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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Politique sur un plateau

de Pierre Leroux et Philippe Riutort

récension rédigée parMarie Tétart

Synopsis

Société

Les politiques sont devenus des invités ordinaires des émissions de divertissement dites « conversationnelles » (talk-shows). Cette désacralisation de la parole publique est l’aboutissement d’une transformation radicale de la représentation télévisée de la politique. Avant le tournant des années 1980-1990, la politique était l’objet d’émissions solennelles animées par des journalistes spécialisés. Aujourd’hui, elle est traitée avec la même désinvolture que des sujets de culture populaire sur des plateaux où des animateurs profanes invitent pêle-mêle élus et vedettes du show-business.

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1. Introduction

L’apparition de la classe politique sur les plateaux de télévision dits de « divertissement » est l’aboutissement d’une longue histoire. La politique a longtemps été le sujet réservé des journalistes spécialisés : c’est d’abord le récit d’une rupture que raconte l’ouvrage de Philippe Riutort et Pierre Leroux.

Pourquoi l’émission politique solennelle traditionnelle s’est-elle trouvée déclassée par les émissions dites « conversationnelles » ? D’autre part, comment les chaînes de télévision et les animateurs profanes ont-ils réussi à attirer les hommes et les femmes politiques dans ces talk-shows peu valorisants pour leur image ? Pourquoi s’y sont-ils risqués et ont-ils fini par considérer ces plateaux comme des lieux incontournables pour la construction de leur image médiatique ?

Outre les causes, La Politique sur un plateau s’attarde aussi sur les conséquences de ce basculement : la vision qu’ont donnée d’eux les politiques et la politique en général a été totalement modifiée par ces nouvelles normes communicationnelles. Il faut enfin revenir sur le rôle des animateurs présentateurs de ces émissions, qui ont joué un rôle disruptif dans la représentation traditionnelle des politiques à la télévision.

2. Le déclassement des émissions politiques traditionnelles

Lorsqu’on compare les émissions télévisuelles des années 1970-1980 à celles des années 2000, on remarque une rupture.

En quinze à vingt ans, l’offre en matière de médiatisation politique s’est complètement transformée. Les émissions journalistiques spécialisées ont laissé la place à ce que Pierre Leroux et Philippe Riutort appellent des émissions « conversationnelles » dans lesquelles domine l’impression d’une parole libérée et plus sincère, à l’instar de ce que doit être une conversation entre individus privés. Cette rupture avec le cadre journalistique compassé de jadis a une raison apparente : les émissions spécialisées ennuient la plupart des spectateurs ; elles n’attirent qu’une petite minorité d’individus informés et ne savent pas intéresser la plus grande partie de l’audience.

Cependant, la réalité est plus subtile et le basculement est à chercher dans l’avènement de la télévision commerciale. Dans les années 1980, sous l’égide de l’Europe, les monopoles de la télévision publique ont pris fin. TF1 a été privatisée et d’autres chaînes privées ont vu le jour. L’offre télévisuelle s’est grandement étoffée et la concurrence entre les chaînes a commencé à influencer le contenu des émissions proposées. Les émissions politiques ont été immédiatement impactées : « Les performances d’audience des émissions politiques, très honorables dans le cadre de l’offre réduite des trois chaînes de la télévision du monopole de service public, s’étiolent avec l’augmentation de l’offre » (p.38). Dès lors, comment récupérer de l’audience ?

La réponse est trouvée à l’époque dans les divertissements. Ces derniers font beaucoup plus d’audience que les émissions politiques. Ils sont mieux adaptés à l’évolution de l’utilisation de la télévision par les spectateurs, dont l’écoute devient plus flottante et moins « dévote ». Conserver de fortes audiences en continu nécessite l’apparition d’émissions hybrides plus aptes à rassembler. C’est ainsi que s’explique le déclin puis la disparition d’émissions telles que Sept sur Sept sur TF1 ou L’Heure de vérité sur Antenne 2. L’heure est venue de nouveaux formats télévisés qui devront relever le défi de faire venir à eux la classe politique.

3. Divertissement et politique : de la méfiance à l’apprivoisement

Faire venir les hommes et les femmes politiques sur les plateaux de divertissement nouveau genre, tels qu’ils apparaissent à la fin des années 1990, n’est pas une sinécure. Certes, le lien entre divertissement, médias et promotion de formes d’engagement politique n’est pas un phénomène récent. Aux États-Unis notamment, il s’est incarné dans le recrutement d’artistes pendant les guerres, par exemple la Seconde Guerre mondiale. Paradoxalement, il a aussi pris la forme de la contestation de la guerre, à l’image de l’engagement de nombreuses célébrités du show-business contre l’intervention en Irak dans les années 2000.

Cependant, en France, les milieux de la politique et du divertissement populaire sont beaucoup plus étanches. Il faut attendre que la télévision ait gagné une certaine emprise sur les ménages pour voir apparaître une communication télévisuelle de la part des politiques à l’adresse de l’opinion publique.

