dygest_logo

Téléchargez l'application pour avoir accès à des centaines de résumés de livres.

google_play_download_badgeapple_store_download_badge

Bienvenue sur Dygest

Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Vivre parmi les animaux

de Pierre Le Neindre & Bertrand L. Deputte

récension rédigée parKarine ValletProfesseure certifiée de Lettres Modernes.

Synopsis

Société

La question animale obsède les penseurs depuis des siècles. Elle est désormais devenue prépondérante en raison des études récentes en éthologie, montrant les capacités cognitives et émotionnelles des animaux. Pierre Le Neindre et Bertrand L. Deputte font un état des lieux pour nous aider à mieux comprendre les espèces non humaines et trouver des solutions afin d’améliorer leurs conditions de vie dans le cadre de leur domestication.

google_play_download_badge

1. Introduction

Entre dogme cartésien de l’animal-machine et partisans de la sentience, la condition des animaux demeure un sujet qui divise. Il suscite des débats d’autant plus houleux qu’il bouleverse nos certitudes sur l’espèce humaine et oblige à reconsidérer nos pratiques.

Des élevages intensifs à la sélection artificielle, nos agissements révèlent un anthropocentrisme préjudiciable au bien-être animal. Pourtant, le développement de l’éthologie, science du comportement animal, a permis de démontrer la complexité des processus mentaux des espèces et la richesse de leurs interactions sociales.

Alors, pourquoi les résistances restent-elles aussi fortes ? Peut-on réellement considérer que l’animal est pourvu d’aptitudes cognitives semblables à celles de l’être humain ? Comment acquérir une connaissance plus fine des espèces afin de pouvoir mieux répondre à leurs besoins ?

Pierre Le Neindre et Bertrand L. Deputte explorent les différentes facettes du comportement animal pour mieux démontrer la nécessité de rendre nos rapports aux animaux plus éthiques.

2. Les conceptions de l’animal au fil des siècles

Pour les scientifiques, les animaux se définissent par opposition aux végétaux. Ils adoptent une alimentation végétale ou carnivore pour survivre, alors que les plantes se développent par la captation du soleil. Les espèces animales ont également fait l’objet de classifications.

Au XIXe siècle, Lamarck a sélectionné le critère de mobilité pour différencier deux catégories : les espèces mobiles, qui se déplacent pour trouver leur nourriture ; les espèces fixées, des invertébrés aquatiques se nourrissant des ressources présentes à proximité. Dès l’Antiquité, Aristote s’était appuyé sur un critère d’ordre social pour distinguer trois types d’animaux : les espèces solitaires, vivant en toute indépendance et ne se retrouvant que pour la reproduction ; les espèces grégaires, qui se rassemblent ponctuellement au cours de phénomènes comme les migrations ; les espèces sociales, qui constituent des groupes hiérarchisés et durables, dominés par les interactions entre individus.

Au fil des siècles, différentes théories se sont affrontées, de l’animal-machine de Descartes à l’approche évolutionniste de Darwin. Aujourd’hui encore, les antagonismes persistent entre ceux qui considèrent l’animal comme une entité négligeable et ceux qui lui attribuent une valeur égale à l’être humain. Ces débats ont conduit à l’émergence de trois courants. Tout d’abord, l’éthique humaniste fait des êtres humains une espèce supérieure : les animaux ne sont envisagés qu’à travers le prisme de ce qu’ils lui apportent de favorable ou non. A contrario, les antispécistes rejettent toute hiérarchie entre les espèces, y compris entre l’animal et l’être humain. Enfin, les partisans de la sentience considèrent que les animaux sont dotés de sensibilité : il nous revient d’abolir leurs souffrances et de favoriser leur bien-être.

La culture prédominante d’une société agit sur la façon dont la population perçoit les animaux. En Occident, les chiens sont devenus des animaux de compagnie, alors que chez les aborigènes d’Australie, ce sont les dingos qui ont été domestiqués. Notre perception des animaux est aussi souvent parasitée par une approche anthropomorphique. On juge leurs comportements à l’aune de nos valeurs morales. La violence de leurs interactions ou de la prédation heurte ainsi notre sensibilité et nous paraît immorale. Cette distance que nous établissons entre l’animal et l’être humain est délibérée. En retirant aux animaux des aptitudes comme l’intelligence, on justifie leur exploitation et relativise les traitements qui en découlent. Au fond, les débats sur la question animale dérangent parce qu’ils remettent en cause la place que nous nous sommes arrogés dans le monde.

