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Le Siècle du populisme

de Pierre Rosanvallon

récension rédigée parAna PouvreauSpécialiste des questions stratégiques et consultante en géopolitique. Docteur ès lettres (Université Paris IV-Sorbonne) et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Auditrice de l'IHEDN.

Synopsis

Histoire

Éminent spécialiste de la théorie de la démocratie, Pierre Rosanvallon s’attelle, dans cet ouvrage, à théoriser le concept de populisme. En effet, les grandes idéologies s’appuient en général sur un corpus doctrinal : le communisme sur l’œuvre de Marx ; le socialisme sur celle de Jaurès et le libéralisme sur celle de Tocqueville. Ce n’est pas le cas du populisme. Derrière une apparente confusion liée au surgissement d’une myriade de mouvements dits « populistes », à l’échelle de la planète, en ce début de XXIe siècle, l’auteur tente de discerner un certain nombre de lignes directrices fortes, à partir desquelles il est en mesure de définir la vision populiste de la démocratie.

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1. Introduction

En 1989, lors de la chute du Mur de Berlin, la démocratie paraissait triomphante et son avenir s’annonçait sous un jour radieux. Trois décennies plus tard, force est de constater que les démocraties sont malades. Partout se sont élevées des contestations condamnant le déficit de représentation, de légitimité et de constitution de la volonté générale.

Au vu de ces soubresauts inattendus, la force du populisme s’explique par le fait qu’il est le symptôme de tous les dysfonctionnements de notre société contemporaine (le « dégagisme », la critique de la mal-représentation dans la société, l’aversion suscitée par les inégalités criantes). Mais s’il est symptôme, il est également proposition. Le populisme est une proposition démocratique sérieuse, dont le but est de remédier aux défauts de la démocratie.

Précision importante : l’auteur distingue les mouvements populistes des régimes populistes. Car il faut en effet reconnaître le fossé qui sépare le brassage des idées du passage à l’acte. À cet égard, les mouvements qualifiés de populistes, tels que Podemos de Pablo Iglesias ou La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, cristallisent la frustration, la colère, l’impatience de citoyens face à la montée des inégalités. Le fonctionnement démocratique y est perçu comme défaillant et favorisant la « mal-représentation » des individus et la non-prise en compte de leur déclassement progressif et inéluctable. Les populismes qui sont arrivés au pouvoir sont devenus du même coup des régimes.

Comme l’indique l’auteur, ils s’appuient sur le même type d’électorat que les mouvements populistes. Leur différence tient au fait que « s’ils se font tous les hérauts d’une démocratie immédiate et polarisée, ils peuvent osciller entre un maintien ténu de l’État de droit (en fonction des freins constitutionnels encore actifs) et une franche démocrature » (p.83).

Pour l’auteur de La démocratie inachevée (2000), le processus démocratique est en constante évolution. Dans ce contexte mouvant, la proposition populiste de régénération de la démocratie pourrait finir par l’emporter. Cette voie simplificatrice s’avérerait alors périlleuse, en ce qu’elle comporte de nombreux écueils, dont les observateurs de la vie politique n’ont pas encore su prendre la mesure.

2. Le recours à l’homme-peuple

Les régimes populistes, une fois au pouvoir – qu’il s’agisse de la Russie de Vladimir Poutine, de l’Amérique de Donald Trump, de la Hongrie de Viktor Orban ou de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan – sont confrontés aux exigences de la gouvernance. L’observation de la mise en application des idées du populisme par ces régimes permet de discerner un certain nombre de traits qu’ils ont en commun, en particulier la notion centrale d’ « homme-peuple », à laquelle Pierre Rosanvallon consacre tout un chapitre (pp.47-53).

Comme l’observait le politologue argentin Ernesto Laclau (1935-2014), il s’agit d’organiser à la fois le peuple horizontalement par le dépassement des différences sociales, et verticalement, en lui donnant un élément d’identification – le leader – dans lequel il puisse se retrouver.

