Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Pierre Veltz
Alors que l’avenir de notre planète ne cesse d’inquiéter les défenseurs de l’environnement et que les plus défavorisés des Français se disent accablés par la pauvreté et le chômage, ce livre a la vertu d’apaiser ses lecteurs. Aux pessimistes entêtés, il oppose une vision cohérente et optimiste de notre monde futur. Pour Pierre Veltz, rien n’est inéluctable. Notre économie va plutôt bien et c’est dans nos territoires que l’on trouvera les réponses à nos difficultés. Loin de parler de désindustrialisation, il considère que nous sommes entrés dans une ère d’hyper-industrialisation. Il ajoute qu’il est désormais nécessaire de réhabiliter le « local » pour favoriser notre intégration dans un réseau de métropoles, qui elles-mêmes trouveront leur place en Europe et dans le monde.
Pierre Veltz a écrit cet ouvrage environ trois mois avant la crise des Gilets Jaunes. Et cette coïncidence mérite réflexion. La protestation de ceux qui se considèrent comme les laissés pour compte de la prospérité fait écho aux thèses ici développées.
Étrangement, on sort de la lecture de l’ouvrage plutôt optimiste. Pourtant l’auteur qui a l’habitude du terrain, des hommes, des entreprises et des statistiques ne dépeint pas un monde idyllique. Il annonce et analyse le monde qui vient, fort de sa conviction que nous avons changé d’univers économique et industriel. Et, surtout, il offre des solutions et propose des chemins pour échapper au pire.
Volontiers provocateur, il combat la pensée dominante, mais aussi les idées générales et préconçues qu’on entend sur les ronds-points comme dans les assemblées de doctes spécialistes de l’aménagement du territoire. Il tourne le dos aux jérémiades de ceux qui voient la fin de la société industrielle pour démontrer qu’aux antipodes de cette vision, il existe une réalité tout autre : celle de la société hyper-industrielle. Les entreprises manufacturières, après des années de délocalisation, ont fini par reconquérir des parts de marché en France et en Europe, à force de compétence, et surtout à la faveur de nouveaux process nés de la haute technologie et de la robotique. Elles se relocalisent parfois, et pour leurs dirigeants, désormais, l’avenir de l’industrie repose sur la valeur de l’humain et de ses connaissances. Les objets, comme on le constate chaque jour, sont assimilés à des services, et tout est régi par les nouvelles connectivités permises par le numérique.
« Les idées, écrit Pierre Veltz, au lieu de disparaître dans la consommation subsistent et s’enrichissent lorsqu’elles sont partagées. », ce qu’il appelle aussi une économie de la connaissance. Celle-ci peut irriguer tous les territoires. Alors que dans le passé, l’économie, et singulièrement l’industrie, étaient dépendantes de leur environnement, on peut à présent, pratiquer la majeure partie des activités partout, dans les campagnes les plus reculées comme dans les villes pourvu qu’on y dispose du câble à haut débit.
L’ouvrage nous permet d’orienter la réflexion dans trois grands domaines. Il s’agit d’abord de faire un état des lieux, celui d’une société française qui ne manque pas d’atouts dans le contexte européen et mondial. Puis, d’en tirer une hypothèse nouvelle à même de capter ces mutations : dans le pays le plus pessimiste du monde, il existe de nombreuses trajectoires ou approches sociales, démographiques, technologiques, industrielles, ou culturelles qui garantissent une réelle adaptation du pays à l’économie contemporaine. Enfin, l’organisation des métropoles en réseaux avec les territoires, et notamment Paris et sa région offre des possibilités multiples de développement.
Dans ce livre construit donc comme une sorte de triptyque, c’est au centre qu’il faut d’abord regarder. Pierre Veltz avait commencé par rappeler la vanité des discours de repli sur soi. Et surtout, les thèses qu’ils défendent ne correspondent pas à la réalité du contexte économique mondialisé. Il rappelle que la France représente pour le moment 1% de la population de la planète et 4% du produit mondial. Dans la répartition des nouveaux flux industriels et commerciaux, sa taille avec ses 66 millions d’habitants ne correspond qu’aux dimensions d’une petite agglomération chinoise.