3. L’animal est-il doté de facultés cognitives ?

La plupart des espèces disposent d’un système nerveux et cérébral leur permettant d’appréhender leur environnement, de résoudre des problèmes, mais aussi d’avoir une expérience subjective de leurs propres expériences. Elles sont ainsi en mesure d’analyser les informations reçues pour faire varier leurs comportements en fonction des situations.

Certaines aptitudes sont indispensables, comme la discrimination, par laquelle l’individu parvient à différencier les objets entre eux, ou la mémorisation, qui permet de se souvenir d’informations de façon permanente. On parle plus spécifiquement de cognition sociale lorsque ces compétences concernent la connaissance d’autres êtres vivants et non pas seulement d’objets inanimés. Par exemple, un carnivore dispose d’une cognition sociale de nature différente de celle d’un frugivore car, pour chasser, il doit user de stratégies pour atteindre des proies en mouvement.

Ces apprentissages cognitifs reposent sur l’appréhension sensorielle de l’environnement. La peau, en contact direct avec l’extérieur, constitue un capteur d’informations très riche puisqu’elle délivre des signaux thermiques ou tactiles indiquant les propriétés des milieux investis. Selon l’espèce, certains sens participent plus que d’autres au décryptage des situations, telles que le système auditif chez la chauve-souris ou la vue permettant aux guêpes de différencier leurs congénères. Au vu de ces différences, visibles dans le volume des aires cérébrales, chaque individu se connecte au monde avec des perceptions qui lui sont propres et qui peuvent se cumuler pour apporter plus d’informations.

On parle alors de bimodalité, comme avec le chat qui utilise des modalités tactiles et olfactives en se frottant contre son maître et flairant les odeurs ainsi capturées. Chaque animal développe donc une lecture du monde spécifique à son espèce, qui lui ouvre une réalité complexe.

Ces compétences cognitives permettent d’attribuer une conscience aux animaux. Il existe différents niveaux de conscience, qu’il est d’ailleurs essentiel de pouvoir déterminer dans le cadre de l’abattage sans souffrance des animaux d’élevage. Le rêve, le sommeil paradoxal, la pleine conscience ou l’inconscience font notamment partie des états que l’on peut rencontrer, comme chez l’être humain. La conscience se caractérise en outre par la capacité à se forger une représentation mentale des autres et de soi-même, ce que l’on peut voir avec les chimpanzés qui savent déceler les intentions d’autres individus.

La métacognition, c’est-à-dire la connaissance de ses propres capacités et de leurs limites, est parfaitement illustrée par le comportement des dauphins qui, lors d’exercices d’identification de sons, utilisent un joker quand ils ne savent pas répondre. Les animaux sont aussi aptes à la projection temporelle grâce à la mémoire épisodique, qui leur permet de se constituer des souvenirs d’expériences, ainsi que d’élaborer des stratégies pour anticiper l’avenir. C’est le cas des écureuils qui cachent des fruits en prévision de la mauvaise saison.

4. Les stratégies adaptatives pour pérenniser l’espèce

Le processus évolutif des espèces dépend de deux facteurs : le matériel génétique dont elles disposent et leur adaptation comportementale à l’environnement. Il peut être à l’origine de trois types de mutations : des mutations neutres, qui resteront invisibles ; des mutations favorables, qui seront transmises aux descendants ; des mutations délétères, qui conduiront à l’élimination des individus porteurs. La sélection naturelle a en quelque sorte pour fonction de faire le tri parmi les mutations générées, en conservant les individus ayant bénéficié de traits avantageux pour l’espèce, au détriment de ceux qui en sont dépourvus, grâce à la reproduction.

Les stratégies adaptatives favorisent la modification des comportements ou des organismes de certains individus, afin de leur permettre de faire face aux contraintes de leur environnement. La migration, l’hibernation, l’utilisation d’outils constituent des adaptations comportementales fréquentes. Les évolutions physiologiques, telles que l’apparition d’une boîte crânienne, ont aussi joué un rôle majeur dans la survie de certaines espèces.

Dans un même milieu, il existe des convergences évolutives entre les espèces, c’est-à-dire que les adaptations poursuivent le même but, mais sous des formes variées. Par exemple, pour voler, certains animaux vont développer des ailes à membrane, d’autres des ailes à plumes. Les caractéristiques sélectionnées au sein d’une espèce ne sont pas figées. Alors qu’elles apparaissent pour répondre à un besoin précis, elles peuvent continuer à évoluer pour remplir d’autres fonctions.

