Henri Tavoillot dresse un constat sans appel : « Anarchie de l’Internet, aristocratie du Web et communautarisme des réseaux sociaux : telle est la triple idéologie des nouvelles technologies de l’information » (p.195). Cela conduit à un certain « désenchantement de l’Internet » de par le phénomène de juxtaposition de bulles de croyances particulières sans lien les unes avec les autres, et en raison du développement effréné de la rumeur à l’ère de la post-vérité.

6. Décider et rendre des comptes

L’auteur critique ce qu’il nomme les utopies délibératives et les illusions participatives, qui excluent de fait une grande partie des électeurs et alimentent le sentiment de crise de la représentation. D’après lui, la participation reviendrait à supprimer l’un des piliers de la démocratie : la reddition de comptes permettant d’évaluer la réussite ou l’échec d’une décision.

La décision politique a plusieurs volets : elle consiste à envisager ce qu’il faut faire, mais également la manière de le faire. Elle est en outre un choix et un commandement, impliquant la volonté d’être obéi. Sans elle, il ne peut y avoir ni peuple ni représentation. Un autre problème lié à la décision est donc la légitimité du décideur. Pour résoudre les tensions et les écarts entre représentants et représentés, Tavoillot part du principe que le peuple doit dans un premier temps décider, à savoir choisir ses représentants, et, dans un second temps, accepter de décider par l’intermédiaire de ces derniers. L’objectif est d’éviter que la démocratie ne se retourne contre elle-même, que les contre-pouvoirs ne s’imposent sur le pouvoir d’exercer et de décider.

L’auteur rejette donc l’idée que la citoyenneté résiderait dans la « désobéissance civile », qui consiste à résister aux décisions perçues comme provenant « d’en haut ». L’éloge de la désobéissance civile est analysé comme une dérive de nos démocraties. Pour protéger le destin collectif, il ne faut pas lutter contre le pouvoir, mais le défendre. Tâche ardue dans un contexte où la décision politique peine à être acceptée, voire est ouvertement rejetée pour trahison du peuple ou soumission à des intérêts occultes. Ainsi, l’art politique permettant de gouverner un peuple importe moins que la volonté de ce peuple d’être gouverné.

La dernière règle de l’art politique est la reddition des comptes qui nécessite la présence de trois acteurs : celui qui a des comptes à rendre, celui à qui il faut rendre des comptes et le tiers qui, en quelque sorte, tient les comptes. Ce dernier renvoie au droit en tant que figure politique du tiers : la responsabilité politique découle donc de la construction de l’État de droit. La reddition des comptes est un principe démocratique qui permet d’évaluer les intentions d’une décision et les résultats d’une politique. Cependant, « [n]ous vivons un moment critique de la démocratie ; le peuple est trop éclairé pour pouvoir être asservi, mais pas assez pour accepter d’être gouverné » (p. 296).

7. Conclusion

Ce traité politique revient sur l’essence même de la vie démocratique et sur le difficile exercice de l’art politique en démocratie. À travers la relecture de nombreux auteurs tant anciens que modernes et des études de cas historiques et contemporaines prises sur tous les continents, Pierre-Henri Tavoillot nous livre ici un traité vivifiant qui revitalise la démocratie et cherche à responsabiliser les citoyens. Comme il le dit lui-même en introduction, la démocratie est un régime « de grands », elle nous impose de penser et d’agir en adulte.

Bien loin de Sartre et du célèbre slogan popularisé en 1968 – « Élections, piège à c… » –, il invite à repenser les liens représentés/représentants en réhabilitant les rôles et les fonctions dévolus tant aux premiers qu’aux seconds. Le politique et la politique apparaissent sous sa plume comme un art difficile à maîtriser, un défi dur à relever, impliquant rigueur, méthode, volonté, maîtrise.

8. Zone critique

La profusion des traités sur l’art de gouverner n’enlève rien à cette nouvelle publication qui est une réflexion très actuelle tout autant sur l’art de gouverner que sur l’art d’être gouverné. Cet ouvrage s’attache à fournir une meilleure compréhension de nos démocraties en insistant sur l’horizon démocratique : grandir et faire grandir.

Cependant, dans sa volonté de présenter la démocratie représentative comme le meilleur des régimes et comme « l’horizon indépassable de notre temps » dans la lignée de Fukuyama, Pierre-Henri Tavoillot prend fait et cause pour la démocratie, laissant peu de place pour une réflexion et une discussion sur la participation et la délibération, dans leurs aspects démocratiques.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Paris, Odile Jacob, 2019.

Du même auteur– Qui doit gouverner ? Une brève histoire de l’autorité, Paris, Grasset, 2011.– L’Abeille (et le) philosophe. Étonnant voyage dans la ruche des sages, avec François Tavoillot, Paris, Odile Jacob, 2015.– De mieux en mieux et de pire en pire. Chroniques hyper modernes, Paris, Odile Jacob, 2017.

Autres pistes– Henri David Thoreau, La désobéissance civile, Paris, Mille et une nuits, 1997 [1849].– Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Paris, Mille et une nuits, 1995 [1576].– Dominique Rousseau, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Seuil, 2015.– Pierre Rosanvallon, La Contre-Démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006.

© 2021, Dygest