D’ailleurs, la Chine vient de décider de structurer son territoire en 19 « super-clusters urbains », autrement dit, 19 groupes d’agglomérations. La population de la Rivière des Perles, par exemple, avec Hong-Kong, Canton et Shenzhen est à peu près comparable à notre pays. En revanche, celle du Yang-Tsé, qui débouche à Shangaï abrite 152 millions d’habitants et celle de Pékin, 112 millions d’habitants. Autre défi : dans 30 ans, 100 millions d’habitants peupleront Lagos, la capitale du Nigeria. Et les exemples sont nombreux. Quelles trajectoires adopter pour exploiter au mieux la situation française ? Pierre Veltz considère que les Français avaient parfaitement assimilé les mutations économiques des « Trente Glorieuses » entre 1947 et la fin des années 70, mais désormais, la tâche est ardue. Les changements profonds de la société et les difficultés pour s’y adapter peuvent être maîtrisées à 2 conditions : il faut plus de mobilité et une meilleure redistribution pour dominer les tensions, et répondre au chômage et à la pauvreté. La plupart des territoires bénéficient d’une dynamique qui leur a permis d’échapper aux déterminismes anciens. Mais, selon lui, « les germes du développement sont souvent un facteur soft impossible à quantifier. »
Entre emplois exposés et emplois abrités (aussi dénommés emplois nomades et emplois sédentaires), la plupart des entreprises ont pris conscience du fait écologique dans toutes les régions. Beaucoup ont désormais franchi le pas de la transition écologique. Le « tournant local », les circuits courts ne répondent cependant que partiellement aux difficultés environnementales de dimension planétaire. Pierre Veltz juge aussi que nous continuerons à fabriquer des « voitures, des avions et des médicaments pour le marché mondial, mais ce modèle a ses limites. C’est celui d’une Chine qui par exemple a consommé autant de ciment entre 2008 et 2010, que les Etats-Unis pendant tout le vingtième siècle !
Selon lui, au-delà des nouvelles politiques de sobriété énergétique de beaucoup d’entreprises, dans les territoires, nous venons d’entrer dans une « économie anthropocentrée », non plus « focalisée sur les produits, mais sur l’individu lui-même, son corps, son cerveau, ses émotions ». Cette évolution en entraîne une autre. C’est le cas de la mobilité qui va articuler « étroitement services, objets et régulations informatiques ». Il promet ainsi une réinvention des villes et des territoires. On peut encore prendre le cas de la santé. La création et le partage des données vont modifier largement nos pratiques sanitaires. La nouvelle industrie émergente, nécessairement de proximité, sera dédiée au bien-être, et pas seulement aux actions thérapeutiques. L’auteur ajoute : « On pourrait encore parler de l’éducation, du divertissement, de l’alimentation.
Partout, on retrouve ce couple entre individualisation et systèmes collectifs construits autour de la nouvelle richesse, la donnée ». Santé donc, mobilité décarbonée, alimentation… Les territoires vont accueillir d’innombrables initiatives basées sur des coalitions d’univers jadis cloisonnés, ceux des institutions éducatives, les associations, les groupements professionnels. Et c’est souvent un terreau fertile pour les start-upers installés partout, dans les métropoles, les villes moyennes ou les villages. Longtemps, aménagement du territoire et aménagement urbain ont appartenu à des domaines séparés. Une meilleure gouvernance devrait permettre de les réunir en réseaux avec leurs activités industrielles et de services.
Les trois premiers chapitres du livre s’attardent au décor, comme pour bien cerner l’ampleur des résistances et des espérances de la France des territoires. Cela permet d’évaluer l’ampleur des mutations qui viennent. Pierre Veltz estime que nous sommes en manque d’un récit global sur le devenir de nos territoires. Il fait remonter à une date récente l’entrée dans le numérique : celle de l’apparition du Smartphone, en 2007, lorsque le président d’Apple, Steve Jobs a présenté le premier Iphone de l’histoire. Démonstration éclatante de l’importance de la créativité dans l’économie nouvelle. La croissance ne se réduit plus, selon lui, à l’accumulation du capital, mais elle s’appuie sur d’autres facteurs comme « les idées, les institutions, la population et surtout le capital humain ».