C’est ce qu’on appelle l’exaptation. Ainsi, certains dinosaures ont vu leur peau se couvrir de plumes destinées à réguler leur température, avant de leur permettre de voler à la suite de nouvelles mutations.

Les comportements sociaux s’avèrent essentiels à la pérennisation de l’espèce. Ils servent à assurer la cohésion du groupe. La sélection de parentèle, ou kin selection, consiste à coopérer avec les individus partageant le plus de gènes en commun. Même les comportements d’agression ont une fonction régulatrice des tensions. Ils contribuent également à protéger des ressources indispensables, telles que les jeunes, les femelles ou la nourriture.

Chez certains animaux comme les oiseaux ou les bovins, le processus d’attachement ou d’empreinte est central dans cet apprentissage social. Il induit la mise en place d’une relation forte entre le jeune et sa mère. Celle-ci lui prodigue les soins nécessaires jusqu’au sevrage, stade où elle le repousse pour l’inciter à prendre son indépendance. La socialisation des petits passe ainsi par l’acquisition de comportements propres à leur espèce et la diversification de leurs contacts dans le groupe.

5. De la domestication à la sélection artificielle

Pour le naturaliste, Isidore Saint-Hilaire, les animaux domestiqués sont le fruit d’une transformation en quatre phases : l’acclimatation et la naturalisation (l’animal est introduit dans un milieu autre que son milieu naturel, auquel il doit s’habituer), l’apprivoisement (on le familiarise avec l’homme), la domestication (on l’intègre dans les foyers humains). Les animaux domestiqués appartiennent évidemment à des espèces capables de se conformer aux contraintes imposées par l’homme.

Leur reproduction, ainsi que leur cycle de vie, sont généralement contrôlés par l’être humain, à l’inverse des animaux domestiques commensaux, comme les rats ou les moineaux, qui évoluent en toute indépendance dans notre environnement. Si Konrad Lorenz considère que la domestication fait régresser l’animal, les auteurs y voient plutôt l’expression de capacités adaptatives.

Par la sélection artificielle et une reproduction contrôlée, les êtres humains créent des races domestiques correspondant à des fonctions utilitaires et économiques. Pour obtenir des animaux capables de vivre dans les élevages intensifs et de produire toujours plus, les éleveurs cherchent à effacer certains traits comportementaux et à en favoriser d’autres. En recourant aux manipulations génétiques, on produit des individus knock-out, qui perdent les comportements naturels qui entravaient leur potentiel productif. C’est ainsi que les poules pondeuses ne présentent plus de réflexe maternel de couvaison, ce qui permet une production d’œufs permanente et plus conséquente.Le problème est que cette sélection artificielle conduit à l’émergence d’hypertypes, c’est-à-dire l’accentuation exponentielle de certaines caractéristiques au détriment de la santé des animaux.

Que la sélection soit fondée sur des critères esthétiques ou de productivité, elle engendre des pathologies chroniques. Les chiens brachycéphales présentent des problèmes respiratoires, tandis que la vache Prim’Holstein produit tant de lait qu’elle est sujette aux mammites. Les animaux domestiques ont été tellement dénaturés qu’ils se révèlent de plus en plus dépendants de l’homme. Ils ne sont plus en mesure d’assurer la perpétuation de leur espèce par eux-mêmes, nécessitent une alimentation et des soins spécifiques qu’ils seraient incapables de trouver à l’état sauvage. Par exemple, certaines races de vaches ou d’ovins ne peuvent plus mettre bas naturellement et sont libérées par césarienne.

6. Mieux comprendre les animaux pour mieux les protéger

L’éthologie s’avère utile pour mieux comprendre les animaux, à condition qu’elle soit dénuée de toute dérive anthropomorphique. Il convient de faire preuve d’ouverture d’esprit et de remettre en perspective les observations réalisées en fonction de l’espèce. Le risque est en effet de biaiser l’interprétation des comportements observés, en voulant les assimiler à nos propres réactions.