Les premières émissions dites conversationnelles font fuir les politiques. Sur les plateaux de Tout le monde en parle, d’On ne peut pas plaire à tout le monde et d’On a tout essayé (dans une moindre mesure), les animateurs pratiquent l’art de la déstabilisation et de la raillerie, voire cherchent à humilier leurs invités. C’est pourquoi seules des personnalités politiquement marginales et/ou qui n’ont pas accès à d’autres tribunes médiatiques acceptent de s’y rendre.

Ce sont d’abord les leaders de petits partis, par exemple, qui n’ont pas d’autre moyen de se faire entendre, ou des personnalités comme l’évêque Jacques Gaillot, en conflit avec sa hiérarchie et très médiatisé pour ses prises de position publiques. Les grands noms de la politique française refusent de risquer la dévaluation de leur capital. Ils n’en ont pas besoin : ils occupent déjà l’espace télévisuel grâce aux journaux télévisés et aux grands rendez-vous politiques.

Mais une transition va s’amorcer : « Les premières personnalités proprement politiques n’acceptent que timidement l’invitation, déclenchant par un effet d’entraînement la participation de détenteurs de positions plus élevées ayant constaté que la prise de risque était en fait limitée » (p.138). Entre-temps, la plupart des émissions conversationnelles ont mis de l’eau dans leur vin : le compromis était obligatoire si les animateurs voulaient capter de grandes têtes d’affiches. Car le but est d’avoir la personnalité politique de premier plan au bon moment.

4. La plus-value de la présence politique sur les plateaux télévisés

Mais pourquoi les politiques vont-ils sur les plateaux des émissions télévisés ? Pourquoi acceptent-ils de s’y faire interrompre lorsqu’ils expliquent leurs actions ou leurs projets, de s’y faire tutoyer et quelquefois un peu malmener ? Pour les individus qui n’ont accès à aucune autre sorte de podiums télévisés, la réponse est simple. Ils vont là où on les invite pour délivrer leur message politique. Dans les années 2000-2006, « 22 % des invités politiques présents dans les divertissements n’ont accès qu’à ces seules tribunes télévisuelles » (p.167). Les émissions conversationnelles permettent d’élargir la représentation télévisée du spectre politique.

Puis, avec le développement et le succès de cette nouvelle forme d’émission, une dynamique différente de construction médiatique de la politique commence à apparaître. Les talk-shows y prennent une place majeure et deviennent peu à peu des tribunes recherchées par le personnel politique. Il devient nécessaire d’occuper l’espace médiatique et d’être dans la réactivité permanente par rapport non seulement à l’actualité, mais aussi aux propos des rivaux politiques (y compris ceux de son propre camp). Les déclarations faites sur les plateaux de divertissement ont désormais un écho important. Elles sont d’ailleurs suivies par l’AFP.

Les émissions conversationnelles permettent également au politique de se construire un nouveau visage en suivant les codes de la médiatisation des people. Il faut désormais dévoiler son intimité et montrer l’homme ou la femme derrière l’élu. Cela donne l’impression qu’on se rapproche du public, avec lequel on prétend partager une culture populaire de divertissement… même s’il s’avère que, dans les faits, cette culture est rarement maîtrisée par les membres de la classe politique. L’exercice peut donc être périlleux et révéler au contraire une coupure avec le « peuple ».

5. La désacralisation de la politique

Cette nouvelle forme de médiatisation politique a des répercussions sur la manière dont sont perçus les politiques et la politique de façon générale. Il est certain qu’on peut ici parler de désacralisation. Les élus et les membres de la classe politique étaient autrefois des figures hiératiques et lointaines auxquelles la population ne pouvait pas accéder, surtout dans leur dimension humaine. L’homme et la femme s’effaçaient derrière le politique. L’irruption des émissions conversationnelles à la télévision a transformé ce paradigme. Désormais, les politiques doivent « multiplier les manifestations d’“humanité” pour construire positivement [leur] image publique » (p.197).

En effet, ils sont désormais jugés moins sur leurs projets ou leurs bilans politiques que sur des critères depuis longtemps utilisés dans la médiatisation des personnalités du spectacle. Les talk-shows s’intéressent moins au capital et au calendrier politique qu’à l’audience et au potentiel vendeur d’un invité.

Dans ce contexte, les personnalités recherchées sont celles qui vont assurer le spectacle et donc attirer les téléspectateurs. Il faut évidemment faire venir les grands noms sur les plateaux, mais aussi les individus tangents. L’animateur joue un rôle important dans ce choix : en tant que personnalité publique, il peut désormais afficher une opinion et, à cet égard, décider de promouvoir la voix d’une figure à ses yeux méritante. L’exemple de Jean Lassale est en ce sens édifiant. Député-maire dans les Pyrénées-Atlantiques depuis de très longues années, inconnu du grand public avant le début des années 2000, il s’est construit une image publique par des coups d’éclat. Il a ainsi coupé la parole à Nicolas Sarkozy en 2003 en entonnant un chant montagnard, ou encore fait la grève de la faim dans l’Assemblée nationale en 2006 pour alerter sur une menace de délocalisation dans sa circonscription.