En France, les régions disposent de ce capital humain. Il permet de créer, de former, de spécialiser. En Chine, longtemps considérée comme l’usine de la planète, on a compris qu’il fallait investir en ce sens. Le pays en matière de publications scientifiques, est passé du 8ème rang en 2000 au deuxième rang dès 2006. Mais la France est généralement bien placée en matière d’éducation et de recherche. 51% des actifs ont un niveau égal ou supérieur au bac. Si la France a perdu du terrain dans les télécoms et les biotechnologies, elle dispose de centres de compétences tout à fait conséquents et elle n’a pas décroché dans la course aux technosciences. Mais, bien sûr, le passage au numérique et la libéralisation des échanges ont modifié le comportement des entreprises, avec une « forte incertitude au niveau local ». Si les crises sectorielles ont disparu (acier, le charbon, le textile), la moindre PME ou la moindre ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire) sous-traitante d’un groupe situé sur un autre continent peut être menacée. Leur créativité offre alors la meilleure des réponses, sans compter qu’en France, de multiples transferts sociaux régulent les soubresauts de l’économie.
On est loin de la France décrite en 1877 dans Le Tour de la France par deux enfants ! Les héros du best-seller de l’époque cheminaient dans une France très active, industrieuse, riche de ses campagnes et de sa ruralité, marquée par ses accents, ses patois et ses paysages. L’économie fonctionnait par contiguïté. On transformait à proximité des sources de matière première ou des gisements d’emplois. Tout a changé. Les entreprises qui ont connu des réussites spectaculaires ces dernières années ne doivent généralement leur implantation qu’au hasard ou à diverses contingences improbables. Les territoires ont simplement été ensuite en mesure de conforter leur développement en mobilisant leurs ressources. L’implantation d’entreprises est possible dans toute la France.
Le territoire n’est dès lors plus un critère. Pour Pierre Veltz, le passage à l’hyper-industrialisation accentue cette tendance, affirme l’auteur. Il donne d’ailleurs l’exemple de l’Islande, qui est à la fois devenue l’un des producteurs mondiaux d’aluminium parmi les plus importants et aussi une terre capable d’abriter les serveurs du Bitcoin, 2 industries très gourmandes en énergie. L’activité n’est plus liée à la géographie et c’est une chance à saisir pour la plupart des territoires. Selon Lui, « la causalité tend à s’inverser. Les entreprises vont et iront de plus en plus là où leurs salariés ont envie de travailler ou, plus exactement, de vivre. »
Autre clin d’œil de l’auteur, en insistant sur l’enrichissement que peut apporter l’immigration, celle des cerveaux notamment. Des modèles à suivre ? Par exemple, Singapour, une capitale parmi les plus riches d’Asie qui a débauché les meilleurs scientifiques du monde dans les biotechnologies. Ou encore Taïwan qui a invité à rappeler des États-Unis, ses ingénieurs pour créer une Silicon Valley à la chinoise. Pensons aussi à Israël qui est devenu un pôle mondial des nouvelles technologies par la promotion des échanges avec les grandes universités américaines. L’excellence passe par une politique ouverte d’immigration et non par le repli sur soi et la fermeture des frontières. Les comportements ont changé positivement, tant pour les actifs que pour les retraités.
Chaque individu a ainsi la possibilité de choisir son autonomie et son mode de vie. Comme le fait remarquer l’auteur, « On choisit son lieu de vie, puis on se débrouille pour trouver du travail là où l’on a décidé de vivre ». Il estime aussi que dans un petit pays aussi densément maillé que la France, tous les territoires ont des possibilités d’innover et de créer.
Le poids de l’histoire de la France nous oblige à considérer Paris, comme élément central de la transformation du pays. Au moins par contraste. On ne parle pas du local, ou du régional sans considérer ce qui s’est passé dans la capitale qui a si longtemps décidé pour la province, autrement dit, pour les territoires.