C’est pourquoi l’éthologie est confrontée à un double défi : d’une part, il faut parvenir à dépasser les critères de jugement en vigueur pour notre espèce ; d’autre part, il faut arriver à caractériser des comportements animaux au moyen d’un vocabulaire destiné à décrire des états humains. Des éthologues, comme Burrhus Frederic Skinner, ont imaginé une terminologie spécifique pour pallier ce problème. Selon les auteurs, ce choix ne fait qu’accroître la distance entre les humains et les animaux. Il ajoute, en outre, une opacité encore plus grande pour la compréhension des espèces.

C’est en adoptant une méthode scientifique que l’éthologue peut arriver à une meilleure connaissance des animaux. Partant d’une hypothèse, il s’efforce de la vérifier en recueillant des données auprès de plusieurs individus. Il peut opter pour une démarche naturaliste, impliquant une étude dans le milieu naturel de l’espèce, ou bien une démarche expérimentale au cours de laquelle l’animal est placé dans un environnement modifié. En milieu naturel, l’éthologue doit observer sans interférer ni manifester sa présence. Il doit aussi se conformer au rythme de vie de l’espèce afin de pouvoir témoigner avec fidélité de son mode de vie.

Les connaissances en éthologie ont conduit à des avancées en matière de bien-être animal. La loi a évolué : le Code rural et le Code civil définissent l’animal comme un être doté de sensibilité. L’état de bien-être des animaux d’élevage est désormais évalué sur la base de cinq critères, baptisés les 5 libertés : l’absence de faim et de soif, de douleur et de maladie, de stress physique ou thermique, de peur et de détresse, mais aussi la possibilité d’exprimer un comportement naturel. Le problème est que la législation demeure ambiguë puisque les animaux restent soumis au régime des biens.

Des industriels aux distributeurs, les différents acteurs participant à l’exploitation animale sont également mus par des considérations financières plus qu’éthiques. C’est pourquoi certaines propositions sont totalement contraires au bien-être animal. Au lieu de corriger les conditions d’élevage qui sont source de potentielles lésions et d’automutilations (stéréotypies), sont, au contraire, prônées des pratiques barbares, comme le débecquage des poules ou l’épointage des dents des porcs.

7. Conclusion

Pour répondre à des enjeux économiques ou des phénomènes de mode, la domestication des animaux nous a conduits à leur imposer des mutations génétiques toujours plus poussées. Celles-ci exercent des contraintes fortes sur leur corps et les condamnent à subir des pathologies diverses et irréversibles. Comme le soulignent les auteurs, nous avons créé des « monstres », qui n’ont plus l’aptitude à vivre de façon autonome et à assurer leur survie, tant certaines de leurs caractéristiques ont été poussées à l’extrême.

À l’heure où la sentience et la cognition animales sont avérées, nous avons le devoir moral de repenser en profondeur la façon dont nous traitons les animaux, mais aussi de nous montrer à l’écoute de leurs besoins.

8. Zone critique

Selon Pierre Le Neindre et Bertrand L. Deputte, les animaux sont nos « colocataires ». C’est pourquoi nous devons leur prêter attention, mais aussi contribuer à amoindrir leurs souffrances au sein de notre société. Ils rejoignent en ce sens les convictions du philosophe, Baptiste Morizot, qui défend l’idée d’une cohabitation respectueuse et consciente des interdépendances existant entre l’être humain et les autres animaux. Pour certains intellectuels tels que Peter Singer, l’animal doit bénéficier d’un statut moral dans la mesure où il dispose d’une sensibilité et peut éprouver de la souffrance. Le mouvement antispéciste pousse le raisonnement encore plus loin, en considérant qu’il faut abolir toute interaction entre l’homme et l’animal.

Pierre Le Neindre et Bertrand L. Deputte considèrent que les théories antispécistes ont leurs limites : elles vont à l’encontre même du bien-être animal puisqu’elles rejettent la violence des interactions entre animaux, au point d’ostraciser les espèces carnivores et d’en appeler à leur extinction.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Pierre Le Neindre et Bertrand L. Deputte, Vivre parmi les animaux, mieux les comprendre, Versailles, Quae, 2020.

Autres pistes– Marc Bekoff, Les Émotions des animaux, Paris, Payot, 2018.– Boris Cyrulnik, Mémoire de singe et paroles d’homme, Paris, Fayard, 2010.– Konrad Lorenz, Les Fondements de l’éthologie, Paris, Flammarion, coll. « Champs sciences », 2009.– Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Arles, Actes Sud, coll. « Mondes sauvages », 2020.– Peter Singer, La Libération animale, Paris, Payot, 2012.

© 2021, Dygest