Ces coups d’éclat lui ont valu la médiatisation sur les plateaux de télévision (On a tout essayé par exemple). Peut-être n’aurait-il pas pu candidater à la présidence de la République en 2017 s’il n’avait pas bénéficié de cette médiatisation importante au cours des années précédentes.

6. L’agent disruptif : l’animateur

L’ouvrage de Pierre Leroux et de Philippe Riutort s’attarde sur le rôle important de l’animateur au cœur du système. Le personnage de l’animateur a beaucoup évolué en quelques décennies. Jusque dans les années 1980 et même 1990, il est un personnage neutre, une sorte de figure interchangeable dévolue à la présentation des jeux et des variétés. Lorsque la télévision devient commerciale avec la fin du monopole de l’État, un tournant s’opère.

En effet, l’animateur a désormais une carte à jouer : il est celui qui peut faire vendre des encarts publicitaires à des prix plus ou moins élevés selon l’importance de l’audience qu’il obtient grâce à sa prestation.Peu à peu, l’animateur devient un personnage public, aussi médiatisé que les personnalités du spectacle et que les politiques eux-mêmes. Il se met à défendre et à mettre en avant les causes qui lui tiennent à cœur, y compris dans le champ politique.

Cet investissement, parallèlement, rehausse son statut professionnel et lui donne une reconnaissance qu’il n’avait pas dans les débuts. Désormais, le professionnel consacré dans les émissions de télévision qui invitent des politiques n’est plus le journaliste spécialisé : la « feuilletonnisation » de la politique, faite de coups d’éclats, de bons mots et de réactions « à chaud », a relégué cet expert dans un rôle mineur d’intervenant sous la coupe des animateurs vedettes. Leur expertise est minorée par rapport aux commentaires des profanes, elle se noie dans le magma d’informations et de remarques souvent humoristiques brassées sur les plateaux des émissions de type conversationnel.

Autre fait saillant de l’émergence de l’animateur comme grand ordonnateur et élément incontournable des talk-shows qu’il façonne de son empreinte : sa réussite professionnelle, largement médiatisée. « Une émission comme 93 Faubourg Saint–Honoré, dans laquelle un animateur reçoit chez lui, dans un appartement chic d’un quartier huppé de la capitale, serait ainsi proprement impensable dans une phase antérieure de la professionnalisation des animateurs de télévision, où ils devaient, à l’opposé, insister sur leur “simplicité” » (p.228).

7. Conclusion

En en un demi-siècle (1970-2020), la représentation de la politique sur les plateaux de télévision a été bouleversée. Les émissions journalistiques spécialisées ont cédé la place à des talk-shows alertes, plus à même de faire de l’audience dans le contexte d’une télévision commerciale, sans monopole d’État. Quelques accommodements ont été nécessaires pour lisser ces émissions et les faire accepter par les élus.

De personnalités marginales en figures de proue de la politique française, le panorama des invités de ces plateaux télévisés s’est étoffé et ces derniers ont fini par devenir des passages obligés dans la construction de l’image médiatique des politiques.

Bien entendu, ce phénomène a profondément modifié le regard porté sur les politiques et la politique en général. Il a aussi fait émerger un nouveau genre d’acteur : l’animateur, comme antagoniste et/ou complice du politique en plateau, qui a supplanté le journaliste spécialisé dans ce domaine d’expertise.

8. Zone critique

Dans les années 1980, la fin du monopole étatique a contribué à créer de la concurrence entre les chaînes de télévision. La représentation télévisuelle de la politique a dû s’adapter et devenir rentable, ce dont il n’avait jamais été question jusqu’alors. On peut donc dire que, par ce biais, la politique est entrée dans la sphère capitaliste. Elle est devenue le sujet d’une forme de divertissement, tout comme l’est la médiatisation des célébrités du spectacle. Cela était nécessaire pour séduire une audience populaire largement majoritaire devant l’écran.

Cependant, ce phénomène n’aurait pas été possible sans la complicité des politiques. Ces derniers ont désormais besoin (ou estiment avoir besoin) de davantage de communication dirigée vers les différentes classes sociales du pays, le capital médiatique ainsi amassé étant censé leur faciliter l’accès à une position politique. Dans les faits, la communication est devenue une part importante du métier de politique, ce qu’il n’était pas autrefois.

Cependant, cette façon de communiquer via le divertissement conserve quelques traits spécifiquement français. Contrairement aux pratiques en usage aux États-Unis, la dimension politique n’est jamais totalement évacuée du contenu proposé sur les plateaux.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Pierre Leroux et Philippe Riutort, La Politique sur un plateau, Paris, PUF, 2013.

Autres pistes– Sabine Chalvon-Demersay et Dominique Pasquier, Drôles de stars. La télévision des animateurs, Paris, Aubier, 1990.– Thomas Fromentin et Stéphanie Wojcik (dir.), Le Profane en politique. Compétences et engagements du citoyen, Paris, L’Harmattan, 2008.– Jacques Lagroye, La Politisation, Paris, Belin, 2003.– Roger-Gérard Schwartzenberg, L’État-spectacle, Paris, Flammarion, 1977.– Roger-Gérard Schwartzenberg, L’État-spectacle 2, Paris, Plon, 2009.

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