Et c’est aussi une occasion de mesurer le chemin parcouru. L’auteur y consacre une grande partie de cet ouvrage. Le rôle traditionnel de la capitale omnipotente n’est pas comparable à celui de Berlin, de Londres ou de Pékin. Mais les faits sont têtus. Un Français sur cinq habite Paris et l’Ile de France. Paris produit le tiers du PIB français. Et surtout, Paris reste très liée à son pays. Vu de l’étranger, son pouvoir d’attraction est considérable. Paris, avec ses 80 000 chercheurs, est au premier rang mondial. Elle abrite, dans ses 14 universités, autant de chercheurs que la Silicon Valley et ses start-ups ont attiré 1,7 milliard d’Euros de capital risque en 2017. Á comparer cependant avec les 128 milliards investis dans le monde entier, dont près de la moitié aux États-Unis.
Mais Paris cumule aussi certains handicaps. D’ailleurs, jeunes ou retraités, 60 000 habitants quittent la capitale chaque année. Le taux de construction de logements est l’un des plus bas de toutes les métropoles. Quant à l’achat d’un trois-pièces, il faut plus de vingt-huit ans à un ménage au revenu médian pour l’acquérir, tant les prix du foncier se sont envolés. Paris est aussi incontournable dans la création que
Pierre Veltz appelle de ses vœux, comme il l’évoquait déjà en 1996 dans Mondialisation, villes, territoires. L’économie d’archipel. La capitale peut largement contribuer à fédérer tous les territoires de ce qui deviendrait, à l’échelle mondiale, une « métropole France ». De quoi occuper sans rougir une très belle place dans le monde pour un une France plus juste et plus inclusive.
Après une description des données et des enjeux des territoires, alternant les analyses statistiques en plan large et les plans rapprochés, après avoir proposé des pistes et des trajectoires pour le gouvernement des régions, après avoir longuement examiné le cas de Paris et de l’Ile de France, Pierre Veltz considère qu’il ne reste plus qu’une chose à faire : réformer les institutions territoriales. L’avenir, à ses yeux s’incarnera dans ce qu’il appelle une « métropole-France », seule garante d’une croissance économique et d’innovations écologiques. Son cœur battrait au rythme d’une véritable « inter-territorialité ». Selon l’auteur, il faut créer de vrais pouvoirs d’agglomération et d’intercommunalités qui s’appuieraient sur le suffrage universel. Méfiance cependant, la France, assure-t-il, « survalorise la dimension politico-administrative. Ce sont les forces et la créativité de la société dite civile qui portent et porteront de plus en plus les transformations de notre monde. »
Le livre de Pierre Veltz est riche en statistiques, en chiffres et en évaluations, le tout exprimé au niveau national ou international. Peut-être eut-il été plus éclairant ou instructif de considérer les comparaisons véritablement au niveau régional, ce qui aurait permis de mieux cerner ce qu'un auteur comme Christophe Guilluy a nommé les fractures françaises.
De fait, le pessimisme qui pèse sur les territoires français et leurs habitants est difficilement appréhendable, quantifiable dans le livre de Veltz. Comme le montre la crise des Gilets Jaunes, certains territoires, ceux d'une France périphérique, semble opposés aux dynamisme des grandes agglomérations. Enfin, les périodes de transition économique et de mutation ne débouchent pas systématiquement sur le succès.
Ouvrage recensé– La France des territoires, défis et promesses, La Tour-d'Aigues, Éditions de l’Aube, 2019.
Du même auteur– La société hyper-industrielle, Le nouveau capitalisme productif, Seuil, coll. « La République des idées », 2017
Autres pistes– Christophe Guilly, Le crépuscule de la France d’en haut, Paris, éditions Flammarion, 2016.– Thierry Pech, Insoumissions, Portrait de la France qui vient, Paris, Éditions du Seuil, 2017.– Laurent Davezies, Magali Talandier, L’émergence de systèmes productivo-résidentiels, Paris, éditions de la Documentation française. 2014– Olivier Bouba-Olga, Dynamiques territoriales, éloge de la diversité. Poitiers, éditions de l’Atlantique. 2017