Cet « homme-peuple », autour duquel est organisée la société tout entière, est censé remédier à la « mal-représentation » des individus, en ce qu’il est à la fois le sommet et la base de la société. La représentation du peuple s’accomplit donc à partir d’un principe d’incarnation. Au XXe siècle, les exemples ne manqueront pas en Amérique latine, comme l’a illustré le cas de l’homme politique charismatique colombien, Jorge Eliécer Gaitan, dans les années 1930-1940. Ce « candidat du peuple » assassiné en 1948, demeure dans les mémoires comme un chantre de la lutte contre l’oligarchie.

En Argentine, Juan Peron (1895-1974) est une figure emblématique du populisme latino-américain, dans un contexte d’antagonisme entre d’une part, l’oligarchie latifundiaire et d’autre part, la masse des paysans.

Pour Pierre Rosanvallon, le leader vénézuélien Chávez (1954-2013) est un autre exemple frappant de cette projection singulière de l’individu dans l’homme-peuple. Cette idée de « représentation-miroir » implique que la société se reconnaisse dans une sorte d’unité verticale. « Quand je vous vois », déclarait Chávez en s’adressant au peuple lors de la campagne présidentielle de 2012, « quand vous me voyez, je le sens, quelque chose me dit : « Chávez tu n’es plus Chávez, tu es un peuple (…) Parce que Chávez, ce n’est plus moi. Chávez, c’est tout un peuple ! » (pp. 49-50).

3. L’unité retrouvée

Le populisme est caractérisé par une vision sociologique particulière et par une définition implicite du peuple. Dans le monde globalisé du XXI siècle, l’on constate qu’aux divisions entre les classes sociales, se sont juxtaposées d’innombrables divisions entre les minorités, les sexes, les religions. Face à cette fragmentation, le projet populiste agite la promesse d’une unité retrouvée au sein de sociétés divisées sur les plans économique, idéologique ou social.

Pour ce faire, il va s’agir de créer un nouveau type d’antagonisme, au-delà de ceux de classe par exemple. La véritable opposition entre l’oligarchie et le peuple, une fois exposée avec clarté, va permettre au peuple de retrouver de manière rassérénante un sens de l’unité.

Cette tentative de reconstruction se retrouve dans tous les régimes populistes, mais avec des modalités différentes de construction des antagonismes. En Europe à la fin du XIXe siècle, Maurice Barrès s’est attaché, par exemple, à reconstruire l’unité au détriment des étrangers. En Amérique du sud, l’impérialisme américain a longtemps eu pour effet de restructurer les divisions sociales. Il en fut de même pour l’antisémitisme en Europe à une certaine époque.

Toutes ces tentatives montrent bien, selon l’auteur, que le projet populiste tente, par tous les moyens, d’élaborer une vision simplificatrice du social. L’objectif premier est bel et bien de recréer l’unité perdue à partir de la création de nouveaux antagonismes fondamentaux et structurants.

4. La démocratie directe

Le populisme se définit comme une conception de la souveraineté directe du peuple par contraste avec une souveraineté perçue comme « confisquée ». C’est pourquoi cette vision de la démocratie a tendance à déprécier les corps intermédiaires, les autorités indépendantes, les cours constitutionnelles et même les partis politiques et les médias, tous considérés comme des obstacles bloquant le rapport direct entre le pouvoir et la société.

Cet exercice de la souveraineté directe du peuple est mis en œuvre à travers la possibilité d’obtenir la révocation des élus dans une optique de « précarité électorale », phénomène notamment observable aux États-Unis.

Il l’est également à travers la multiplication des consultations populaires. Dans ce cadre particulier, le référendum est présenté comme l’acte démocratique par excellence. Il fait ainsi l’objet d’un véritable culte, car « celui-ci est présenté comme un des moyens les plus évidents et les plus pertinents de réenchanter la démocratie et d’offrir une réponse à l’essoufflement universellement constaté des procédures et des institutions représentatives-parlementaires traditionnelles » (p. 173).

Le recours au référendum - qui s’apparente parfois au plébiscite - permet aux régimes populistes d’asseoir leur légitimité et d’accroître les prérogatives de l’exécutif. Cependant, s’il incarne la perfection démocratique, le référendum comporte en réalité des difficultés en matière de traduction normative des résultats d’une telle consultation, comme le montre actuellement le Brexit. En effet, les hommes politiques n’anticipent pas toujours les implications des questions posées lors du référendum, en termes de législation et de nouvelle organisation de la société.

5. La volonté générale

Pour expliquer la vision particulière de la volonté générale d’une part, et de la légitimité du pouvoir, d’autre part, Pierre Rosanvallon cite Carl Schmitt, juriste et constitutionnaliste allemand, membre du parti nazi entre 1933 et 1936, selon lequel il faut, dans une démocratie radicale et directe fondée sur l’acclamation, (« une démocratie d’acclamation»), que la volonté générale soit incarnée par un leader charismatique.

Dans cette vision de la volonté générale, le peuple réel n’est pas nécessairement le peuple électoral. La voix du peuple ne peut jamais être exprimée, ni par les instances de contrôle de la constitutionnalité que sont les cours constitutionnelles ni par des autorités non élues. C’est une question primordiale que l’auteur a examinée dans son ouvrage intitulé La Légitimité démocratique (2008). Ce rejet systématique est le fil qui relie les régimes populistes. En Russie, en Pologne, en Hongrie et en Turquie, la justice constitutionnelle fait actuellement les frais de cette conception particulière.

Le même raisonnement explique la justification par des régimes populistes de la limitation de la liberté de la presse. Les pouvoirs médiatiques sont considérés comme l’expression de groupes de pression minoritaires, qui usurpent la volonté générale et manipulent les réalités institutionnelles. Ce qui justifie ainsi la censure, voire le musellement de la presse.

6. Les alternatives au populisme

Pour Pierre Rosanvallon, le populisme est triomphant, car nulle alternative ne se dresse sur son chemin. C’est pourquoi il est urgent de trouver des solutions afin d’améliorer la représentation, de développer encore la légitimité et de mieux servir l’intérêt général.

L’idée fondamentale du populisme est de remédier aux dysfonctionnements de la démocratie par la simplification, par exemple, à travers l’identification à un leader ou le recours au référendum. Il s’agit en effet de schématiser la représentation, l’exercice de la souveraineté et la conception de la volonté générale. Face aux inégalités, la vision populiste incite souvent à un repli sur soi-même. À titre d’exemple lorsque ce repli se traduit par un refus des flux d’immigrés, l’égalité est conçue comme un rejet des autres. Des liens de solidarité factice surgissent par le rejet d’autrui. À cet égard, ce « national-protectionnisme » constitue une dimension importante du populisme et même une théorie sous-jacente du populisme.

À l’inverse, l’auteur propose une nouvelle approche diamétralement opposée à la vision populiste. Celle-ci consiste à complexifier ces différents éléments et en premier lieu, à penser la démocratie au-delà du moment électoral en favorisant des modes pluriels d’expression de la souveraineté et de la représentation. Il s’agit de faire en sorte que la majorité conserve un pouvoir décisif, mais que les préoccupations personnelles de tout un chacun soient prises en compte.

À côté de la légitimité électorale qui est intermittente, Pierre Rosanvallon propose de renforcer la mise en responsabilité des élus, d’améliorer la transparence, de favoriser la reddition de comptes, car, selon lui – si l’on se réfère au philosophe britannique Jeremy Bentham (1748-1832) – la démocratie n’est pas seulement la voix du peuple, mais également l’œil du peuple, en référence au concept d’œil panoptique, sorte de droit de regard sur les pratiques des représentants de la norme.

Il met également l’accent sur l’importance des institutions démocratiques indépendantes telles que les cours constitutionnelles, qui, bien que non élues, sont gardiennes de l’intérêt général, par l’exercice-même de leurs fonctions particulières. Personne ne peut se les approprier ni les privatiser.

7. Conclusion

L’ouvrage de Pierre Rosanvallon met clairement en évidence le fait que le populisme n’est pas qu’un style politique et qu’il est absolument nécessaire de traiter le phénomène comme un idéal-type politique. Si Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ont essayé de théoriser le populisme comme forme démocratique, l’analyse approfondie de Pierre Rosanvallon permet d’identifier les critères essentiels qui définissent l’idéal-type qu’est le populisme en collationnant et en examinant méticuleusement tous les éléments qui s’y réfèrent.

Quoi qu’il en soit une illusion demeurera : celle de croire que l’élection peut produire de manière satisfaisante de la représentation, surtout dans un monde dans lequel les frontières sociologiques sont de plus en plus fluctuantes. Une planche de salut s’offre néanmoins aux dirigeants des sociétés démocratiques, celle d’accepter de regarder la réalité en face pour construire la société.

8. Zone critique

L’ouvrage de Pierre Rosanvallon a suscité la vive réaction de la philosophe belge Chantal Mouffe, elle-même théoricienne du populisme. Selon elle (dans un article du Monde diplomatique en mai 2020), l’auteur échoue à la fois dans sa tentative de définition et de critique de la doctrine populiste. Le Siècle du populisme n’apporte, selon elle, aucun nouvel élément de réflexion à la thèse déjà établie, « selon laquelle le populisme consiste à opposer un « peuple pur » à une « élite corrompue » et à concevoir la politique comme l’expression immédiate de la « volonté générale » du peuple ».

L’auteur théoriserait le populisme en utilisant trop de clichés mis en avant par d’autres auteurs critiques du courant populiste et en construisant sa doctrine de manière arbitraire, à partir d’éléments provenant de sources très hétérogènes. Pire encore, il travestirait les idées des auteurs dont il rejette les positions. Il est, à cet égard, curieux de constater qu’à plusieurs reprises Pierre Rosanvallon s’exprime en utilisant un article indéfini devant le nom de certaines personnes lorsqu’il fait référence par exemple, à « une Chantal Mouffe » (p. 38), « un Mélenchon » (pp. 52 et 53) ou « un Donald Trump » (p. 53).

Par ailleurs, il est vrai que la notion de « national-protectionnisme », qui fait l’objet d’un chapitre entier (pp. 55-62), paraît bien audacieuse, tant sa formulation est lourde d’insinuations.

Chantal Mouffe se défend également de tout rejet de la démocratie libérale représentative. Elle avance pour preuve son ouvrage Pour un populisme de gauche, qui souligne justement « l’importance d’inscrire cette stratégie dans le cadre de la démocratie pluraliste et de ne pas renoncer aux principes du libéralisme politique ». De même, elle conteste l’affirmation selon laquelle l’unanimité serait « l’horizon régulateur de l’expression démocratique », alors que les thèmes de la division sociale et de l’impossibilité d’un consensus inclusif se trouvent au centre de ses réflexions.

En fait, pour ses détracteurs, Pierre Rosanvallon demeure prisonnier de l’idéologie du social-libéralisme, qui domine les démocraties européennes depuis près de quarante ans, et en particulier de son incarnation en France, à savoir, le projet d’une « République du centre », que l’auteur a lui-même élaboré avec d’autres intellectuels français.

Enfin, une bibliographie des œuvres citées aurait été bienvenue à la fin de ce passionnant et brillant essai.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Pierre Rosanvallon, Le Siècle du populisme – Histoire, théorie, critique, Paris, Seuil, 2020.

Du même auteur– Notre Histoire intellectuelle et politique, 1968-2018, Paris, Le Seuil, 2018.– Le Bon Gouvernement, Paris, Le Seuil, 2015. – La Société des égaux, Paris, Le Seuil, 2011.– La Légitimité démocratique, Paris, Le Seuil, 2008.– La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Le Seuil, 2006.– La Démocratie inachevée : Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 2000, Folio Histoire 2003– Le Peuple introuvable : Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1998 ; Paris, Folio-Histoire, 2002. – Avec François Furet et Jacques Julliard, La République du centre : La Fin de l’exception française, Paris, Calmann-Lévy, 1988.

Autres pistes– Guy Hermet, L'Hiver de la démocratie ou le nouveau régime, Paris, Armand Colin, 2007.– Guy Hermet, Les Populismes dans le monde, Paris, Fayard, 2001. – Ernesto Laclau, La Raison populiste, Paris, Le Seuil, 2008.– Chantal Mouffe, « Ce que Pierre Rosanvallon ne comprend pas », Le Monde diplomatique, Mai 2020.– Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche, Paris, Albin Michel, 2018. – Chantal Mouffe, Le Paradoxe démocratique, Paris, Beaux-Arts de Paris Éditions, 2016.– Cas Mudde et Cristbal Rovira Kaltwasser, Brève Introduction au populisme, Éditions de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 2018.

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